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Alors le poulailler se mit en grève…

image Je ne sais si vous êtes comme moi, mais habitant à la campagne et tentant de vivre en symbiose avec elle, rien ne me plaît tant que l’observation journalière des oiseaux. Bien entendu, je suis imbattable lorsqu’il s’agit d’identifier d’après leur chant, leurs coloris ou leurs vols, les passereaux familiers de nos jardins, de nos murs ou de nos broussailles.
Les mésanges, qu’elles soient bleues, charbonnières, mélanocéphales ou huppées, n’ont plus de secrets pour moi et n’allez pas croire que les boules qui enguirlandent les piliers de la terrasse y sont seules pour quelque chose !
Le rouge gorge, me poursuit de ses assiduités, surtout lorsque je retourne la terre au jardin ; quant à la bergeronnette, outre le fait qu’elle me salue gravement lorsque je mets le nez dehors, elle en vient à frapper mon carreau si elle ne m’a pas aperçue depuis longtemps.
L’hirondelle, qui niche sous mon toit, emplit mon ciel de ses folles arabesques, et m’accueille à chaque fois de cris de joie perçants.
Il n’est jusqu’au petit duc qui berce mes nuits de ses monocordes notes mélancoliques et pour ce qui est de l’effraie c’est parce qu’elle sait combien j’aime avoir peur, qu’elle pousse certains soirs ces miaulements sinistres.
Bref! Je me croyais donc une ornithologue avertie jusqu'à cet autre matin de juin.

***

Figurez vous que, ce matin là, alors que j’étendais sur le séchoir, au soleil levant, je fus entourée d’une nuée piaillante, rouge, verte et bleue. Nuée ? Vous allez certainement dire que j’exagère, je vous l’accorde, mais ils n’étaient pas moins de dix à voleter dans les grands frênes , poussant des cris que je ne reconnaissais pas, tous pourvus d’un bec long et pointu, d’ailes courtes et si joliment colorées ! Quels étaient donc ces êtres ailés qui me rendaient visite ? Je n’en avais jamais vu de cette sorte auparavant.
- Qui êtes vous donc leur demandais-je ?
- Nous sommes les guêpiers me fut-il répondu.
- Les guêpiers ? Ah ! Vous vous nourrissez donc …
- De guêpes, frelons et autres insectes volants et piqueurs, exceptés toutefois les abeilles qui nous permettent de nous délecter de leur miel. - D’où votre bec pointu.
- D’où notre bec pointu.
- Et comment se fait-il que je ne vous ai jamais vus ici ?
- C’est que nous ne sommes que de passage ; voyez-vous, nous venons d’Afrique.
- D’Afrique ?
- D’Afrique ! Nous remontons vers le Nord. Auriez- vous quelques guêpes, quelques frelons à nous mettre sous le bec ? A la rigueur quelques fruits, quelques graines ? Durant notre voyage migratoire nous nous devons de ne pas trop consommer afin de ne pas nous alourdir. Mais voler dans ces grands courants nous épuise. Nous étions à bout de force hier au soir lorsque nous avons fait halte chez vous.
- Mais si, bien sûr, les groseilles sont mûres au verger, les guêpes ont recommencé à faire l’assaut des confitures, il ne manque pas de graines au poulailler, et je vais ouvrir un pot de miel de lavande dont vous me direz des nouvelles !  Vous pensez si j’étais ravie ! De la visite !A la campagne, l’hospitalité, c’est sacré ! Lorsqu’on vit éloigné du monde et de ses tracas, on prend plaisir à prendre de ses nouvelles, ne serait-ce que pour se fortifier dans l’idée que c’est bien nous qui avons fait le bon choix. Et puis, des hôtes venus de si loin, quelles belles histoires n’auraient-ils pas à nous raconter ! Et vous savez tous comme j’en suis friande.
Nous décidâmes de commencer le repas par le poulailler, pensant que blé, maïs concassé et millet sustenteraient bien vite leurs jabots défraîchis.

***

Je savais que l’on pouvait compter sur la solidarité de mes poules, elles, qui permettaient aux moineaux, tourterelles, rouges gorges et autres passereaux de piller sans vergogne leur mangeoire .
D’ailleurs je me vantais à qui voulait l’entendre de leur humeur toujours égale ainsi que de la prodigalité de leur ponte.

En effet, depuis leur installation chez nous, Lolotte la rousse, Zézette la noire à la si jolie collerette dorée, Fifine la toute noire aux reflets bleutés, Milady et Daisy les Sussex et Perle la grise qui s’endormait dès qu’on lui mettait la tête sous l’aile , ne m’avaient donné que du contentement, mangeant le grain dans ma main se laissant même attraper et caresser ; le seul reproche que j’aurais eu à leur faire était que je ne pouvais les empêcher de picorer mes ongles de pieds vernis en rouge ! Quant à l’œuf qu’elles nous offraient quotidiennement, qu’il soit beige, brun, blanc ou roux, il possédait un jaune d’une belle couleur orange et cette saveur que l’on ne trouve que chez les œufs de poules d’élevage domestique.
Prosper, notre coq, en véritable pacha de basse cour, veillait à la production, tout en honorant scrupuleusement chacune de nos pensionnaires. C’était un cou nu du Forez, noir, haut sur pattes, pourvu d’une flamboyante crête rouge, comme l’était également son cou dépourvu de plumes sauf sur le devant ; il arborait fièrement un camail noir d’encre et une queue dans la quelle de longues plumes blanches recourbées s’additionnaient aux noires  pour former un panache des plus admirable ; ajoutez à cela une voix de stentor et , malgré de formidables ergots, un caractère placide , ce qui me changeait de ses agressifs prédécesseurs.
Vous imaginez donc ma surprise quand elles toutes se jetèrent en bataillon sur les intrus tentant de les atteindre de leurs becs.
- Alors, alors, mais que vous arrive-t-il donc ? Vous ne pourriez accueillir comme il se doit nos hôtes étrangers fatigués d’un long voyage. Leur caquetage était tel que je ne pus sur le moment comprendre la teneur de leurs propos.
Je crus cependant distinguer des termes tels que :
« Voleurs !, Assassins, ovophages ! »

***

Il faut vous dire que depuis une semaine le poulailler vivait un véritable drame:
La production baissait.
Au lieu des six œufs quotidiennement attendus, il se trouva qu’ils ne furent un jour plus que cinq.
Pourtant nos poules étaient jeunes et fringantes et bien intentionnées.
J’accusai donc la nourriture, et leur donnai alors une pâtée plus conséquente, qu’elles eurent l’air d’apprécier : mais au jour suivant la récolte ne fut pas plus abondante.
Il me faut alors changer la litière des pondoirs me suis-je dit, elles doivent la trouver trop vieille. Ce que je fis donc.
Le lendemain encore un œuf était manquant.
 Il y en a une qui veut couver et me cache sa ponte quelque part.
Et je bâtis les fourrés : en vain !
Pour l’inciter cependant à revenir au pondoir, au cas où, j’achetai un bel œuf en plastique blanc.
Deux jours après, lui aussi avait disparu !
Il me parut évident alors qu’un chapardeur d’œuf hantait notre hameau. Qu’il fût à deux pattes était hors de question ! Il n’aurait sûrement pas dérobé l’œuf en plastique, et puis il était impensable que l’on pût soupçonner seulement un de nos habitants !
Mais alors, quel animal était assez audacieux pour franchir l’enclos garanti infranchissable par son constructeur, s’emparer de l’œuf et ne laisser aucune trace de son passage ?
Qui ? Je vous le demande ?
Les suggestions les plus folles coururent alors parmi les gens du hameau mis au courant, comme il se doit dans une si petite communauté, de notre mésaventure:
L’un suggéra que c’était un coup des rats : tout le monde sait bien combien les rats sont voleurs et ingénieux ! Qui ne se souvient de cette image montrant l’un d’eux couché sur le dos, un œuf bien serré entre ses quatre pattes, alors que l’un de ses congénères le tire par la queue.
- Comment auraient-ils, sans casser l’œuf, franchi une clôture de deux mètres solidement fichée et bétonnée dans le sol ? Rétorqua l’habile constructeur de la dite clôture.
- Un chien alors ?
- La clôture n’est défoncée nulle part.
- Une couleuvre, une vipère, personne n’ignore qu’elles aiment gober les œufs.
- Tiens, tiens !
- Une buse ou un rapace ?
- Il y a bien trop d’arbres dans l’enclos, aucun gros oiseau ne pourrait s’envoler de là !
- Alors ?
- Alors ? Nous en auront le cœur net : nous allons faire de la vidéo surveillance. Nous assura d’un ton péremptoire notre génial inventeur.
Sur ces paroles énigmatiques chacun s’en retourna à ses occupations tandis que notre ingénieux constructeur s’enfermait, lui, dans son atelier.
Il y passa tout l’après midi et une partie de la soirée.
Le lendemain matin :
- Viens voir, tout est prêt.
Comme les pondoirs étaient accolés au mur extérieur de la cabane, à ciel ouvert et dominés par un rocher surplombant le tout, il avait installé sur ce même rocher une caméra juchée sur un trépied et chargée de les filmer non stop.
Cela donna sept heures de film qu’il nous fallut visionner!
Le sujet nous lassa bien vite, quelque instructif qu’il fût ; il m’avait en effet permis de voir que Daisy se faisait un plaisir de tourmenter ses camarades en train de pondre alors que Milady quand elle était au nid y restait des heures entières défendant, de son bec, à quiconque de s’en approcher. Ah ces anglaises !
Le film nous parut plus attractif, une fois accéléré. Il n’avait rien à envier aux films de Charlot et nous révéla même des surprises.
Saviez-vous que certaines poules pondent debout ? OUI, oui, debout ! Et sans que l’œuf ne se casse ! J’en ai la preuve filmée !
Mais hélas ! Au bout de la septième heure, il fallut nous rendre à l’évidence : nulle trace, nulle image de chapardeur ! Et pourtant, chapardage il y avait eu, un œuf avait bel et bien disparu, la caméra nous ayant aisément permis de dénombrer les œufs pondus.
Nous tentâmes l’expérience deux jours d’affilée, sans plus de résultat.
Voleur il y avait toujours, sans que notre œil électronique ait jamais réussi à le voir.
- C’est donc qu’il vient à la tombée du jour alors que la caméra, par manque de lumière, n’est plus aussi performante. D’ailleurs la fin de la pellicule est beaucoup trop obscure pour que l’on distingue quoique ce soit. Assura notre réalisateur.
Il n’empêche que le soir même de l’arrivée des Guêpiers c’étaient trois œufs qui manquaient à l’appel. La basse cour toute entière était en émoi.

***

De là à soupçonner, les visiteurs africains tout juste arrivés de la veille, fut un pas qu’elles avaient franchi implacablement tant elles se sentaient outrées de l’outrecuidance du voleur.
- Voleurs, assassins, ovophages, reprirent-elles toutes en chœur, à quoi elles ajoutèrent en toute mauvaise foi, affameurs, négriers et sauvages !
C’en était trop pour ma patience.

- Honte sur vous ! vous n’avez pas honte. Pourquoi les accuser du vol d’un oeuf quotidiennement commis depuis deux semaines avant leur arrivée ?
- Oui mais hier c’était trois ! Et qui sait s’ils n’avaient pas envoyé d’éclaireurs auparavant ? Prétendit Zézette.
- Des nouveaux arrivants, auxquels vous devez l’hospitalité traditionnelle de nos campagnes, et que, sans seulement chercher à les connaître, vous accablez de tous les vices de la terre. Au lieu de prendre en considération le fait qu’ils sont affaiblis et affamés par un long voyage, vous en arriveriez à leur refuser quelques malheureuses petites graines !
- On croit ça, mais ils en viendront à ne choisir que les meilleures, et nous n’aurons plus que la balle du blé.
- Voyons Zézette, tu sais très bien que je remplierai à nouveau la mangeoire de bonnes et belles graines que tu pourras picorer tout ton saoul !
image - Ils me prendront la place sur le perchoir déclara Fifine alors que je viens tout juste de la gagner.
- Mais non voyons, ce sont des oiseaux, ils nichent dans les arbres !
- Et d’aborrd dit Milady la sussex, avec son impossible accent britannique qu’elle ne cessait de cultiver, elle qui était née à Saint Affrique, ils ne nous ont été pas prrrésentés, n’est-il pas ? Et ils mangerrraient dans notrrrre assiette ! Oh my God !
- Moi, ça ne me fait rien que les oiseaux mangent nos grains, mais eux on ne les connaît pas et qui sait s’ils n’apportent pas de vilaines maladies?
- Comment Lolotte toi aussi tu t’y mets !
Toutes ensembles: - Ils ne sont pas comme nous et on ne comprend rien à ce qu’ils disent !
- Avez-vous seulement fait l’effort de les entendre ?
- …… !
- Vous auriez peut être aimé écouter les histoires qu’ils racontent. Ils ont vu tant de choses ! Quant à leur vêture ne seriez-vous pas un peu jalouse des couleurs chatoyantes de leur plumage ?
- Tu auras beau dire, nous ne voulons pas d’eux ici ! Qu’ils retournent chez eux ! Est ce que nous allons en Afrique nous ?
Force me fut de prendre à témoin le coq, qui jusque là n’avait pipé mot, de la mesquinerie de son harem !

- Et toi Prosper, tu ne dis rien.
- Moi ,moi, moi, je suis pour la paix des ménages ! Il est manifeste que leur présence a jeté le trouble dans mon poulailler ; il faut donc qu’ils s’en aillent, sinon…
- Sinon ?
- Je ne réponds plus de mes volailles, elles pourraient même en venir à certaines extrémités, comme…
- Comme ?
- Comme faire la grève de l’œuf !
- La grève de l’œuf ?
- La grève de l’œuf. Que veux-tu, on leur dérobe leur production, on ne respecte plus leur temps de travail ni leur droit au repos, et maintenant tu fais appel à la main d’œuvre étrangère. Je regrette, mais je pense sérieusement à délocaliser l’usine et le personnel..
- Délocaliser ?
- On dit qu’au mas de Rigal les nouveaux propriétaires sont sur le point d’installer un poulailler dernier modèle dans la vieille bergerie ; avec, migou millésimé pour notre quête de vermines…crèches garnies de douce paille et graines de toutes sortes à profusion ; il paraîtrait même qu’ils sont en train d’ensemencer leur aire, de gazon pour notre nécessaire parcours herbeux. Certains ajoutent même, que, vu leur goût pour les réunions festives nous ne manquerions pas de profiter des reliefs de leurs trop copieux festins ! Il serait même question, mais ceci entre nous ma chère, de succursale en Chine !
- En Chine ! Non mais je rêve !…
- Réfléchis bien, puis sur un ton autoritaire se retournant vers ses épouses, allez mes poulettes on rentre, et à partir de ce soir, grève illimitée de l’œuf.
- Grève illimitée de l’œuf ! Chantèrent elles toutes en chœur !
Et me laissant abasourdie, la basse cour toute entière me tourna le dos.

***

J’étais folle de rage  devant tant de mauvaise foi ; quelle mouche avait piqué mes volailles ? Quel vent de folie et de révolte avait soufflé dans cet enclos ? Se pouvait-il que je n’aie rien vu venir ? Certes je comprenais assez leur désarroi, voir disparaître leur production et nous, leurs protecteurs, être incapables de résoudre l’énigme ! Mais je ne pouvais admettre leur mauvaise foi et encore moins leur incivilité frisant même la xénophobie ! Quant à leur hypothétique départ… je n’y croyais guère !
Pour ce qui était de la grève de l’œuf, force m’était de reconnaître que je redoutais le pire.
Il me fallait sans tarder découvrir le ou les chapardeurs.

***

Aussi étonnant que cela puisse paraître ce fut grâce à l’aide des guêpiers que j’y parvins.
Très fatigués par leur voyage, les vents leur avaient été contraires, ils avaient décidé de faire halte deux ou trois jours de plus dans notre hameau.
Les oiseaux migrateurs sont, comme je crois l’avoir déjà dit, très bavards, et ceux là ne dérogeaient pas à la règle. En effet comme ils se devaient de transmettre, au cours des haltes programmées de leur voyage, les nouvelles glanées sur leur chemin, tous les soirs, avant de s’endormir, ils s’en récitaient les moindres détails.
Or, plus ils avançaient dans leur itinéraire, plus leur récit enrichi s’allongeait : ce qui fait que leur répétition commençait assez tôt en fin d’après midi, et comme en juin le soleil se couche très tard, ils avaient le temps de relater presque en entier leur histoire.
Le premier soir, je fus leur seule auditrice et me régalai des mille péripéties qui avaient jalonné leur route. Je restai cependant sur ma faim, lorsque soudain au milieu d’une phrase, et au moment même où s’allumaient les réverbères le conteur s’arrêta, terrassé par le sommeil.
Le lendemain était le jour du solstice d’été, le jour serait long, la nuit courte, d’autant qu’éclairée par la pleine lune. Je connaîtrai donc la fin de l’histoire.
Or ce soir là je m’aperçus que je n’étais plus seule.
Sur la muraille qui entourait l’enclos, perchée et silencieuse la basse cour toute entière prêtait l’oreille aux conteurs installés dans le grand frêne.
Le récit ce soir là dura très longtemps. Il me parut même que les guêpiers, conscients qu’ils avaient un nouvel auditoire, en rajoutaient.
Le long crépuscule s’acheva sans que le public songeât à regagner ses pénates.
Tout aussitôt une lune énorme et luminescente apparut.
Et les griots contaient toujours.
L’auditoire était fasciné, transporté qu’il était dans le survol de terres brûlées et désertiques, puis fertiles et découpées en patchwork , alliant toutes les nuances de vert au brun et au roux des riches terres. Venaient ensuite les étendues marécageuses où abondaient insectes ,vers d’eau, graminées et baies de toutes sortes et enfin l’immensité bleue qu’il avait fallu franchir de toute la force de leurs si courtes ailes que c’en était un véritable défi, avec en final la lutte contre un puissant mistral. La dernière épreuve avait été le franchissement au ras, de la falaise blanche. De leur installation dans le frêne à la nuit tombée, il n’avait plus de souvenir tellement grande était leur fatigue !
Quand se tut le conteur, un silence enchanté de grillons lui succéda.
Notre basse cour s’était endormie sur le muret comme me le montrait un rayon de lune.
Je restais à rêver un moment sous le grand frêne ce qui me permit d’être alertée par un bruit furtif provenant du poulailler. En tentant d’être le plus silencieuse possible je m’approchai du grillage. Ma vue plongeant dans l’enclos, j’aperçus, penchées sur les pondoirs, deux formes à la fourrure brune terminée par une queue touffue.
Je sus que je tenais là mes voleurs.
Décidée à les surprendre je me rapprochai du portillon lorsque je buttai sur le râteau. Au cri que je poussai, les voleurs levèrent la tête découvrant la tache blanche de leur poitrail, tandis que mes volailles réveillées en sursaut se mettaient à caqueter.
Des fouines, des fouines ! image La terreur des poulaillers ! Ces carnassiers dont il est dit qu’ils sont capables en un rien de temps de saigner une basse cour toute entière ! Par où avaient elles pu entrer? Et mes poules qui étaient dehors sans protection !
Je m’armai du râteau et pénétrai dans l’enclos, bien décidée à en découdre. Mes visiteuses avaient disparu de même que tous les œufs pondus ce jour. Tant pis pour la récolte ! Le pire avait été évité. En pensant qu’elles auraient pu s’en prendre à mes volailles j’en avais la chair de poule !
Je n’avais qu’une seule idée : les mettre à l’abri dans la cabane. Je les cueillais une à une sur le mur non sans qu’elles ne me manifestent leur désapprobation d’un couac indigné ; Prosper quant à lui ne se réveilla même pas ! Fichu coq de garde !
Surexcitée, je ne pus fermer l’œil de la nuit tandis qu’à mes côtésdormait à poings fermés le maître d’œuvre de l’enclos infranchissable. Le sommeil me prit enfin, sur le matin. Au réveil , les guêpiers étaient repartis.

***

Lorsque je fus ouvrir la porte du poulailler, je me rendis vite compte que l’esprit frondeur avait quitté la basse cour. Elles étaient toutes autour de moi à réclamer qui des grains, qui des caresses, qui des paroles ; le coq lui-même, comme à son accoutumée, se tenait à l’écart, après avoir tonitrué son triomphal hymne au soleil.
Ce n’était donc là, que fausse alerte, qu’un passager mouvement d’humeur ! Revendicatrices mes vénérées poules ? Allons donc ! Hargneuses ? Injustes ? Ingrates ? Vous plaisantez !
- Petites, petites, petites, venez, venez là mes cocottes, là, là, tout près. Dire que j’ai douté de vous, au point de vous laisser croquer par deux cruelles fouines. Des fouines ! Jamais je n’aurais pensé qu’elles osent ! Heureusement qu’elles n’en voulaient qu’à vos œufs ! Elles ne viendront plus je vous le promets, il m’a juré qu’il allait y veiller ; nous relèverons les œufs dans l’après midi, et nous veillerons à vous coucher plus tôt. Quant à nos visiteurs ailés ils ont repris la route. Peut être les reverrons nous un jour ? Qui sait ! Et toi, Prosper, au lieu de te contenter de faire bouffer tes plumes et d’exécuter, ailes écartées, ta danse de séduction autour de tes volailles, tu ferais bien de surveiller et prévenir à l’avenir lorsqu’il y a du danger.
- Cot ? Cot ? RRRou Coat ! Me fut- il répondu.

***

Ce fut donc, certaine de la collecte attendue, que j’allai, comme promis, lever les œufs cet après midi là. Et effectivement, je trouvai, blottis au milieu de la paille, l’œuf roux tacheté de brun, de Lolotte, le roux foncé de Zézette, les deux blancs de Milady et Daisy, mes anglaises de Saint Affrique, l’œuf beige clair de Fifine et le beige foncé de Perle sans oublier l’œuf en plastique que nous avions racheté.
J’entends d’ici vos commentaires :
- Celle- là alors, que n’est-elle capable d’inventer ? Des poules qui parlent ? Qui revendiquent ? Qui font la grève de l’œuf ? Une entreprise domestique qui délocalise ? Non mais quelle imagination ! Et elle voudrait qu’on y croit ?
Peut être !
Mais il n’empêche que grâce à notre extrême vigilance les œufs n’ont plus jamais disparu sans autre raison que le froid, la mue, ou le manque de nourriture.
Il est vrai que pour arriver à ce résultat nous avons dû faire quelques concessions :
C’est donc l’une après l’autre que nous les couchons chaque soir après leur avoir conté à l’oreille quelque petite histoire, leur avoir mis la tête sous l’aile et les avoir bercées dans nos bras.
Prosper, lui n’a pas besoin de nos berceuses, épuisé par des réveils bien trop matinaux à son goût, et fatigué d’honorer scrupuleusement toutes ses concubines, c’est bien avant la disparition de l’astre solaire qu’il s’endort sur le plus haut perchoir du poulailler.
Ce qui fait l’affaire de notre constructeur-cinéaste-inventeur, qui s’était engagé, lui, à ne coucher seulement que le coq.
Et savez-vous quels sont les contes qui marchent le mieux ? Je vous le donne en mille !
Les aventures des Guêpiers d’Afrique pardi !

Michèle Puel Benoit

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