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Le Lérot de Lili

image Nous autres, gens des villes, sommes la plupart du temps, sans toutefois vouloir le reconnaître, tellement ignorants de tout ce qui vit dans nos campagnes, que nous prêtons parfois à sourire. En effet, la vue idyllique que nous avons de notre belle nature , peuple les prés, les chemins et même les maisons de toute une faune charmante que seul le paysan, sans doute par superstition ou à priori, qualifie de nuisible.
Autant redoutons-nous et faisons-nous la chasse à la moindre souris citadine que nous traitons de rat égout, autant le mulot campagnard a de grâce à nos yeux, du moins tant qu'il ne s'attaque pas à nos réserves.
Il n'y a guère que les araignées, les mouches, les guêpes et les fourmis, surtout lorsque elles sont ailées, qui nous répugnent et que nous voudrions bien voir disparaître d'une campagne par ailleurs enchanteresse!
Lili, en tant que néo-rurale, entendez par là : citadine nouvellement installée à la campagne, n'échappait en rien à la règle! Si elle exécrait les petites bêtes ailées, si elle était prise de peur panique à la vue d'un inoffensif faucheux dégingandé, elle considérait avec ravissement le moindre animal porteur de fourrure.
Aussi, ce soir d'été au cours duquel elle fit la connaissance de Léonard le lérot, son émerveillement fut-il à son comble. Jamais il ne lui avait été donné d'admirer un si bel animal!
Imaginez un petit quadrupède à la douce robe grise, muni, tel un écureuil, d'une queue en panache, doté en outre, d'une face triangulaire dans laquelle brillent des yeux vifs cerclés de noir; et avec cela pas sauvage pour deux sous, curieux et audacieux jusqu'à venir sur l'étagère voler dans le pot, les caramels!

***

C'était le bruit de papier froissé qui tout d'abord l'avait alertée. A peine avait-elle eu le temps de relever les yeux du livre qu'elle lisait,qu'un éclair gris filait sur l'étagère et disparaissait derrière la poutre au plafond.
Qu'est-ce que cela pouvait bien être?
Une souris?
Trop gros!
Un rat? Berk!
Un écureuil?
Trop gris!
Il fallait bien pourtant qu'elle sache.
Alors elle usa de ruse.
Elle reprit son livre tout en guettant du coin de l'œil une nouvelle apparition.
Au bout de quelques minutes sa patience fut récompensée : elle vit s'approcher un curieux petit animal. N'était-ce sa queue touffue, son pelage gris et ses yeux cerclés de noir, elle aurait pu le confondre avec un rat mais quelque chose lui disait qu'il n'en était pas un et même que cette rencontre allait bouleverser sa vie.
Léonard, quand à lui, - elle sut tout de suite qu'elle l’appellerait ainsi de même qu’elle était certaine de ne jamais le confondre avec un autre, se coula d’une poutre du plafond sur l'étagère, s'approcha du pot, et de ses mains habiles saisit un caramel duquel, assis sur son arrière train, il entreprit d'ôter le papier protecteur.
Il y eut à nouveau un bruit de Cellophane froissée, puis le bonbon fut porté à une bouche dans laquelle des incisives aiguisées entreprirent de le ronger.
Lili ne pipait mot, mais ne perdait aucune miette du spectacle.
Quand la friandise fut achevée, Léonard de ses deux pattes avant parallèles se frotta les côtés du museau, prenant bien soin de ne pas contrarier l'ordonnancement de ses moustaches.
Alors seulement, notre lérot daigna regarder autour de lui; c'est ainsi qu'il aperçut Lili.
Quel était cet être bizarre qui venait hanter son logis?
Voyons, voyons, l'intrus n'était pas là cet automne lorsqu'il s'était endormi! Ni celui d'avant d'ailleurs! Cela faisait fort longtemps que lui et sa famille avaient investi la place; s'il y avait eu d'autres locataires, ils s'en seraient aperçu!
Certes, ils toléraient le nid d'hirondelles accroché à la poutre prés du fenestron, parce que ces voyageuses étaient là bien avant eux, et que la nuit car ils sortaient de leurs cachettes, à la recherche de nourriture, cela faisait longtemps qu'elles dormaient.
Bien sûr, ils avaient dû admettre, sans gaieté de cœur, la présence au grenier du grand duc. Mais, malgré le fait qu'ils le craignaient comme la peste, parce qu'il avait la détestable habitude de croquer ceux des leurs qui lui semblaient à son goût, ils s'en étaient accommodés, car, il faisait fuir un ennemi autrement plus redoutable: j'ai nommé le chat. De plus, ils prenaient garde à ne mettre le nez dehors seulement après que le rapace nocturne se fût envolé par la lucarne du grenier.
Bref, ils croyaient bien depuis toujours être, sans conteste, les maîtres des lieux.
Et voilà que quelque autre intrus habitait la maison!
Quel toupet!

Léonard n'était pas décidé à se laisser faire!
Aussi, les yeux ronds et luisants dans leurs cercles noirs, la queue ébouriffée et dressée il avança d'un air décidé vers Lili. Puis, arrivé sur la poutre juste au dessus d'elle il se laissa choir sur son livre en poussant son cri chuinté sifflé de combat :
" Tcheuk, tseuk! Tcheuk, tseuk! "
On a beau aimer, de loin, les petites bêtes à fourrure, de prés, c'est une autre histoire!
Lili se leva comme un ressort en poussant un hurlement de terreur.
Léonard, dont la paisible vie nocturne campagnarde ne l'avait habitué à un tel vacarme, atteignit d'un bond le mur le plus proche qu'il escalada à toute vitesse pour gagner la poutre, le trou du plafond, et enfin la sécurité du grenier.
Ouf! Il avait eu chaud!
Son cœur battait la chamade!
De ses pattes avant toutes tremblantes il se frotta les oreilles: ce cri affreux lui avait vrillé les tympans, il en était sûr!
Décidément il n'avait pas de chance, voilà que la maison abritait à nouveau un hôte indésirable.

***

Ce qu'il y a avec les lérots, comme souvent avec les humains d'ailleurs, c'est qu'ils oublient très vite et ne savent pas tenir compte des leçons passées. Involontairement, et même volontairement d'ailleurs, ils ne conservent dans leur petite cervelle ventilée que les souvenirs qui les arrangent, et Léonard, de même qu'il s'était accommodé de la tyrannie du grand duc, s'en revint dès le lendemain au soir rendre visite à Lili, pour ne pas dire au pot de caramels.
Les visites durèrent tant qu’il y eut des caramels .Léonard tournant ostensiblement le dos à celle qu’il considérait comme une dangereuse intruse, Lili déplaçant les friandises de plus en plus près de son fauteuil.
De fait notre jeune néo-rurale, s'était vite remise de sa frayeur, d'autant que sa réaction épidermique avait fait se gausser son valeureux Julien de mari :
- Ha! Ha! On se veut campagnarde chevronnée et l'on crie à la moindre bestiole en vue!
Vexée, elle s'était donc mise en tête, pour mettre un terme aux moqueries conjugales, d'apprivoiser le petit animal et s'était donné deux mois pour qu'il vienne manger dans sa main.
De son côté Léonard, mal remis des maux de tête que le hurlement de Lili avait provoqués, s'était juré qu'avant deux mois il aurait fait déguerpir une locataire si peu respectueuse des convenances.
Voici donc ce qu’il manigança.

***

La vie des Lérots, comme nous l'avons vu plus haut, étant essentiellement nocturne, Lili en vint à prolonger ses veillées lecture jusqu'à une heure tardive. En vain! Car Léonard ne revint pas d'une semaine, quelques tentants que fussent les derniers caramels sur l'étagère.
La famille Lérot n'en avait pas fui pour autant puisqu'on entendait la nuit des courses poursuites et des cris chuintés au grenier.
Comme les sureaux avaient mûri, et que l' encyclopédie consultée lui avait révélé que les Lérots en étaient friands, elle se dit, un peu dépitée tout de même, que Léonard avait trouvé mieux ailleurs.
Léonard en effet adorait les fruits, mais pas forcément ceux que dame nature lui offrait.
Dans l'ancienne bergerie qui faisait face à la maison et dans laquelle les voûtes de pierres maintenaient une fraîcheur constante, Lili avait aménagé une réserve importante de fruits, légumes et lait, car les commerçants ambulants ne passaient qu'une fois la semaine.
C'est là même que se rendait toutes les nuits notre Léonard, y faisant festin et ravages: car, loin de se contenter de ne goûter qu'à quelques fruits, il les entamait tous ,et, après avoir fait un trou de ses incisives acérées, dans les capsules des bouteilles de lait buvait dans chaque.
Lili mit quelques jours avant de constater le désastre.
- Julien! Julien! Viens voir! Quel gâchis! Quel pillage! Les fruits, le lait! Tout est bon à jeter! Qui a pu faire une chose pareille?
- Tes amis les lérots, pardi!
- Ce n'est pas possible, je les entendais courir au grenier!
- Tous?
- Ben…
- Même ton ami Léonard?
- Léonard ne m'aurait jamais fait cela, j'étais sur le point de l'apprivoiser!
- Tu crois cela! Eh bien, je vais te prouver le contraire.
Et sur ces mystérieuses paroles, Julien s'en fut dans son atelier, abandonnant une Lili toute perplexe.
Julien passa l'après midi enfermé dans son domaine réclamant qu'on ne le dérange point.
Le repas du soir le vit arriver porteur d'une curieuse boîte peinte en vert.
- Qu'est-ce que c'est que ça? Interrogea Lili.
- Ca? C'est la fin de tes interrogations: un piège à lérot autrement dit un piège à Léonard.
- Mais tu ne veux pas tuer cette petite bête tout de même?
- Bien sûr que non, ce piège est destiné à l'attraper seulement, et te prouver ainsi que Léonard est bien le coupable.
Alors Julien se mit à expliquer le fonctionnement de la mystérieuse boîte.
De fait il s'agissait d'une banale boîte à biscuits que l'astucieux bricoleur avait peinte en vert et sur laquelle il avait dessiné des fruits appétissants . Elle reposait, ouverture vers le bas, sur un socle sur lequel trônait la pêche la plus odorante et juteuse du cageot.
L'ingénieux système prévoyait de faire reposer sur un support de bûchettes un des côtés de la boîte afin de ménager un espace par lequel l'animal pourrait passer, bûchettes appelées à choir en refermant le piège lorsque le petit gourmand toucherait au fruit.

***

Le piège fut mis en place dans la réserve, et Léonard aveuglé par sa gourmandise s'y laissa prendre.
On ne le découvrit que le lendemain matin.
- Oh! Comme il est mignon! Attends je vais l'attraper! S'écria Lili.
- Tu ne crains pas de te faire mordre? S'enquit Julien.
- Mais non voyons, nous sommes devenus de bons copains; n'est-ce pas Léonard ? Répliqua-t-elle en tentant de passer la main sous la boîte entrebâillée.
S'il existait une seule chose au monde que Léonard détestait par dessus tout c'était bien la privation de liberté. Aussi la nuit entière passée à l'intérieur de la boîte l'avait mis de fort méchante humeur.
Donc, lorsque Lili passa la main pour se saisir de lui, Léonard tout à sa rage la mordit cruellement.
- Aie ! Il m’a mordu ! Léonard m’a mordu !
- Ne te l’avais-je pas dit ?. - Oh la vilaine bête !
- Mais non, elle a peur et n’a pas du apprécier son emprisonnement voilà tout. Alors qu’est-ce que j’en fais ? Je la relâche ? Ou tu la gardes et la mets en cage pour tenter de l’apprivoiser ?
- Non, non, tu la relâches, hors de ma vue, et le plus loin possible.Elle a suffisamment fait de bêtises comme cela !
Julien donc, alla déposer l’animal, là bas tout au fond du grand pré dans le bosquet de sureaux, songeant, avec raison, qu’il aurait là de quoi apaiser sa faim et sa gourmandise.
En effet, Léonard ne revint pas à la réserve et nos néo-ruraux se félicitèrent de leur manœuvre :
- Tu vois, il suffisait qu’il ait de quoi se nourrir, après tout, il lui fallait des fruits sauvages.
Mais….. quand on a goûté au fruit défendu ...

***

Dans un terrain clos de murs de pierres sèches, bien exposé, et jouxtant le grand pré, Lili, avait installé un potager dans lequel elle venait chaque jour arracher les mauvaises herbes, biner la terre, arroser quand cela s’avérait nécessaire,et surtout surveiller la maturité des tomates.
Or, elle n’était pas seule à surveiller la maturité des tomates.
Léonard, que la gourmandise poussait à goûter tous les fruits nouveaux, avait été attiré par la rutilance de ces pommes d’or rouge : il y avait mordu, avait apprécié en connaisseur, puis, comme à l’accoutumée, les avaient percées toutes aspirant leur jus. Au matin elles pendaient molles et flasques, telles baudruches dégonflées.
Le cri de rage de Lili tira Julien de ce sommeil matinal qu'il prolongeait avec délices une fois sa femme levée. - Julien! Julien! Viens voir! Mes tomates! Toutes mes belles tomates!.
Le spectacle était désolant au point que Lili se laissant aller à terre se mit à pleurer de n'avoir su palier à l'épidémie brutale qui avait emporté sa récolte.
Julien non plus n'y comprenait rien. La nuit n'avait pas été fraîche, ni le soleil trop brûlant, et les plants étaient scrupuleusement arrosés aux pieds. Cependant une inspection minutieuse lui révéla les deux trous laissés par les incisives de Léonard et que le petit malin avait pris soin de creuser à l'opposé du côté visible des fruits.
- Oh! Le petit vaurien ! s'écria Julien mi- indigné mi- amusé.
- Quoi? Tu ne vas pas me dire que c'est encore une fois Léonard le coupable?
- Je crains bien que si, ma pauvre Lili.
- Léonard ? Mon Léonard? Il avait tout le bosquet de sureaux à sa disposition!
- Peut être, mais cela n'égalait pas tes tomates. En fait, je crois bien que tu l'as un peu apprivoisé puisqu'il préfère à ceux de la nature les fruits de tes réserves ou de ton potager.
- Tu crois?
- Sans aucun doute. D'ailleurs, l'avenir nous le prouvera.

***

Ce que voulait dire Julien était que, une fois qu'une bête sauvage avait goûté à la nourriture préparée par les hommes, elle perdait une partie de son identité, car la gourmandise, tout le monde le sait, peut rendre dépendant et même aliéner jusqu'à la liberté.
Ainsi Léonard, à son insu, et parce qu'il était esclave de sa gourmandise, ne pouvant se passer des aliments préparés par Lili, en arriva bientôt à rechercher la présence de Lili elle-même.
Bien sûr il mit cela sur le compte de la curiosité et de la surveillance: il ne pouvait laisser cette intruse n'en faire qu'à sa guise et s'approprier un domaine qui lui était réservé.
Mais il en vint jusqu'à se priver de ses délicieuses siestes diurnes pour être témoin des moindres faits et gestes de Lili.
Lili , quant à elle, ne se douta pas un seul instant de la filature à laquelle elle était soumise.
Vint le mois de septembre, durant lequel, comme chacun sait, on confectionne les confitures. Lili, en bonne ménagère, n'y ménagea pas sa peine. Elle fit d'abord toute sortes de cueillettes : baies de sureaux; prunes violettes à chair verte, mûres noires et juteuses, noisettes rousses et ventrues.
Des baies de sureaux ainsi que des mûres elle entreprit de faire une gelée violette et tremblotante qui laissa ses mains teintes d’indigo comme celles des femmes berbères.
Cette gelée débarrassée dans des pots soigneusement étiquetés, elle s’attaqua à la confiture de prunes.

Cette année là la récolte avait été abondante. Trier les fruits et les mettre au sucre lui prit une grande partie de la journée. C’est dans la grande bassine de cuivre qu’elle entreprit la cuisson de la confiture : écumer , tourner à l’aide de la grande cuillère en bois demanda bien une heure avant que la confiture ne prît. Il était tard , elle était épuisée ; elle décida donc de ne mette en pots que le lendemain. Elle recouvrit la bassine d’un linge propre, et alla se coucher.

***

Vous vous doutez sans doute que léonard avait surveillé de prés la fabrication des confitures. De fait, perché sur la poutre de la cuisine qui surplombait la gazinière il n’avait rien perdu du déroulement des opérations. Il s’était toute la journée gavé des effluves sucrés et légèrement alcoolisés qui s’échappaient de la bassine au point qu’il en était un peu ivre. Aussi à peine lili était-elle sortie de la cuisine qu’il était déjà sur la paillasse.
Redoutant la chaleur, il entreprit de goûter aux gelées mises en pots. Mais les parois lisses des bocaux ne lui permettaient pas de se délecter de la totalité de ce que les quelques gouttes s’échappant du couvercle lui laissaient pressentir. Dépité il ne lui resta plus qu’à lécher et puis ronger la cuillère en bois gluante de confiture.
Cela lui prit un certain temps, juste le temps que la bassine refroidisse.
Alors, se dressant sur ses pattes arrière, il se mit à humer la bonne odeur qui émanait de son contenu. Glissant sa tête sous le linge, il tenta d’y goûter, seulement voilà le niveau était trop bas pour qu’il puisse l’atteindre de son seul museau. Ramassant ses pattes arrière avec celles de devant il se tint un instant en équilibre sur le rebord.
L’équilibre était précaire, les bords étaient glissants, si bien que, patatras, notre gourmand ami se retrouva immergé dans un océan de confiture.
Que croyez vous qu’il fît ? Qu’il criât? qu’il se débattît ? Point du tout ! Notre Léonard se mit à se gorger du délicieux liquide tiède.
Or, ce qu’il ignorait, c’est qu’en refroidissant la confiture se fige, si bien lorsque repu il voulut ressortir de la bassine il se trouva englué dedans : tout mouvement lui étant interdit sous risque de noyade.
Bien entendu, il effectua des dizaines de tentatives, toutes, bien sûr, vouées à l’échec, et qui le laissèrent, au matin, pantelant et désespéré flottant le ventre à l’air en surface.
Lili quand elle le découvrit le crut mort, mais au cri qu’ elle poussa: « Oh mon Dieu ! » Léonard souleva ses paupières la fixant d’un air pitoyable.

***

- Pauvre pauvre Léonard victime de sa gourmandise s’exclama une Lili compatissante.
Au sursaut que fit l’animal elle sut qu’elle parlait trop fort ; alors, en murmurant de douces paroles d’apaisement, délicatement, à l’aide de l’écumoire, elle le sortit de la bassine et le déposa sur la paillasse.
A l’instant où il se sentit sur une surface ferme le lérot tenta de fuir ; mais ,il avait compté sans ses forces affaiblies et sans son enveloppe glissante.
Il demeurait là prostré et terrorisé les poils luisants et collés .
Lili prenant alors du papier absorbant entreprit de le nettoyer .Doucement sans cesser son murmure chantonné elle essuya la fourrure poisseuse, puis à l’aide d’un linge humide elle tenta d’en laver "tseuk tseuk"plaintif.
Il lui permit même de le prendre dans ses mains pour parfaire le nettoyage du ventre et des pattes.
- C’est tout ce que je peux faire pour aujourd’hui dit lili à voix chuchotée en le reposant.
Loin de fuir, l’animal flaira la main qui l’avait soigné avant de se décider à quitter la pièce du pas tranquille de celui qui ne redoute plus personne.
Il fallut plusieurs jours d’essuyage avant que le pelage de Léonard ne reprenne l’aspect de la douce fourrure grise que Lili aimait tant ; la queue ne retrouva son panache que beaucoup plus tard : et vous me croirez si vous le voulez, mais ce fut Léonard lui même qui vint réclamer la toilette quotidienne qu’il subissait sans se rebiffer, d’autant que Lili ne voulant pas l’effrayer se limitait à de très courtes séances au cours desquelles elle chantonnait à voix basse les mêmes paroles d’apaisement.
Vingt jours plus tard ils étaient devenus les meilleurs amis du monde, et ne se quittaient plus : Léonard passant ses journées perché sur les épaules de Lili qui ne cessait de le gaver de friandises au point qu’il prit de l’embonpoint.

***

L’automne s’écoula, les premières gelées blanchirent la campagne, le soleil se fit plus paresseux.
Un beau matin Léonard ne vint pas au rendez-vous.
Lili commença à s’inquiéter, puis elle comprit que, de même que ses coreligionnaires, il avait du se trouver une cache pour hiverner.
Elle eut beau chercher partout elle ne put découvrir l’endroit .
La maison fut close un certain temps :l’hiver y étant par trop rigoureux.
Le soleil d’avril vit se rouvrir les volets, et Lili en bonne ménagère entreprit de refaire les lits avec des draps pris dans l’armoire .
Et là, au beau milieu du linge qui fleurait la lavande, elle eut la surprise de découvrir son Léonard, qui de fait était une Léonarde, en train d’allaiter toute une nichée de petits lérots encore sans pelage, et ce, dans un nid tout douillet, dont elle s’aperçut plus tard qu’il avait été confectionné de tous les bouts de couvertures de serviettes et de draps qu’il, ou plutôt elle, avait grignotés….
Sacrée Léonarde va ! ! !

Michèle Puel Benoit

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