Il lui avait offert un ordinateur espérant qu’elle en utiliserait toutes les capacités pour s’abreuver de CdromS, rivaliser avec Lara Croft, ou bien surfer sur Internet ! C’était sans compter avec l’intelligence férocement inventive du traitement de textes !
A peine avait-elle innocemment effleuré le clavier, que ce tortionnaire** s’était mis en tête de lui encombrer la cervelle d’histoires plus farfelues les unes que les autres.
Aidé d’un complice particulièrement efficace, il n’en finissait pas de la harceler, exigeant d’elle des séances toujours plus longues et astreignantes devant l’instrument.
Cet observateur de l’accomplissement de ses tâches n’avait pas son pareil pour la démoraliser : d’un haussement de sourcil, d’un regard jeté en coin ou passablement désabusé, quand ce n’était pas d’une attitude complètement écroulée, il avait le don de suspecter chacun de ses écrits !
Elle était toujours sur le qui-vive, se demandant ce que son facétieux tortionnaire allait bien pouvoir inventer.
Car il lui avait d’abord fallu admettre qu’elle n’était pas maîtresse de ses pensées.
Lorsqu’elle croyait donner naissance au personnage qu’elle avait longuement mûri dans sa tête, il s’arrangeait pour s’en emparer aussitôt, le manipulant à sa guise, en lui insufflant des directives auxquelles elle n’aurait jamais songé . C’est ainsi qu’au moment même où elle pianotait sur le clavier un mot des plus convenus, apparaissait sur l’écran un terme qu’elle n’aurait pas cru seulement posséder ! Eh ma foi, le résultat s’avérait cocasse sinon original :elle devait alors faire appel à toute sa science pour trouver une chute acceptable.
D’autres fois, l’histoire dérivait en de telles péripéties que Trombine en devenait le plus expert des contorsionnistes ; déployant des efforts considérables tout en guettant du coin de l’œil les réactions de ce dernier, il lui fallait alors proposer des solutions qui ne le feraient pas s’écrouler de rire, attitude qui la vexait profondément.
De fait, ayant naïvement cru posséder une machine qui lui faciliterait la tâche, elle se trouvait bel et bien l’esclave d’un monstre dénué de pitié.
Elle continua ainsi un certain temps sous l’œil goguenard de ce dernier, à tenter de donner naissance à des contes qui avaient bien du mal à tenir debout, jusqu’au jour où, excédée, elle alla se plaindre auprès de Lui.
Lui, ne dit rien, d’un air supérieur il s’approcha de l’appareil, et d’un effleurement de touche fit disparaître l’atroce persécuteur.
Libérée ! Elle était libérée ! Finis les regards suspicieux et moqueurs, finis l’appréhension et le doute ! Remplie d’un zèle nouveau elle s’installa devant le clavier.
Et… l’ordinateur resta muet : à croire que son inspiration s’était envolée en même temps que ce facétieux contorsionniste.
Moralité :
On a toujours besoin d’un trombone chez soi.
Michèle Puel Benoit
** Il s'agit de "Compagnon Office" personnage animé sous forme de trombone sensé
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