PI-OU et PA-OU
Il était une fois, dans cette rude terre de Lozère que l’on nomme le Gévaudan, deux gentils petits rouges-gorges qui s’appelaient :Pi-ou et Pa-ou . On les avaient ainsi prénommés, à cause de ce chant monotone qu’ils serinaient à longueur de journée : -« pi-ou ! pa-ou ! pi-ou ! pa-ou ! ».
Ils avaient élu domicile au sommet d’un grand chêne, tout là-haut dans les dernières branches, persuadés que l’épais feuillage du bel arbre mettrait leurs futurs oisillons à l’abri de tout danger.
Au pied de ce seigneur de la forêt, au plus profond d’un buisson épineux et touffu, deux rossignols philomèles, Tire-li et Tire-la avaient construit leur nid de brindilles. Leur plumage d’un brun très ordinaire ne les distinguait en rien parmi les autres oiseaux des bois, mais la beauté de leur chant ravissait ceux qui les entendaient .
Ils possédaient également une nature craintive qui les poussait à se méfier de tout.
Ils savaient en fait, depuis la nuit lointaine où un de leurs ancêtres s’était laissé emprisonner par les vrilles d’une vigne, qu’il n’existe pas de cachette qu’un être affamé ne découvre. Aussi, ne dormaient –ils qu’à tour de rôle, et, pour se tenir éveillés, s’exerçaient-ils à ces roulades qui enchantent les nuits de printemps :
« tire-li, tire- la, tire-li, tire-la »
Un soir, alors que nos amis avaient regagné l’abri de leur arbre et s’y étaient endormis,

Tire-li, qui cette nuit là était de veille, fut alerté par un drôle de bruit. Il y eut au-dessus de sa tête comme un grand froissement, un crissement inquiétant suivi d’un moment de silence, puis une voix caverneuse s’éleva :
- « Croâ-croâ- crôa », disait la voix, demain , nous mangerons Pi-ou et Pa-ou !
- Nous mangerons Pi-ou et Pa-ou répondit une voix tout aussi effrayante , « croâ-croâ-crôa. »
Tire-li, tout tremblant, osa risquer un œil, et ce qu’il vit lui ôta le peu de courage qui lui restait.
Sur la branche basse du chêne, celle qui dominait leur buisson, se tenaient deux grands corbeaux noirs,
maigres et sinistres. Leurs plumes noires hérissées, leur bec large et crochu, leurs énormes pattes prolongées de serres acérées,
ajoutés à des yeux ronds luisants de convoitise, semaient la terreur partout où ils passaient. C’était messire Gorpatas et sa compagne.
« crôa-crôa-crôa »
- Demain, reprit messire Gorpatas, « crôa-crôa-crôa », à la tombée de la nuit, nous plongerons ensemble dans leur nid et nous les dévorerons.
- Et nous les dévorerons répéta, lugubre, sa compagne « crôa-crôa-crôa ».

Puis il y eut un autre grand froissement, et les deux corbeaux s’envolèrent.
Tire-li était si ému, qu’il ne parvint pas à bien chanter de tout le reste de la nuit.
Au matin, à peine le soleil frangeait-il de rose l’horizon, qu’ils étaient, Tire-la et lui au bord du nid de Pi-ou et Pa-ou.
«- Réveillez-vous, réveillez-vous, un grand danger vous menace ! Les Gorpatas veulent vous manger ! Ils ont dit que ce soir à la tombée de la nuit ils plongeraient dans votre nid pour vous dévorer !
- Qu’allons nous devenir ? Pauvres de nous, qu’allons nous devenir ? s’écria Pi-ou qui avait toujours était très peureuse. Et nos œufs qui sont sur le point d’éclore, ajouta-t-elle en gémissant !
- Réfléchissons, ne nous affolons pas, répondit de sa voix mesurée Pa-ou qui avait l’esprit mathématique. Et d’un, ce soir est encore loin, et de deux, quand il fait nuit, on n’y voit pas grand chose, et de trois …j’ai une idée. Voilà ce que nous allons faire : tout d’abord, il va falloir débarrasser le nid de son contenu, et transporter les œufs chez nos amis les rossignols. Surtout, veillons à ne pas faire de casse ! »
Ainsi firent-ils : s’aidant des pattes et du bec, tirant, poussant, soufflant, ils parvinrent enfin à déménager la précieuse couvée.
Quand le dernier œuf fut parvenu à l’abri du buisson touffu, l’après-midi touchait à sa fin. Déjà, les ombres se faisaient denses et obliques; il n’y avait pas de temps à perdre.
«- Toi, Tire-li qui possèdes la voix la plus mélodieuse de ces forêts, reprit Pa-ou qui avait l’esprit pragmatique, tu vas aller chez le cordonnier ; il paraît terrible, mais ce n’est pas un méchant homme ; de plus, c’est le plus grand amateur de «bel canto » que je connaisse ; chante lui un de tes trilles et demande lui s’il ne pourrait pas nous céder un peu de cette glu qu’il prépare chaque jour; puis, reviens ici le plus vite possible : il ne faut surtout pas que la glu se fige ! Vous deux, ajouta-t-il, s’adressant aux femelles qui tremblaient d’épuisement et de frayeur, rejoignez vite l’autre nid, les œufs ont besoin de chaleur ! Moi, j’attendrai ici le retour de Tire-li.
Et ce qui fut dit, fut fait : le rossignol partit à tire d’aile chez le cordonnier tandis que les deux mères regagnaient l’abri du buisson épineux où elles se mirent aussitôt à couver.
Quelle ne fut pas la surprise du cordonnier de voir sur l’appui de sa fenêtre un rossignol ! Quand on sait que cet oiseau est si farouche qu’on n’aperçoit souvent de lui qu’un éclair brun et fugace. De plus, l’oiseau, bien campé sur ses pattes se mit à entonner le chant le plus ravissant et le plus poignant qu’il lui fût donné d’entendre :
« Tire-li li li li li,tire-la la li la la
Il y était question de méchants corbeaux qui terrorisaient les hôtes ailés de la forêt, d’oisillons qui ne verraient pas le jour, de sous bois qui ne résonneraient plus de doux gazouillis, de nature qui ne serait que silence.
Le brave homme n’en pouvait retenir ses larmes :jamais, cause n’avait été aussi bien plaidée, jamais malheur n’avait été aussi bien évoqué ! Il demanda alors à l’oiseau en quoi il pouvait lui être utile, et lui accorda de grand cœur ce qu’il était venu chercher..
Dés que Tire-li fut de retour Pa-ou s’empara de la glu pour en badigeonner méticuleusement et copieusement le fond de son nid.. Ensuite, les deux compères allèrent retrouver leurs compagnes au creux du buisson touffu.. Tous quatre se serrèrent un peu : le nid n’était pas grand, mais le jour commençait à tomber. Et là, ils attendirent…
Le soleil venait à peine de se noyer dans les vapeurs embrasées du couchant qu’on entendit le terrible froissement d’aile. : « frrr-frrr-frrr» accompagné du terrifiant :
« crô-a, crô-a, crô-a »
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Les sinistres Gorpatas étaient de retour ! Alors, poussant à nouveau leur affreux croassement ils se précipitèrent sur le nid de Pi-ou et Pa-ou.
Il y eut un grand fracas de branches aussitôt suivi de cris de douleur et de dépit.
Et l’on vit les deux horribles monstres, le bec planté dans le nid que la glu maintenait collé, tenter de s’échapper dans un vol si désordonné qu’ils se cognaient à tous les arbres.
Nos quatre amis, à la vue d’un spectacle aussi cocasse furent saisis d’un tel fou rire qu’il se communiqua bientôt à tous les autres habitants de la forêt.
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Une à une les étoiles au ciel s’allumèrent, peu à peu la nature retrouva son calme, et les oiseaux épuisés par cette journée si mouvementée, blottis les uns contre les autres, s’endormirent pour un sommeil réparateur. Même le rossignol, oubliant ses craintes ancestrales, priva, pour cette nuit, la forêt de son trille mélodieux.
Quant aux vilains corbeaux, leur fuite éperdue les avait conduits dans un champ de blé où ils s’étaient effondrés. Au petit jour, Antonin, le cantonnier, les y avait trouvés emmêlés. Mécontent de voir le blé saccagé par des pilleurs de nids, il s’était écrié en roulant furieusement les « r » :
« Ah ! Vous vouliez mangerrr des petits oiseaux ! Et dans un champ de blé encorrre ! Saprrristi de saprrristi de saprrristi ! »
Puis, il leur avait fait si bien tâter de son bâton qu’ils s’étaient enfuis très loin pour ne plus jamais revenir.
CLIC-CLAC mon conte es accabat.
D’après et grâce à Maurice Puel