.......

Les Aventuriers de la Sauvageonne.

I. La Sauvageonne


I. La Sauvageonne



Pour Adélie, Léon, Elise et Solène
ce livre écrit avec leur collaboration, et dans lequel
ils retrouveront des êtres et des lieux qui ont peuplé les contes de leur petite enfance.



Prologue


image Il s'était retiré dans la chapelle de ce château à moitié démoli.
Lorsque ses frères Templiers s'en étaient revenus des croisades, ils ne manquaient pas de richesses.
De l'or, qu'ils avaient gagné à protéger les pèlerins dans leur voyage en Terre Sainte, ainsi qu'à garder le Temple, mais également d'autres secrets inestimables ayant appartenu au Grand Roi Salomon lui-même.
Et c'était à lui, Bertrand, le dernier des Templiers qui tenaient commanderie sur le Larzac, qu'avait été confié le soin de le protéger, ce trésor.
Les grands Maîtres étaient morts et leur ordre dissout.
Lui aussi bientôt disparaîtrait.
Mais nul ne pourrait jamais plus s'emparer des secrets et du trésor.
Il avait bien accompli sa tâche.

Chapitre 1

Jamais dénomination ne fut aussi bien octroyée. En effet, pour aller sur les terres portant l'appellation de la Sauvageonne, le plus court était encore d'escalader l'amas chaotique de rochers qui surplombaient la grande mare. Chemin très peu emprunté par les adultes, qui lui préféraient celui du vénérable chêne, que tous ici, nommaient le Chouradou, et qu'hommes et troupeaux choisissaient pour son ombre rafraîchissante ! De plus, on le disait maudit en tant que reliquat des ruines du célèbre château de Mauperthuis qui jadis avait surmonté l'endroit.
C'est donc, et pourtant là, que nos apprentis Robinsons avaient décidé d'installer leur repaire, sans se soucier aucunement de la malédiction des lieux, ni des vipères aimant à se lover au soleil sur quelques pierres plates. Ils avaient pris l'habitude de les côtoyer sans crainte, et omettaient volontairement d'en parler à leurs mères, bien trop peureuses à leur sens.
Ils étaient trois: il y avait Janou, Tonin, et Tistou, trois garnements d'une douzaine d'années qui savaient très bien se soustraire aux tâches auxquelles leurs parents les assignaient, pour aller savourer, dans ce qu'ils nommaient leur repaire, une vie que leur imagination fertile inventait.
Si Janou était un petit rondelet au visage poupin, à la tignasse noire, et aux yeux couleur d'encre, Tonin était, lui, tout en muscles, mais sec comme une trique, donnant l'impression qu'il ne mangeait pas toujours à sa faim. Ses cheveux roux, toujours hirsutes, et son visage constellé de tâches de rousseur, faisaient ressortir ses petits yeux perçants, couleur émeraude. Tistou lui était blond, tout en longueur et en langueur, comme le laissaient entendre ses grands yeux bleus, toujours étonnés et rêveurs.
Toutefois, l'occupation des lieux ne s'était pas faite sans partage, car depuis fort longtemps des familles de lapins de garennes avaient colonisé l'endroit. Parmi ces dernières, le clan des Blantoupets était de loin le plus important. Les mères y étaient très fertiles et les pères très entreprenants. Les vieux, quand à eux, y avaient acquis la sagesse d'avoir échappé soit aux chiens, soit au furet, soit au fusil du chasseur, et prodiguaient aux plus jeunes des conseils, toujours écoutés, mais pas forcément entendus:
- Petits, prenez garde à l'humain et à ses compagnons redoutables, seules l'agilité, la ruse et surtout la prudence, sauront vous en défendre. Songez aussi que la nuit est votre alliée, gardez vos ébats pour les clairs de lune ! Moi qui vous parle...
C'est à ce moment du récit que Pichounet, le plus jeune de la smala, eut l'attention qui décrochait.
Peu lui importait l'expérience d'anciens rabat-joies, ne sentait-il pas au fond de lui-même qu'il se devait de faire ses propres découvertes, et, ma foi, s'il lui en coûtait un peu, il verrait bien !
Tout doucement, et à reculons, il quitta l'auditoire attentif, et dès qu'il fut hors de vue des garennes, par bonds successifs, gagna le plus haut des rochers, celui qui débouchait sur cette large étendue déserte qu'on appelait la Sauvageonne.
Tout d'abord, la clarté de la lumière l'éblouit. Il avait surgi des couloirs sombres des garennes, en plein midi, par une journée chaude et lumineuse, sur une lande dépourvue d'arbres. Seul, à son extrémité, le Chouradou offrait son ombre bienfaisante au troupeau s'y agglutinant pour la sieste.
Il fut donc un peu surpris de voir s'offrir à ses ébats toute cette grande étendue. Mais son hésitation fut de courte durée, et il caracola de touffe de thym, en touffe de thym, en course zigzagante, ivre d'espace et de liberté, jusqu'à ce que, à bout de souffle, il s'affale, derrière la grande matte de buis, sur... Janou allongé dans l'herbe et rêvassant.
Le choc assomma à moitié notre aventurier, au point que le jeune berger n'eut aucun mal à le saisir par les oreilles:
- Eh ! eh ! où t'en vas-tu si vite, toi ? on ne t’a pas dit que c’était dangereux de sortir comme ça en plein jour ? et si Barri t'avait vu ? là, là, reste tranquille, je ne te veux pas de mal.
- Pas de mal, pas de mal, pourquoi me tires-tu les oreilles alors ?… et puis, je n’ai pas peur de toi, ni de Barri d'ailleurs, il choure (reposer) aussi longtemps que tes brebis, il est vieux, sourd, et manque de flair. D'ailleurs, je n’ai peur de personne, et dans la nouvelle existence que j'ai décidé d'entreprendre on ne peut qu'être courageux !
- Ah oui ? Et qu'est-ce que tu as décidé ?
- J'ai décidé de vivre ma vie !
- Vivre ta vie ?
- Oui, oui ! finie la vie de clan à l'intérieur des garennes, je veux vivre à l'air libre, et seul !
- Comme un ermite quoi !
- Si tu le dis !
- Eh bé ! on est fait pour s'entendre, car moi et mes amis c'est aussi ce qu'on avait envie de faire, vivre à trois ermites, à quatre maintenant si tu veux être des nôtres.
- D'accord ! mais tu ne pourrais pas arrêter de m'escagasser (écraser), je ne vais pas m'échapper va !
- Oh pardon !… puis: miladieus ! excuse moi mais je dois aller tourner les brebis, elles ont fini leur sieste. Va vite avant que Barri ne te voie, il a beau être vieux… eh ! cria le garçon les mains en porte voix: je te donne rendez-vous ce soir au pied du grand rocher tout au bout de la Sauvageonne.
Seul un derrière surmonté d'un toupet blanc lui répondit: Barri s'était réveillé.

Les tâches que nos trois compères avaient à accomplir chaque soir, furent bien vite expédiées:
Janou se dépêcha de faire la traite des brebis, au point de ne pas tarir complètement leurs mamelles.
Tonin, se trouva très fatigué, la soupe avalée: l’abattage et la coupe de bois pour lesquels il avait aidé son père, l’avaient épuisé. De fait,il savait pouvoir s’échapper, sans crainte d’être vu, par le fénestron de sa chambre.
Quant à Tistou, une fois la chèvre Bianca traite, et enfermée sous l'appentis, il savait qu'il pouvait dire qu'il allait rêver sous les étoiles, Albanie ne disait jamais non.
C'est ainsi, qu'à la nuit noire, ils se retrouvèrent tous les trois sous le grand rocher creux de la Sauvageonne, bientôt rejoints par un jeune lapin de garenne, dont Janou, le temps du trajet, avait pu expliquer la présence.

Chapitre 2

-Et maintenant qu’est-ce qu'on fait ? interrogea Janou, qui, d’entrée, s’était auto proclamé chef de bande.
- Si on faisait un pacte de sang ? proposa Tistou le rêveur, dont l’imagination ne cessait se s’abreuver des Jack London, Fennimore Cooper, Oliver Curwood, dont il empruntait les ouvrages à la bibliothèque de l’école communale.
- Un pacte, un pacte ? qu’es aquò ? (qu'est-ce que c'est ?) demanda Tonin, qui, s’il possédait l’intelligence de la nature dont il déchiffrait tous les signes, ne brillait pas dans celle des textes.
Pichounet, quant à lui se contenta de frapper le sol de son grand pied pour montrer qu’il approuvait. Non qu’il ait compris le sens des propos de Tistou, mais il était prêt à tout pour se faire admettre dans la bande, assuré qu’il était, qu’il avait tout à y gagner.
Tout sauf les garennes !
Janou en tant que chef auto proclamé se dépêcha de rajouter,
- C’est ce que j’allais proposer.
- Chez les Indiens d’Amérique, reprit Tistou, on signe une alliance par le sang mêlé, entre amis, pour promettre de ne jamais trahir ce qui va être décidé.
- ... ! - Tonin, passe moi ton couteau.
Puis d’un geste décidé, Tistou s’entailla la paume de la main.
- A toi maintenant.
Janou fit de même, suivi par Tonin. Ils se tournèrent ensuite vers Pichounet
- Eh ! s’écria Pichounet, tu m’avais promis que je ne risquais rien.
- Juré craché que tu ne risques rien ! dit Janou, puis saisissant une patte avant tout de même tremblante, il y fit une petite entaille.
- Et maintenant, dit Tistou, nous allons jurer chacun notre tour de ne jamais trahir, et nous mêlerons nos sangs par une poignée de main ou de patte fraternelle !
Ce qui fut dit, fut solennellement fait.
- E ara de qué caldrà pas traïr ?
(Bon maintenant demanda Tonin, qu'est-ce qu'il ne faudra pas trahir ?)
- En premier, notre lieu de rendez-vous, répondit Janou.
- Puis le nom des membres de notre confrérie ajouta Tistou; à propos, peut être qu'il serait bon qu'on prenne un nom de code.
- J'allais y venir répliqua bien vite Janou: moi, je m'appellerai Jean sans peur !
- Ieu aimi mai un nom d'indian coma dins las istòrias que nos contères, Tiston.
- (Moi je préfère un nom d'indien, comme dans les histoires que tu nous as racontées Tistou.) - Tu as raison Tonin, qu'est-ce-que tu dirais d’Oeil de Lynx ? toi qui remarques toujours tout, approuva ce dernier.
- Tout compte fait j'aimerais prendre aussi un nom indien, mais un nom de chef ! déclara Janou.
- Sitting Bull t'irait très bien alors. Ça été un grand chef Sioux.
- Va pour Sitting Bull. Et toi Tistou ?
- Pour moi qui aime bien me promener les soirs de lune, j'aimerais assez Nokomis, fils de la lune.
- Aquo t'aniriá plan, i sès sovent dins la luna !
- (Ça t'irait bien, car tu y es souvent dans la lune pouffa Tonin !)
- Et moi demanda Pichounet ?
- Toi ? voyons voir, Longues Oreilles, ça te plaît ?
- Ouais ça me va ! En fait, c'est moi qui ai les plus longues de toute ma famille.
- Bon, puisque nous voilà tous avec un nom de code, il nous faudrait ensuite un mot de passe pour nos réunions secrètes, reprit Janou du ton assuré de chef.
- Ieu pensi que nos caldriá un nom de cada jorn, coma aquò lo poiriam dire sens que los parents s’entrevèsson de res.
- (Moi je pense dit Tonin avec son esprit pratique, qu'il faudrait un mot de tous les jours comme ça on pourrait le dire sans mettre la puce à l'oreille des parents. Hein ?)
- Ce n’est pas bête, mais quoi ?
Alors suivit une liste de mots mêlant occitan et français, chacun voulant apporter le sien: buis, thym, brebis, chouradou*, ostal*, conil*, sela*, charue, bâton, estela*, fuoc* etc,etc,etc.
- I arribarem jamai !
- (On y arrivera jamais se lamenta Tonin !)
- Longues Oreilles, interrogea Janou, tu n'as rien dit !
- C'est que moi je ne sais pas de quoi vous parlez avec vos parents. Chez nous on commence toujours par bonjour et on finit par merci.
- C'est ça on va choisir merci, dit Janou, comme ça les vieux seront tout contents de nous voir bien polis !
- Mas alara mercé, a mon ostal parlan pas que patés
(Mais alors merci, chez moi on parle que patois, ajouta Tonin)
- Je suis d'accord, approuva Tistou.
- Moi aussi, moi aussi, s'empressa d'ajouter Pichounet, tout fier qu'on ait choisi sa proposition.
- Bien, résumons nous, nous avons les noms, le mot de passe, le lieu de rendez-vous, il ne manque plus que le trésor.
- Le trésor ? questionnèrent trois voix.
- Ben oui ! pourquoi des réunions secrètes si ce n’est pas pour ramener et cacher un trésor ? dit Janou d'un ton sans réplique.
- Tu veux dire des pièces en or, des pierres précieuses et tout ça ? interrogea Tistou.
- Ça, ce serait peut être difficile, mais pourquoi pas des objets auxquels on tient.
- Moi, Janou, j'apporterai mon bâton gravé en buis.
- Moi, Tistou, ma collection de fossiles.
- Ieù ai pas de colleccion, mas podi portar de mangeailla per de que …
(Moi, dit Tonin j'ai pas de collection, mais je peux ramener de quoi manger parce que travailler des méninges ça creuse !)
- Moi, dit Pichounet, je ne sais pas encore, mais je trouverai bien.
- Bien. Moi, Sitting Bull, je dis qu'il se fait tard, qu'il ne faudrait pas qu'on s'aperçoive de notre absence, et je vous donne rendez-vous jeudi prochain, même heure, même endroit, et n'oubliez pas le trésor et le mot de passe. Hugh ! j'ai dit !
- Hugh ! répondirent en chœur trois voix.
Cinq minutes après Pichounet se retrouvait seul sur la lande.
On a beau vouloir être ermite, la solitude est assez difficile à assumer pour celui qui a l'habitude de vivre en colonies: de plus le vent, qui cette nuit là gémissait en soufflant, faisait défiler les nuages devant la lune, révélant tout autour de notre héros, mille figures inquiétantes.
La branche qui craqua à ses côtés fut le signal de la retraite. En trois bonds, il avait regagné la sécurité des garennes.
Toutefois, voulant échapper aux questions ou aux réprimandes, il choisit d'emprunter une galerie à l'abandon débouchant dans une chambre mise à l'écart, car trop humide.
De l'eau suintait sur ses parois, et, par une faille due à un éboulement, la clarté de la lune pénétrait.
Ainsi, notre ami ne tarda pas à voir une sorte de reflet brillant sur la paroi opposée à la faille.
Il crut avoir rêvé, car très vite l'obscurité fut complète. Puis, le rayon de lune pénétra à nouveau: le reflet était bien là.
Pichounet gratta avec sa patte et mit à jour des rondelles brillantes et plates, une, puis deux, puis quatre: elles semblaient sortir d'un coffre de bois que l'humidité aurait pourri.
- Si ça, çe n'est pas un trésor, alors c'est que je ne m'appelle pas Longues Oreilles. On verra jeudi ce que diront les autres.
Ensuite, de son museau et de ses pattes, il reboucha la galerie afin que personne ne vienne le priver de sa trouvaille.

Chapitre 3

Somme toute, la semaine passa assez vite pour les trois garçons, car les rares moments qu'ils avaient de temps libre, ils les passaient à réfléchir. Et la question qu'ils retournaient sans cesse était: comment enrichir le trésor ?
Pour Longues Oreilles, il n'en allait pas de même, car il bouillait de faire part de sa trouvaille, tellement qu'il en oubliait les règles de prudence qu'on lui avait pourtant inculquées. Il s'aventurait quelquefois aux abords même du village sans se soucier d'être vu, tentant, en vain, d'apercevoir ses comparses tout en énonçant de sa petite voix flûtée:
«Mercé, mercé, mercé».
Le reste du temps, il le passait sous le grand rocher. C'est ainsi, qu'en brave petit lapin de terrier qu'il était, voulant agrandir la cache, il avait désobstrué un goulot communiquant avec une grande salle .
Vivement jeudi, il en aurait des choses à raconter !
Il arriva enfin, ce jour tant attendu !
Nous étions à la mi-octobre, époque où les jours raccourcissent à grands pas, et pourtant jamais journée ne lui parut aussi longue.
Pour nos trois compères, ce soir là n'en finissait pas d'apporter son lot d'occupations domestiques.
La lune était déjà haut dans le ciel lorsque le rocher s'anima.
Le mot de passe, les noms de guerre et enfin un drôle de salut cabalistique que Tistou avait cru bon d'ajouter, et la séance commença.
Chacun, donc, rapporta ce qu'il avait fait, et ce qu'il avait cru bon de ramener pour constituer le trésor du clan.
Janou, comme il l'avait dit, avait apporté, non seulement son bâton de buis gravé, mais la promesse d'en graver également un pour chacun de ses comparses.
Tistou, remit solennellement, dans le bourras étendu sur le sol, sa collection de fossiles, qui ne comprenait pas moins de dix pièces, à laquelle il ajouta une pointe de flèche en silex taillé, trouvé au fond d'une galerie de la grotte Benoit.
Tonin, quand à lui, vida ses poches dont il tira un bout de saucisson, trois fromages de brebis, durs comme des cailloux, et deux quignons de pain, dont la cuisson ne datait pas de la veille.
- Ai pas pogut raubar qu'aquò.
(C'est tout ce que j'ai pu chaparder, s'excusa-t-il.)
Mais personne ne lui en tint rigueur, sachant que chez lui la vie n'était pas facile.
Dans son coin Pichounet tapait du pied.
-Alors et toi ? lui demanda Janou.
Et le lapin cracha sur la bâche le contenu de sa bouche et de ses joues: six belles pièces d'or, que la lueur de la bougie qu'on avait allumée pour la veillée, fit briller de mille éclats.
- Et voilà, dit-il d'une voix chuintante, postillonnante, mais triomphale.
- Des pièces en or ! des écus ! dirent trois voix en chœur, accompagnées par trois paires d'yeux écarquillés !
- C'est comme ça que ça s'appelle ? parce que il y en a encore beaucoup d'autres, je n'ai pris que ce que ma bouche pouvait contenir.
- Nom de Dieu, de nom de Dieu !, se mon paire o vesiá !
(Nom de Dieu de nom de Dieu !, si mon père voyait ça !)
- Ne jure pas mécréant ! lui répondit machinalement Tistou, comme ne cessait de le lui répéter sa mère.
- Et où tu les as trouvées ? questionna Janou.
- Dans une galerie de la garenne qu'on avait abandonnée parce qu'elle prenait l'eau. Ils étaient dans un coffret, mais lui était tout pourri.
Et Pichounet, tout fier d'avoir conquis l'auditoire, raconta par le menu détail les circonstances de sa trouvaille. Puis il ajouta faussement modeste:
- Ce n’est pas tout, j'ai encore une autre surprise.
Faisant une pirouette il gagna l'angle de l'abri, et, disparut dans le noir.
Saisissant la bougie, Janou tentant de le suivre, tomba sur une sorte de tunnel creusé en pente dans lequel il se sentit glisser.
Un silence... puis:
- Oh ! vite, venez voir !
Tistou et Tonin sans hésiter prirent le même chemin.
La flamme de la bougie avait résisté à la glissade et nos trois compères de découvrir cette majestueuse salle.
- Ben ça alors ! c'est presque aussi grand que la grotte Benoit !
- Nom de …
- Tonin !
- Pardon.
- Pour une découverte, c'est une découverte ! Qui aurait pensé que dans ce coin de la Sauvageonne, sous nos pieds ?… Félicitations, tu mérites encore plus de faire partie du clan dit Janou à un Pichounet bombant le torse.
- Ce qui est sûr, c'est que si on en camoufle bien l'accès, personne ne viendra fouiner par ici. Pas vrai Tonin ?
- Òc, sabi pas de qué dire ! Soi espantat !
(Oui je ne sais pas que dire je suis abasourdi !)
- C'est sûr que personne ne pensera à venir nous chercher là ! rajouta Tistou.
Ce soir là, tandis qu'ils partageaient les victuailles de Tonin à la lueur de la bougie, ils se dirent qu'ils avaient une sacrée veine d'être en possession d'un vrai trésor, et de pouvoir le cacher dans une grotte connue d'eux seuls. Et nos trois garnements se félicitèrent d'avoir enrôlé Longues Oreilles Blantoupet dans leur bande.
Le courant d'air qui éteignit la bougie les fit sursauter.
- Qu'es aquò ? I a degun ?
(Qu’est-ce que c'est ? Y a quelqu'un ?)
A quoi répondit un raclement de gorge suivi d'un chuintement.
- Vous avez entendu ? J'ai… j'ai peur ! dit Longues Oreilles.
- Tonin, passe moi ton briquet d'amadou répliqua Janou d'une voix faussement assurée.
Quand la lumière revint, les parois de la grotte et le plafond orné de stalactites, qui leur avaient paru si beaux tout à l'heure, leur semblèrent tout à coup inquiétants. Aussi dès que Tistou eut dit:
- Il est tard, il faudrait rentrer. Tous se précipitèrent vers la pente, qu'ils grimpèrent presque aussi vite qu'ils ne l'avaient descendue.
Ce n'est que lorsqu'ils furent à l'air libre, qu'ils osèrent parler.
- Qu'est-ce que c'était ?
- Ieu vos disi qu'aquò èra la tréva de L'Esternudaire !
(Moi je vous dis que c'était le fantôme de l'Eternueur !)
- Les fantômes, ça n'existe que dans les contes et dans les livres, affirma Tistou d'un ton péremptoire.
- On nous aurait peut-être suivis ajouta Janou, ma sœur Marinette nous regardait d'un drôle d'air l'autre jour.
- Es pas qu'una dròlla qu'a paur la nuèch.
(C'est une fille. Elle a peur la nuit.)
- Et si c'était lo grand chòt, (le grand duc) il me semble avoir reconnu son cri. On le connaît bien dans ma famille par ce qu'il nous fait la chasse.
- C'est une idée. - La fois prochaine il nous faut une lanterne pour explorer notre caverne.
- Sabi ont ne trapar. Podètz comptar dessús. Ara me cal bolegar, adissiatz e al dijous que ven.
(Je sais où en trouver une, vous pouvez compter dessus. Maintenant il me faut me dépêcher, au revoir et à jeudi prochain.)
Et chacun de retourner chez lui.

Chapitre 4

Si Tonin savait où dénicher une lanterne, c'est que rien n'échappait à son sens de l'observation.
Lui qui courait la campagne en gardant le troupeau, ou bien en pratiquant chasse non autorisée ou cueillettes diverses, savait par cœur le tènement, et la moindre anomalie l'intriguait.
Aussi, savait-il que le dernier groupe de spéléologues à avoir exploré la grotte Auguste avait laissé dans une anfractuosité de la roche, une lampe à acétylène, en vue de prochaines descentes. Comme leurs sorties avaient lieu le dimanche, il ne voyait aucun mal à emprunter la lampe le jeudi, pour la remettre en place le vendredi.
Le jeudi suivant, c'est donc, munis de la lampe, qu'ils avaient réussi non sans mal à allumer, que nos quatre explorateurs s’aventurèrent à nouveau dans l'arrière grande salle.
Ainsi éclairée, elle leur parut encore plus majestueuse.
Dans l'angle droit tombaient du plafond des dizaines de stalactites, fines et pointues comme des aiguilles, tandis que le côté gauche voyait se plisser des draperies qui, lorsque Janou les toucha de son bâton, émirent un son cristallin. Le sol, quand à lui, présentait des stalagmites plus épaisses, semblables à des tabourets qu'on aurait mis là pour eux.
- C'est tout à fait comme dans le livre Voyage au centre de la terre de Jules Vernes s'exclama Tistou !
Les autres ne disaient rien, la bouche grande ouverte, ils admiraient, médusés.
Nul ne songeait plus aux bruits insolites et inquiétants qui les avaient fait fuir la dernière fois.
Tout entiers perdus dans leur contemplation, ils ne virent pas vaciller la flamme de la lampe:
- RRRRe, RRRe, RRRe, chlapp, psshhhh, psssshhh !!!
D'un bond, ils se retrouvèrent agglutinés contre la lampe, tels des papillons de nuit.
- Un courant d'air et à nouveau le même:
- RRRRe, RRRe, RRRe, chlapp, psshhhh, psssshhh !!!!
- Que… que qu'est-ce-que c'est ?
- Vous n’allez pas avoir peur quand même ! Nous avons nos bâtons et la lampe ! s'écria Janou en vrai chef qu'il était. Cherchons plutôt ce qui a fait ce bruit.
Alors, soulevant la lampe au dessus de sa tête, il entreprit de faire le tour de la salle, suivi par les trois autres qui ne le lâchaient pas d'une semelle.
Tout à coup, Longues Oreilles:
- Ça y est, là-bas, je le vois, c'est lui !
- Lui qui ?
- Lui, le grand chòt !
- Où ?
- Là-bas, perché sur la grande colonne !
- Ah ! je le vois !
- Es plan lo chòt, lo grand, un aucèl de malur, me cal senhar, s'exclama Tonin en ébauchant un signe de croix.
(C'est bien le grand duc un oiseau de malheur: il faut que je me signe.)
- Ce que tu peux être superstitieux mon pauvre Tonin fit Tistou !
- Je me demande par où il a pu entrer s'interrogea Janou.
- Cha vous ferait rien de vous taire un peu ! Che chont mes derniers moments de repos avant ma chache nocturne, et che me conchentre, enfin ch'echaye ! Chhhhhhe HOU Hou !
- Mais, mais il parle !!!
- Chhhe !!! Hou, où en étais-che ? Cha y est il faut que che recommenche tout mon rituel !!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!!; Ch'est pas pochible cha !!!!! HOU HOU. Tant pis, maintenant ch'est fichu ! alors autant répondre à ta quechtion: par où che pache, ben par la cheminée pardi ! Et deuchièmement comme vous pouvez le conchtater, oui che parle ! Ch'est pas exchtraordinaire tout de même ! Vous parlez bien vous ! fit-il en roulant des yeux énormes.
Puis:
- Toi là-bas, tu ne cherais pas de cheux qui veulent me clouer chur la porte des granches ? Eh ? Tout le monde che méfie de moi, et pourtant che suis un être de paix !
- De paix, de paix: t'as vu ton bec ? T'as vu tes serres ?
- Eh alors, che chasse: il faut bien vivre !
- Et ces grands yeux qui roulent et qui font peur.
- Bien chûr ch'ai des grands yeux qui roulent: ch'est pour mieux voir la nuit.
- Et tes oreilles pointues ?
- Che sont des aigrettes, rien que des plumes.
- Diriatz benlèu las aurelhas del diable !
(On dirait plutôt les oreilles du diable !)
- Et puis, aucun oiseau ne veut vivre avec toi.
- Bien chûr, che chuis Cholitaire: on ne m'aime guère, et pourtant, che voudrais tellement avoir des amis ! Che n'est pas parche que ch'ai l'air effrayant que che suis effrayant ! Che suis un être de paix, on me dit même chache, tellement que les êtres de la forêt ont recours à mon chuchement. Che chuis très vieux vous chavez, bien plus que vous, chi vieux que che n'ai plus de famille, et parfois ch'en chuis bien trichte, soupira-t-il.
- Dis Janou, murmura Tistou il a pas l'air si méchant que ça, et il me fait de la peine. Dis, si on l'adoptait ?
- Sètz pas calucs ? Nos manjarà, segur !
(Vous êtes pas fous ? Il nous mangera c'est sûr !)
- Tonin ! Dit Janou,tu m'as montré l'autre jour une pelote rejetée par ce rapace, je n'y ai pas vu d'os humain.
- Dis, est-ce qu'il y avait des os de lapin ? demanda Longues Oreilles.
- Je n'en ai pas vu non plus.
- Ouf !
- Bon, dit Janou en quittant le groupe des chuchoteurs, qui s'étaient tenus tête contre tête et bras passés autour des épaules, Grand Chòt, c'est comme ça que je dois t'appeler ?
- Che t'écoute.
- Mes amis et moi avons une proposition à te faire, nous voulons bien être tes amis, t'adopter même, à condition que tu nous montres la cheminée par où tu entres et sors de la grotte. D'accord ?
- Entendu, che vous montrerai le passache. Quand à m'adopter, vu mon âche, ch'aurais plutôt penché que ch'était à moi de le faire. Che n'est rien, choyons amis donc, et vous pouvez m'appeler «Momo», ch'est ainchi qu'on m'appelait dans ma famille.
Et d'un coup de ses grandes ailes silencieuses il vint se poser à côté d'eux.
- Oh !... tu es encore plus impressionnant vu d'en bas s'écria Janou ! Venez ici vous tous, que je vous présente, allez, c'est le moment de montrer que nous sommes de courageux aventuriers. Voici Tonin, notre homme de terrain, dit Oeil de Lynx.
- Chelui qui voulait me voir cloué chur la porte.
- Es que te connaissiái pas coma ara.
(C'est que je ne te connaissais pas comme maintenant.)
- Sès pardonat.
(Tu es pardonné.)
- Car tu parles aussi la langue nôtre ! s'exclama Janou
- Eh ! Eh !
- Lui c'est Tistou, c'est le savant de la bande, il a presque réponse à tout, tellement il a lu de livres; on le nomme Nokomis. Quand au petit dernier... Eh! où est-il passé ? Pichounet, ô, Pichounet, montre-toi.
Mais ce dernier, tremblant de toutes ses grandes oreilles, s'était aplati derrière la plus grande stalagmite, l'ombre du survol du grand duc ayant réveillé en lui la peur ancestrale des rapaces.
- Viens, tu ne risques rien, pas vrai Momo ?
- Cha ch'est bien vrai ! Il y a longtemps que che ne manche plus de lapins: ils ont bien trop de bourre et cha me rechte chur l'echtomac !
A cette affirmation, Pichounet osa sortir la tête de derrière la pierre, ce que faisant, il se trouva éclairé par la lampe qui découpa sur le mur une ombre gigantesque aux oreilles démesurées.
- On le surnomme Longues Oreilles, comme tu peux le voir.
Et tous de partir d'un grand éclat de rire.
Rassuré, notre lapin s'avança résolument dans le cercle éclairé.
- C'est promis, tu ne me mangeras pas ?
- Promis, che te le chure !
- Il ne reste plus que moi, moi c'est Janou, on m'a élu chef et donné le nom de Sitting Bull.
Les présentations faites, le reste de la soirée se passa à mettre Momo au courant des différents articles de la charte.
Quand il fut l'heure de se quitter, fidèle à sa promesse, Momo les conduisit tout au fond vers l'éboulis et, pris par un courant ascendant, s'envola tout en haut. Peu après, ils aperçurent la lueur de la lune, là haut, tout en haut.
On explorera jeudi prochain. Ce soir, c'est trop tard, on sort par la sortie habituelle.
Dehors, pas de Momo.
Notre rapace, le ventre vide, avait répondu à l'appel de la chasse et oublié ses nouveaux amis.
- Qui sait si on le reverra ? se dirent-ils !

Chapitre 5

La semaine qui suivit ne fut pas des plus faciles pour nos trois garnements: c'était celle des compositions mensuelles à l'école.
Si pour Tistou, cela ne posait aucun problème, en revanche, pour les deux autres, c'était un vrai calvaire. Tonin, comme on l'a vu, n'était pas très doué pour les études, quand à Janou, l'arithmétique n'était pas son fort. De plus, tous deux avaient des pères intransigeants quant à la réussite scolaire. Le maître avait toujours raison, les enfants n'étaient que des fainéants. Une punition à l'école, et c'était automatiquement le double des travaux à effectuer pour la ferme, et naturellement, le jeudi, puisqu'il était férié. Le dimanche étant le jour du Seigneur.
Par bonheur pour eux, leur bureau se situait tout juste derrière celui de Tistou, et, avec l'accord de leur camarade, qui faisait en sorte que, ils pouvaient jeter un œil sur son cahier et corriger souvent leurs erreurs, discrètement, bien entendu.
Le problème ce jour là était ardu: il s'agissait de robinets qui remplissaient un bassin avec un débit d'eau quasiment constant, quand elle ne s'évaporait pas. La question étant: combien de temps cela prendrait-il ? Suivie des données des mesures du bassin dont il fallait calculer le cubage.
Or, pour eux qui ne connaissaient que l'eau de la citerne, qu'on tirait au seau au dernier moment, et qui était tellement précieuse qu'on ne lui laissait jamais le temps de s'évaporer, c'était un vrai casse tête en même temps qu'une absurdité.
Ce qui fait que Tonin commença à faire des réflexions.
  - D'aiga dins un bacin ! Cal èstre fòl per degalhar d'aiga !
(De l'eau dans un bassin ! Il faut être fou pour gaspiller de l'eau !)
- Tonin, veux tu te taire et oublier le patois, s'il te plaît, gronda le maître.
- Pardon Maître ça m'a échappé.
Devant les yeux courroucés de Janou:
- Imbécile, tu vas nous faire prendre !
Il se rassit penaud. Le problème paraissait aussi difficile à Tistou ce jour là, ce qui fait que lorsque le maître annonça qu'il allait relever les cahiers, Tonin, qui avait baillé aux corneilles, n'avait même pas écrit une seule ligne.
- Leva-te d’aquí Tistou qu'i vesi pas res !
(Pousse-toi Tistou, je n'y vois rien !)
C'en était trop.
- Tonin, que t'avais-je dit ? Pas de patois dans l'école de la République. Et en plus de cela, tu copies. Tu seras en retenue tout jeudi après midi.
- Mais Maître, vous ne ferez pas ça s'écria Janou !
- Quoi ! tu oses contester ma décision, en retenue toi aussi, et toi aussi Tistou pour avoir permis qu'on te copie.
La sentence laissa nos trois amis sans voix.
Adieu le rendez-vous de la Sauvageonne !
De son côté, Pichounet n'avait pas perdu son temps.
Voulant débarrasser au plus vite la garenne du trésor, de crainte qu'il ne soit découvert par un autre lapin curieux, il avait fait de nombreux voyages jusqu'au grand rocher, sa bouche ne pouvant contenir que peu de pièces. Enfin, il avait terminé, et le tas était impressionnant.
Vivement jeudi qu'on le complimente !
Ma foi, il prenait goût aux compliments de ses nouveaux amis, ce qui le changeait des réprimandes dont la gent lapin ne cessait de lui rebattre les oreilles:
- Ne t'éloigne pas,
- Ne bouscule pas tes frères,
- Écoute les anciens,
- N'en fais pas qu'à ta tête etc. etc. etc.
Maintenant il était un être libre, et considéré !
Aussi jeudi, dès quatre heures, il piaffait auprès du grand rocher de la Sauvageonne.
Le temps passait, et ses amis n'arrivaient pas.
Peut-être sont ils déjà à l'intérieur se dit-il: en trois bonds il fut dans la grande salle; le temps de s'habituer à l'obscurité, force lui fut de constater qu'ils n'étaient pas là non plus.
Que se passait-il donc ?
- Che crois bien qu'ils ne viendront pas che choir.
Zut le Grand Chòt, il l'avait oublié celui-là, et voilà qu'il se trouvait seul avec lui, misère de misère, et pour comble de malheur, Momo, de ses ailes silencieuses, venait juste de se poser à côté.
Faire celui qui n'a pas peur:
- E… E… E… Et pourquoi ça ? fit-il d'une voix tout de même chevrotante.
- Che n'est pas que che chois curieux, mais hier au choir ch'étais perché chur le grand frêne près de la maichon de Chanou, et ch'ai entendu que cha bardait, chi che puis me permettre. Che n'ai pas tout compris, mais il y était quechtion de l'école, et du Maître qui les aurait punis tous les trois: en retenue le cheudi après midi, et les parents les auraient mis de corvée chusqu'à minuit. Alors che crois que notre réunion est achournée, à moins que tu ne veuilles qu'on la fache à nous deux, dit Momo en roulant des yeux.
- Non non, je crois que je vais rentrer.
- Toi, tu as encore peur de moi !
- Non, non, pas du tout, mais je ne vois pas de quoi on pourrait parler.
- Peut-être de che gros tas de rondelles brillantes?
- Ah ça ? C'est le trésor que j'ai trouvé.
- Ta contribuchion quoi ! Et il va chervir à quoi che tréchor ?
- Ben, je ne sais pas, à quoi ça sert d'habitude ?
- Chela dépend des individus: il y en a, comme l'agache, (la pie) qui l'amache dans un trou pour le plaichir de le contempler, d'autres qui s'achètent des foules de choches, que pour ma part che trouve inutiles, d'autres enfin qui le dépenchent pour faire du bien autour d'eux.
- Ah bon? Tu devrais en parler à la prochaine réunion.
- ch'est cha, ch'est cha, mais je chens que mon echtomac réclame, et, chi che ne veux pas mancher du lapin, fit-il en roulant des yeux énormes… mais non, che plaichante, il me faut aller chacher, au revoir !
- Au revoir ! Et notre petit ami de s'enfuir au plus vite, des fois que le Grand Chòt aurait changé d'avis.
La semaine qui suivit fut bien triste et bien longue pour nos quatre amis.
Pour nos trois écoliers, ce fut la mise à l'épreuve, et à l'école, et à la maison, qui fut très pénible. Mais enfin, ils y survécurent, et même en furent libérés fort heureusement le jeudi.
- Anem va plan coma aquò, pòtz anar jogar ara !
(Allez ça suffit comme ça, tu peux aller jouer !) fut la conclusion des parents: ce qu'ils s'empressèrent de faire.
A cinq heures tapantes, ils étaient tous au grand rocher.
Mot de passe, et signes cabalistiques furent bien vite expédiés, et l'on se retrouva dans la grande salle à la lueur rassurante de la lampe à acétylène.
- Fichtre ! C'est là le trésor ? Mais il contient combien de pièces ce gros tas ? s'écria Janou.
- Je ne sais pas, je n'ai pas appris à compter, mais je peux t'assurer qu'il contient beaucoup de voyages, lui répondit Pichounet .
- Nom de Dieu, de nom...
- Tonin !
- E ben qué ! Aquò’s plan lo bon dieu que nos l'a balhat !
(Ben quoi c'est bien le bon dieu qui nous l'a donné !)
- Pour le savoir il n'y a qu'à compter.
- Pòdi comptar ambe los dets ?
(Je peux compter avec les doigts ?)
- Si tu veux. Nous allons faire des tas de dix. Allez, tout le monde s'y met, ordonna Tistou en tant que spécialiste de mathématiques reconnu.
- Et ils en firent des tas !
D'autant qu'il fallut recompter ceux de Tonin, qui n'étaient pas toujours égaux.
Le compte à la fin était ahurissant: 1389 pièces d'écus d'or: une fortune !
Tout à leur occupation, ils avaient complètement oublié le Grand Chòt, qui, cependant, les observait du haut de sa colonne.
- Qu'est-ce qu'on va faire de tout ça ? s'interrogea Janou ?
- Le Grand Chòt a dit … commença Pichounet..
- Mais au fait où il est celui-là ?
- Hou ! Hou ! Che suis là haut, chur ma colonne. Bouchez pas ch'arrive.
Un courant d'air, et il fut au milieu d'eux.
Alors il leur exposa les différents points de vue.
- Parche que, voyez vous, che n'est pas de l'avoir trouvé qui vouch en rend propriétaire.
- Ieu, se foguèssi ric, manjarái res que de bon saucissòt, de cambajon, e pas solament de naps coma a l'ostal.
(Moi, si j'étais riche, je ne mangerai que du bon saucisson, du jambon et pas que des navets comme à la maison.)
- Moi, j'aurais une grande armoire pleine de livres.
- Moi, j'achèterais une charge de garde chasse.
- Moi, j'aurais une garenne pour moi tout seul !
- Je vois que chans héchiter vous avez choichi la première propochichion.
- Non, non, on réfléchit... Laisse nous donc rêver un peu.
- Bien chûr. Nous en reparlerons la chemaine prochaine, car maintenant c'est l'heure de ma chache nocturne. Adichiatz ! (au revoir !)
Et d'un coup d'aile, d'un seul, il prit le courant ascensionnel de la cheminée.
- Au fait, et si nous aussi on allait voir où elle débouche cette cheminée? proposa Janou.
Le trésor fut bien vite oublié au profit de l'aventure.

Chapitre 6

En fait, il s'agissait d'un goulot étroit, une sorte de faille, qui démarrait par un éboulis et se prolongeait par une anfractuosité, suffisamment large pour leur permettre de passer, et suffisamment étroite pour qu'ils puissent la franchir en opposition.
Tonin se proposa pour passer en premier, c'était de loin le plus habile, et de plus il avait la lampe, d'autant qu'en traînant avec les spéléos, l'air de rien, il avait appris l'avantage qu'il y avait à utiliser la lampe frontale accrochée au casque. Il avait donc emprunté le tout.
Grimper l'éboulis n'avait posé de problème à personne mais devant la cheminée:
- Comment je vais escalader moi ? demanda Pichounet.
- Viens, je te mettrai dans ma blouse lui proposa Janou.
Si tôt dit, si tôt fait, et Janou, lesté d'un Pichounet qui n'en menait pas large, tenta, lui aussi, la remontée du puits.
- Attendez moi, où êtes-vous passés ?
En haut la lueur de la lampe progressait toujours; derrière Tonin, Tistou essayait de suivre. Janou, lui, enrageait d'être dernier et de n'y voir pas grand chose.
- I soi, vesi lo jorn, un còp de mai et arribi al bot. Ò! o vòli pas creire! Venetz veire vosautres !

(J'y suis, je vois le jour; un coup de plus et j'arrive au bout. Oh je ne veux pas y croire ! Venez voir vous autres !)
Quand Janou eut enfin rejoint les deux autres, il n'en revint pas lui non plus. Ils avaient débouché au milieu d'une ruine, si bien cachée au milieu des rochers, qu'ils ne l'auraient jamais découverte de l'extérieur. Était-ce là, celle qu'on disait être autrefois la chapelle de l'ancien château ? Il fallait vraiment beaucoup d'imagination pour y croire, car ne restaient plus que deux pans de murs à moitié éboulés, quand au château, on n'en trouvait plus une seule pierre, à croire qu'il n'avait jamais existé.
Toutefois, on ne savait comment expliquer le fait que certaines fermes du coin possédaient des fenêtres à meneau.
- Ben ça alors ! Je me demande bien pourquoi cette cheminée débouche au milieu du château, s'interrogea Janou.
- Peut être bien que ce passage menait à des oubliettes, on dit qu'il y en avait toujours sous les châteaux forts lui répondit Tistou.
- Ça voudrait dire alors qu'on a encore des souterrains à découvrir ? Ça c'est de l'aventure ! s'écria Pichounet Longues Oreilles ravi.
- Aquò vòl dire tanben que lo tresaur es aquel des senhors !
(Cela veut aussi dire que ce trésor est celui des seigneurs )!
- Tu as peut être raison, Tonin.
- Tistou, comment on dit qu'il s'appelait le château, tu sais, le maître nous l'a dit l'autre jour Mau … mau...
- Momo ?
- Mais non Tonin, ça c'est le Grand Chòt.
- Mauperthuis, lo castèl de Maupertusa en lenga nòstra. (le château de Mauperthuis dans notre langue) et ses seigneurs appartenaient à l'ordre des Templiers, s'écria Tistou
- Alors on aurait trouvé le fameux trésor des templiers ? Fa boudu peuchère !
- Ce n’est pas impossible.
- Mais comment est-il allé dans la garenne de Pichounet ?
- Ça veut peut être dire que quelqu'un l’aurait trouvé avant nous et caché là bas.
- Quelle aventure ! Quelle aventure ! Pichounet n'en revenait pas. Qu'il avait bien fait de quitter les garennes pour partager la vie de ses nouveaux amis. Et puis, c'est lui qui avait trouvé le trésor. Alors n'en pouvant plus de joie, il se mit à caracoler et bondir dans tous les sens, en criant: «  On a un trésorrre ! on a un trésorrre ! et c'est moi qui l'ai trouvé !»
Devant la joie exubérante du jeune lapin, nos trois amis se mirent eux aussi à sauter, danser, crier, mais, pour être fidèles à leurs noms de guerre, ce fut finalement une danse d'indiens sioux qu'ils interprétèrent:
- Awahwah! Iwah awwahawaa! ….. Hugh! Perché sur le faîte de grand chouradou, le Grand Chòt regardait, l’œil mi clos, la danse exubérante de ses amis.
Ah jeunesse se disait-il ! Qu'ils s'amusent tant qu'il le peuvent ! Demain peut-être, ils déchanteront … Si seulement ils savaient ! Car lui, Momo, le Grand Chòt, savait.

Chapitre 7

Il y a quelque années de cela, il n'était encore qu'un jeune grand duc écervelé, passant ses nuits de printemps à hululer, dans l'espoir d'effrayer les hommes, ou bien de conquérir le cœur des belles, charmées par la puissance de son chant, c'est selon, il avait remarqué un étrange manège. Comme les heures nocturnes lui étaient épuisantes, les journées elles, réclamaient du repos. Aussi, l'encoignure d'une des fenêtres encore existantes de la chapelle du château lui avait paru l'endroit idéal. En effet, nul ne s'aventurait plus dans ces ruines dont la voûte menaçait de s'effondrer: il pouvait alors y jouir d'un repos diurne bien mérité.
Un soir de juin qu'il paressait, les jours n'en finissaient plus, il fut éveillé de ses rêves par des coups sourds: «pam..., pam..., pam...,» ponctués de «riatchoums» qu'on tentait d'étouffer.
- RRRRRe, PCHHe… hou hou ! Qué … Qué... Qu'est-che-que ch'est ?
Se penchant pour mieux voir, il aperçut Anselme, le cantonnier, en train de donner des coups de pioche à la base du mur qui supportait sa fenêtre, afin, lui sembla-t- il, d'en déloger une grosse pierre.
- Mais qu'est-che-qu'il fabrique chet imbéchile ? Ch'est qu' il va faire tomber le mur !
«Pam..., pam...,» faisait la pioche, «han..., han..., riatchoum!» faisait Anselme, suivis de:
- 'y arriverai bien à force ! Ce n'est pas une pierre qui va m'arrêter, et c'est celle-là même dont j'ai besoin.
Les pierres, ça le connaissait, il passait sa vie à remonter celles des murets effondrés. A tel point qu'il ne pouvait voir une belle pierre, bien taillée, sans en tomber amoureux, et vouloir la mettre chez lui. Ainsi avait-il remarqué celle de soutènement du mur est de la chapelle, rectangulaire, particulièrement bien taillée, et ornée d'un signe, à l'encontre de ses voisines, si bien qu’il avait décidé que c'était celle là et pas une autre ! Mais, pour n'être vu de personne, ne venait-il qu'à la tombée du jour.
Un soir enfin, après bien des efforts, la pierre se décida à bouger.
- Enfin, ce n'est pas trop tôt; demain j'apporterai la barre à mine.
Et, sifflotant, il s'en retourna chez lui.
Momo, dans sa fenêtre, avait tout suivi de la progression du travail, un peu inquiet tout de même, lorsque la pierre s'était ébranlée, faisant soupirer le mur.
Néanmoins, la perspective de sa virée nocturne lui avait bien vite fait oublier ses inquiétudes.
Le lendemain, Anselme fut sur place bien avant l'heure habituelle: il avait fini plus tôt que prévu de tailler les buis de l'allée menant au village, et se servir de la barre à mine comme levier ne devait pas, selon lui, faire suffisamment de bruit pour alerter un esprit trop curieux.
En effet, même Momo dans son encoignure, tout à ses rêves, ne s'était pas aperçu que le travail de sape du mur avait repris.
Il est vrai que le vieux cantonnier, avait pris toutes les précautions nécessaires: il avait enveloppé la barre à mine dans des chiffons, afin que le métal ne tinte pas sur la pierre, et se retenait de pousser des «hans» d'effort, se contentant de serrer les dents et de maîtriser ses éternuements.
Et la pierre bougeait: centimètre par centimètre, elle se désolidarisait de l'ouvrage. Plus elle avançait hors de sa loge, plus il admirait sa taille et ses étonnantes proportions. Quand elle fut à moitié sortie, une sorte de déclic se fit entendre, et, sous les yeux stupéfaits de notre homme, la pierre pivota toute seule, révélant à l'arrière une sorte de cache.
En effet, une autre pierre, de même sorte, avait été placée derrière celle de devant, mais cette dernière avait été évidée sur une longueur de trente centimètres, et une hauteur de quinze.
Dans cette cavité, ainsi révélée, était couché un objet cylindrique.
- Jésus, Marie, Joseph ! Qu'es aquò ?(qu'est-ce que c'est?) s'exclama- t-il à voix si haute qu'il réveilla notre Grand Chòt.
- RRRRRe, PCCHHHHe, Hou ?
Faisant pivoter la tête hors de son trou, il aperçut les doigts avides d'Anselme s'emparer d'un objet, une sorte d'étui cylindrique en pierre dont il défaisait maintenant le capuchon.
Soudain… un roulement de tonnerre, et notre homme disparut, englouti dans le trou qui venait de s'ouvrir sous ses pieds.
- Michère de michère ! s'écria Momo.
A quoi un cri caverneux «Ahhhh !» répondit.
Et de descendre de son perchoir curieux de savoir.
En fait, la dalle sur laquelle se tenait Anselme, avait bel et bien coulissé sur le côté, révélant l'amorce d'un escalier, que notre homme, déséquilibré, avait dégringolé.
Les yeux de Momo, habitués à percer l'obscurité nocturne, aperçurent, tout au fond, à une bonne dizaine de mètres, le corps étendu du malheureux cantonnier.
Le rejoindre d'un vol silencieux, ne lui prit que quelques secondes.
L'homme, tel un pantin désarticulé, gisait sans vie.
Le même roulement de tonnerre se fit à nouveau entendre, et Momo se dépêcha de voler vers l'ouverture qui déjà se refermait.
Trop tard. Il y laissa même une plume de ses aigrettes dont il était si fier.
Prisonnier, il était prisonnier ! Quant à Anselme ! Il lui sembla qu'on ne pouvait plus rien pour lui.
C'est alors qu'il se lamentait, qu'au dessus de sa tête il y eut un grand bruit:
«broum… badabroum… broum !»: ce qu'il redoutait venait d'arriver, le mur de la chapelle s'était effondré, entraînant la chute de la dalle et celle de tout l'escalier sur le corps du malheureux cantonnier, enseveli sous des tonnes de cailloux.
La première réaction de notre ami fut alors de se mettre à voleter de façon désordonnée, se cognant aux parois de sa prison de pierre, à s'en abîmer les rémiges, tout en poussant des «Hou! Hou !» désespérés.
Quand il s'effondra sur le sol, à bout de souffle, il crut sa dernière heure arrivée… Il ne reverrait jamais le jour. Finies ses virées nocturnes dans les Cagnas ! Prisonnier à jamais de ce sinistre endroit, il allait mourir de faim et de soif…
De soif peut-être pas, comme le lui laissait entendre la goutte tombant régulièrement dans son réceptacle: «ploc, ploc, ploc…» Aussitôt, et grâce à sa tête mobile sur trois cent soixante degrés, son regard de nyctalope fit le tour de sa geôle, d'autant qu'il n'y faisait pas complètement noir.
Il se trouvait dans une sorte de grotte naturelle pleine de concrétions, et c'est l'eau qui gouttait d'une stalactite du plafond jusque dans une vasque, qui l'avait alerté.
Il s'y précipita pour étancher sa soif.
Revigoré, il arpenta la salle.
Outre l'escalier effondré par lequel il était entré, on devinait deux amorces de tunnels: l'un, dont l'entrée était constituée d'un éboulis boueux et pentu, l'autre, d'un boyau étroit horizontal qui semblait s'enfoncer vers des profondeurs inconnues. A l'angle opposé, et caché par le fût d'une stalagmite, tombait du plafond un autre éboulis, au dessus duquel on pouvait apercevoir le départ d'une cheminée.
Son instinct lui dit alors que c'était là qu'il pouvait trouver son salut.
Son envol le porta en haut de l'éboulis.
Il y avait bien une cheminée qui débouchait sur… non il ne rêvait pas, sur un carré de jour. Quoi qu’étroite en apparence, elle ne gêna pas ses larges ailes, d'autant qu'un courant ascensionnel l'aidait à se propulser vers le haut.
Frrrrr, quelques secondes, et il était à nouveau à l'air libre, dans le coin ouest de la chapelle dont il n'y avait plus trace.
Frrr, frrr, frrr, en trois coups d'ailes il avait fui cet endroit maudit, se jurant de ne jamais plus y poser à nouveau ses serres !
Au village on s'était étonné de ne plus voir ce cantonnier qui taillait si bien les buis, quoique nul ne le fréquentât vraiment: il vivait seul, à l'écart du hameau, et ne recevait jamais personne. D'ailleurs, il était arrivé un beau jour d'on ne sait où, s'était mis à tailler les buis et remonter les murs, toujours souriant, toujours poli, mais peu loquace.
On se souvenait également de ses éternels mouchoirs à carreaux, car il semblait affublé d'un rhume tenace qui le faisait éternuer souvent. On s'était habitué à sa présence et on appréciait son travail.
Mais il avait toujours dit qu'un jour il reprendrait la route, alors… On s'habitua de la même façon à son absence.
Seuls, les buis et les murets le regrettèrent vraiment.
Il y en eut, toutefois, qui envisagèrent qu'il ait pu mourir écrasé quant les murs de la chapelle s'étaient effondrés, car certains soutenaient qu'il aimait bien se promener le soir vers ces ruines, et cela, d'autant qu'il se murmura qu'une trèva esternudaira (fantôme éternueur) hantait le chemin de Saint Michel les nuits glaciales et embrumées d'hiver.
De cela, les enfants avaient entendu les adultes en parler à demi-mot. Le lieu même de l'accident ayant été à tout jamais maudit, interdit, et dissimulé derrière un amas de rochers.
Momo, lui seul, savait.
Le temps avait passé, et personne au hameau ne parlait plus d'Anselme.
Et ce fameux jeudi où nos quatre amis avaient redécouvert la chapelle, le sort du malheureux cantonnier était bien la dernière chose à laquelle ils auraient pu penser.

Chapitre 8

Mais il se faisait tard et il fallait rentrer. Outre les amas de rochers qui leur avaient caché les ruines de la chapelle, des ronces, des prunelliers et leurs redoutables épines avaient poussé là, de façon à former une barrière assez inextricable.
Il leur fallut, escalader, ramper, se faufiler, s'esquicher (serrer à étouffer) entre deux blocs rapprochés, s'extirper d'un buisson le plus épineux et le plus touffu qui soit.
Pour Tonin, Tistou, et Pichounet, cela se passa bien.
Janou lui, étant un peu plus rondouillard, se retrouva coincé, sans pouvoir, ni avancer, ni reculer. Il eut beau rentrer sa petite bedaine, ça ne passait pas.
- Eh, cria-t-il, aidez-moi, je suis coincé.
- Ne bouge pas, lui fut-il répondu, on va te sortir de là.
Ce fut à la charge de Tonin, le plus costaud de la bande.
Il lui empoigna les deux mains et, s'arc-boutant contre un rocher, il se mit à tirer de toutes ses forces.
Arrête, tu me fais mal, tu vas finir par m'écarteler ! - Ce qu'entendant, Tonin saisit à pleines mains, la chemise, le tricot et la blouse noire de l'école. La chemise et le tricot résistèrent à sa forte poigne, mais la blouse de calicot, plus fragile, ne put éviter une branche de prunellier sournoise et fourchue.
Si bien qu'au «hourra !...» de victoire qui conclut la libération de Janou, succèda un «frizzz…crac!!!» sinistre: un énorme accroc traversait tout le dos du tablier.
- E ben! Ne’n conoissi un que serà pas a la fèsta aqueste sèr !
(J'en connais un qui ne sera pas à la fête ce soir ! s'exclama Tonin.)
Aussi, tu m'as tiré comme un malade !
- Caliá te far sortir, podiás pas demorar aquí tota la nuèch.Tanben, per de que sès vengut atrencat aital !
(Il fallait te faire sortir, tu ne pouvais pas rester là toute la nuit ! Aussi pourquoi être venu habillé ainsi !)
- J'ai une idée, ajouta Tistou, tu enlèves ta blouse, tu la caches sous un rocher, tes parents ne penseront pas que tu l'avais gardée pour aller jouer, tu diras au maître qu'elle est à la lessive, et tu demandes à ta sœur Marinette de te la recoudre. Ma mère dit qu'elle sait si bien faire les reprises qu'on n'y voit que du feu.
- Oui mais je la connais, elle voudra quelque chose en échange.
- Eh bé mon vieux ce sera à toi de te débrouiller !
Le retour, ce soir là, fut peu glorieux: la blouse noire que devait porter tout écolier, ça coûtait des sous, et les paysans du Causse, des sous, ils n'en avaient guère.
Le lendemain Janou s'arrangea pour rattraper Marinette sur le chemin, avant qu'elle n’arrive chez Léa la couseuse.
Marinette était de deux ans l'aînée de Janou, et dès son certificat en poche, on l'avait placée chez Léa, comme beaucoup de filles de son âge, pour qu'elle y apprenne la broderie et la couture.
- C'était une jolie adolescente aux cheveux noirs et bouclés et aux curieux yeux noisette pailletés d'or.
- Marinette, Marinette, attends. - Qu'est- ce que tu veux ? Tu ne vas pas être en retard à l'école ?
- Non, c'est Tonin qui allumera le poêle à ma place aujourd'hui; dis Marinette tu ne voudrais pas me recoudre ma blouse ?
Ta blouse ? Toi, tu t'es encore bagarré avec ceux de Saint Michel. - Non, on s'entend bien maintenant.
- Ah ! Alors c'est quoi ?
Puis devant l'air penaud de son frère;
- Allez donne, fais moi voir.
- Sainte mère de Dieu ! Mais tu as ruiné tout le dos de ta blouse ! Que va dire la mère ?
- Surtout tu ne lui dis pas.
- Bon, mais comment as-tu fait ?
- Je me suis accroché à une branche.
- A une branche ?
- Oui, oui, je sais, je ne dois la mettre que pour l'école, mais là, j'avais oublié de l'enlever.
- C'est beaucoup de travail que tu me demandes. Je ne sais pas si...
- T'inquiète, je te donnerai quelque chose pour ta peine. Tiens, le dernier bâton de noisetier que j'ai gravé.
- C'est beaucoup, beaucoup de travail...
- Tu ne le veux pas ? Pourtant tu le trouvais joli l'autre jour.
- L'autre jour, c'était l'autre jour. Aujourd'hui il ne me plaît plus, et puis j'ai beaucoup d'ouvrage en retard.
- S'il te plaît Marinette, rends moi ce service je te le revaudrai.
- Tu dis ça, tu dis ça...
- Mais à la fin qu’est-ce que tu veux en échange ?
- Je veux... je veux que tu me dises ce qu'il y a entre Tistou, Tonin et toi, qui vous fait aller tous les jeudis soirs, comme des conspirateurs, vers le grand rocher de la Sauvageonne.
- Qu'est-ce-que tu racontes ? Tu rêves !
- Tè, à d’autres, tu crois que je ne vous ai pas vus ? Même qu'un soir je vous ai suivis.
- Ce n’est pas possible, tu es comme toutes les filles, tu as peur de la nuit.
- Ça c'est toi qui le crois. Allez vaï ! dis le moi ce qu'il y a sous ce grand rocher qui vous intéresse tant.
- Je ne peux pas, c'est un secret.
- Allez frérot.
- Non, j'ai promis.
- Bien: pas de secret, pas de reprise. Tu te débrouilleras avec la mère.
Rien qu'à imaginer l'œil désespéré de sa mère:
- Qu'est-ce qu'on va bien pouvoir faire de toi ?
Ainsi que la moustache hérissée du père retirant son ceinturon.Janou s'écria:
- C'est bon, j'en parlerai aux autres, il se pourrait bien qu'ils soient d'accord pour t'inviter: de toutes façons, c'est moi le chef, alors. Mais, s'il te plaît, répare moi ma blouse.
- Entendu. Mais jure-moi que je pourrai venir avec vous jeudi prochain.
- D'accord !
- Non, jure !
- Croix de bois, croix de fer, si je meurs je vais en enfer.
- Tu auras ta blouse ce soir sous ton oreiller.

Chapitre 9

L'effondrement du mur de la chapelle n'avait pas eu pour seule conséquence la mort du malheureux Anselme enseveli sous les décombres, ni la découverte de l'étui de pierre. En fait, le mur entier était truffé de mécanismes qui le protégeaient d'éventuels voleurs. Car il conservait la preuve qu’il y avait bien des trésors.
La chapelle, en effet, avait été construite par des seigneurs Templiers de retour de croisades, dont ils étaient revenus auréolés de gloire et nantis d'un fabuleux butin.
Leurs différentes commanderies du Larzac leur paraissant trop exposées, ils avaient eu l'idée d'utiliser le petit château de Mauperthuis, perdu sur des terres éloignées, et qu'on disait maudit depuis la nuit des temps.
L'ordre Templiers avait disparu depuis des siècles, et le secret du trésor avec lui, si toutefois on voulait bien croire que trésor il y avait eu.
Les seuls qui auraient pu en parler, en connaissance de cause, étaient les membres du clan des Blantoupets.
Car chez eux, chaque génération avait sa gardienne de mémoire: une vieille lapine instruite de l'histoire du clan par son aïeule, et chargée de la transmettre à sa petite fille. Et d'aïeule en petite fille, l'histoire survivait ainsi.
Leurs garennes, ils les avaient établies dans ces rochers, bien avant que se dressât le château flanqué de sa chapelle, et tout naturellement, ils avaient utilisé les grottes souterraines comme moyens de communication entre elles.
Durant des siècles, des générations et des générations avaient habité ces lieux, cohabitant tant bien que mal avec les hommes.
Lors du grand effondrement, beaucoup avaient péri, et de nombreux terriers avaient été endommagés, si bien qu'ils avaient du creuser plus loin.
Aussi, quand ils avaient découvert ces rondelles brillantes s’échappant d'un coffre de bois, les sages de la tribu s'étaient empressés de déclarer elles étaient la cause de tous leurs malheurs.
En effet, elles ne se mangeaient pas, on pouvait même s'y casser les incisives dessus, de plus, elles brillaient de façon suspecte, rendant leurs cachettes facilement repérables pour d'éventuels prédateurs.
Ils les avaient donc évacuées dans une garenne de surface, qui ne les garantissait pas suffisamment des intempéries, et dont ils avaient rebouché l'entrée.
- Ce sont là objets maléfiques des hommes, qu'ils aillent au diable avec eux !
C'était dans ce même endroit que Pichounet les avait découvertes.
Momo, les années passant, avait fini par oublier la frayeur qu'il avait eue quand il s'était vu prisonnier du monde souterrain.
Il est vrai qu'il avait eu d'autres occupations: fonder une famille, élever sa progéniture et la protéger de la méchanceté des hommes.
Maintenant qu'il était vieux et respectable, au point d'être le consultant de toute la gent ailée, il voyait son repos diurne trop fréquemment perturbé par des plaignants requérant son arbitrage, à tel point que nulle cachette ne lui parut plus un jour assez sûre.
Se souvenant de la cheminée et de la caverne, il décida d'y retourner.
- Puisque le monde du dessus ne peut garantir mon repos, pourquoi ne pas aller dans celui du dessous ?
C'est ainsi qu'il avait établi son aire de repos diurne sur le haut de la plus grande stalagmite. Anselme n'y avait opposé de refus, seuls, ses os reposaient encore sous les gravats, tandis que son fantôme parcourait de nuit la route de Saint Michel.
Momo avait dormi là quelques années, tranquille, jusqu'à ce que nos jeunes amis vinssent le divertir de sa solitude.

Chapitre 10

C'est accompagné de sa sœur Marinette que Janou retrouva ses amis, le jeudi en fin d'après midi, près du grand rocher de la Sauvageonne.
Les trois compères s'étaient fait tirer un peu l'oreille avant d'accepter la présence de Marinette au sein de leur confrérie.
- Las dròllas fican totjorn l’embolh, va plorar «ai ! las aranhas , ai ! las ratapenadas !, ai ! lo grand chòt.»
(Les filles ne sont que des enquiquineuses: elle va pleurer, aïe les araignées ! aïe les chauves souris ! aïe le grand duc ! s'était écrié Tonin)
- Marinette n'est pas comme ça, avait opposé Tistou, qui en était secrètement amoureux.
Pichounet et Momo, eux, n'avaient rien dit: les filles, ils n'y connaissaient rien.
- Je ne pouvais pas faire autrement, avait rétorqué Janou, mais on n'est pas obligé de tout lui dire ni de tout lui montrer.
- Coma aquò, va plan, mas pas qu'un còp !
(Comme ça, ça va, mais rien qu'une fois !)
Nous cacherons le trésor et parlerons, ni de nos noms secrets, ni du mot de passe. Hugh ! Sitting Bull a dit.
- Hugh ! firent quatre voix en retour.
On avait donc accueilli Marinette sans grandes démonstrations, et cette dernière s'était bien gardée de déclarer que la boue de l'éboulis risquait de tâcher ses jupes.
La vision de la grotte l'avait abasourdie.
De plus, pour mieux se faire accepter, elle avait apporté des panades aux pommes de la dernière fournée, ce qui avait tout à fait conquis Tonin.
Pendant qu'ils mangeaient les gâteaux, elle avait fait le tour de la salle jusqu'à l'éboulis de la cheminée quand:
- Qu'est-ce que c'est ce blanc qui dépasse sous les cailloux ?
En les déplaçant, ils avaient découvert l'étui de pierre, curieusement intact, dont sortait à moitié un rouleau.
- Un parchemin s'était écrié Tistou !
- Montre, montre.
Sous les yeux médusés de la troupe, il avait extrait entièrement le rouleau, avait rompu le cachet de cire qui le maintenait fermé, l'avait déroulé et:
- Ça alors, si j'y comprends quelque chose !
Et le rouleau de passer de mains en mains, en pattes, en serres.
Et tous de secouer la tête d'un air contrit.
- Je peux voir moi aussi ? avait demandé Marinette. Puis: ça me paraît très ancien et on dirait que c'est écrit en latin, comme le livre de messe de Monsieur le curé. Et ces pointillés, et ces croix, vous ne croyez pas qu'on dirait une carte ?
- Une carte ? Et pourquoi faire ? avait demandé Janou.
- Ben, pour trouver un trésor, pardi.
- Un trésor ? avaient questionné cinq voix innocentes.
- Ne me dites pas que vous l'avez déjà trouvé !
- C'est que...
- Ils l'ont trouvé ! … Racontez moi, racontez moi...
- Non, c'est un secret.
- Tant pis ! Si vous ne me dites rien, il risque de ne plus l'être ce fameux secret: je n'ai qu'à le dire à la Jeanne...
- Non pas la Jeanne ! Tout le plateau va le savoir !
- Alors ?
Et ils lui confessèrent tout ce qu'ils s'étaient promis de lui taire.
Plus le récit avançait, plus les yeux de Marinette s'écarquillaient, et quand ils enlevèrent le bourras qui recouvrait les pièces d'or, elle ne put retenir un «oh !» d'admiration !
- Eh bien ! Quels aventuriers et quels cachottiers vous faites ! Puis, examinant à nouveau le parchemin, il y a plusieurs tracés de pointillés, est-ce que ça ne voudrait pas dire qu'il y aurait plusieurs trésors ?
- Tu crois ?
- Il me semble bien. Par contre pour ce qui est du latin… Ça je ne sais ni le lire ni le traduire. Et toi tu saurais Tistou ?
- Je crois bien que non, répondit l'intéressé.
- En premier lieu, dit Janou, il faudrait voir si il y a un chemin tracé qui mène à la garenne de Pichounet, comme ça on saurait si la carte dit vrai.
- Chanou a raison, ch'est che qu'il faut vérifier. Etalez la chur le chol, que che vois mieux. Voyons,voyons... Cha, cha doit être l'echcalier, cha, l'éboulis par lequel vous avez pénétré dans la challe, et cha? cha...ch'y chuis le tunnel qui ch'ouvre là bas. Il ne vous rechte plus qu'à l'emprunter pour vérifier.
- Brrre ! c'est tout noir là dedans s'écria Janou.
- Benlèu qu'es plen de ratapenadas !
(Peut être qu'il est plein de chauves souris !)
Et s'il y avait une oubliette au bout ? ajouta Tistou. - Moi, dit Pichounet, je veux bien passer en premier, les tunnels ça me connaît. Vous n'avez qu'à me suivre.
- Et si on attendait ici que tu reviennes? proposa Janou.
- Et vous vous dites aventuriers ! Bande de poules mouillées, s'exclama Marinette. Tonin, passe moi ta lampe, puis, je te suis Pichounet.
- Ieu, soi pas una galina, soi un gal, répliqua Tonin en bombant le torse. Passarai davant, tu passaràs darrièr. Macarèl de macarèl !
... (Moi je suis pas une poule, je suis un coq répliqua Tonin en bombant le torse. Je passerai devant, tu passeras derrière. Macarel...de macarel !)
- Tonin ! firent cinq voix.
Et la colonne se forma: en tête Pichounet, suivi de Tonin, venait ensuite Janou, puis Tistou. Marinette était reléguée en dernière position.
- E se sès pas contenta es lo meme prètz !
(Et si tu n’es pas contente c'est le même prix ! avait conclu Tonin.)
Momo, lui, avait décliné l'invitation, le tunnel étant trop étroit pour l'envergure de ces ailes, et une longue marche ne ferait que réveiller ses rhumatismes.
- Tonin, arrête de faire ton mauvais caractère ! C'est quand même elle qui a trouvé le parchemin dit Janou.
- Òc, mas soi pas una galina !
(Oui mais je ne suis pas une poule !)
- Je retire ce que j'ai dit, ça te va? dit Marinette.
- Oc. (Oui).
- Alors on y va ? s'impatienta Pichounet.
- On y va.
Le tunnel n'était qu'un goulot assez bas, où l'on devait progresser courbé en prenant bien garde de ne pas se cogner au plafond. Ils avancèrent ainsi sur une bonne cinquantaine de mètres. Au bout, le tunnel faisait un coude et s'étrécissait, au point qu'on ne pouvait qu'avancer à quatre pattes. Après un second tournant à gauche, il fallut ramper, au risque de gâter ses vêtements sur la roche humide et glissante.
- Vous ne pensez pas qu'on devrait s'arrêter là demanda Marinette ?
- Pfff poule mouillée ! fit Tonin.
- Je n’ai pas peur, mais qu'est-ce qu'on dira chez nous, si nous revenons tout sales et tout déchirés ?
Cette perspective peu réjouissante les fit stopper, d'autant que le goulot s'étrécissait encore jusqu'à ne montrer au loin qu'un passage pas plus gros qu'une chatière.
- Je vais continuer tout seul, proposa Pichounet, et je reviendrai vous dire.
Entendu dit Janou, et nous, nous retournons t'attendre dans la salle. L'attente se prolongeant, nos amis se mirent à examiner à nouveau le parchemin.
Il y avait trois tracés en pointillés, semblant partir du même endroit. Chaque départ était précédé d'un texte qui leur paraissait tout à fait inintelligible.
- C'est un fait, je ne comprends rien de rien à ce qui est écrit, avoua Janou. Puis: il en met bien du temps à revenir ce Pichounet !
- Pourvu qu'il ne soit pas tombé dans une oubliette, ajouta Tistou.
- Il va revenir, ne vous en faites pas, un lapin, les tunnels, ça le connaît ! dit Marinette
- I a pas quicòm a manjar.? Ai talent !
(Y a rien à manger, j'ai faim !)
- Mon pauvre Tonin tu as toujours faim !
Momo dont la vue et l'ouïe étaient exercées, s'écria alors:
- Che crois bien qu'il y a quelqu'un qui arrive par le tunnel.
Et tous de se précipiter pour accueillir un Pichounet, noir de terre, mais à l’œil triomphant:
- Pff, pff, et pff, fit-il en toussant pour cracher les deux pièces d'or qu'il avait en bouche.
- Je crois bien que ce sont les dernières, elles étaient enfouies dans la paroi.
- Alors c'est bien vrai, ce pointillé menait aux garennes ? Questionnèrent-ils d'une seule voix.
Et Pichounet raconta.
Le boyau étroit qu'il avait suivi sur une dizaine de mètres, après un brusque tournant à gauche, se terminait brutalement sur une paroi. Ce n'était pas de la roche mais plutôt de la terre tassée qu'on avait mise là pour obstruer. Il lui avait fallu du temps pour creuser horizontalement cette épaisseur de terre sur une bonne distance. Mais sa ténacité avait été récompensée quand il s'était rendu compte qu'il aboutissait à la salle même du trésor.
D'ailleurs, n'avait-il pas trouvé deux pièces d'or qui avaient échappé à sa première fouille.
On se congratula, on se félicita, on sauta de joie, et Pichounet n'était pas le dernier.
- Si j'ai bien su lire le parchemin, il y aurait plusieurs trésors, puisqu'il y a plusieurs chemins, s'exclama Marinette.
- Peut être, dit son frère, mais il faudrait comprendre ce qu'il y a d'écrit.
- On pourrait demander au Maître? proposa Tistou.
- Pour qu'il pose des tas de questions et qu'il en parle à nos parents? Surtout pas ! dit Janou.
- E nos farem brandir las pelhas !
(Et on se fera gronder !)
- Je peux demander à Monsieur le curé, je vais faire son ménage tous les mardis, proposa Marinette.
- C'est une idée, répondit Tistou, lui, ne dira rien.
- Echcushez moi les Enfants mais che vous quitte il est tard et mon echtomac réclame s'écria Momo avant de s'envoler.
- Dépêchons nous de rentrer alors, il doit être tard ajouta Janou.
- Avant que nous nous quittions, j'aimerais savoir si je suis autorisée à revenir la semaine prochaine, demanda Marinette.
- Aviás dich ren qu'un còp.
(Tu avais dit qu'une fois.)
- Peut être, mais il faudra bien qu'on sache pour Monsieur le curé.
- Oc ! (D'accord !)
- Tu n'as pas aimé mes gâteaux ? Tonin.
- Ne’n portaràs d'autres ?
(Tu en apporteras d'autres ?)
- Benlèu, peut -être ! - Alora pòs venir a cada còp.
(Alors tu peux venir chaque fois.)
C'est sur ces bonnes paroles qu'ils se séparèrent.

Chapitre 11

Durant les quelques jours qui les séparaient du mardi, Janou et Marinette passèrent du temps en conciliabules, s'interrogeant sur la meilleure façon de demander l'aide de Monsieur le curé pour la traduction du parchemin. Comme il n'était pas question de le lui remettre tel quel, Marinette, qui avait une belle écriture, proposa d'en recopier le texte, mais de ne lui soumettre d'abord que la première formule.
C'est ainsi que le mardi:
- Dites Monsieur le curé, vous savez que chez Madame Léa, je peux lire les albums de la Semaine de Suzette. C'est sa cousine de la ville qui les fait passer à sa fille.
- Tu ferais mieux de lire tes évangiles.
- Mais je les lis aussi.
- Si tu le dis.
- Donc, dans la Semaine de Suzette, j'aime les rébus et les énigmes.
- Humm ! - D'habitude je les résous bien, mais le dernier je n’y suis pas arrivée. Vous qui êtes savant, vous ne pourriez pas m'aider ?
- Allez donne, fais moi voir.
- Je l'ai recopié exactement comme il était écrit.
- Ah ! c'est écrit en lettres gothiques, et en latin !
- Ah oui ? Et qu'est-ce-que ça dit ?Mmmmm... Iesus Christi… mmmmm... Dominus… mmmm… amen !
- Quoi ? C'est tout ?
- Ça ne te suffit pas la parole divine ?
- Mais il y en a plus d'une ligne ?
- Tu as mal écrit, et c'est tout ce que j'ai pu lire. Tu devrais d'ailleurs te remettre à ton ménage, et moi à la lecture de mon bréviaire.
Il fallait se rendre à l'évidence, en dehors des formules sacrées, monsieur le curé n'y connaissait plus rien en latin: elles étaient beaucoup trop loin, ses années de séminaire !
Il fallait donc trouver un autre traducteur. Oui ! Mais qui ? Elle avait beau chercher, Marinette ne voyait pas.
Le jeudi après midi arriva et, pour une fois, ils avaient pu se réunir plus tôt.
Marinette fut bien obligée de révéler aux autres l'échec de sa mission. Aussi, par crainte qu'on ne veuille l'exclure de la bande, elle s'était surpassée en confectionnant des pognes qui emplissaient la caverne de leur arôme à la fleur d'oranger.
- E ara ? fit Tonin, la bouche pleine.
(Et maintenant ?)
- Et alors je ne sais plus vers qui me tourner, lui répondit Marinette.
- RRRRiatchoum ! RRRRiatchoum ! RRRRRiatchoum !
Trois formidables éternuements, suivis d'un reniflement, vinrent interrompre le silence qui s'était installé.
- Dieu vos garde !
A vos souhaits ! répondit machinalement Tonin
- Tonin, mouche toi fit Janou !
- Es pas ieu !
(C'est pas moi !)
- C'est toi Pichounet ? de la terre te serait entrée dans les narines ? demanda Tistou ?
- Non non, tout va bien.
- C'est donc vous Momo ? interrogea Marinette.
- Che ne m'enrhume chamais !
- Aaaalors ???? firent six voix chevrotantes.
- J'ai beau être indéfiniment enrhumé, ça sent drôlement bon par ici ! De la fleur d'oranger je présume ? ma mère en parfumait aussi ses bugnes.
La voix semblait venir du fond de la salle, du tas même de rochers éboulés.
Tout à coup, Tonin qui y faisait face, se leva, blanc comme un linge:
- La... la … la treva de l'esternudaïre bégaya-t-il !
(Le fantôme de l'éternueur !)
- Où ?
- Aval darrèr de vos !
(Là bas derrière vous !)
Ils se retournèrent tous.
A dix mètres d'eux, se tenait assis sur le tas de pierres, un individu, mal habillé, mal rasé, et coiffé d'une casquette informe. Il était pâle, telle une photographie délavée, et leur souriait.

Chapitre 12

- Merci Tonin, tu viens de me libérer de mon tas de pierres. Ouf, je me sens mieux !
Après quelques minutes d’hésitation: partir, ou rester, et devant l’attitude somme toute assez bienveillante de l’individu, Janou, rassemblant son courage, tel que devait le faire le chef qu’il était, osa questionner:
- Mais, mais vous n' êtes pas ?
… - Un fantôme ? Si, pour sûr, ou un esprit, un ectoplasme, un revenant… Les mots sont multiples pour me nommer.
- Ça veut donc dire que vous seriez … mort ?
- En effet ! Momo ne vous l'a pas dit ?
- Alara seriás la...
(Alors vous seriez...)
- La treva de l'esternudaire, òc ! Mais, rassurez vous, je ne vous veux aucun mal.
- Tout le monde vous croit parti !
- En fait je suis bien parti, mais... pour l'autre monde. Et personne ne le sait, sauf Momo bien sûr...
- C'est vrai ce qu'il dit Momo ?
- Ben...
- Vous savez Momo, Grand Chòt, grand duc, je ne sais comment je dois vous appeler, croyez bien que je suis réellement désolé d'avoir démoli votre demeure dans la fenêtre de la chapelle, de même d'avoir été cause de votre emprisonnement: ce fut totalement involontaire de ma part. Mais il me fallait à tout prix l'ôter cette pierre gravée du signe pour...
- Pour en faire un linteau de cheminée ?
- Ça, c'est ce que je vous ai laissé croire.
- Los cantonièrs aiman las pèiras.
(Les cantonniers ça aime les pierres affirma Tonin.)
- Òc Tonin, mas soi pas solament un caminaire, soi tanben un caçaire de tresaurs
(Oui Tonin, mais je ne suis pas seulement cantonnier, je suis aussi chasseur de trésors.)
- Pas possible ! Coma nosautres ! Tanplan n'avèm trapat un dins...
(Pas possible comme nous ! D'ailleurs on en a trouvé un...)
- Tonin !! firent quatre voix courroucées.
- Oh, s'écria l'interpellé la main devant la bouche: o volia pas dire !
(Oh ! Je voulais pas le dire !)
-Vous savez, vous pouvez tout me dire puisque je suis mort, je ne répéterai rien à personne, par contre je pourrais peut être vous aider. - ???
- Mais d'abord il faut que je vous raconte mon histoire.
"Je n'ai pas toujours été cantonnier, voyez-vous, même si j'ai toujours eu l'amour des vieilles pierres. Certes, j'ai beaucoup aimé remonter les vieux murs des chemins de votre village, et tailler les haies de buis qui les bordent, me semblait important pour en révéler le charme.
En fait, je suis archiviste de mon métier, et c'est en classant les archives des chevaliers templiers de la Couvertoirade que je suis tombé sur un drôle de document.
Il y était dit, que le fameux trésor des Templiers, et le texte affirmait qu'il y en avait un, aurait été caché, non pas dans les commanderies connues du Larzac, mais dans un château des environs. Le texte rongé par les rats ne donnait pas d'autres explications.
Il lui avait alors fallu du temps pour explorer les différents châteaux de la région.
A chaque fois, il offrait ses services en tant que cantonnier, ce qui donnait le champ libre à ses explorations.
Le château de Mauperthuis était le dernier de sa liste, mais nul ne savait plus où il était situé. Il se doutait bien qu'il s'agissait de celui de ce village, sauf qu'il était en ruines, et que les recherches avaient longtemps été infructueuses."
Jusqu'au jour où...
- La suite vous la connaissez Grand Duc, j'ai trouvé la pierre avec le signe dans les murs de la chapelle, en la délogeant, j'ai mis au jour l'étui de pierre; en ôtant l'étui, j'ai actionné le mécanisme qui ouvrait la trappe d'un escalier sous mes pieds. J'ai perdu l'équilibre et suis allé m'écraser tout en bas. Si ma chute ne m'avait pas été fatale, je n'aurais sûrement pas survécu à l'effondrement des murs de la chapelle et de tout l'environnement. Adieu recherches ! Adieu Templiers ! Adieu manuscrits ! Adieu trésor ! Ma vie n'ayant pas été exemplaire, je fus condamné à errer, les nuits d'hiver embrumées, sur la route de Saint Michel, dans l'attente d'une réponse compatissante à mes éternuements. Et c'est ce que tu as fait Tonin, rompant ainsi ma damnation. Cependant, si j'ai bien compris, vous avez retrouvé l'étui et son manuscrit, ainsi qu'une partie du trésor. Permettez que je me joigne à vous pour la suite de votre quête: j'aimerais tellement constater de mes propres yeux que je ne m'étais pas trompé. Auriez-vous l'aimable gentillesse de me montrer le manuscrit.
- Cresètz pas vosautres que podèm li mostrar, benlèu nos ajudarà.
(Vous ne croyez pas qu'on peut le lui montrer, peut être qu'il nous aidera.)
- Tu as raison Tonin: tenez Monsieur. Anselme tendit la main pour s'emparer du parchemin qu'on lui tendait, mais loin de s'en saisir, sa main passa à travers.
- Oh ! J'avais oublié que je ne pouvais plus rien toucher des biens de ce monde. Aurais-tu la délicatesse de le tenir ouvert devant moi.
- Aqui l'avetz.( voilà)
- Merci bien. MMMMMM... C'est en lettres gothiques et en latin décadant.
- Et qu'est ce que ça dit, demanda Marinette ?
- Per Jesum Christum filium Dei, si obscuram viam sequeris...
- Vous ne pourriez pas traduire, nous le latin, vous savez...
- Voyons «Par Jésus Christ fils de Dieu, si tu suis le chemin obscur vers l'Orient, à force de persévérance te sera donnée la lumière. Fais cent pas, puis tourne à la senestre, cent encore, et encore à la senestre, dix de plus, et là tu trouveras le soleil en mille cinq cents éclats.»
- I compreni pas res !
- (J'y comprends rien !)
- Mais si voyons Tonin: le chemin obscur, c'est le tunnel, s'exclama Janou.
- Et l'orient, c'est l'est, là où se lève le soleil, continua Tistou.
- On a bien tourné deux fois à gauche ? ajouta Marinette.
- Mas qué vòl dire lo solelh en mila cinc cents treslús ?
- (Mais que veut dire le soleil en mille cinq cents éclats ?)
- Cela ne se rapporterait-il pas aux pièces d'or que vous avez trouvées ?
- Ça aussi vous le savez ?
- Voyez-vous, cela fait un moment que je vous observe, la nuit me voit hanter la route de Saint Michel, alors que pendant le jour je gis là, sous mon tas de pierres. Je crains fort d'avoir tout vu et tout entendu ! Vous êtes ma seule distraction.
- Seulement voilà nous n'avons trouvé que 1389 pièces dit Janou.
- Plus deux que je viens de ramener ajouta Pichounet.
- Ce qui fait mille trois cent quatre vingt onze… On est loin du compte dit Tistou.
- Il en manquerait combien alors ? demanda Janou qui n'avait pas envie de faire la soustraction. Cent neuf, pas une de plus, pas une de moins, lui répondit Anselme.
- Je peux vous assurer qu'il y a plus rien dans la garenne, j’ai tout fouillé, affirma Pichounet.
- Quauqu’un las aurà raubadas.
(Quelqu'un les aura volées)
- Tu crois ?
- Cela n'est pas impossible, mais fort peu probable, vu l'emplacement des garennes, et la malédiction attachée au lieu, moi, Anselme, je vous l’assure.
- Momo ? Vous ne dites plus rien ? Vous n'auriez pas une idée ? demanda Marinette.
- Che réfléchis. Puis se tournant vers Pichounet: Pichounet est-che-qu'il n'y aurait pas des rachines qui pacheraient dans vos garennes ?
- Si, et même beaucoup: nos corridors sont idéals pour que les arbres y enfoncent leurs orteils.
- Alors che crois chavoir qui est l'emprunteur.
- Ah oui ! C'est qui ? firent cinq voix.
- Vouch avez chans doute remarqué che bel arbre, en bordure de la Chauvachonne.
- Lo chorrador ?
(Le chouradou ?)
- Non pas de che côté, plutôt vers les Cagnachs.
- A ! aquel qu'es pas coma los autres ?
(Ah celui qui n'est pas comme les autres ?) - Chelui-là même.
- Il était magnifique cet automne, avec ses belles feuilles toutes jaunes d'or, il était d'ailleurs le dernier à les perdre ajouta Marinette.
- Chuchtement, et ch'est bien là chon problème.
- Son problème ? firent six voix intéressées.
- Ch'est un arbre très vaniteux, et très fier de cha chevelure, comme il appelle cha frondaichon; auchi est-il le premier à mettre des feuilles au printemps et le dernier à les perdre en automne. - Aquò's verai, o aviái remarcat.
(C'est vrai, je l'avais remarqué.)
- Et pour che faire, il puiche dans le chol, grâche à ches interminables rachines, tous les nutriments qui lui chont néchéchaires. Cha chève les tranchporte et la photochynthèse les tranchforme.
- Ai pas res comprés.
(J'ai rien compris.)
- Ch'est pourtant che qu'on vouch apprend à l'école non ?
- Benlèu...
(Peut-être.)
- Donc, notre arbre, trouvant dans l'or des pièches, matière à satichfaire cha coquetterie, a puiché chans vergogne dans le tréchor.
- Ben ça alors ! et comment vous savez ça Momo ?
- Ch'est chur lui que ch'aime bien me repocher, les jours de la belle chaichon, à l'époque des migrachions. Les oicheaux migrateurs l'adorent, et comme ils chont bavards, ils lui racontent leurs voyaches, et che les écoute moi auchi. L'été dernier che me chuis aperchu, que le vent dans ches feuilles faichait un drôle de bruit, comme s'il faichait tinter des feuilles de métal. Et lui ne chéchait de répéter: «Ch'ai de l'or, ch'ai de l'or, je chuis un arbre en or, vivement chet automne; ch'ai de l'or, ch'ai de de l'or… de l'or… de l'or...»
- D'où son feuillage jaune d'or cet automne !
- Tu as tout compris Marinette.
- Siás crespinada tu !
(Tu as de la chance toi !)
- Tonin, Tistou t'expliquera tout, tout à l'heure. En attendant, on peut faire une croix sur les pièces manquantes dit Janou.
- Ou ramasser les feuilles tombées, ajouta sa sœur rêveuse.
- Ce n’est pas grave, il nous reste deux autres chemins dit Tistou.

Chapitre 13

- Ainsi que deux autres énigmes confirma Anselme. Voyons le parchemin. Tonin aurais-tu l'obligeance de mieux l'éclairer avec la lampe, je n'arrive pas à lire. Merci.
«Per Iesum Christum filium Dei, Si levanti versum dorsat.....mmmmm. Si tu tournes le dos au levant, tu découvriras la basculante et obturante roche qui ouvre le passage vers le ponant. Là, demande à son vénérable gardien qu'il veuille bien te confier ce sur quoi, on sied, on dort, on vole.»
- Ai pas res...
(J'ai rien...)
- On sait Tonin, et nous non plus.
- Voyons, ce n'est pas très difficile pourtant, le ponant opposé au levant, c'est ?
- L'ouest s'écria Tistou !
- Bien !
- Mais obturante, je ne sais pas ce que cela veut dire dit Janou.
- Cela signifie qui ferme, et cela confirmerait qu'il y a à l'ouest de cette salle un passage fermé par une roche qu'un mécanisme peut ouvrir, comme ce fut le cas pour la dalle de l'escalier.
- Ça alors vous êtes fortiche vous pour déchiffrer les énigmes s'exclama Tistou.
- Mais non, c'est mon métier qui veut cela, répliqua modestement Anselme.
- Rechte à trouver, chur la paroi, che qui acchionne le mécanichme.
- Il faut creuser, dites il faut creuser ? interrogea Pichounet qui trouvait qu'on lui volait un peu la vedette.
- Non dit Janou, pas pour le moment.
- Ce qu'il faudrait, dit Anselme c'est inspecter de vos mains, ou pattes, ou serres, toute la surface de la paroi afin de le dénicher ce fameux mécanisme. Je ne puis malheureusement être d'aucune aide, je ne sais que passer à travers, et rien n'indique...
Sa voix mourut comme il franchissait l'obstacle et se fit à nouveau audible à son retour
...soit apparent de l'autre côté.
- On a beau savoir que les fantômes passent à travers les murs, ça fait quelque chose de le voir pour de vrai ! s'écria Janou.
-De plus, et croyez que je le regrette, je ne peux pas vous emmener avec moi de l'autre côté.
Et ils se mirent tous à toucher, palper, tâter, examiner. centimètre par centimètre… en vain. La paroi semblait faite d'un seul bloc.
- Momo, vous qui avez l'œil perçant, pourriez-vous constater, si ce n'est pas trop vous demander, que rien n’a échappé à notre recherche.
- Avec grand plaichir.
Momo vola plus de dix fois, de ses ailes silencieuses, de droite, à gauche, en haut, en bas, scrutant scrupuleusement la moindre faille, la moindre aspérité, pour finalement reconnaître, un peu dépité:
- Che ne vois rien du tout. Il n'y a rien: le manuchcrit doit faire erreur.
- Ce n'est pas possible, il ne peut que dire vrai, affirma Anselme.
- Ieu, ai pas de besonh d'un mecanisme. Un còp d'espatla e veiretz se la pòrta se dobrís pas. Tiratz vos, vosautres !
(Moi je n'ai pas besoin de mécanisme. Un coup d'épaule et vous verrez si la porte ne s'ouvre pas. Tirez vous vous autres !)
Prenant son élan trois mètres en arrière, Tonin se précipita l'épaule en avant sur la paroi rocheuse.
- Tonin crièrent-ils. Il va se fracasser !
C'était sans compter la stalagmite traîtresse sur laquelle son pied buta, le projetant, la tête la première, sur la paroi.
Au même instant, la pierre bascula, révélant une ouverture dans laquelle l'impétueux garçon s'engouffra, pour s'étaler de tout son long, dans le passage ainsi découvert.
- I soi arribat ! I soi arribat !
(J'y suis arrivé ! j'y suis arrivé !)dit-il en se relevant et s'époussetant.
- Imbécile, tu nous as flanqué une de ces pétoches ! Heureusement que la porte a basculé.
- Es pas ieu qu’o ai fach ?
(Ce n'est pas moi qui l'ai fait ?)
- Oui et non. En bronchant sur la stalagmite tu as, à ton insu, enclenché le mécanisme d'ouverture. On peut dire alors que c'est un peu grâce à toi.
- A ! vesètz ben !
(Ah ! Vous voyez bien !)
- Ne recommence pas Tonin, tu m'as fait très peur tu sais ! dit Marinette encore toute effrayée
. - Pff ! Poule mouillée !
- Il suffit ! Et si nous l'empruntions ce passage ? proposa Anselme.
- Passi davant !
(Je passe devant !)
- Non, donne moi ta lampe, c'est moi qui y vais, ordonna Janou d'un ton sans réplique.
Le couloir paraissait en bien meilleur état que le premier tunnel.Il était en pierres taillées, et ne semblait pas avoir souffert de l'effondrement de la chapelle. Il progressait tout droit sur une dizaine de mètres, puis obliquait légèrement à droite.
Le groupe avançait sans difficulté, le sol était bien plan, et le couloir suffisamment large pour que Momo, et ses grandes ailes, fussent de l'aventure.
Tout à coup Janou:
- Je crois que je vois une lueur. Oui c'est bien ça on approche de la sortie… On est bien vers le couchant… et la sortie est un peu bouchée par des buis. … Aie ! Il y a des ronces aussi !.....!!! Vous pouvez venir, ça ne risque rien: on est, on est, ça alors !...; on est,on est... au Ròc Traucat !
- !!!!!
Ils étaient sortis au pied même du Ròc Traucat, côté ouest, et, devant eux se déroulait un splendide couchant de vapeurs, rose, orangé et pourpre, tel qu'il en existe sur le Causse en automne. Les collines au loin s'ourlaient de brun, et de mauve soutenu, soulignant la féerie du spectacle. Le groupe s'était arrêté, saisi devant tant de beauté.

Chapitre 14

Tout à coup, une formidable voix caverneuse se fit entendre:
- Mais qu'est-ce donc qui me chatouille ainsi les entrailles ? …??? D'où sortent-ils ces galopins ?
- Qual es aquel que parla ? Encara una trèva ?
(Qui c'est celui qui parle, encore un revenant ?)
- Bonsoir Grand Rocher Gris, s'empressa de répondre Anselme. Pardonnez-nous si nous vous avons éveillé de votre somme.
- Ahhhhh ! Non, non... J'admirais le couchant... Alors vous êtes là vous aussi, Monsieur l'Esternudaïre ? Et vous aussi Grand Chòt, à ce que je vois. Il y a même Pichounet. Que faites vous donc avec ces trois garnements ? Comment ? Vous avez même entraîné Marinette avec vous !
- C'est que, voyez-vous, à vous on peut tout dire, nous sommes à la recherche du trésor des Templiers, et du gardien de la deuxième porte déclara Anselme.
- Vous l'avez là, devant vous: je suis le gardien de la deuxième porte.
- Alors, vous savez très certainement ce que signifie, je cite: « ce sur quoi on sied, on dort, on vole.»
- Certainement.
- Et ?... - Et ? Et il n'est pas question que je vous livre l'information. C'est à vous seuls de résoudre l'énigme. Vous vous dites chasseurs de trésors, n'est ce pas ? Alors... à vous de jouer.
- Merci beaucoup pour votre aimable collaboration ! - Mais je vous en prie. Quand vous aurez découvert l'objet dont il s'agit, je vous le remettrai volontiers.
- E ben ! Es pas deman la velha que lo traparem !
(C'est pas demain la veille qu'on le trouvera !)
- Bon,il ne faut surtout pas se décourager, on a une semaine pour trouver, car maintenant il faut rentrer. Hugh j'ai dit, conclut Janou.
C'est sur ces dernières paroles qu'ils se séparèrent.
Les sept jours qui les séparaient du jeudi suivant furent dédiés à la cogitation.
Pour Tonin le temps dédié fut très court: il avait admis, une fois pour toutes, que les énigmes n'étaient pas de son ressort, et puis, à ce monde souterrain, il préférait les larges étendues du Causse que le vent, tout comme lui, prenait plaisir à parcourir.
Pour Tistou, ces dernières lectures, il le sentait bien, ne lui donneraient pas la solution; il choisit alors, comme à son accoutumée, la rêverie sous la lune.
Pour Janou et Marinette ce n'était pas pareil, ils se devaient de trouver: l'un, parce qu'il était le chef, l'autre, parce que les énigmes, elle adorait ça.
L'Esternudaïre, quand à lui, durant ses errements nocturnes sur la route de Saint Michel, ponctués de ces éternuements que l'on sait, avait choisi de poser la question aux malheureux rencontrés:
- Dites, pourriez-vous dans votre aimable gentillesse, répondre à la question suivante ?...
On ne lui laissait même pas achever sa phrase.Ce qui avait eu comme résultat de rendre la route de Saint Michel totalement déserte. Tous l'avaient fuie comme la peste.
Momo et Pichounet s’étaient dit, quand à eux, que les humains avaient de drôles d'occupations, et avaient vaqué aux leurs.
Ce qui fait que le jeudi arriva sans que personne n'ait résolu l'énigme. - Eh bien ? interrogea Grand Rocher Gris de sa grosse voix.
- Nous n'avons pas trouvé lui fut-il répondu.
- Ce n'est pourtant pas bien difficile.
- Pour vous, peut être, qui fréquentait le monde depuis la nuit des temps, mais pas pour nous.
- Allons, allons, que me chantez vous là ?
Suivit un silence, puis:
- Et si je vous mettais sur la voie ? Depuis que l'objet m'a été confié, vous êtes les premiers à être arrivés jusqu'à moi. Je n'ai aucune envie d'attendre une hypothétique visite quelques siècles de plus ! Donc voilà: l'objet fut autrefois, un moyen de locomotion rapide, efficace, et très recherché.
- Un carri !
(Un char !)
- Tu en as déjà vu voler Tonin ? demanda Tistou.
- Non. Alara vesi pas.
(Alors je ne vois pas.)
- Efficace et très recherché, et dont parle un livre de contes célèbre.
- Les contes de Perrault ? osa Marinette.
- Plus vieux que cela, et plus long, beaucoup plus long.
- J'y suis: Les contes des Mille et une nuits. Ma mère me les racontait lorsque j'étais enfant.
- Félicitations, Monsieur l'Esternudaïre, vous avez découvert le recueil, il ne vous reste plus qu'à découvrir l'objet.
- Rien n'est plus facile alors. Ne serait ce pas un des présents faits au Roi Salomon par la Reine de Saba, une sorte de jardin miniaturisant le monde, et, de ce fait, permettant de le parcourir par le seul commandement de son désir ?
- Et c'est ??? firent six voix ?
Un tapis. - Ahhhhhh ! dépité.
- Oui, mais un tapis volant !
- Non ?
- Aquò es pas un òrt !
(Ce n'est pas un jardin !)
- Les tapis perses, vois-tu Tonin, représentaient, symboliquement, les plus merveilleux des jardins.
Puis s'adressant au Grand Rocher Gris :
- Non ! Ne me dites pas que les Templiers se seraient emparés du tapis de Salomon.
- Si ! de celui-là même.
- Fichtre ! et vous en êtes le gardien ?
- Oui da ! Jusqu'à ce jour. Et, croyez moi, je l'ai bien protégé contre tout risque de dégradation. - Et où l'avez-vous tenu caché tout ce temps ?
- Vous n'êtes pas sans avoir remarqué mon visage, n’est-ce pas ?
- Oui, c’est lui qui vous rend reconnaissable entre tous les rochers de la région.
- Eh bien, il est enfoui au fond de mon orbite gauche, dans son étui de pierre.
- Comme le parchemin alors s'exclama Pichounet !
- Tu as tout à fait raison Blantoupet junior.
- Il faut alors vous grimper dessus ?
- Oui !
- Je ne pourrai pas y arriver.
- Se cal escaladar, ieu soi vòstre òme.
(S'il faut escalader, je suis votre homme s'écria Tonin.)
- Che crois que che vais le faire, chans vouloir te veccher, ch'aurais plus vite fait en volant.
- C'est ça, à toi Momo, dirent les autres.
Et Momo, de ses grandes ailes silencieuses de rapace, s'envola jusqu'à la tête de grand rocher gris, se posa sur son nez, en veillant bien à ne pas le blesser avec ses serres, puis, enfonçant sa tête toute entière dans l'orbite de l'œil gauche, se mit à la recherche du fameux étui. Or, l'orbite était profonde et large, si bien que, bientôt, il se percha au bord, avant de disparaître complètement dans le trou.
- Momo où êtes-vous ? s'inquiéta Marinette.
- Seul, un son caverneux lui répondit.
- Serà tombat dins lo trauc !
(Il sera tombé dans le trou !)
Tonin se trompait, car quelques minutes après, il réapparaissait tenant dans son bec un étui, en pierre, comme le premier, mais deux fois plus petit que lui.
- Me farà pas crèire qu'un tapís pòt d'entrar aquí dedins !
(On me fera pas croire qu'un tapis peut rentrer là dedans !)
- Tu as raison Tonin, ça ne paraît pas possible renchérit Janou.
- Pourrais-tu, Janou, en ôter l’opercule s’il te plaît ? demanda Anselme.
- Han !!!! ça m’a l’air coincé !
- Tu veux que j’essaye proposa Tistou ?
- Si tu veux.
- Ouille ! je me suis fais mal !
- Donne, j’ai des ongles ! dit Marinette, MMMMM ! ça y est presque ! zut je me suis cassé un ongle !
- Je peux essayer j’ai de grandes dents.
Les incisives de Pichounet ne réussirent pas d’avantage.
- Ara a ieu ! humph ! Te dobriràs, nom de Dieu !
(Maintenant à moi. Tu vas t'ouvrir Nom de Dieu !)
- Tonin !
- Hummmmmmph ! …ò ! l’ai tombat !
(Je l'ai laissé tomber !)
Plash ! crac ! fit l’étui de pierre en touchant le sol avant de se briser en plusieurs morceaux.

Chapitre 15

طفا – ??????? Le tapis parlait !
Toutefois, il s'exprimait dans une langue totalement incompréhensible pour nos amis, mais que je vais m'efforcer de traduire pour vous, lecteurs:
- Plaît-il ?
Sous les yeux médusés de tous, de l’étui de pierre brisé, s’extirpa un rouleau de fils chamarrés. Il roula sur lui-même, se déroula, s’étira, s’allongea, se gonfla et grandit jusqu’à devenir un tapis de tout à fait honorables proportions. Il portait sur lui les plus belles fleurs stylisées dont pouvait se parer le plus beau des jardins, et était tissé des plus douces, colorées, soyeuses, et chatoyantes des laines.
Il se souleva de quelques dizaines de centimètres au dessus du sol, s’ébroua, s’épousseta pour se redonner du gonflant, puis s’étendit, comme une invite, aux pieds mêmes du groupe abasourdi !
- Ohhhhh ! qu’il est beau ! Jamais je n’oserai y marcher dessus s’exclama Marinette !
- Et vous dites qu’il est volant ? interrogea Janou !
- En principe oui, répondit Anselme.
- Et comment ça marche ? demanda Tistou.
- Ça, je ne sais pas trop. Je suppose qu’il suffit de s’y asseoir dessus, et de le commander.
- A peine avait-il prononcé ces mots, que Tonin avança son pied pour le poser dessus.
- رفتن به سر کنم -
(Ça va pas la tête ?)
et le tapis se déplaça d'un mètre, rendant la tentative vaine, tandis que le garçon se trouvait déséquilibré.
- Il faut peut-être lui demander la permission, avança Tistou, et s’adressant au tapis «Cher tapis, accepterais-tu que je monte sur toi ?» et il avança à son tour le pied.
حتی در خواب
(Même pas en rêve !)
et le tapis se déroba encore.
- J’y suis, c’est parce qu’il n’accepte que les ordres du chef. Et Janou d’essayer à son tour.
توسخت بله یا نه
(T’es dur de la comprenette ? Oui ou non ?)
et il se déroba encore.
- Je peux essayer à mon tour ? demanda Marinette.
- Si tu veux, répondit son frère, mais ça m’étonnerait qu’il t’accepte.
Alors Marinette s’avança doucement, fit une courte révérence, ôta ses sabots, ses bas, et osa son pied nu.
Le tapis ne bougea pas, si bien qu’elle tenta le second, et comme le tapis ne réagissait toujours pas, fit un pas, et s’assit en plein milieu.
- Tsss ! Aquel tapis aima las dròllas ! Aurem tot vist !
(Ce tapis aime les filles ! On aura tout vu !)
- Du calme ! Tonin, cela veut aussi dire qu’elle l’a dompté et qu’on peut y monter dessus.
Et Janou fit une deuxième tentative.
رک سخن من وجود دارد
(Il n'a rien compris ma parole !)
Et le tapis de se déplacer encore.
- Si je puis me permettre, intervînt l’Esternudaïre, en Orient, on ne foule jamais les tapis de ses chaussures, et encore moins quand elles sont crottées.
- Je me demandais quand est-ce que vous alliez y penser, s’exclama de sa grosse voix Grand Rocher Gris.
- Ah bon ! et Tistou d’ôter ses galoches et ses chaussettes de laines aux talons reprisés.
Janou fit de même. Puis:
- Comment avais-tu deviné Marinette ?
- Je n’en savais rien, mais j’avais envie de poser mes pieds nus sur ce doux parterre fleuri.
- Alors Tonin, tu viens ?
- Ieu vòli pas me descauçar ! Demòri aqui ! Vos espèri !
(Moi je ne veux pas me déchausser, je reste ici, je vous attends!)
- Quant à moi, ch’ai mes ailes dit Momo !
- Pour ma part, vous savez que mon corps évanescent ne le peut pas.
- Et moi ? je peux venir quand même ? demanda Pichounet qui ne savait comment faire.
- Tu n’as qu’à sauter dans mes bras, lui proposa Janou.
Ce qu’il s’empressa de faire d’un bond.
- Et maintenant en route pour l’aventure ! Tapis ! en avant ! commanda Janou.
Le tapis resta immobile.
- Eh bé ! avance !
Il ne bougea pas d’un pouce.
- Mon beau tapis avance s’il te plaît, demanda de sa douce voix Marinette.
Il n’en fit rien.
- Peut-être qu’il faudrait une formule magique proposa Tistou.
- Oui, mais laquelle ? fit Janou.
- Elles sont pléthore dans le monde magique renchérit Anselme, et comment connaître la bonne ? Vous n’auriez pas une petite idée Grand Chòt, vous qui côtoyez les fées de ces bois ?
- Che ne fréquente pas le chabbat des sorcières !
- Et vous Grand Rocher Gris ?
- … - Grand Rocher Gris ?
- Plaît-il ? Pardonnez-moi; je crois bien que je m’étais assoupi. A mon âge, vous savez… Vous disiez ?
Je vous demandais si vous ne connaîtriez pas la formule magique qui fait avancer le tapis. - Elle n’était pas indiquée dans votre parchemin ?
- Je n’ai pas remarqué. Mais au fait, où est-il passé ce parchemin ? C’est toi qui l’as Janou ?
- Non . C’est toi Tistou ?
- Je ne l’ai pas non plus.
- Ieu tanpauc l’ai pas. Sai que l’aurem pas doblidat dins lo tunèl ! I tòrni pas.
(Je ne l'ai pas non plus. On l'aura oublié dans le tunnel ! Je n'y retourne pas !)
- Je peux y aller si vous voulez, les tunnels ça me connaît, avança Pichounet, j’aurais vite fait.
- Che peux y aller auchi, d’un coup d’aile, proposa Momo à son tour.
- Ah ! Si je n’étais pas là !… Vous l’aviez oublié sur une pierre, je l’ai pris et placé dans la poche de mon tablier; tenez, le voilà,  votre parchemin ! dit Marinette.
- Merci sœurette !
- Peux-tu le tenir ouvert devant moi, Tistou, s’il te plaît, demanda le fantôme ?.... Comme cela, merci. MMMMM… Ponant… on sied… on vole… Il n’y a rien d’autre.
- Ch’est que ch’est chans doute dans le tecchte qui introduit le troishième chemin.
- Vous devez avoir raison Momo ! Voyons, voyons… «Si carpetam ducere voletis…. Si vous voulez conduire le tapis, vous devez découvrir la cachette ubi sub petra mille milleque traucata, Salomonis tresorem… ». Les lettres sont effacées, je n’arrive plus à lire.
- Alors c’est fichu ! On ne pourra pas trouver !
- Non, peut-être pas ! il est encore question du trésor de Salomon, et d’une pierre mille et mille fois trouée… Auriez-vous une idée les enfants ?
- ????
- Benlèu que ieu o sabi !
- (Peut-être que moi je sais !)
- Tu le sais Tonin ? demanda Janou.
- Benlèu.
(Peut-être.)
- Et qu’est ce que tu sais au juste ? interrogea Marinette.
- Ieu o sabi onte n’i a de pèiras traucadas de mil traucs.
(Je sais où il y a des pierres trouées de mille trous !)
- Arrête de nous faire languir, dis nous où.
- Aval, sus la colina.
(Là bas sur la colline)
- Quelle colline ? - La colina de las pèiras a sal. Aquelas pèiras son totas traucadas de la lenga de las fedas, que lecan la sal, cada sèr.
(La colline des pierres à sel. Ces pierres trouées par la langue des brebis qui lèchent le sel chaque soir.)
- Mais bien sûr, comment n’y avons-nous pas pensé avant ? s’exclama Janou.
- Et c’est tout près d’ici sur les terres du Roc Traucat, ajouta Tistou. Nous ne sommes plus obligés d'emprunter les tunnels. Vite, allons voir.
که در آن خواهد شد همه اینجا من هستم
(Où vont-ils tous ? Eh je suis là moi ! s'écria le tapis.)
Nul n'y prêta attention dans leur désir d'atteindre leur nouvel objectif.
Et tous de descendre du tapis, de se rechausser, et de se précipiter vers les pierres à sel.
Seulement voilà, des pierres à sel trouées de mille trous par la langue des brebis, qui avaient, durant des siècles, léché le sel que les bergers déposaient dessus à leur intention, il y en avait des dizaines !
Comment savoir laquelle était la bonne ?
Pour comble de malchance, la nuit était maintenant tout à fait arrivée, si bien qu’on ne distinguait pas les pierres à trous des autres. - Je crois qu’il va falloir attendre, c’est l’heure de rentrer, et on n’y voit rien. dit Janou. Mais avant, il nous faut mettre le tapis en lieu sûr.
Quelle ne fut pas leur surprise quand, arrivés au pied du Roc Traucat, ils ne trouvèrent plus le tapis.
Ni tapis, ni étui, ni fantôme, ni parchemin, comme s’ ils n’avaient jamais existé. Quand au Grand Rocher lui-même, par eux questionné, ils n’obtinrent aucune réponse de sa part: il semblait désespérément muet !
Quel mystère ! Non mais quel mystère ! Cela allait leur donner à réfléchir toute la semaine !

Chapitre 16

Le jeudi suivant, dès seize heures, ils se retrouvèrent tous sur la lande des pierres à sel.
Momo, pour une fois avait écourté son repos diurne, tant il lui tardait de savoir.
Marinette était également présente, avec, dans les poches, un petit en cas pour la faim insatiable de Tonin.
Pichounet campait dans les buis de bordure depuis la veille au soir.
Janou, Tonin et Tistou, avaient, quand à eux, réussi à échapper plus tôt aux travaux de la ferme.
- Anselme l'Esternudaïre n'est pas là ? demanda Janou.
- Apparemment pas, répondit Tistou en regardant autour de lui.
- Vos aviái plan dich que podiam pas nos fisar d'el. Es pas qu'una treva !
(Je vous avais bien dit qu'on ne pouvait pas s'y fier, ce n'est qu'un fantôme !)
- Je te remercie Tonin, mais vois-tu, je suis toujours là, seulement, avec la clarté du jour, vous ne pouvez pas me voir. Regardez à l'ombre des buis, peut-être m'apercevrez vous.
- C'est vrai, on distingue comme une brume blanche dit Marinette.
- Cette brume blanche, c'est votre serviteur. Bon, et maintenant comment trouver la bonne pierre à sel ?
- Ça, je n'en ai aucune idée avoua Janou.
- Il faudrait, che crois, prochéder par ordre: Nous nous partachons les pierres, et chacun cherche de chon côté.
- C'est ça, nous allons commencer par le haut, et, en redescendant, chacun examinera la pierre qu'il rencontre, déclara Janou.
- E de qué cal cercar ?
(Et que nous faut-il chercher ?)
- Un signe, un mécanisme, un effondrement… tout ce qui vous paraîtra insolite ou déplacé, crut bon d'ajouter Anselme.
- Bondieu, macaní, peuchère ! Qué trabalh !
(… quel travail !) Et tous de se mettre à l'ouvrage, scrutant, palpant, inspectant... sans succès.
Au bout de trois rangées de pierres.
- On ne trouvera rien ! Avec le temps, ça aura disparu ! Peut-être aurait-il mieux valu suivre le chemin des souterrains dit Marinette.
- Ne te décourage pas Marinette, il nous reste encore trois rangées de pierres répondit Tistou.
Tout affairés qu'ils étaient à leur recherche, ils n'avaient pas remarqué la brebis qui, depuis un bon moment, les observait de derrière un buis.
Il s'agissait de Marquise, la vieille Marquise, dont l'intelligence, la sagesse et la mémoire étaient telles que, depuis de longues années, on lui confiait la garde et l'éducation des agnelles, ce qui n'était pas une petite tâche.
Ces qualités allaient de pair avec une dévorante curiosité de tout ce qui touchait à l'humain. Aussi:
- Vous auriez perdu quelque chose ? … Puis-je me rendre utile ?
- Ah c'est toi Marquise ? dit Janou… non non. On fait le compte des pierres à sel. C'est Clovis qui nous l'a demandé pour voir s'il faudrait en ajouter d'autres, avec toutes les naissances bessounas (jumelles) qu'on a eues l'hiver dernier.
- Je vois. Et c'est pour cette raison que vous creusez la terre tout autour ?
- Ah ça ? Non. C'est pour voir si elles tiennent bien, dès fois que, déséquilibrées, elles risqueraient de tomber sur vos pattes, quand le soir vous vous précipitez sur elles pour les lécher.
- Bien sûr, mes jeunes agnelles ne sont pas toujours disciplinées. C'est bien. Je vois que tu as trouvé de l'aide pour ce travail… c'est bien !... Remarque que Tonin et Tistou, c'est normal, vous êtes copains, Marinette pourquoi pas ? Elle est ta sœur après tout. Mais que Pichounet, et surtout Momo soient de la partie, permets-moi de te dire que cela m'intrigue un peu. Tous les deux, ensembles, sur la lande, et en plein jour ! Quand à Anselme, que tout le monde ici croit disparu, et dont nous savons, par les antenaises achetées à La Couvertoirade, que c'est un chasseur de trésors notoire, je n'en dirai rien… sauf, que je me demande s'il ne vous aurait pas un peu contaminés.
- Que veux-tu dire ? - Ce ne serait pas un trésor que vous rechercheriez sous les pierres à sel ?
- Un trésor ? firent six voix étonnées ?
- A cette époque de l'année ça m'étonnerait que ce soit des breùdes (salade de campagne), non ?
- Tu n'y es pas du tout ma pauvre Marquise, comme si ces terres si pauvres pouvaient renfermer un trésor !
- Oh moi, ce que j'en dis !... Pourtant... Mais qu'auriez-vous à faire des remarques d'une vieille béligue ? ( brebis âgée)
- Pourtant ?
- Non, tu ne seras pas intéressé.
- Dis toujours pour voir.
- Non, puisque tu affirmes que de trésor il ne peut y en avoir.
- Allez Marquise, allez ma belle…
- D'accord, mais à condition que je puisse me joindre à vous, car...
- Car ?
- Je crois bien que je la connais la pierre que vous recherchez.
- Tu ne pouvais pas le dire plus tôt ! s'exclama Marinette.
- C'est la faute à Janou, il me prend toujours pour une radoteuse.
- Bon ça va, je m'excuse, là, ça te va ? Alors où elle est cette pierre demanda le garçon. Ici, à côté du grand buis.
Et tous de se précipiter pour voir.
- Auriez-vous l’obligeance de vous pousser pour que je puisse l'examiner suggéra Anselme: Pas de signe, pas de mécanisme apparent. Je ne vois rien qui ne la distingue des autres pierres du champ. Vous êtes certaine de ce que vous avancez ?
- Certaine ! Foi de béligue ! … C'est une pierre… une pierre… une pierre qui parle.
- ??????
- Mais je n'entends rien ! dit Anselme.
- Approchez, et collez votre oreille, vous verrez.
- Vous savez bien que je ne puis.
- Je peux le faire proposa Marinette.
- Non c'est à moi ! Pichounet grandes oreilles !… ça alors c'est vrai, elle parle ! Elle n'arrête pas. Mais je n'y comprends rien du tout.
- Pousse-toi, que j'essaye dit Tistou...??? Je ne connais pas cette langue.
- Aquò es pas de patés. dit Tonin, ayant écouté à son tour.
(Ce n'est pas du patois.)
- Che ne reconnais pas chette langue, pourtant che comprends prechque tous les choicheaux migrateurs .
- Pour moi, c'est du chinois ajouta Janou.
- Je peux essayer à mon tour ? demanda Marinette. Berk !!! cette pierre est pleine de migou ! (crottes de mouton). Attendez je fais partir le migou avec cette branche de buis et je l'essuie avec mon mouchoir.
- Quana pimpilha !
(Quelle mijaurée !)
A peine Marinette eut-elle effleuré la roche de son mouchoir, qu'un sifflement se fit entendre, tandis qu'une fumée noire s'en échappait, s'étirait, s'enflait, s'enflait, s'enflait… et prenait la forme d'un personnage ventru, bizarrement vêtu d'un pantalon bouffant, d'un gilet doré et coiffé d'un turban.
Djinn 2534سطح چهارم در خدمت ارباب خود را. دستور داد که او و او را اطاعت کنید
- Mais il parle la même langue que celle du tapis, s'écria Pichounet, je la reconnais maintenant.
- Tu as tout à fait raison, il s'agit en effet de persan, mais de persan ancien; c'est pour cette raison que j'hésitais un peu, ajouta Anselme.
- Et ça veut dire ? demandèrent les enfants.
- Ce n'est malheureusement pas une langue que je maîtrise.
Pendant, tout cet échange, le génie, car génie il était, se tenait coi, les bras croisés, en lévitation à cinquante centimètres au dessus de la pierre, dans l'attente de l'ordre qu'on ne manquerait pas de lui donner.
Djinn 2534سطح چهارم در خدمت ارباب خود را. دستور داد که او و او را اطاعت کنید
Or, après avoir été de longs siècles emprisonné dans cette pierre, on peut dire que la patience l'avait abandonné, et il ne rêvait plus que de se dégourdir les jambes, et donc de partir en mission. De plus, son enfermement, qu'il trouvait tout à fait injustifié, le rendait insolent, voire irrévérencieux. Alors:
يا امروز یا فردا است؟ باید به شما تصمیم می گیرید را ببینید
- crognegne de scrognegne, c'est pour aujourd'hui ? Ou pour demain ?
C'est d'ailleurs ce mauvais caractère, qui le faisait bougonner sans arrêt, et que Marquise avait perçu en léchant la pierre.
Nos amis, regroupés, et un tantinet effrayés par cet individu à l'air revêche, les yeux écarquillés et la bouche ouverte, n'osaient ni geste ni parole.
Ce que voyant, le monstrueux personnage se mit à gesticuler, tentant de provoquer la réaction que ses paroles n'avaient pas obtenue.
Ce qui eut comme résultat, que tous allèrent se cacher derrière le grand buis.
Alors, mettant le pouce et l'index recourbés dans sa bouche, il émit un sifflement aigu et bref.
Quelques secondes plus tard le tapis gisait à ses pieds.
Notre génie s'installa tout au bord en avant, puis fit le geste de les inviter à s'asseoir.
Devant leur peu d'empressement à décliner l'invitation, il posa, bien étalé sur le tapis, le parchemin qu'ils croyaient disparu, et refit son geste d'invite.
- Je crois qu'il veut qu'on aille avec lui sur le tapis dit Anselme. Allez-y les enfants, je vous suivrai à côté.
- Che volerai à côté également.
- Vendrai tanben  aqueste còp !
(Je viendrai aussi cette fois !)
Alors, aiguillonnés par leur désir d'aventures, nos jeunes amis, accompagnés de Pichounet, qui tenait plus que tout à en être, après s'être déchaussés, s'installèrent sur le tapis.
- Je crois bien que je ne vous accompagnerai pas, dit Marquise, il me faut surveiller les agnelles, mais vous me raconterez n'est-ce-pas ? Promis !

Chapitre 17

- Ne devrait-on pas lire le parchemin d'abord ? interrogea Marinette.
- Bien sûr que si, s'empressa de dire son frère.
- Je le tiens devant vous Esternudaïre dit Tistou.
- Et la dernière énigme dit: «Si carpetam geniumque habere, etiam annuli potestatem habere.............cum sapientia ejus utere.» Si tu as en ta possession le tapis et le génie tu détiens alors le pouvoir de l'anneau,... il manque des lettres,... uses en avec sagesse.
- L'anneau ? Quel anneau ? demanda Marinette.
- Je suppose qu'il doit s'agir de la bague de Salomon: un anneau serti de rubis, d'émeraudes et de saphirs et gravé du nom de l'Indicible. Il lui avait été offert par Balkis, la Reine de Saba, et possédait, dit-on, des pouvoirs inouïs, lui répondit L'Esternudaïre.
- Mais où se trouve-t-il donc cet anneau ? interrogea Janou.
- Je pense que cela n'est pas sans rapport avec la pierre. A nous de trouver, lui fut-il répondu.
Et tous de se mettre à quatre pattes, pour tâter, palper, fouiller, creuser sous l’œil très intéressé de Marquise. Tout à coup :
- Je crois bien que j'ai trouvé quelque chose, s'écria Pichounet tout émoustillé, et il sortit du trou, que ses pattes habiles avaient creusé, un petit étui, en pierre lui aussi, mais en forme de rose des sables.
-Donne voir, c'est à moi de l'ouvrir, puisque je suis le chef, lui dit Janou.
L'ouverture se fit aisément, la roche telle une bombe volcanique, se partagea par le milieu, et l'anneau, brandi par lui, brilla de mille feux dans les rayons du soleil couchant.
- Ohhh !!!
- Ahhh !!!
- Fa bondieu peuchère qu'es bèl !
(Qu'il est beau !)
- Che chuis ébloui ! - Je peux l'essayer, dis, je peux l'essayer dis ? demanda en premier Marinette.
- Non, moi, dit Tistou.
- Perdequé pas ieu ?
- (Pourquoi pas moi ?)
- Moi aussi, dit Pichounet.
- Ch'aimerais bien che crois...
-Ne vous disputez pas, je propose que vous l'essayiez chacun à votre tour. Moi, malheureusement, ma condition de fantôme me l'interdit. Et l'anneau passa de doigt, en patte, en serre, et curieusement, à chaque fois, il s'adapta exactement à la taille requise.
- Bon, maintenant que vous l'avez tous essayé, faudrait voir à vous décider, on le fait ce voyage ?
Ça alors ils n'en revenaient pas, le génie parlait leur langue.
- Vous parlez donc notre langue ! s'exclama Janou.
- Disons plutôt que vous comprenez la mienne: c'est un des pouvoirs de l'anneau. Donc je me présente à nouveau: Djinn 2534 de quatrième niveau au service de son maître. Qu'il ordonne et il sera obéi.
- Et c'est qui le maître ?
- Ben, celui qui porte l'anneau.
- Alors c'est moi déclara Janou, normal, puisque je suis le chef !
- Ordonne, et tu seras obéi.
- Mais qu'est-ce que je… oh et puis té, prends l'anneau Tistou, tu auras certainement plus d'idées que moi.
- Merci. Djinn 2534 de quatrième niveau je t'ordonne de nous expliquer à mes amis et à moi comment il se fait que tu te trouves ici, caché sous une pierre à sel de la lande du Ròc Traucat, dans le Larzac .
- C'est une bonne question, à laquelle il ne m'est pas facile de répondre, puisque je découvre seulement aujourd’hui ce lieu. Ce que je sais, c'est qu'il y a fort longtemps, je vivais libre, avec mes frères, en Arabie heureuse. Notre occupation favorite ? courir les sables, et tourmenter les humains. Nous étions jeunes à l'époque, et terriblement facétieux. Mais que peut-on attendre d'Effrits nés du feu, sinon méchantises et bêtises. Bref, nos mauvais tours devinrent, à force, tellement pendables, qu'il fut décidé qu'on devait y mettre fin. Et c'est le grand et puissant Roi Salomon - qu'il règne à jamais !- qui, par la toute puissance de son anneau magique, vint à bout de nos débordements. Il nous enferma dans le quatrième niveau dessous la terre, nous chapitra, et nous prit sous son aile. Et toute cette énergie que nous dépensions à mal faire, il la canalisa et la mit au service du bien. Depuis, nous ne savons plus mal agir. Salomon disparut un jour, comme tous les mortels, nous abandonnant dans son Temple, avec son anneau prisonnier de la Rose des Sables. Plus tard, beaucoup plus tard, d'autres hommes, porteurs de croix et ceints d'une épée, s'emparèrent de nous. Nous quittâmes pour toujours notre heureuse Arabie pour nous retrouver, après un long voyage, enfouis sous cette pierre, là où vous nous avez découverts.
- Quelle histoire ! Non mais quelle histoire ! s'écrièrent-ils.
- Mais n'as-tu pas dit que l'anneau avait d'autres pouvoirs ? demanda Janou.
- Certes, mais il en est un que vous connaissez déjà.
- Ah bon ? Et c'est quoi ?
- Le don de comprendre et de parler avec les êtres: terrestre, animal, végétal et minéral.
- C'est bien vrai ! mais cela nous paraissait normal.
- Ça ne l'est pas. Et je suis certain qu'autour de vous tout le monde ne possède pas ce don.
- C'est juste, l'autre jour quand j'ai dit au père, que Marquise m'avait demandé de rentrer les brebis parce qu'elles avaient déclaré qu'elles allaient manger dans la luzerne, et tant pis si ça leur donnait le gros ventre. Il m'a répondu: «Tu voudrais me faire croire que Marquise te parle ! Allé vai ! fagues pas lo colhon, que te foti un carpan...» (Ne fais pas l'imbécile sinon je te donne une giffle...)
- La plus part du temps les grandes personnes ne le possèdent pas.
- Mais comment cela se fait ? demanda Marinette.
- Vous avez certainement remarqué que la pierre sous laquelle se trouvait l'anneau, dans son étui de Rose des Sables, forme une vasque sur le dessus, qui retient l'eau de pluie.
- Bien sûr, et il nous est tous arrivé d'y boire, n'est-ce pas les garçons ?
- Òc ! a mai que l'aiga es plan bona ! Mas un pauc salada !
(Et même que l'eau y est très bonne ! Quoiqu'un peu salée.)
- Moi aussi j'y ai bu dit Pichounet !
- Che m'y chuis déchaltéré également.
- C'est de cette façon que le pouvoir de comprendre les êtres terrestres vous a atteint.
- Et pourquoi ne vous a-t-on pas compris le tapis et vous ?
- Et pour Anselme l'Esternudaïre ?
- C'est qu'il hante encore ce monde ci.
- Pour quelle raison les grandes personnes n'ont pas ce pouvoir ? Je suis pourtant sûr, qu'elles aussi, ont bu dans la vasque, demanda Tistou.
- Elles l'avaient, mais l'ont perdu, quand elles ont perdu leur âme d'enfant. Ce qui, heureusement, n'arrive pas à tout le monde.
- Tu te souviens, Janou, de Papé Marcel ? dit Marinette. On se moquait de lui quand il disait qu'il parlait avec Réglisse le bélier !
- Je m'en souviens.
- Eh oui ! Ces gens là passeront toujours pour un peu fous, aux yeux des autres.

Chapitre 18

Les révélations du génie furent suivi d'un long silence... que le génie interrompit à nouveau:
- Bon, je disais que mon frère tapis et moi, nous autres génies pouvons prendre toutes sortes de formes, sommes disposés à vous emmener en voyage, vous, et le trésor bien sûr.
- Nos pièces d'or ?
- Je regrette, elles ne sont pas à vous.
- Le trésor des Templiers ?
- Dites plutôt le trésor que les Templiers ont dérobé au grand Roi Salomon ?
- Che vous l'avais dit ! Che n'est parche que vous l'avez trouvé che tréchor, qu'il vouch appartient.
- C'est votre avis Grand Chòt ? demanda Marinette, et quel est le vôtre monsieur l'Esternudaïre ?
- Je crains que ce ne soit le même. Cependant, je suis satisfait: ce que je désirais par dessus tout, c'était le retrouver ce fameux trésor des Templiers, maintenant que c'est fait, et que Tonin m'a délivré de ma malédiction ainsi que de mon rhume, (avez-vous remarqué que je n'éternue plus guère ?) il est peut-être temps pour moi de gagner l'autre monde.
- Nos mancaretz, de segur !
(Vous nous manquerez c'est sûr !)
- Vous aussi très certainement. Mais c'est ainsi que va la vie.
- Bien... vous ne me tirerez pas des larmes, non ! C'est une poussière que j'ai dans l’œil, dit le génie en reniflant. Donc, je répète, et si on le faisait ce voyage ?
- Je cours chercher le trésor dans mon sac de berger proposa Janou.
- Ne te donne pas cette peine, nous allons y aller tous... en tapis volant. Ton anneau a plusieurs faces, Maître, tourne le sur la face de l'inscription, et ordonne.
- Ils s'assirent alors tous quatre, déchaussés, sur le tapis, Pichounet dans les bras de Janou, Momo voletant autour.
Et Janou, après avoir récupéré l'anneau :
- Djinn 2534 du quatrième niveau, je t'ordonne de nous ramener dans la salle du trésor.
Le démarrage fut foudroyant, et si le tapis n'avait pas relevé les bords, pour maintenir sur lui les voyageurs, sans doute qu'il en aurait perdu en chemin.
En moins de temps qu'il ne faut pour l'écrire, ils avaient atteint la caverne.
Emplir le sac de pièces, embarquer, et revenir, fut tout aussi rapide.
Et le tapis se posa en douceur près de la pierre à sel.
- E ara ? Qu'anam far d'aquel tresaur ? demanda Tonin.
(Et maintenant qu'allons nous faire de ce trésor ?)
- Le rendre, que veux tu faire d'autre ? répondit Marinette.
- On ne pourrait même pas en garder quelques pièces? suggéra Janou.
- Pour quoi faire ?
Ben, je ne sais pas... les donner aux parents… ils disent toujours qu'ils sont pauvres, ça les aiderait un peu.
Coma aquò poirai manjar de cambajon !
- (Comme ça je pourrai manger du jambon !)
- Mon pauvre Tonin arrête de ne penser qu'à ton ventre dit Marinette.
- Es perdequé es totjorn vuèg.
(C'est parce qu'il est toujours vide.)
- S'il te plaît Janou demande au génie ce qu'il en pense insista Tistou.
Enfonçant la bague sur son majeur Janou dit:
- Bien, hum, hum ! Génie 2534 j'ordonne que tu prélèves sur le trésor de Salomon une...
- Deux firent plusieurs voix.
- Deux pièces d'or pour chacun d'entre nous.
- Il sera fait comme mon maître l'ordonne.
Alors le génie plongea sa grosse main velue dans le sac, puis la retira pleine de pièces qu'il distribua à tous les occupants du tapis.
- Deux pour mon Maître, deux pour Tistou, deux pour Tonin, deux pour Pichounet, deux pour Grand Chòt et deux pour Marinette.
La nuit était maintenant tout à fait installée, et la lune, qui se levait à l'horizon, blanche, ronde, et glacée, prédisait gel et givre.
- Brr ! crèsi que cal dintrar !
(Il nous faut rentrer) - Il est tard.
- Che pars en chache.
- Au revoir, et à la semaine prochaine.
Toutefois, avant de suivre les autres sur le chemin du retour, Janou donna un dernier ordre:
Génies, je vous ordonne de vous mettre en lieu sûr jusqu'à la semaine prochaine.
- Bien Maître. En fait, tu peux nous appeler avec ceci, dit-il, lui tendant un sifflet. Où que tu sois, nous répondrons toujours, et très vite. Bonne nuit Maître.
A peine eut-il prononcé ces mots qu'ils s'étaient volatilisés.
La lande aux pierres trouées, quand à elle, avait retrouvé sa solitude originelle, car il y avait longtemps que Marquise avait regagné la bergerie.
Quand à Anselme… mais n'anticipons pas.
Le problème que se posaient nos jeunes amis, sur le chemin du retour, en serrant précieusement leurs deux pièces entre leurs mains était: Comment faire ce don à leurs parents, en évitant les questions embarrassantes ?
- Où les as-tu récupérées ?
Ou bien:
- A qui les as-tu volées ?
Quand ce ne serait pas :
- Va vite les remettre là où tu les as trouvées.
Et si, par malheur, ils étaient contraints de raconter toutes les péripéties de la découverte, ils n'osaient imaginer ce qui allait s'en suivre !
Non, il fallait que la découverte fût le fruit du hasard.
S'étant consultés, ils en convinrent tous: leur récompense serait de voir le bonheur, découlant de cette fortune, s'installer dans leur foyer. Tous se décidèrent toutefois, pour que ce soit à leur mère que la surprise soit faite.
Noémie avait deux habitudes auxquelles elle ne se soustrayait jamais.
La première, était d'aller, en fin de matinée, lever les œufs des poules dans leurs pondoirs, avant de leur ouvrir la porte du poulailler afin qu'elles gagnent leur vie. Janou cacha donc les écus parmi les œufs.
La seconde, était le ravaudage et le rapiéçage du linge, afin de le faire durer le plus longtemps possible, tâche qu'elle accomplissait tous les après midi près de la fenêtre. Les écus de Marinette atterrirent dans la corbeille, à côté des cotons à repriser et de la boule de buis.
Tonin, lui, cacha les écus dans la boîte à sel pendue sous la cheminée.
Tistou mit les siens dans une faisselle dans laquelle Albanie faisait égoutter ces fromages, tirés du lait de sa chèvre Bianca, et qu'elle vendait au marché.
Vous vous demanderez certainement ce que Momo et Pichounet avaient pu faire de leur part de trésor.
Sans se concerter, tous deux avaient pensé au bel arbre aux feuilles dorées
Le premier, avait jeté les pièces dans le trou fait par un pivert et qui s'était creusé avec le temps, le second, les avait enterrées dans la garenne où elles avaient été découvertes, afin que les racines de l'arbre viennent à nouveau y puiser.

Chapitre 19

Arriva le jeudi suivant, et ils se retrouvèrent, ainsi qu'ils en avaient convenu, sous le rocher de la Sauvageonne, puis dans la grande salle.
- Vouch'en faite une drôle de tête. Cha n'a pach'été comme vous vouliez ?
- Me'n parletz pas, la maire, sens dire ren, a pres los sòuses, los a mes dins la pòcha ambe lo mocador dessús, puèi los a amagats.
(Ne m'en parlez pas ! ma mère sans rien dire a pris les sous, les a mis dans sa poche, le mouchoir par dessus, puis elle les a cachés) - Et alors tu as mangé du jambon demanda Marinette ?
- Non, pas que de naps, de naps, de naps.
(Non ! que des navets, des navets, des navets.)
- La mienne non plus n'a rien dit, et les a cachés dans l'armoire, sous une pile de draps, dit Tistou.
- La nôtre, avoua Janou, n'a même pas paru surprise, je l'ai vue, je la guettais au poulailler, puis elle est allée les cacher dans la chambre.
- C'est là qu'elle a caché aussi les pièces que j'avais mises dans la corbeille. Par contre, je suis certaine qu'elle n'a rien dit au père.
- La mieuna tamben.
(La mienne aussi.)
- Chi che comprends bien, vous n''êtes pas plus riches qu'avant.
- Non, dirent-ils tous les quatre. Rien n'a changé, elles ne sourient pas d'avantage.
- Comme quoi l'archent ne fait pas le bonheur !
- Òc !
- (Oui !)
- Je me demande même si c'était une si bonne idée que ça, ajouta Marinette songeuse… il n'empêche que moi je n'en veux plus de cet or, je crains qu'il ne porte pas chance. Pensez à Anselme !
- Tu as raison soeurette... Bah ! Il nous aura fait rêver un moment !
- Et vous Momo, et toi Pichounet qu'en avez-vous fait ? interrogea Tistou ?
- Che les ai données à l'arbre.
- Ça alors ! C'est ce que j'ai fait moi aussi, s'exclama le lapin. Comme cela, il sera encore plus beau à l'automne, et on aura tous l'impression d'être riches.
- Tu es un sache Pichounet !
- Heureusement dit Janou, il nous reste encore l'anneau, le tapis, et le génie.
- Et le reste du trésor !
- Et le reste du trésor...
- Au fait où sont-ils nos deux génies ?
- Attendez, je les appelle, et Janou siffla.
- Ils furent là tout aussitôt.
- Tu nous as demandés, Maître ?
- Oui ! Avez- vous encore avec vous le sac plein de pièces d'or ?
- Il est ici, Maître !
- Bon, ils l'ont toujours. Qu'est-ce qu'on en fait ?
- On pourrait l'enterrer dans la grotte, suggéra Tistou.
- - Le problème se posera à nouveau quand quelqu'un, un jour, le retrouvera répondit Janou.On n'a qu'à le rendre à Salomon ajouta-t-il.
- Salomon ? Mais c'est qu'il est mort il y a belle lurette, s’esclaffa Tistou.
- Bigre  ! o sabiái pas !
(Je ne le savais pas !)
- Alors, même les leçons d'histoire, vous ne les écoutez pas ? C'est pourtant passionnant l'histoire !
- Si tu le dis !
- Et qu'en penchent nos deux génies ?
Pas de réponse. Assis au bord extrême du tapis, muet et impassible, les bras croisés, Génie conducteur, (c'est ainsi qu'il avait demandé qu'on l'appelle) attendait les ordres, tandis que le tapis (Génie transporteur) avait l'air de somnoler, ou de s'ennuyer ferme.
- Je vous ordonne de répondre dit aussitôt Janou.
- Il y aurait bien une solution qui pourrait satisfaire toutes les parties présentes.
- Ah oui ? Et laquelle ?
- Celle ci:
Alors saisissant le sac, il le broya, le foula, le malaxa entre ses grandes mains.
- Que fais-tu donc ? s'écrièrent-ils tous.
Sans répondre à leur question, il retourna le sac sur le tapis, y déposant un monticule de poussière d'or.
Puis, se tournant vers Janou:
- Puis-je suggérer à mon Maître que lui-même, et ses amis embarquent sur le tapis,
- !!!* »@ø==*!!§
- Que dit ton frère tapis ? Je ne comprends pas.
- Euuuuuhhhhhhh ! Il vaut peut-être mieux que vous ne compreniez pas tout !
- Ai compres ! Son de juraments ! Aspera, me cal los aprene !
(J'ai compris ce sont des jurons ! Attends, il faut que je les apprenne !)
- Tonin !!!! - Mas perdequé ?
(Mais pourquoi ?)
- Nous autres Djinns, Effrits ou Génies, comme vous nous appelez, ne sommes pas toujours bien élevés: le diable est un peu notre cousin, voyez-vous. Il voulait dire cependant qu'il aimerait bien se dégourdir un peu. Nous allons donc survoler le village pour notre premier voyage.
- On ne risque pas de nous apercevoir, il fait encore jour, s'écria Marinette.
- Peut-être pas ! Si mon Maître veut bien tourner d'un cran son anneau.
Janou ne se fit pas prier et:
- Oh ! mais je ne vous vois plus ! Où êtes vous passés ?
- Nous sommes là, nous n'avons pas bougé du tapis: le dernier pouvoir de l'anneau est la faculté de rendre invisible.
- Invisible !!!! - Oui, invisible, sauf si on passe devant la lune.
- Coma dins l'istòria de la Princesa Valentina.
- Comme dans l'histoire de la Princesse Valentine ?)
- Oui !
- Alara i anam ?
(Alors on y va ?)
- Maître ?
- Je t'ordonne de nous emmener faire un tour.
- C'est parti ! Allez, frère génie, montre nous ce que tu as dans le ventre.
Le démarrage fut tout aussi foudroyant que la première fois, mais nos amis s'étant méfiés, se cramponnaient au bord du tapis.
Bientôt, ce dernier gagna de la vitesse et se mit à prendre des virages serrés, ce qui fit pousser des cris de frayeur à ses passagers, d'autant qu'il n'hésitait pas à se faufiler entre les buis, dont les branches les giflaient au passage.
Il filait, filait, filait, sans leur laisser le temps de jouir du paysage qui se déroulait sous leurs yeux. Mais ils s'en moquaient bien, ivres qu'ils étaient de vitesse et de joie.
A un moment, ils survolèrent si bas le troupeau de brebis, que les agnelles, décoiffées par le vent déplacé, s'égayèrent en bêlant dans tous les sens, sans que Marquise puisse leur faire entendre raison, ni que Barri, trop vieux, puisse les rassembler à nouveau.
Seul, l'ordre donné par Janou, au trop fougueux génie de rassembler les bêtes, évita la catastrophe. (On est berger dans l'âme ou on ne l'est pas !)
L’obéissance n'étant pas son fort, le génie, un brin frondeur, décida alors de faire des loopings, et, pour ce faire, il gagna en altitude...
Misère de misère !
Non seulement ses passagers eurent mal au cœur, mais le monticule de poussière d'or qui reposait en son milieu, se retrouva projeté et dispersé dans l'espace.
Une énorme nuée, dorée, scintillante et voletante se répandit sur la terre ainsi que dans les cieux.
La nuit étant survenue, les cieux y gagnèrent de nouvelles étoiles, tandis qu'arbres, toits, landes et rochers s'enrichissaient d'une pellicule blonde.
La vision était fantasmagorique, et le tapis subjugué, stoppa brutalement en plein ciel, pour se laisser ensuite porter par les courants.
C'était une de ses claires nuits froides d'hiver, durant lesquelles la luminosité est telle, qu'elle rend éblouissantes les étoiles. Il est vrai que ce n'était pas une nuit ordinaire, puisque c'était celle du solstice, et tout annonçait qu'elle ne pouvait qu'être magique. Nos amis étaient émerveillés en même temps qu'émus, car ils avaient l'impression d'être une part, si infime fût elle, de l'univers même. Par leur position, juste entre ciel et terre, quand ils regardaient vers le haut, pour la première fois, ils avaient une idée de ce que pouvait être l'infini, et lorsque leur regard se portait vers le bas, le Causse saupoudré de poussière d'or, exaltait en eux le sentiment d'amour qu'ils ressentaient pour cette terre.
- Finalement, c'est très bien dit Marinette, le trésor appartient ainsi à tout monde.
- Et c'est si beau sous la lune, ajouta notre rêveur de Tistou.
- Après tout, ce n'est pas posséder un trésor qui valait le coup, mais partir à sa recherche dit Janou.
- E lo trapar.
(Et le trouver !)
- Pour moi, ce que je retiens, en plus de l'aventure, c'est que je me suis fait des amis dit Pichounet de sa voix fluette.
- Che n'aurai plus jamais peur de la cholitude !
- Bon, ce n'est pas tout, mais il faudrait rentrer; Génie, je t'ordonne de nous reposer au sol.
- Il sera fait selon ton désir, ô maître !
Suite tome 2
Retourner en haut