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Barberine la Fouine
Barberine n’avait jamais eu à se plaindre de la faim. D’ailleurs son pelage brun et lustré qui, n’était l’odeur musquée, l’aurait fait confondre avec sa cousine la martre, le prouvait à qui pouvait la voir. Sa queue fournie et bouffante de même que la tache parfaitement blanche de son poitrail rendaient compte de sa belle santé et faisaient qu’elle jouissait parmi ses semblables d’une grande considération. Jamais aucun des mustélidés qui fréquentaient nos campagnes n’avait été aussi encensé pour sa beauté. On venait l’admirer de partout à la ronde et, Barberine, en parfaite diva, acceptait naturellement tous les hommages.
Comment en aurait-il pu être autrement ? Puisqu’elle habitait, dans le hall d’un département du zoo dédié à la faune sauvage de nos campagnes, une cage exposée aux yeux de nombreux visiteurs.
Car, de faune sauvage, Barberine n’en possédait plus que le nom ; née en captivité, elle n’avait jamais connu ces bois de chênes pubescents, ces taillis de buis, ni encore moins l’air léger et délicieusement venté qui font la réalité de nos causses.
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On racontait que sa grand-mère, sur le point de mettre bas, avait été prise dans un piège et que Clovis avait trouvé la bête agonisante en train de mettre au monde sa portée.
S’il pourchassait et piégeait ce qu’il appelait la vermine à cause des ravages qu’elle occasionnait dans les portées ou couvées de gibier, il ne put se résoudre à supprimer ces jeunes vies qui venaient tout juste d’éclore.
Ces nouveaux nés, presque dépourvus de poils, lui paraissaient si innocents, si fragiles, et puis, qui sait s’il ne pourrait les éduquer, à l’instar des furets, pour ses chasses personnelles.
Justement, Edouard son furet, après quelques années de bons et loyaux services passés à traquer le lapin dans son terrier, venait de rendre l’âme.
Pourquoi ne pas le remplacer par une jeune fouine ?
Il faut vous dire que Clovis n’en était pas à sa première tentative de dressage d’animaux sauvages. N’avait-il pas quelques années auparavant, tel un fauconnier, élevé et dressé un busard tombé du nid ?On ne comptait plus les pies et les corbeaux qu’il faisait parler, les merles qu’il faisait siffler, ni les pigeons voyageurs qu’il faisait roucouler.La gent volatile n’avait aucun secret pour lui et il savait converser dans tous les langages des oiseaux.
Mais, élever une fouine, ce petit carnassier à l’appétit féroce et aux dents aussi aiguisées que des lames de rasoir, il ne s’y était jamais risqué, et tout le monde disait autour de lui que c’était entreprise d’entrée vouée à l’échec.
Oui mais Clovis, lui, aimait les défis.
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La première difficulté qu’il rencontra fut celle de la nutrition.
Pour vivre, ces bébés fouines avaient besoin d’être allaités ; or, de mère, ils n’en avaient plus.
Seulement voilà, à la maison, il y avait Minouchette , la chatte grise dont on venait une fois de plus de supprimer les petits. Allait-elle, comme elle l’avait fait l’an passé pour la nichée de lapereaux orphelins, accepter de jouer le rôle de nourrice ?
Il s’agissait, certes, cette fois, de sauvagine à l’odeur si repoussante pour un animal domestique.
Eh bien ! Ne me croyez pas si vous le voulez, mais Clovis eut avec la chatte un long entretien chuchoté, de bouche à oreille, accompagné de force caresses, et de miaulements : outragés au début puis de moins en moins réfractaires et qu’un ronronnement doublé d’un clignement d’yeux approbateur finirent par conclure.
Minouchette paraissait accepter ce nouveau rôle de nourrice.
Certains sceptiques prétendront que la cause de cette acceptation n’était autre qu’une montée de lait douloureuse ; il n’en demeure pas moins que Clovis put approcher des mamelles gonflées de la chatte les bébés fouines criant famine.
Minouchette eut bien un réflexe de recul accompagné du souffle craché « fshhr ! » mais, à nouveau, la voix murmurée de Clovis arriva à la calmer. Et les petits purent téter !
Toutefois, si elle accepta de les nourrir à heure régulière et ce, avec le concours des paroles apaisantes de son maître, jamais elle ne s’occupa de leur toilette ni encore moins de leurs déjections, tâche qui incomba à Clovis, les trente jours durant lesquels elle consentit à allaiter.Passé ce temps, plus rien ne put la décider à continuer.
Ce sevrage brutal fut cause de la mort d’une des trois fouines, les deux restantes s’adaptèrent très facilement au nouveau régime alimentaire concocté par leur presque père. S’il tenta un certain temps de les nourrir au biberon de poupée, de lait de brebis enrichi d’un jaune d’œuf, il passa très vite au régime carnassier : petits rongeurs broyés, fruits et même brouet de céréales arrosé de jus de viande. Le résultat fut qu’à deux mois et demi, les jeunes fouines étaient capables de poursuivre et d’attraper une souris vivante.
Survécurent donc, un mâle et une femelle qui reçurent respectivement les prénoms d’Oscar et de Clémentine.
Ils furent, tout d’abord, libres d’aller et venir à leur gré, mais bientôt devant leur capacité à escalader murs et rideaux, leur volonté affirmée de marquer de leurs déjections leur territoire, ainsi que l’odeur de plus en plus musquée de leur fourrure, ils se virent interdits de séjour à l’intérieur de la maison, et bientôt même, vu l’émoi qu’ils provoquaient parmi la basse cour, connurent la dure réalité de la captivité.
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Dans un coin de la bergerie, Clovis avait fabriqué un enclos, dans lequel il mit ses protégées.
Il s’était servi pour ce faire de grillage pour parquer les moutons, avait jonché le sol de paille, et déposé sur les mangeoires une caisse de bois renversée, servant d’abri, dans laquelle le trou pratiqué faisait office d’entrée. Les pensionnaires aimèrent tout de suite leur nouvel habitat, au fond duquel elles creusèrent un nid douillet dans la paille.
C’est l’enclos qu’elles n’appréciaient pas du tout et qu’elles n’eurent de cesse de franchir malgré toutes les précautions prises ; et comme elles se complaisaient dans la compagnie des hommes, on les retrouvait toujours dans la salle commune qu’elles saccageaient de leurs ébats. Alors ce n’était pas une mince affaire que de tenter de leur faire regagner leur logis, seul le jet d’un filet dans lequel elles s’empêtraient y parvenait et il fallait alors les envelopper dans la canadienne en peau de mouton pour les transporter sans risquer les morsures !
Clovis dut bientôt doubler le grillage par un autre à mailles plus fines pour les empêcher de se faufiler au travers ; il lui fallut ensuite cimenter ce dernier au sol, car elles étaient parvenues à le soulever ; puis quand elles furent devenues les reines de l’escalade, il se vit obligé de chapeauter l’enclos lui-même. Elles tentèrent alors de cisailler, en vain, de leurs dents aiguisées les mailles de la clôture. Car nos deux petiotes privées de liberté et de compagnie s’ennuyaient. Après avoir somnolé toute une journée au fond de la boîte, l’enclos leur paraissait bien trop exigu pour une vie nocturne débridée.
Bien sûr, il y avait des intermèdes plaisants, lorsque Clovis venait les nourrir ou tentait une amorce de dressage.
Pour ce faire il gantait toujours sa main du même gantelet rembourré qu’il avait utilisé pour dresser le busard ; la voracité des fouines s’attaquait à la main aussi bien qu’à la proie ; puis en dresseur patient il attendait qu’elles soient repues, et alors seulement il tentait une caresse de la main dégantée.
Il fallut bien dix jours pour que Clémentine accepte une caresse, quinze de plus pour qu’elle consente à se laisser attraper. Oscar lui tolérait tout juste que le dresseur lui serve à manger encore qu’il ne touchât à la nourriture qu’une fois Clovis en allé. Il devint d’ailleurs de plus en plus sauvage avec le temps si bien que Clovis se résolut, lorsqu’il l’estima assez aguerri, à lui rendre la liberté.
Il en alla tout autrement de Clémentine qui de jour en jour s’attachait à son maître.
Comme elle paraissait se languir dans la cage, Clovis lui fabriqua un harnais et une laisse de cuir avec lesquels il la promenait quoiqu’elle préférât, la plus part du temps, s’installer sur son épaule d’où elle jouissait d’une bien meilleure vue.
Ce n’est qu’à la nuit qu’elle regagnait son domaine.
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Arriva le jour où il décida d’entreprendre son dressage de « chasseresse de lapins de garenne ».
A l’époque dont je vous parle, ces seigneurs des clapiers pullulaient dans nos campagnes au point que le visiteur imprévu était toujours le bienvenu à table, pour peu qu’il aimât le lapin de garenne fraîchement tué. Il suffisait au maître de maison de siffler son chien, de prendre son furet, et de se rendre à la garenne la plus proche pour rapporter le ou les lapins souhaités pour le repas. Ne restait plus à la maîtresse des lieux qu’à les déshabiller, les inciser d’ail et de thym ou serpollet suivant la saison, les badigeonner et les faire griller aux braises ravivées d’une cheminée jamais éteinte. Un régal !
Pour remplacer Edouard, son furet, Clovis décida donc d’éduquer à cette chasse Clémentine.
Chasser le lapin à l’aide du furet requiert un certain savoir ; tout d’abord ne pas ignorer que toute garenne possède deux entrées ou sorties si vous préférez, ensuite que le lapin dès qu’il sentira le furet va tenter de s’échapper par l’issue de secours : c’est donc là que l’on va placer le filet qui le retiendra prisonnier dans ses mailles.
Quelque fois le furet a le temps d’attrapper le lapin et se suspend à sa gorge pour le saigner, alors, on saisit le prédateur par le cou et on souffle dans son oreille pour lui faire lâcher sa proie.
Clémentine comprit tout de suite l’esprit de cette chasse ; dès le trou repéré elle se faufila à toute vitesse à l’intérieur, mais Clovis eut beau attendre devant l’autre sortie, ni la fouine ni encore moins le lapin ne tombèrent dans le filet.Clovis patienta, un quart d’heure, vingt minutes, une demi heure, rien ne se produisit. Nul bruit ne parvenait à l’extérieur, à croire que le terrier était vide. L’homme appela l’animal : « Clémentine,té,té.. »
Clémentine ne parut point. Même la présentation devant le trou de sa friandise favorite ne put la faire sortir. En désespoir de cause Clovis s’en fut chercher le pic, et, de rage, démolit la garenne.
Alors, l’on vit, blottie dans un nid de foin et de poils, une Clémentine endormie, la queue couvrant le museau, repue d’un lapin dont ne restaient plus que les oreilles, les pattes et le toupet de la queue.
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Toutes les tentatives de Clovis pour faire chasser l’animal se soldèrent par un échec. Jamais il n’arriva à faire ressortir la fouine sans qu’elle se soit rassasiée de sa proie ni ait consommé sa sieste digestive. Il tenta bien de la tenir attachée au bout d’une longe, mais ses dents acérées venaient à bout de la plus solide des cordes.
Un jour, las d’attendre, comme de démolir les garennes d’ailleurs, il revint sans elle à la maison.
« Ma foi tant pis, peut être que tu veux retourner à la vie sauvage après tout ! »
Ce qu’elle fut tentée de faire certainement, puisqu’elle fut absente une longue semaine. Au matin du huitième jour Clovis la retrouva endormie près de son enclos dans la paille de la mangeoire.
Elle reprit alors ses habitudes, juchée sur l’épaule de son maître et parcourant avec lui le domaine.
Elle s’absenta également une autre semaine au mois d’août.
Cette fois là, elle avait été agitée dans son enclos et dès que son maître avait ouvert la porte, elle s’était échappée et avait couru à toute vitesse vers les bois. Au bout de huit jours elle était de retour.
Ce fut sa deuxième et dernière tentative de retour à la vie sauvage.
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L’automne et l’hiver passèrent en presque hibernation, il est vrai que froid fut rigoureux.
Elle ne paraissait s’éveiller de sa léthargie que pour les repas qu’elle dévorait gloutonnement, Clovis se vit même obligé d’augmenter les rations. Elle y gagna du reste un certain embonpoint.
Mi mars il fallut se rendre à l’évidence : Clémentine allait être mère !
Comment cela se pouvait-il ? Cela faisait plus de cinq mois que Clémentine ne quittait plus son enclos, si ce n’est juchée sur l’épaule de Clovis pour sa promenade quotidienne. Comment un prétendant avait-il été assez audacieux pour pénétrer dans l’enclos et assez astucieux pour en ressortir sans laisser trace de son passage ? Clovis était fort perplexe ! La mésaventure survenue à Clémentine, malgré sa surveillance, préoccupait à tel point ses pensées qu’il s’en ouvrait à tout le monde. C’est ainsi que, l’ayant rencontré alors qu’il cueillait de la « saladette », il en parla avec l’instituteur.
- Il faut que je vérifie, dans mon Larousse des animaux, mais je crois bien avoir la réponse à vos interrogations, lui dit ce dernier.
De fait ce qu’il voulut vérifier était l’étrangeté de la vie amoureuse des fouines.Ces dernières, en effet, ont leurs amours en été au mois d’août, mois au cours duquel les mâles se livrent combat, les femelles attendant le vainqueur. La fécondation a bien lieu, mais la gestation est mise en attente, et la fouine portant un mois et demi, elle ne commencera qu’en février pour une naissance attendue mi avril.
Fort de ces connaissances, Clovis guetta à partir du quinze avril les signes annonciateurs de la délivrance.
Voir des animaux mettre bas n’était que le quotidien de sa vie, car entre les brebis, la jument, les chiennes et les chattes, Clovis ne manquait pas d’expérience.Aussi vit-il tout de suite que quelque chose n’allait pas. Le travail ne se faisait pas bien, et durait trop longtemps ; la jeune mère s’épuisait en vains efforts ; il dut même l’aider de ses doigts calleux tandis que de l’autre main il appuyait sur le ventre raidi ; enfin l’expulsion eut lieu : deux petites fouines mortes d’avoir trop attendu et une minuscule troisième dont il paraissait presque certain qu’elle ne pourrait survivre.
L’instinct de vie fut pourtant le plus fort, car l’animal, à peine né, rampa vers la mamelle à laquelle il se suspendit et qu’il ne consentit à lâcher que pour mieux en agripper une autre.
Clémentine eut bien besoin des soins attentifs de son maître pour se remettre, mais Célestine - eh ! Oui ! Une autre femelle-, quand à elle, grâce à son solide appétit, fut bien vite tirée d’affaire.Toutefois elle n’égala jamais en taille sa mère et demeura une miniature de fouine.
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Clovis avec l’entêtement qu’on lui reconnaissait, tenta sur elle aussi le dressage auquel il avait soumis sa mère. S’il arriva à en faire un animal de compagnie plus docile encore, jamais il ne put la faire seulement pénétrer dans un terrier, à croire qu’elle avait peur du noir !
Elle préférait et de loin s’étendre au soleil pour lustrer sa fourrure, n’avait aucune envie de courir les bois, et, quoique libre d’aller et venir à sa guise dans la ferme, ne s’intéressait nullement au volailles, et même avait une sainte frousse du coq. Parfaitement domestiquée, elle était toujours fourrée dans les jambes de son maître, buvait dans son verre, mangeait dans son assiette et dormait dans son lit. Certes, l’état de célibataire de Clovis favorisait grandement la chose.
Pourtant, pourtant, il dut se rendre à l’évidence un beau jour, Célestine, sa Célestine qu’il considérait presque comme son enfant, Célestine donc, avait fauté : Célestine était grosse.
Il n’avait rien vu, rien entendu, rien su ! Mais la chose était indubitable quoique troublante et mystérieuse !
Au mas de Claveyrolles la nouvelle fit grand émoi : deux fouines dans la ferme cela faisait déjà beaucoup, quelque domestiquées qu’elles fussent, il était hors de question qu’on en élevât une troisième, fût-elle même la femelle la plus apprivoisée qui soit ! Quant à l’idée que ce pût être un mâle, elle n’était même pas concevable !
Honorine n’en démordait pas : elle était la patronne, et si son valet, Clovis, avait décidé d’entretenir toute une ménagerie, libre à lui d’aller le faire ailleurs, elle ne le retenait pas. Sa patience avait des limites ! D’ailleurs elle avait toujours eu une aversion pour ces bestioles, et depuis qu’elles étaient là il lui semblait que ces poules pondaient moins.
Clovis ne pouvait qu’obéir ! Vu son âge, il ne pouvait chercher une autre place ; ici il était bien ! Et puis, sous ses grands airs Honorine cachait un cœur d’or. Peut être, après tout, avait-il dépassé les bornes comme elle l’assurait ? A force d’être traité comme un membre de la famille, il avait oublié quelle était sa place et ne s’était jamais soucié d’autorisation pour mener à bout ses projets un peu fous !
C’était dit, il supprimerait la portée à la naissance.
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Célestine mis bas le dix huit avril, dans l’enclos qu’Honorine avait exigé qu’elle rejoignît, d’une unique petite femelle énorme vu la taille de sa mère. L’accouchement avait été laborieux, et Clovis avait même du pratiquer une incision pour sortir le jeune animal. Occupé qu’il était à recoudre la mère, il ne prêta pas beaucoup d’attention au bébé. Ce dernier d’ailleurs, pelotonné dans une fourrure qu’il avait curieusement abondante, demeurait niché dans la paille sans chercher à téter, comme si la graisse qu’il avait accumulé durant la gestation lui suffisait.
Il resta ainsi deux jours à se faire oublier, si bien que Clovis le crut mort.
Célestine de son côté grâce aux bons soins de son maître se remettait.
Il put cesser de la veiller durant la nuit.
Aussi qu’elle ne fut pas sa surprise au matin du quatrième jour de découvrir une boule de poils bruns tellement suspendue à la mamelle qu’il ne put lui faire lâcher prise.
La densité et la douceur du pelage de l’animal le surprirent. De plus, pour lui qui était accoutumé à la fréquentation de la faune sauvage, il paraissait évident que cette fouine serait, s’il lui était donné de vivre, un échantillon exceptionnel de l’espèce.
C’est dire s’il eut le cœur à la supprimer ! Il préféra désobéir à la Patronne : ce crime lui paraissant de loin moindre que celui de ne pas laisser vivre un être d’exception. Cependant il tâcha de cacher aux yeux de tous, son infraction.
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On s’étonna bien un peu à la ferme de ne plus voir juchée sur les épaules de Clovis qu’une seule de ses protégées mais devant ses allégations comme quoi Célestine se remettait mal, que la plaie était toujours purulente, et qu’elle préférait garder la litière, on compatit bien un peu puis on passa à autre chose - la vie à la ferme générant des sujets d’inquiétude autrement plus graves que la survie d’une fouine même domestiquée ! -
Seule, Virginie, la petite fille d’Honorine venue au Mas pour les vacances voulut, malgré le refus embarrassé de Clovis :
- Elle se repose, la plaie n’est pas belle à voir, elle ne sent pas très bon.
rendre visite sur son lit de douleur à celle qu’elle considérait comme son amie.
Elle profita de ce que Clovis était pris par les labours, pour aller voir Célestine.
Non seulement cette dernière la reconnut tout de suite, mais elle poussa fièrement vers elle une progéniture presque aussi grosse qu’elle, à la douce fourrure lustrée, au poitrail d’un blanc éclatant.
- Non mais tu as vu ce que j’ai mis au monde ! Tu as vu comme elle est belle ! Paraissait-elle se rengorger.
C’était donc là le secret de Clovis se dit la fillette. Sûrement que Mémé Honorine n’était pas au courant. Ce n’est certainement pas elle, Virginie, qui irait le lui dire ! Elle aimait trop Clovis : il avait toujours rempli auprès d’elle le rôle du grand père qu’elle n’avait jamais eu, de plus sa connivence avec les animaux sauvages l’avait toujours fascinée, enfin, elle s’était prise d’amitié pour les extravagantes pensionnaires de son vieil ami.
C’est pourquoi une fouine de plus au Mas de Claveyrolles, cela ne pouvait que lui plaire.Aussi, tous les matins, dès son petit déjeuner avalé, et Clovis parti aux champs, se précipitait-t-elle dans la bergerie pour tenir compagnie à ses amies et surtout admirer tout à loisir la petite dernière au menton si curieusement fourni en poils blancs qu’elle lui donna vite le nom de Barberine.
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Or, il arriva qu’un jour Clovis revînt des champs inopinément et découvrît la petite visiteuse. Leur embarras fut grand, elle d’avoir été curieuse, lui d’avoir été cachottier.
- J’ai découvert ton secret dit l’enfant au vieil homme, mais je ne t’ai pas trahi.
- Je pouvais rien te dire, Honorine croit que j’ai supprimé la portée à la naissance. Mais j’ai pas pu, c’était au dessus de mes forces ; et puis tu as vu comme elle est belle cette dernière, et pas sauvage pour deux sous, vas y va, tu risques rien, tu peux la prendre dans tes mains, elle te mordra pas.
- Je sais cela depuis huit jours ; je sais aussi que c’est une femelle, et je l’ai appelée Barberine ; ça te plait ?
- Barberine c’est bien joli ma foi !
Et comme le jeune animal s’avançait vers la main tendue de la fillette :
- Je vois que vous êtes amies toutes les deux.
Un temps l’homme et l’enfant regardèrent d’un air attendri les deux bêtes.Puis Virginie :
- Et maintenant qu’est ce que tu vas en faire ?
- Ben, l’élever pardi, et puis quand elle sera dégourdie la relâcher dans les bois. Encore que c’est la troisième génération, j’ai peur que ce soit foutu pour le retour à la vie sauvage.C’est dommage un si bel animal ! Je suis sûr qu’il n’y en a eu ni n’y en aura jamais deux comme elle.
Et Clovis de se moucher bruyamment dans son mouchoir à carreaux.
- Dis Clovis, et si tu me la donnais? J’en prendrais bien soin tu sais, comme tu m’as appris, nous serons les meilleures amies du monde.
- Enfin tu n’y penses pas, avec toi, à la ville, en appartement, et que dirait ta mère ?
- On ne lui dira pas ; je la cacherai dans une cage sous mon lit.
- Et l’odeur ?
- Je l’inonderai d’eau de toilette.
- Et la nourriture ?
Je lui achèterai des souris !
- Et la nuit ? Tu sais que chahut elle est capable de faire !
- Je la sortirai sur la terrasse.
- Elle t’échappera !
- Non si tu lui fabriques un harnais et une laisse.
- Sacrée Virginie ! tu as réponse à tout !
- Allez dis, tu es d’accord ? Ce sera mon cadeau d’anniversaire. Mais si tu refuses… je dirai à Mémé Honorine que tu lui as désobéi, na !
Et sur ces dernières paroles elle sortit de la bergerie.
***
Cela va vous étonner certainement mais Virginie eut gain de cause, et non pas comme vous l’entendez.
Le matin de son départ pour la ville Clovis trouva la cage vide de sa jeune occupante.
Que pouvait-il dire ? Tout raconter à Honorine et craindre ses foudres ? Se doutant bien de ce qui avait pu se produire, il décida, en philosophe, d’attendre la suite des évènements.
Virginie, quand à elle, n’avait eu aucune peine à dissimuler sa protégée au milieu des nombreuses caisses de victuailles que l’on rapportait toujours de la ferme. Elle parvint même à l’introduire dans sa chambre sans se faire prendre : Barberine dormait de sa sieste journalière au fond de sa boîte.
A peine le soleil avait –il disparu à l’horizon, que, s’estimant injustement prisonnière, s’aidant de ses griffes et de ses dents, elle se libéra de sa geôle. Puis, pour satisfaire sa curiosité, elle inspecta les lieux, bien campée sur ses pattes arrière, les moustaches vibrantes, la barbichette blanche redressée. Elle décida alors de faire le tour de son domaine s’aidant des rideaux pour grimper au plafond, et comme l’endroit paraissait lui convenir, marqua de son urine ou de ses excréments les quatre coins de la pièce. Puis pour parfaire le tout, se roula sur le lit, frotta sa fourrure musquée à tous les meubles, enfin escalada les étagères, bousculant au passage livres et bibelots. Le résultat était ahurissant : on aurait dit qu’une troupe d’enfants turbulents avait visité les lieux, Attila n’eut pas fait mieux, quand à l’odeur ! Je vous laisse le soin d’imaginer. Pour vous dire, Odette, la mère de Virginie, en tomba à la renverse.
- Paul, Paul, au secours, à l’aide ! Viens voir !
Paul se précipita le balai à la main :
- Qu’y a-t-il ? Pouah ça pue !
- Là, là, un rat, en haut des rideaux !
Barberine effrayée par les cris s’était réfugiée sur la cantonnière le poil tout hérissé sifflant et crachant.
- Mais, mais…ce n’est pas un rat, c’est une fouine ! Puis faisant la grosse voix : Virginie veux tu venir ici une minute. Pourrais-tu nous expliquer ?
Alors la fillette, penaude, raconta tout : le secret de Clovis, et son larcin pour soustraire Barberine à une mort plus que certaine.
- Est-ce que je peux la garder ? Je m’en occuperai bien vous verrez, nous sommes déjà si bonnes amies. Viens, viens ici Barberine n’aie pas peur.
Alors sous les yeux médusés des parents la jeune fouine descendit de son perchoir et courut se réfugier dans les bras de la fillette.
- S’il te plait papa !
Paul , qui n’avait jamais su dire non à sa fille quand elle le regardait de ses yeux implorants, se fit bien un peu prier pour la forme mais céda assez vite. Sans doute regrettait-il d’avoir quitté le Causse et ses étendues libres pour une ville ou il se sentait à l’étroit, et cette fouine domestiquée lui rappelait-elle les parties de chasse inoubliables qu’il avait connue grâce au vieux Clovis. Aussi :
- Peut être, mais dans une cage alors. Il doit rester à la cave l’ancienne volière des perruches, je peux essayer de l’adapter.
- Et la cage, sur la terrasse, jamais dans la maison ; pour commencer tu vas m’aider à nettoyer ta chambre, ajouta Odette d’un ton péremptoire.
- Oh merci papa, merci maman !
***
C’est ainsi que Barberine devint citadine.
La cage aux perruches lui convint, surtout après qu’on l’ait agrémentée de perchoirs et d’une roue à écureuil pour ses exercices.
Virginie s’en occupait très bien, nettoyait régulièrement la cage et ne manquait pas tous les soirs, lorsqu’elle rentrait de l’école, de lustrer la fourrure de sa protégée.
A six mois Barberine était devenue une magnifique fouine, un des plus beaux spécimens de sa race.
C’est alors que les choses se compliquèrent.
***
Allez savoir pourquoi, mais un jour, ou plutôt une nuit, Barberine décida qu’elle ne pouvait continuer d’habiter cette décidément trop exiguë demeure dont elle avait épuisé tous les intérêts ludiques. Elle réussit donc, de son museau pointu, à soulever le loquet de la porte et se retrouva dehors à l’air libre.
Alors l’univers des terrasses lui appartint, terrasses qu’elles visita, revisita, escalada, franchit, sauta, bouleversa, renversant pots et bacs à fleurs au gré de sa course et de ses ébats, ivre de liberté et d’espace.
Les voisins surpris de l’ouragan tempétueux qui avait balayé leurs jardins suspendus, ne purent incriminer l’animal : la plus part ignorait même jusqu’à son existence, et de toute façon le matin la trouvait toujours à l’intérieur de sa cage, endormie dans la paille et la porte fermée.
***
Cela aurait pu durer longtemps, sans ce trouble fête insomniaque d’Aristide Grognard.
Aristide Grognard, donc, suite à un accident lointain, était sujet à des crises de rhumatismes qui le réveillait en pleine nuit, surtout par entrée de vent marin.Il lui fallait alors se lever et il passait le temps en fumant une cigarette sur sa terrasse.
Quel ne fut pas son étonnement d’apercevoir un drôle d’animal à fourrure menant une sarabande effrénée dans les jardinières amoureusement maternées de sa femme. S’armant d’un balai, il entrouvrit la porte fenêtre, bien décidé à venir à bout de l’intrus. Par bonheur pour Barberine, le grincement de la porte l’avait alertée, échappant de justesse au coup de balai rageur, elle eut le temps de sauter sur le balcon voisin et de saut en saut regagner la sécurité de sa cage.
Au matin, il n’était plus question dans tout l’immeuble que de cet affreux animal velu et saccageur et très certainement féroce de surcroît !
Pour la mère de Virginie ce fut la goutte d’eau qui fit déborder le vase ; car pour elle il n’y avait aucun doute Barberine était bien la cause de tout cet émoi, même si on la retrouvait toujours sagement endormie dans sa cage :
- Il faut qu’elle parte, on ne peut pas vous faire confiance ! Je n’ai aucune envie de me fâcher avec tous les habitants de l’immeuble. Débrouillez-vous comme vous voulez mais à mon retour du travail ce soir il faut qu’elle ait vidé les lieux !
***
Virginie eut beau pleurer, son père resta lui aussi inflexible :
- Sa place n’est plus ici Virginie, il faut nous résoudre à nous en séparer, et je crois bien que j’ai une idée.
Comme il n’était pas question de ramener au Mas de Claveyrolles une fouine dont mémé Honorine ignorait jusqu’à la naissance, l’idée de Paul était de la confier au zoo. En effet il connaissait bien le directeur et il savait qu’on venait de créer un département dévolu aux mustélidés. Le fait que Barberine fût un spécimen de son espèce somme toute exceptionnel, de par sa beauté et sa domestication il ne ferait aucun doute qu’elle serait acceptée.
Ce fut ce qui se passa : le soir même Barberine prenait possession d’un vaste enclos arboré à l’air libre pour ses ébats, et d’une cage vitrée et donnant sur un patio thermo ventilé pour ses moments de repos.
L’endroit lui plut tout de suite. Elle adora l’enclos et les arbres, mais ce qu’elle aima le mieux ce fut encore la cage vitrée qu’elle regagnait rapidement dès qu’il y avait des visiteurs, et dans laquelle elle s’étirait, roulait, lustrait sa belle fourrure, avide de ces compliments qui venaient toujours :
- Comme elle est belle ! Tu as vu sa fourrure, et sa barbichette ! Qu’elle est rigolote !
Virginie quand à elle venait la voir tous les soirs après la fermeture du zoo ; elle pouvait alors pénétrer dans l’enclos et les retrouvailles des deux amies était un pur instant de bonheur !
***
Un jour même, et ce fut l’unique fois, Clovis quitta son cher Causse pour cette ville qu’il n’aimait point, afin de rendre visite à Barberine. Les yeux brouillés, la moustache en bataille, il admira en connaisseur cette descendante de Célestine qui paraissait avoir si bien réussi son exode rural.
Il n’éleva ni ne dressa jamais plus de Fouine, ni non plus d’autre animal sauvage d’ailleurs, il préférait les voir s’ébattre libres dans la nature. Avec le temps, il avait compris que la domestication entraînait fatalement l’asservissement de l’un ou de l’autre des deux partenaires. Qui de lui ou de Célestine avait apprivoisé l’autre ? La réponse n’était pas aussi évidente qu’elle l’eût du. Quand à la cage, si dorée soit elle, elle n’en demeurait pas moins une cage.
Michèle Puel Benoit