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L'Arbre qui ne voulait plus perdre ses Feuilles

image Il était une fois un arbre qui vivait sa petite vie d’arbre. A savoir : faire dès les premiers jours d’avril éclater des bourgeons joufflus, donnant ainsi naissance à des petites feuilles d’un vert jaune ; étaler en été des rameaux pourvus de larges feuilles vertes et luisantes que l’automne colorerait d’un rouge sang, et que les premiers vents froids de l’hiver feraient tourbillonner jusqu’à ce qu’elles aillent s’amonceler sur le sol, le laissant nu et dépouillé sous les frimas.
Que voulez-vous ? C’est ainsi que depuis toujours vivaient les arbres, certains qu’ils renaîtraient à nouveau au mois d’avril, leur mort apparente n’étant qu’un long sommeil .
L’arbre dont je vous parle n’était pas loin d’être centenaire.
Les arbres vivent très longtemps voyez-vous, et le platane du boulevard avec l’écorce duquel vous vous amusez, a déjà prêté son écorce à votre mère, à votre grand’mère ainsi qu’à la grand’mère de la grand’mère de la grand’mère de la grand’mère…. Bref, tout cela pour vous dire qu’à cent ans, quand on est arbre, on est encore jeune et entreprenant et donc que parfois on ne se résigne pas facilement à suivre la voie tracée par les anciens .

***

Or notre arbre passait dans la forêt pour être très étrange .
C’est ainsi qu’il s’éveillait un des premiers au printemps pour s’endormir un des derniers en automne, passant toute la belle saison à écouter le babil des oiseaux qui nichaient dans sa frondaison. Je ne sais si vous le savez, vous autres gens des villes qui vivez au milieu de bruits de toutes sortes, mais il n’y a rien de plus bavard que les oiseaux .
Dès le lever de l’astre solaire ils commencent à pépier, pour chanter à pleine voix à midi, et roucouler langoureusement le soir ; et, pour peu que l’on soit versé dans l’étude de leurs différents dialectes, on s’aperçoit vite qu’ils en rajoutent et qu’ils brodent, très artistiquement certes, mais tout de même, et ce, sur ces thèmes dits éternels de l’amour et du voyage.
Pour ce qui est de l’amour, notre héros en ignorait tout.
En effet, seul de son espèce ,

né d’une graine venue d’on ne sait où, il n’avait ni parents à vénérer, ni compagne à chérir ni rejetons à aimer, quand aux compatriotes de sa forêt ils lui étaient parfaitement in –di-ffé-rents : il ne parlait à personne, d’ailleurs personne non plus ne lui adressait la parole, ne prêtait l’oreille au moindre ragot , vivait totalement replié sur lui-même.
Mais pour ce qui était du voyage…. ! depuis le temps que les oiseaux migrateurs se perchaient sur ses branches et racontaient leurs expéditions lointaines, il avait fini par devenir un véritable mé-té-o-ro-gé-o-lo-graphe pour lequel la planète Terre n’avait plus de secret.
Or, et tous les chercheurs vous le diront, que vaut la théorie si elle n’est vérifiée par l’expérience?
S’il avait admis de ses voyageurs - locataires que la Terre était ronde et possédait un pôle magnétique qui régissait leur migration, il avait du mal à croire qu’il existait des endroits sur cette planète où les arbres ne s’endormaient pas pour l’hiver et de surcroît y conservaient leur élégante parure.
Car, s’il n’aimait pas l’hiver et ses frimas, c’était surtout parce que ce dernier le dépouillait de son orgueilleuse chevelure.
C’est que notre arbre était très coquet et peut être bien même un tout petit peu vaniteux.
En effet, il ne cessait de développer chaque année branches ramilles et feuilles jusqu’au dernier embrasement que lui offrait l’automne, et qui précédait… l’inévitable calvitie.
Aussi conservait-il le plus tard possible cette glorieuse parure dont il s’enorgueillissait et dont il pleurait à chaque fois la perte avec des larmes de sang.
Cependant, et selon les dires des oiseaux migrateurs, il existerait donc un endroit, où les arbres ne seraient jamais ni tondus ni rabougris !
Il ne lui restait qu’une seule solution : c’était d’aller lui-même voir sur place.

Oui mais comment ?

***

Cette année là , un printemps précoce l’avait éveillé au début du mois de mars, juste à temps pour accueillir la première fauvette :
- Tsschip ! bonjour, avait dit la fauvette ; réveille-toi, réveille-toi, c’est le printemps !
- Déjà ? Avait demandé l’arbre qui tout de même avait un peu de mal à garder les yeux grand ouverts !
- Oui, oui, et je suis chargée de l’annoncer à tout le monde : tsschip ! tisschip ! réveillez-vous tout le monde, le printemps arrive ! tsschip ! Là d’où je viens il n’y a pas d’hiver. - Pas d’hiver ? Mais d’où viens-tu ?
- Ben, d’Afrique. - Ah ! l’Afrique, comme j’aimerais la connaître ! On dit que c’est si beau.
- Il ne tient qu’à toi. L’automne prochain, si tu veux, je t’emmène.
- Mais … mais je ne sais pas voler !
- Ce n’est pas grave, je t’apprendrai : nous avons toute la belle saison devant nous.
- Tu crois donc que je peux y arriver ?
- Bien sûr que oui ! mes enfants y arrivent bien eux ! et puis, comme je ne cesse de le répéter : quand on veut on peut ! Donc à demain pour ta première leçon.
Et laissant là notre ami tout abasourdi, dame fauvette s’en fut de son vol saccadé.

***

Le lendemain matin, dés que le soleil pointa son crâne chauve et luisant au sommet de la colline, notre intrépide voyageuse fut là, perchée sur la plus haute ramille.
- Alors ? prêt pour ta première leçon ?
- Euh ! oui ,oui, répondit l’arbre encore tout ensommeillé.
- Bien ! tout d’abord, assouplissements : et en cadence s’il vous plaît : et un, et deux et trois et quatre, flé-chi-ssez- les genoux ! et un et deux et trois et quatre é-ten-dez bien les bras ! et un…Et alors tu ne suis pas ?
- C’est que répondit notre ami tout essoufflé, il y a longtemps que mes articulations n’ont pas travaillé, et mon vieux cœur s’essouffle vite ; je ne sais si tu le sais, mais je suis presque centenaire !
- Tss, tss ! On a l’âge de ses artères. Et vu l’étendue de ta ramure, les tiennes on l’air de très bien faire circuler la sève. Objection non recevable. On reprend : et un et deux et trois et quatre…
Et la leçon reprit, menée tambour battant par l’implacable maître.
Notre arbre suivait comme il pouvait le rythme infernal de la fauvette ; souvent, certes, un peu à contre temps, mais de plus en plus aisément au fur et à mesure de l’avancement de la leçon.
- Bien, ça suffira pour aujourd’hui. Demain, même heure. Et continue tes assouplissements ! Cria depuis l’azur où elle s’était envolée l’infatigable fauvette.
S’il n’avait eu au fond de lui ce désir de voyage qui le tenaillait, notre arbre aurait abandonné sur le champ , car, il lui fallut une grande partie de la journée pour se remettre, si bien qu’il en oublia même de tisser ses feuilles à l’intérieur de ses bourgeons ! C’est vous dire !
Cette nuit là il ne dormit guère, répétant inlassablement les mouvements appris.
Il en alla de même d’ailleurs, pour tous les hôtes de la forêt, que ses grincements et craquements tinrent éveillés une bonne partie de la nuit.
Bien avant l’aube, il était prêt pour sa deuxième leçon.
Cette dernière lui parut moins difficile, et il en fut de même les jours suivants, car notre ami consciencieusement passait sa nuit à parfaire ses mouvements, à tel point qu’il arriva très vite à ne plus faire ni grincer ni craquer ses jointures.
Toute la forêt et ses hôtes, qui avaient même commencé à faire une pétition contre le trop bruyant gymnaste, ( un étranger venu on ne sait d’où qui ne parlait à personne et qui maintenant nous tenait éveillé toutes les nuits !) en furent soulagés.
La plainte n’alla heureusement pas jusqu’au grand duc.
Car, je ne sais si vous le savez, le grand duc, sourcil broussailleux et nez crochu, en tant qu’oiseau nocturne, est chargé de faire respecter la quiétude de nos nuits ; d’ailleurs ses « hou ! hou ! » répétitifs sont là pour signifier à tout un chacun qu’il veille et n’admettra aucune entorse au règlement : « qu’on se le dise ! » Gare à celui qu’il surprendra en flagrant délit ! Il risque de passer un très mauvais quart d’heure.
Pour l’heure notre ami, inconscient du danger qu’il avait couru, se réjouissait de ses muscles renforcés et de ses articulations assouplies.
- Bon maintenant nous allons nous entraîner au décollage lui dit un beau matin de mai dame fauvette . Et un et deux et trois et quatre, on tire sur les pieds, et un et deux… Et alors ? Qu’attends-tu ?
- Que je tire sur mes pieds ? interrogea l’arbre stupéfait.
- Bien sûr ! comment sans cela peux tu les extraire du sol ?
- Les extraire du sol ? Mais je ne peux pas !
- Tss, tss ! Dis plutôt que tu ne veux pas.
- Non je ne peux pas, c’est du sol que je prends ma force ; il me faut absolument pour vivre rester enraciné.
- Allons donc !
- Si, je t’assure, mes racines, mes pieds comme tu les appelles, profondément enfoncées dans le sol en prélèvent les éléments, qui aident à ma croissance, quand à ma frondaison, grâce à la photo-synthèse...
- Tu ne vas pas m’infliger un cours de botanique tout de même ! Tss,tss ! Tu changeras de régime alimentaire voilà tout ; tu te nourriras de graines, d’insectes et de vermisseaux comme tout le monde .
- Mais, mais… - Il n’y a pas de « mais » qui tienne . Quand on veut voyager il faut s’adapter. Nous mêmes faisons de grandes réserves et nous suralimentons en été, car, durant notre long parcours nous devons être très frugales. De toutes façons nous résoudrons ce problème quand le moment sera venu : pour l’instant, je te demande seulement de recroqueviller tes doigts de pieds à l’intérieur de tes racines . On essaie ? Et un et deux et trois et quatre..
  Et la leçon reprit, avec comme résultat que notre arbre sentit ses orteils bouger dans leur gaine.
Il y arriverait, il en était sûr.
Au bout de quinze jours il chaussait et déchaussait à la demande ses pieds aux multiples orteils, sans toutefois oser les retirer tous les deux à la fois.

***

- Bien, lui dit un jour la fauvette, nous allons abandonner pour un temps les leçons car il faut que je songe à fonder une famille ; d’ailleurs parmi tous les messieurs fauvettes qui viennent roucouler sur tes branches il en est un qui ne me déplait pas trop. Et notre arbre assista médusé aux amours de ses amies les fauvettes.
Bientôt il leur vit même construire un nid à la plus haute de ses fourches, nid dans lequel dame fauvette pondit quatre œufs bleutés. Puis, gonflant les plumes, elle s’installa dessus et n’en bougea plus.
Au bout de huit jours notre arbre perdit patience :
- Pssit ! Pssit ! dis, tu ne m’aurais pas oublié par hasard ?
- Muhm ?
- C’est moi, ton élève ; pour les pieds ça va ; qu’est ce que je fais maintenant ?
- Chut ! laisse moi donc tranquille : ma couvée va bientôt éclore et il faut bien que je me consacre un peu aux miens.
- Tu m’abandonnes alors?
- Mais non, voyons ; nous reprendrons lorsque mes petits seront prêts à voler. Et puis, ne penses-tu pas qu’il serait temps pour toi de faire éclater tes bourgeons ? Tu vas finir par être le dernier arbre de la forêt à avoir mis ses feuilles. Mes petits vont naître et tu n’auras pas un brin d’ombre à leur offrir.
Et notre ami s’aperçut avec horreur que, tout à ses exercices d’entraînement au vol, il en avait oublié de faire éclater ses bourgeons. Aussi passa-t-il encore plusieurs nuits blanches pour rattraper son retard et préparer l’éclosion.

***

C’est ainsi que, quelques matins plus tard, dès le lever du jour, en même temps qu’apparaissait le soleil, d’un seul coup , se déplièrent ainsi que des éventails , des milliers de feuilles vert tendre, dans un aimable chuchotis.
Au même instant, se craquelaient sous la poussée deux des œufs de la couvée des fauvettes.
Bientôt parurent deux têtes aux yeux globuleux suivies de deux corps translucides dotés de moignons d’ailes dépourvues de plumes.
- Et c’est ça qui dis-tu va voler ? s’écria l’arbre qui n’avait jamais vu d’ oiseaux nouveaux nés.
- Oui, oui, ce sont les premiers de mes petits ; n’est-ce pas qu’ils sont beaux ! Roucoula dame fauvette avec le ravissement d’une mère.
- Hum, bien sûr, s’empressa de répondre notre ami, qui pourtant avait un avis légèrement différent.
Leur conversation fut alors brutalement interrompue par le piaillement aigu des oisillons affamés.
- Surveille- les, je reviens ; cria dame fauvette en s’envolant dans l’azur.
- Que je…
- Mais l’oiseau était déjà loin .
Et notre arbre, qui de sa vie n’avait jamais eu qu’à prendre soin de lui même,se retrouva en charge d’enfants.
- Là, là, calmez-vous ! Puis : la, la, la, la ; la,la, la, la, la,, la … chantonna-t- il de sa voix la plus douce, retrouvant d’instinct le charme des berceuses.Ensuite, s’apercevant que le nid n’était pas très bien ombragé, puisant dans ses réserves, il fit pousser en un clin d’œil un rameau couvert de jeunes feuilles dont l’ombre vert tendre vint faire écran aux chauds rayons solaires. Le léger balancement de ses branches accentua quant à lui, l’impression d’apaisement.
A son retour, dame fauvette, à son grand étonnement, trouva ses petits endormis, couvés par le regard attendrissant de leur hôte.
- Par exemple !….
- Chut, tu vas les réveiller !
- C’est que jamais auparavant mes petits ne s’étaient calmés quand ils avaient faim ; ajouta-elle en baissant la voix ; quelle bonne nourrice tu fais ! Dit -elle ensuite d’un ton normal, ce qui provoqua le retour immédiat des cris .
Suivirent alors des journées d’intense occupation pour notre couple de fauvettes qui ne cessait, jusqu’à la nuit tombée, de nourrir ces deux becs affamés, bientôt rejoints par deux autres tout autant grand ouverts.
Durant le temps que nos amies parcouraient les environs en quête de nourriture, l’arbre lui, tenait à merveille son rôle de nounou, car chaque jour lui apportait un nouveau sujet d’émerveillement : Ce fut tout d’abord le fin duvet qui recouvrit le corps de ses protégés ; puis vinrent les petits plumes colorées, suivies à leur tour des grandes rémiges…Quant à ces larges becs jaunes grandement ouverts, il les trouvait poignants, il n’est jusqu’aux piaillements aigus qu’il avait fini par découvrir mélodieux.

***

- Vous êtes fin prêts pour l’envol, leur dit un beau matin leur professeur de mère.
- Déjà ? S’exclama la nounou qui avait pris goût à sa tâche.
- Voyons ! Mettrais-tu en doute ma parole ? Rétorqua de sa voix sévère de maîtresse dame fauvette. Puis elle ajouta : Les nuits rallongent, ils auront bien besoin des semaines qui restent pour s’entraîner avant le grand départ. Et toi aussi. As-tu oublié que tu partais avec nous ? - Oh non, bien sûr ! Reprenons, reprenons !
- C’est cela, et depuis le début s’il te plaît, cela ne te fera pas de mal de réviser. Et un et deux…

***

. Et les cours reprirent…
Bientôt les oisillons rattrapèrent le retard qu’ils avaient sur le précédent élève.
Enfin arriva l’instant crucial de l’envol. Pour les deux premiers nés, la difficulté fut vite surmontée, ils réussirent au premier coup.
Le troisième eut besoin de plusieurs essais.
Quant au petit dernier il y avait un problème :le petit dernier voyez-vous, avait une peur panique du vide.
Avouez que pour un oiseau c’est un lourd handicap, pour ne pas dire un comble !
Bien entendu, dans sa famille, personne n’était au courant.
Seul, l’arbre nounou savait.
Soit que l’oisillon, puisqu’il se sentait préféré, l’eût mis dans la confidence.Soit que cette même peur du vide l’étreignît lui aussi sans qu’il voulût se l’avouer.
Bref : pour l’heure il y avait problème.
Certes, l’oisillon sut en un rien de temps faire des battements d’ailes, ma foi fort réussis, il souleva également ses pattes de la branche à laquelle elles étaient agrippées sans aucune difficulté ; mais quand il lui fallut se jeter dans le vide du haut de la plus haute branche, ce fut une autre histoire.
Il n’y arrivait pas : rien n’y faisait, ni les encouragements de ses frères :
- Regarde comme c’est facile, tu n’as qu’à te laisser porter par l’air !
Ni les injonctions de sa mère :
- Allez, saute maintenant ! Ma patience a des limites !
Ni les quolibets de son père :
- Qui m’a donné un fils pareil ?
L’oiseau cramponné à sa branche, les ailes obstinément croisées devant les yeux, tremblant comme feuille au vent, refusait tout essai.
- Allez petit, fais un effort, n’aie pas peur, j’accompagnerai ton vol, lui chuchotait l’arbre.
Survint alors un incident inexpliqué :la branchette sur laquelle l’oisillon était perché, fléchit soudainement, ce qui le força à sauter en l’air, tandis qu’un rameau bien pourvu de feuilles le poussait dans les airs.
Notre ami surpris, n’eut d’autre ressource que celle d’étendre les ailes pour rétablir l’équilibre puis d’en battre pour ne pas tomber. Et le miracle survint :il volait, il volait, et le sol si loin tout en bas ne l’attirait plus irrésistiblement. Il avait vaincu sa peur, ce que ne manquèrent pas de lui faire comprendre les applaudissements de sa famille, de sa nounou, et même de la forêt tout entière qui avait pris part au spectacle. - A toi l’arbre, c’est ton tour dit en se retournant vers ce dernier la fauvette ; montre nous ce que tu sais faire.
- Qui ?moi ? Il se fait tard, on ne peut remettre à demain ? Tenta de plaider notre ami.
- Non ,non il faut battre le fer tant qu’il est chaud. Soulève un peu tes pieds que je voie !
L’arbre ne put que s’exécuter.
- Bon pour le pied gauche ; ça va pour le droit . Les ail.. pardon les branches maintenant : le battement m’a l’air parfait ! Alors, à mon signal, tu bats fortement des ailes et tu soulèves tes deux pieds à la fois ; un, deux et…trois...
Les branches se mirent à frapper l’air de plus en plus vite, sans toutefois arriver à extraire les pieds du sol.
De fait, si notre ami était capable d’accomplir les actions demandées les unes après les autres il ne pouvait les pratiquer en même temps : soit il battait des bras, soit il levait un pied.
- Voyons fais un effort, coordonne tes mouvements ! lui intima son maître.
- Je n’y arrive pas ; je suis trop lourd, et …j’ai peur de tomber avoua piteusement l'élève.
En effet, dés que notre arbre accentuait la vitesse de ses mouvements de bras,ses pieds ne décollaient pas pour autant ; il vacillait seulement dangereusement sur sa base, prêt à s’écrouler sur ses plus proches voisins.Ce qui était loin de plaire à ces derniers !
- Et si nous t’aidions proposa le benjamin de la famille fauvette. Nous battrions des ailes avec toi en nous agrippant à tes branches.
- Vous croyez que ce sera suffisant?
- Bien sûr que oui ! Tâte un peu mes muscles pour voir !
- Essayons. On fit une tentative qui malgré toute la bonne volonté de la famille fauvette se solda par un échec.
On fit alors appel aux cousins, aux amis ; toute la gent ailée de la forêt fut mise à contribution. En vain !
Un jour de septembre - eh oui ! Le temps passait - dame fauvette fit même appel à une escadre d’oies sauvages qui daignèrent quitter leur formation en triangle pour venir participer à l’entreprise.
Cela s’avéra insuffisant.

***

Les jours raccourcissaient, les nuits fraîchissaient, l’automne arrivait à grands pas. Déjà les hirondelles rassemblées sur les fils avaient décidé de leur départ.
Dame fauvette savait que bientôt elle et les siens devraient à leur tour s’envoler pour les terres d‘Afrique .
L’arbre se désespérait :
- Tant pis ! Partez sans moi ; c’était un beau rêve tout de même ; je verrai l’Afrique une autre année !
- Ah non ! Il ne sera pas dit que j’aurai laissé un de mes élèves dans la détresse. J’ai dit que tu volerais et tu voleras ! Attendez moi je reviens !
Et dame fauvette s’envola dans l’azur sans autre explication.
On ne la vit pas de la journée.
Mais au soir, juste au moment où le soleil émettait son dernier rayon, on entendit un énorme chahut dans les airs, une gigantesque cacophonie. Le ciel alors s’obscurcit masquant les vapeurs soufrées du couchant ,tandis qu’un nuage noir et piaillant s’abattait sur notre arbre.
- J’ai ramené du renfort s’égosilla dame fauvette qui avait peine à se faire entendre au milieu du vacarme jacassé par des milliers d’étourneaux qui avaient envahi jusqu’à la plus petite ramille de l’arbre.
Heureusement, la nuit vite survenue les fit taire. Une aube lumineuse les réveilla.
Mais avant que le concert ne recommence, dame fauvette, haussant la voix,leur dit ce qu’on attendait d’eux.
- Donc vous m’avez bien compris vous battez tous des ailes à la fois à mon signal : un deux trois :
Et….le miracle s’accomplit, ce qui n’aurait pas été concevable même par le plus ingénieux des cerveaux humains arriva. Les milliers de battements d’ailes des étourneaux joints à ceux de tous les oiseaux de l’endroit, firent que l’arbre extirpa ses pieds aux multiples orteils du sol et commença à s’élever dans les airs.
Or notre arbre était fort lourd, en raison notamment de son impressionnante frondaison qui n’avait cessé de se développer abondamment durant toute la belle saison. Les oiseaux peinaient, leurs battements d’ailes ralentissaient leur rythme, la terre selon la loi d’attraction avait tendance à se rapprocher…
C’est alors qu’il arriva un événement qui n’aurait pas été seulement imaginable quelques mois auparavant.
Tous les arbres de la forêt, sans exception aucune, tendant leurs multiples bras au dessus de leur tête propulsèrent, tel un vulgaire ballon de baudruche, notre arbre dans l’azur.Là, un secourable vent du nord le prit en charge, et le poussant de son souffle puissant, lui fit prendre irrémédiablement la direction du sud.
- Je vole, je vole ,criait notre ami.
- Regarde devant toi disait la fauvette.
- En vol groupé ,ordonnait le vieil étourneau chef d’escadrille.
Car notre ami, très ému, ne cessait de se retourner pour un dernier adieu à sa forêt natale, qui, non moins émue, lui répondait en agitant toutes ses branches.
De fait, sans toutefois vouloir le reconnaître, la forêt avait adopté cet étranger au comportement bizarre qui la distrayait d’une existence somme toute bien monotone. - Ce sont toujours les meilleurs qui s’en vont ! - Il avait au moins le mérite de nous distraire ce grand fada ! - Comme on va s’ennuyer sans lui ! - On le regrettera, je vous le dis, on le regrettera ! - Si on l’avait mieux accueilli, peut être bien qu’il ne serait pas parti, té ! - Enfin ! c’est la vie ! Entendit-on même soupirer dans la futaie

***

. L’histoire ne dit pas si , pendant son voyage l’arbre se mit au régime alimentaire de ses amis les fauvettes, ou s’il préféra vivre de ses réserves.
Elle ne dit pas non plus si l’Afrique lui parut aussi belle qu’il l’avait rêvée.
Ni si les vents et les orages rencontrés ne lui firent pas perdre une grande partie de cette chevelure dont il était si fier.
Elle vous laisse libre d’imaginer la suite à votre convenance.
Mais par contre , elle nous assure que c’est bien à ce moment là, que le virus, dans la forêt, s’est implanté.
La preuve en est les mille craquements que l’on y entend les nuits de la belle saison : ce sont les jointures des nouveaux candidats au voyage : ils répètent inlassablement les mouvements enseignés par dame fauvette. Car chaque année, au début de l’automne, en même temps que les oiseaux migrateurs, il y a un arbre qui s’envole.
Mais chut, ne le répétez à personne, c’est un secret !
Clic clac mon conte es accavat !

Michèle Puel Benoit

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