.......

Histoire de Fantômes

image Je ne sais si on vous l'a dit, mais ne devient pas fantôme qui veut, et ce n'est pas parce qu'on est passé de l'autre côté du tunnel, que l'on peut à loisir hanter les vieilles demeures et faire peur à tout un chacun par ses "bouh" ! inopinés, ses lamentations déchirantes, ou ses hurlements sinistres. Non, non, non !, il faut pour mériter tout cela, avoir fait des études très sérieuses dans une école très réputée où l'on vous aura appris la théorie, études suivies d'un stage pratique dans une vieille maison, le tout vous donnant droit au diplôme très envié de fantôme de troisième classe; car il vous faudra d'autres stages pour devenir fantôme de deuxième classe, puis fantôme de première classe, et accéder au titre très recherché de docteur es sciences fantomatiques, vous permettant enfin d'emplir de vos hurlements démoniaques les galeries mal éclairées des renommés châteaux d'Ecosse.
Car tout le monde sait bien qu'il n'est de véritable château hanté qu'en Ecosse, rêve de tout fantôme digne de ce nom.
Pour ce qui était de Benjamin, il était loin d'en être arrivé à ce stade.
Benjamin, petit dernier d'une lignée de fantômes, était un tout petit fantôme de rien du tout, à peine de la taille d'une main d'homme, qui venait tout juste de terminer péniblement ses études théoriques, et qu'on avait envoyé hanter une vieille maison perdue au fond de la campagne, à charge pour lui d'en chasser la famille d'écolos qui venait de l'acheter, pensant qu'il n'y avait rien de mieux qu'un retour à la nature, dans des conditions précaires, pour tremper le caractère d'enfants citadins habitués au luxe futile de la ville.
Pour tout vous dire, cette demeure ne possédait ni électricité ni téléphone, et pour qui la découvrait par une journée d'octobre pluvieuse et ventée, ses volets déglingués qui battaient au vent, ses chenaux qui vomissaient une eau boueuse encombrée de feuilles, sa grille de jardin qui grinçait abominablement , la rendait particulièrement sinistre.
Conditions idéales pour le stage pratique de Benjamin.
Toute la journée il s'était tenu reclus dans le vieux placard à balai, qui sentait le moisi, repassant dans sa tête les diverses péripéties de son intervention :
Tout d'abord, frapper des coups sourds dans les murs, ensuite, déplacer les meubles avec fracas, agiter les chaînes cliquetantes, ricaner de façon sinistre " hah ! hah ! hah ! " pousser des rugissements à faire dresser les cheveux sur la tête " whaououou ! " et terminer en pénétrant à travers le mur dans les chambres, précédé du " bouououh ! " le plus effrayant qui soit.
Et voilà ! Il y était: le premier coup de minuit venait de sonner, c'était à lui d'entrer en scène.
Il décida de commencer par la chambre des parents, après tout c'étaient eux les propriétaires !
D'abord les murs, puis les meubles, puis les hurle...
Seulement voilà, rien ne se passait comme il l'avait prévu. C'est que, voyez-vous, Benjamin avait oublié qu'il n'était qu'un tout petit fantôme de rien du tout, doué de toutes petites forces, pourvu d'une toute petite voix.
Essayez donc avec cela de déplacer un lourd vaisselier du treizième, ou d'ébranler des murs d'un mètre de large.
Il eut beau faire, tous ses efforts se traduirent par un petit "toc toc "sur les murs.
Je ne parlerai pas des divers rugissements tentés à peine aussi audibles qu'un couinement de souris.
Ce qui fit d'ailleurs dire à Yolande la mère :
-Il nousfaudra ramener un chat le prochain week end, cette maison est infestée de rongeurs
Quand à son fameux " bouhhh !" horrible, il ne fut même pas perçu, tandis que sa pénétration de la chambre à travers la cloison fut suivie d'un
-Tiens, j'ignorais que le réveil était phosphorescent ! proféré par Jean, le père.
C'est dire si sa présence avait été effrayante sinon seulement remarquée !
Devant cet échec, il n'eut pas le courage d'aller terroriser tante Adèle, il s'en fut directement dans la chambre de Nicolas.
Nicolas, était un garçon de douze ans que sa venue à la campagne n'avait pas particulièrement enchanté : se passer de son ordinateur ne serait ce qu'un WE, lui paraissait la plus horrible des punitions, quand à s'éclairer à la bougie ou se coucher comme les poules il n'en était pas question ! Aussi grâce a son esprit bricoleur s'était-il fabriqué un éclairage alimenté par la batterie de la voiture, à la lueur duquel il lisait.
Benjamin, sautant tous les préliminaires, s'était lui décidé à pénétrer dans la chambre à la tête du lit précédé du " boooouuuuh ! " le plus tonitruant qu'il pouvait.
Oui, mais voilà : vous savez certainement qu'éclairage électrique et fantôme ne vont pas ensemble, ce qui fait que son "booouuuh" se termina sur le cri angoissé de
-S'il te plaît éteins la lumière ça me fait mal aux yeux!
- Je ne peux pas, je lis le dernier Harry Potter ! C'est passionnant.
-Je t'en prie sinon je risque de disparaitre
-Où donc es-tu ? Et qui es-tu ? Je ne te vois pas.
-Eteins et tu verras.
Quand l'obscurité se fit, Nicolas vit flottant au-dessus de son oreiller tout prés de son oreille, le plus mignon des fantômes qui soit, avec son blanc linceul, ses deux trous noirs pour les yeux et ses chaînes rouillées traînant derrière lui.
-Mais pince moi si je rêve, ne serais tu pas un ...
-Un fantôme ! Oui, oui tu peux le dire; oh ! un tout petit fantôme stagiaire qui doit encore faire ses preuves, mais un vrai fantôme tout de même. Alors écoute moi bien : puis grossissant la plus forte de ses voix fluettes : "Bouououh" !dit-il. Tu as eu peur n'est-ce pas ?
- A vrai dire, pas vraiment.
- Et quand je rugis de ma voix horrible :"waououou"!
- Je ne voudrais pas te vexer, mais ça ne m'impressionne pas beaucoup.
- C'est pourtant ce qu'il est écrit dans mon manuel. Oh et puis zut! Je savais bien que je n'y arriverai pas; mais que veux tu dans ma famille on est fantôme de père en fils, alors pour ne pas déchoir, il fallaît bien que je continue la lignée. Tant pis j'abandonne, quitte à finir mon éternité dans le placard à balai.
- Ne te décourage pas voyons; essaye encore pour voir.
- Bouh ! Bouuuh ! booouuh ; bouh et rebouh et flûte !je sens bien que tu n'as pas peur.
- Et comme ça :BO UAHI-IHI-IH !!!
- Ca va pas Nicolas tu es fou ! tu m'as fait peur. Tu m'as filé une de ces trouilles.
- Ah oui ?
- J'ai une idée : tu ne voudrais pas m'aider un peu pour cette nuit ? A tous les deux on pourrait faire un malheur !
- Moi je veux bien, je m'ennuie tellement dans cette baraque.
- Tu vois mon épreuve consistait à faire en sorte que les nouveaux installés, ta famille en l'occurrence, déguerpisse épouvantée par ma prestation ! Faut pas nous en vouloir, mais il ne nous reste guère de lieux à hanter sur cette terre, et on les connaît ces gens de la ville qui s'installent à la campagne, ils recherchent soit disant le dépaysement et la vie rustique, mais je ne leur donne pas six mois avant qu'ils ne décident de doter leur résidence secondaire du dernier confort citadin : ce qui veut dire en tout premier lieu une installation électrique ; et alors, adieu fantômes ! Il nous faudra déménager !
- Retourner à la ville ? Tu parles si je veux : Quand commençons-nous ?
- Tout de suite, il n'y a pas une minute à perdre ! Tout d'abord le costume : le drap, deux trous pour les yeux, pour les chaînes tu agiteras les miennes, ça devrait suffire. Tu t'agrippes bien à mon suaire, cela te permettra de passer à travers les murs, et tu refais tout ce que je fais. Tu m'as bien compris ?
- Oui, oui. Mais il ne me serait pas possible de jeter un coup d'oeil sur ton manuel pour être sûr de ne rien oublier ?
- Je regrette, mais c'est illisible pour les vivants.
- Oh ! Pardon.
- Mais je peux te donner l'ordre des interventions. Voyons donc. Tout d'abord, des coups à ébranler les murs.
- Ebranler les murs ! Nous sommes bien trop petits! Je vais chercher la barre à mine dans la remise.
Quelques instants plus tard:
- Deuxièmement : déplacer les meubles.
- Nous nous contenterons des chaises et de la table.
- Après les gémissements et les hurlements, traverser les murs et bouhh ! Voilà tu sais tout.
- C'est parti !
Et alors mes aïeux, quelle sarabande ! Toute la nuit on entendit des coups dans les murs, des meubles qui se déplaçaient des cris et des gémissements, des hurlements démoniaques, tandis qu'apparaissaient dans les chambres une drôle de petite lueur phosphorescente (s'il avait pu aisément traverser les cloisons à la suite de Benjamin, Nicolas n'avait pu obtenir que son drap de lit fut luminescent), lueur précédée de bouh ! retentissants.
Nicolas s'amusait comme un petit fou, car son incursion dans la chambre de tante Adèle lui avait permis de voir que la tante si redoutable qui affirmait: " Il n'y a rien comme un retour à une vie saine et rustique pour former des hommes ! Je te les dresserai moi, tu verras ! " portait perruque, suçait son pouce en dormant, et s'emmitouflait de châles et d'écharpes pour dormir.
Ils s'étaient donc ingéniés à pénétrer plusieurs fois dans sa chambre, morts de rire à chaque fois lorsqu'elle redressait dans le lit sa tête chauve en marmottant: "Oh mon Dieu ! qu'est ce que c'est ? Il y a quelqu'un ? Jean c'est toi ?" et à chaque fois elle s'enfonçait de plus en plus dans son lit en claquant des dents.
Dans la chambre de Camille la grande soeur, ils n'eurent pas le succés escompté, car Camille s'était endormie avec les écouteurs de son lecteur de CD dans les oreilles, le disque de son groupe de hard rock préféré, en boucle et à fond.
C'est dire si leurs hurlements furent entendus ! Même après lui avoir débouché une oreille et hurlé dedans, elle ne vit pas de différence !
Ils jugèrent inutile d'aller dans la chambre de petit Paul: et d'un, il était trop petit, et de deux, même si la maison s'était écroulée, ça ne l'aurait pas réveillé.
Pour les parents, le succès fut mitigé: papa continua à dormir du sommeil du juste, tandis que maman:
- Jean réveille toi ! je te dis qu'il y a des rats qui courent dans les murs.
- MMM !
- Et les voilà qu'ils frappent maintenant!
- Mais non, ce sont les volets qui battent avec le vent. Rendors toi ma chérie.
-Jean ! J'entends quelqu'un qui gémit.
- C'est le lit qui grince quand je me retourne.
- Jean ! Il y a quelque chose qui hurle.
- C'est le chat huant.
- J'entends des bruits de chaînes.
- C'est le seau pendu à la poulie dans le jardin.
- Jean, j'entends des pas dehors ; ils s'approchent... C'est un voleur, tu ne voudrais pas aller voir.
- Si ça peut te rassurer.
Et papa s'était levé, la bougie à la main pour aller voir s'il n'y avait pas de voleur dans le jardin. Mais c'est le râteau qu'il n'a pas vu lorsque la bougie s'est éteinte. Et là, qu'est ce qu'il avait sorti comme gros mots.
L'aube était déjà là quand nos amis, à bout de souffle décidèrent de se séparer.
- A demain soir, on recommence dit Nicolas tout émoustillé.
- Ah non ! A l'an prochain seulement ! Vois tu nous étions la nuit du trente et un octobre, la nuit des revenants, il faut attendre toute une année avant que je ne revienne. Je vais essayer de faire valider mon stage quoique j'ai des craintes...
- Ca nefait rien je me suis bien amusé.
- A une autrefois peut être dit-il en disparaissant.
Si leur vacarme fut entendu, nul ne saurait le dire, et l'on ne peut pas affirmer que leur prestation fut des plus performantes. Après tout ils n'étaient que des débutants.
De toute façon personne n'aurait voulu admettre que la maison était hantée ou qu'il avait eu peur..
Tante Adèle la première :
- A notre époque, des fantômes, et puis quoi encore !
Toutefois, quand Nicolas émergea de sa grasse matinée, l'humeur de toute la famille était des plus morose.
- Cette maison est glaciale et pleine de courants d'air, maugréait tante Adèle, je n'ai pu fermer l'oeil de la nuit ! Le vent n'a cessé de gémir dans les arbres et la chouette de hululer. Au fait vous avez remarqué qu'ici elles font bouh ! Sans doute un patois local !
- Elle est infestée de rongeurs, il ont passé la nuit à courir dans les murs ajouta maman.
Papa arborait quand à lui un magnifique coquard du au manche du râteau sur lequel il avait marché, quand il avait voulu aller aux toilettes dans le jardin et que la bougie s'était éteinte. Il n'avait jamais été question pour lui de poursuivre un hypothétique voleur !
Seul ,petit Paul arborait un sourire béat. Il avait dormi comme un loir, et il était toujours content tant qu'il y avait du nutella au petit déjeuner .
D'un commun accord il fut décidé qu'on attendrait les beaux jours pour revenir à la maison perdue à la campagne, et qu'on profiterait des hivers à venir pour y faire faire les quelques travaux indispensables : électricité, eau chaude, chauffage, toilettes à l'intérieur etc etc etc.
Benjamin avait encore quelques saisons devant lui.
Cela lui était égal, car il avait réussi à ses êpreuves pratiques, certes de justesse, toutefois le jury avait admis qu'une maison qu'on pouvait hanter à la morte saison, par les temps qui couraient n'était pas à dédaigner. Benjamin était donc devenu fantôme aspirant de deuxième classe devant effectuer son stage pratique dans un manoir.
- Dans un manoir ?
- Oui ma chère !
Et savez-vous ce que Nicolas va entreprendre aux vacances de Toussaint prochaines ? Un stage, en restauration des vieux manoirs.
Alors?
Alors, je vous laisse le soin d'imaginer la suite...

Michèle Puel Benoit

Retourner en haut