Il avait tellement plu sur ce causse aride, que la terre, n’en pouvant plus de boire, avait fait crever sous le grand rocher gris, une énorme poche d’eau d’argile et de sable mêlés, qui avait dévalé jusqu’au fond de la cavité ainsi mise à jour, laissant affleurer sur les parois dénudées une roche semblable à aucune autre. Quoique encore à demi engluée dans sa gangue de boue, elle laissait deviner tout un lacis de cloisons arrondies s’entrecoupant, et qui, une fois le soleil revenu, s’étaient emparées de la lumière de ses rayons pour la diffracter en un millier d’éclats.
Puis, une musique cristalline s’était fait entendre, pareille à l’éveil d’une harpe, tandis qu’une voix encore ensommeillée surgissait du minéral:
- Où suis-je ? Il semble que j’ai dormi pendant des siècles ? Je ne reconnais rien ! fit la roche – car c’est bien d’elle qu’émanait la voix - Puis après un rapide examen de son apparence, elle ajouta :
- Oh ! Mais je suis toute boueuse ! Je suis navrée de m’exposer ainsi aux yeux du monde ; où sont passés le vent et la pluie que je fasse un brin de toilette ? Suivit un bref instant de silence qu’elle interrompit à nouveau:
- Vous n’êtes pas très causants par ici n’est ce pas ? Ohé ! N’y a- t- il personne qui puisse me répondre ? J’ai horreur de parler toute seule ; c’est vrai , cela me donne la fâcheuse impression que je radote, et cette idée ne me plaît pas du tout. Hou hou ! Les fleurs, les herbes, les nuages…
-Non mais, tu ne pourrais pas te taire, gronda une grosse voix caverneuse, que je puisse en toute tranquillité profiter du chaud soleil ! A-t-on jamais vu pareille bavarde ?
- Où es-tu, toi qui me parles ? Je ne te vois pas .
- Tu n’as qu’à lever un peu la tête, c’est moi qui parle, moi, le grand rocher gris.
- Oh ! Fit la petite voix interloquée, pardonnez-moi, je ne voulais pas interrompre votre somme…
- C’est déjà fait !
- Je vous prie de m’en excuser, mais je ne reconnais pas l’endroit où je viens de m’éveiller, dans la matrice où j’étais…
- Matrice ? Quelle matrice ? Qui donc es-tu ?
-Moi ? Comment ? Cela ne se voit donc pas ? Je suis Rose des Sables et vous ?
- Rose des Sables ? Rose des Sables ? Mais ce n’est pas un nom d’ici ça ?

- Oh non, répondit la Rose en riant, ce nom vient de très loin, et bien sûr il sonne étranger.
-Etranger ? Ici on n’aime pas les étrangers. Ils nous bousculent de nos habitudes, ils envahissent les espaces qu’on aime bien voir déserts, ils sont sales…
- Je vous accorde que je ne suis pas très présentable, le voyage a quelque peu terni l’apparence de ma personne, mais un peu de toilette et il n’y paraîtra plus. Vous verrez, on me dit même assez mignonne, et là d’où je viens j’étais celle qui parmi toutes mes sœurs était la plus admirée. De plus…
***
- Tu n’as pas l’intention de t’installer ici tout de même ?
- Eh bien si ! On est bien au lieu dit le Roc Traoucat au sud des grands Causses ?
- Oui c’est bien le lieu !
- Regardez, j’ai un certificat d’immigration justifiant d’un emploi de « personnel affecté au réaménagement des sites nouvellement créés en milieu rural ». Cette dépression vient d’être nouvellement créée n’est-ce pas ?
- Euh, oui !
- Alors c’est bien ici que je vais m’installer. Eh bien, puisque nous sommes voisins, si vous me parliez un peu de vous ? Qui êtes vous ? D’où venez vous ? Quelles sont vos occupations favorites…
-Qui je suis ? Grand rocher gris, pardi ! J’appartiens au plus ancien relief karstique de la région ; ma famille s’est installée ici, il y a des millions d’années dès que les eaux se sont retirées, d’ailleurs, je porte sur moi les animaux marins, trilobites ou ammonites fossilisés, je ne sais plus très bien, qui témoignent que l’océan a jadis recouvert ces terres.Je suis ainsi, à moi seul, toute la mémoire du causse ! Répondit fièrement le grand rocher .
- Vous me voyez ravie de rencontrer un autochtone ! Pour ma part je ne sais pas très bien d’où nous venons mes sœurs et moi ; je sais qu’il a fallu du temps pour acquérir notre actuelle apparence et que l’histoire de ma famille remonte elle aussi à la nuit des temps, quoique sous d’autres cieux. Et à quoi occupez-vous vos journées ? Si vous me permettez d’être curieuse – c’est mon plus grand défaut –
- Ben.. je dors.
- Et quand vous ne dormez pas ?
- Je sommeille.

- Et après ?
- Je somnole. Vous savez, il n’y a pas grand chose d’autre à faire par ici.
- Dieu du ciel ! Et vous ne vous ennuyez jamais ?
- Si. C’est bien pour cela que je dors; et il ajouta très vite : mais cela ne veut pas dire pour autant que j’aimerais que cela change. D’ailleurs, tout le monde ici pense comme moi.
- Ah oui ? Et où sont les autres ? Demanda la Rose en regardant autour d’elle ?
- Partis. Ils sont tous partis ! Soupira grand rocher gris .
Partis ? Et pourquoi donc ?
***
Alors le rocher expliqua, qu’il y avait eu une période où la vie sur les terres arides du causse avait tout à coup paru trop austère et qu’un exode massif s’était produit vers les villes pourvoyeuses de travaux et de plaisirs. Puis le temps s’en était mêlé, faisant succéder à des grandes périodes de sécheresse de grandes périodes de pluies torrentielles qui avaient raviné les sols, et que, peu à peu la faune, mais également la flore avaient, elles aussi paru avoir déserté les lieux ; au point qu’un beau matin il s’était retrouvé tout seul et que depuis, il dormait.
- Il était donc temps que j’arrive pour remédier à tout cela! S’exclama sur le ton même de l’évidence Rose des sables ; puis elle ajouta légèrement confuse : Mais avant tout je crois qu’un brin de toilette me serait nécessaire.
Et devant les yeux ébahis de Grand Rocher Gris, Rose des sables se mit à basculer d’un côté puis de l’autre, afin de s’extraire de sa gangue, se laissa ensuite glisser jusqu’à la mare qui emplissait le fond du sotch, et là, n’hésitant pas une seule seconde, elle plongea dans l’eau pour en ressortir aussitôt toute luisante et faire naître, en s’ébrouant comme un chien mouillé, une multitude d’éclairs irisés. Puis, quand elle cessa, la dépression se trouva soudain tout éclairée d’une chaude lueur jaune, teignant de brique ou de brun doré, selon leur orientation, les ombres portées des rochers et des bords abrupts, au point qu’il parut même, un court instant, qu’un semblant d’incendie venait de s’allumer dans le regard d’ordinaire désabusé du grand rocher.
***
- C’est toi qui as fait ça ? Interrogea ce dernier stupéfait.
- Bien entendu que c’est moi ; et ce n’est là qu’un infime aperçu de mes talents ! Vous venez de voir « Féerie d’automne », mais je peux également vous proposer : « Lune de printemps », « Mer des Caraïbes », « Vaporeux couchants », « Pompes et pourpres royales »…et bien d’autres encore : ma liste est infinie.
- Comment fais-tu ?
- C’est très simple croyez-moi ; cela est du à la complexité de mes faces, selon l’orientation que je leur donne, elles captent de différentes façons les couleurs du spectre solaire et les rendent dans les harmonies et les nuances de la teinte choisie ; mon imagination et la vôtre créent le reste.
- Mais je n’ai pas d’imagination !
- Oh que si ! L’art n’existerait pas sans cela. Celui qui regarde est aussi important que celui qui crée : l’artiste n’est qu’un révélateur !
- Je serais donc un peu artiste moi aussi ?
- Mais oui ! Répondit Rose en faisant entendre son si joli rire cristallin, vous ne le saviez donc pas ?
- Ma foi non ! Puis il ajouta d’un air suppliant : dis, tu vas rester, dis ? Oublie tout ce que j’ai pu dire de désagréable tout à l’heure. Il y a tellement longtemps que j’étais tout seul que …
- Je ne vous en veux pas du tout, je crois même, que nous allons faire une fameuse équipe tous les deux ! »
***
Et c’est ainsi que pour eux commença une nouvelle vie, rythmée par les spectacles colorés que Rose des sables tirait de ses facettes et que Grand Rocher Gris ponctuait d’exclamations admiratives.
Une nuit, je crois bien que c’était celle du solstice d’hiver, celle après la quelle la lumière prend le pas sur l’obscurité, alors que pour l’énième fois se déroulait le programme « Lune de printemps » - c’était celui qui était le plus demandé -, la combe touchée par les rayons d’une lune pleine et luminescente s’anima comme elle ne l’avait jamais fait auparavant : rocs et falaises prirent un ton blanc bleuté tandis que le contour de leurs formes s’ourlait d’un mauve soutenu et que les plages de sable se teignaient d’un gris tourterelle ; la mare, ainsi qu’une surface d’argent poli reflétant l’astre nocturne de même que les pourtours rocheux, se mit à frémir sous l’effet d’un souffle soudainement levé, donnant l’illusion que le tableau se mettait à vivre ; alors, jouant habilement du miroir de ses faces, Rose des sables se mit à reproduire à l’infini le paysage ainsi ressuscité.
La magie du spectacle était telle qu’on entendit bientôt un sourd battement qui fit vibrer l’air et le sol, tandis que s’élevait une profonde voix de basse modulant un chant à la fois doux et triste qui s’accordait au tempo. C’était Grand Rocher Gris, qui, se rythmant sur les pulsations de son vieux cœur de roche primitive, chantait la joie de la renaissance du monde.
Puis, un nuage voila la lune, et le son décrut peu à peu pour s’éteindre tout à fait, suivi de près par le battement.
C’est à partir de cette nuit là, que le grand rocher sut que le causse renaîtrait !
***
Des jours passèrent. …
Un matin que Rose des sables faisait ses ablutions dans la mare, comme elle en avait l’habitude autant par hygiène que par souci artistique – ses facettes ne devaient être ternies par nulle poussière - elle fut intriguée par tout un groupe de protubérances qui avaient envahi une des plages de sable, celle dont la pente faisait face au midi.
En y regardant de plus près elle s’aperçut qu’il s’agissait en fait de tiges recourbées et d’un gris velouté qui portaient en elles la promesse d’une éclosion ; car il lui apparut vite que des plantes avaient décidé de coloniser le sotch. Quelles seraient--elles ? Demeurait pour l’instant l’inconnue !
Toutefois ces dernières n’en finissaient pas de se préparer : elles commencèrent tout d’abord à redresser leurs tiges, puis à renfler leurs extrémités pour donner naissance à un bourgeon que protégeaient des sépales d’un vert argenté. Ensuite, le calice se fendit laissant entrevoir un liseré bleu nuit, et enfin, un matin, en même temps que le soleil atteignait de ses premiers rayons le fond de la combe, s’ouvrirent des dizaines de fleurs aux pétales d’un bleu tirant sur le violet dont le cœur d’or dressait de longues étamines noires.
- Comme vous êtes belles ! S’écria Rose des sables d’une voix émerveillée. Quelle ravissante couleur que la vôtre ! De ma vie je n’ai rencontré de bleu aussi profond ! Qui êtes –vous donc ?
Alors, balançant leurs corolles et leurs feuilles elles se mirent à chanter :
- Nous, nous, nous, ….sommes, sommes, sommes, …des anémones, mones, mones,…
En fait, comme elles formaient un groupe étagé sur trois rangs, et que chaque rangée chantait avec une mesure de décalage, cela formait un canon, certes tout à fait harmonieux, grâce au mélange des registres qui le composaient, et qui allaient du soprano au contralto sans oublier le mezzo soprano ; toutefois, l’écho ainsi produit, rendant délicate la compréhension des paroles, voici ce qu’elles disaient :
« Nous, nous sommes des Anémones,
Des Anémones Pulsatilles ;
Car c’est ainsi que l’on nous nomme,
De fille en mère et mère en fille.
Nous aimons chanter, et personne
Ne nous arrive à la cheville,
Car nous sommes des Anémones,
Des Anémones Pulsatilles »

Quand s’éteignirent les dernières notes du canon, il s’écoula un grand moment de silence avant que Rose des sables n’ose intervenir :
- Quel ensemble magnifique ! Quelle pureté de voix ! D’où venez-vous ?
***
- Nous, nous ,nous…
- De grâce, les interrompit Rose des sables, ne serait-il possible qu’une seule d’entre vous prenne la parole ? Les échos sont quelquefois si difficiles à saisir.
Alors de la troisième rangée, en haut à gauche, s’éleva une voix de contre alto :
Elle dit que leur histoire était, somme toute, très banale. Elles avaient autrefois, quand le causse vivait, peuplé et illuminé ses printemps, apportant même aux paysans une contribution financière, puisqu’ils vendaient quelques-unes de leurs sœurs aux pharmaciens, tout en veillant à ne pas détruire l’espèce - l’homme de la terre est toujours soucieux de son environnement-. Puis les gens s’en étaient allés.
Elles avaient alors prospéré un temps.
Ensuite, des villes, des citadins étaient venus, ignorants des cycles de la nature et de ceux de la reproduction des végétaux. Leur belle apparence les avait desservies, et elles étaient allées fleurir un grand nombre de tables familiales, quand elles n’avaient pas péri oubliées au fond de quelque coffre de voiture.
Le climat s’en était alors mêlé ; certaines d’entre elles avaient pu migrer vers des lieux plus accueillants, d’autres s’étaient complètement éteintes ; d’autres enfin, et elles étaient de celles là, avaient mis leurs graines à l’abri, bien enfouies dans le sol, dans l’attente de conditions favorables. Et c’est ainsi, que réveillées de leur long sommeil par des vibrations annonciatrices d’un réveil probable de la nature, et qui avaient propulsé leurs graines prés de la surface du sol, elles avaient germé pour voir le jour dans cette combe qui leur paraissait être l’endroit rêvé. C’est pour cela qu’elles étaient si heureuses de chanter.
- Que votre histoire est émouvante ! N’est ce pas Grand rocher gris ?
Il n’y eut pas de réponse.
- Grand rocher, vous dormez ?
- Mmm…
- Ne bouderiez-vous pas par hasard ? Vous devriez être pourtant heureux de voir votre causse renaître. Ces demoiselles vont s’installer ici !
- Boaf ! On était bien tous les deux !
- Voyez-vous ce malotru ! Vous pourriez faire un effort, tout de même, pour accueillir comme il se doit nos nouvelles compagnes, et musiciennes de surcroît !
- Mmmm
- Eh bien !
- Tu n’aimeras plus ma musique.
- Mais bien sûr que si ! Nous avons toutes besoin de vous : vous battrez la mesure, elles chanteront et moi je m’occuperai des éclairages. Nous allons réaliser un fabuleux spectacle son et lumière !
- Oh oui ! Oh oui ! ajouta de sa belle voix Anémone contre alto. Ce sont les pulsations de votre cœur qui nous ont permis de renaître et nous en avons besoin pour continuer d’exister. Vous êtes le rythme premier du monde et sans votre voix de basse nos voix féminines manqueraient de relief. S’il vous plaît accompagnez-nous !
Et c’est ainsi que pour la seconde fois la vie reprit prés du Roc Traoucat, animée de musique et de chants, qu’illustraient des tableaux colorés et tous les jours renouvelés.
***
Or un jour, que se déroulait le spectacle « Pompes et Pourpres royales », et que le chœur des anémones ainsi que les éclairages de Rose des sables tentaient de rendre à ce programme toute la solennité qui se devait, on ne sait pourquoi, mais tout à coup, le cœur de Grand rocher gris s’emballa. Il adopta une allure plus rapide et plus saccadée, qui ressemblait à s’y méprendre à un superbe rythme de jazz. D’abord surprises, les anémones se mirent très vite à suivre, swinguant sur place de toutes leurs tiges tandis que Rose des sables s’évertuait d’incorporer au milieu des tons de pourpres, des nuances de bleu et de vert fluos.
Alors, de la mare, parvint une drôle de voix nasillarde tandis qu’émergeait des eaux une curieuse créature.
Elle était revêtue d’une carapace annelée grise et chitineuse, se déplaçait sur une telle quantité de pattes qu’on avait du mal à les compter, et arborait deux longues antennes recourbées.
Quand elle fut au sec sur le sable elle s’écria :
- salut tout le monde ! Ajoutant aussitôt : est-ce que je peux me joindre à vous ?
Et, sans attendre de réponse, devant leurs yeux médusés, elle se mit tout d’abord à prendre le rythme en choquant l’une contre l’autre ses antennes, puis en frappant le sol de ses pattes postérieures et enfin, quand elle sentit qu’elle y était, elle se mit à exécuter un éblouissant numéro de claquettes.
Ses pattes frappaient, sautaient, avançaient, reculaient avec une habileté prodigieuse dénotant un non moins prodigieux sens du rythme. Tandis que de sa drôle de voix elle ponctuait sa démonstration de « oui c’est çà » ou de « voilà on y est » encourageant les percussions, tout en continuant à exécuter des figures de plus en plus compliquées au fur et à mesure que le tempo s’accélérait.
Les anémones tentaient de suivre tant bien que mal, se contentant d’un bruitage rythmé tandis que Rose des sables faisait clignoter toutes les couleurs du prisme.
Enfin, à bout de souffle, les partenaires de cette partie endiablée s’arrêtèrent et partirent d’un éclat de rire qui fit vibrer longtemps les falaises du sotch !
***
- Dieu que c’était drôle ! S’écria Rose des sables toute essoufflée !
- Vous avez aimé s’enquit la drôle de créature ?
- Si on a aimé ? Comment peux-tu en douter ? On a adoré, quoique ce soit parfois un peu difficile de te suivre ! Qui es-tu donc ?
- Je me présente, Oscar la crevette, la championne des claquettes, pour vous servir, dit l’arthropode en s’inclinant. Moi aussi j’ai perçu, dans les eaux souterraines où je passe d’ordinaire mon temps, que la vie était en train de reprendre sur le plateau. Ma grand-mère m’avait d’ailleurs conté, lorsqu’elle était enfant et qu’elle resurgissait avec les eaux du lac intermittent, le plaisir qu’elle prenait à prendre des bains de soleil sur les plages, quoique son épiderme ne le supportât pas trop. Et cela m’avait donné envie. Mais c’est surtout lorsque je me suis rendu compte que votre musique manquait d’accents que je me suis décidé.
La vie c’est le mouvement que diable ! Alors un jour, cela a été plus fort que moi, j’ai accéléré le rythme des battements du cœur du bouclier rocheux en frappant de ma queue la surface des eaux souterraines et je me suis frayé un chemin jusqu’à vous. Et me voici pour bouger, frapper, sauter, rire et chanter avec vous, si vous voulez bien de moi.
- Bien sûr que nous voulons de toi répondit Rose des sables, puis elle ajouta, viens, je vais te présenter. Tout d’abord voici Grand Rocher Gris, c’est de lui que vient le rythme.
- Salut à toi, source de vie !
- Bonjour répondit de sa belle voix de basse le Grand Rocher, qui pour une fois paraissait conquis.
- Puis, voici le chœur des Anémones.
- Félicitations pour votre ensemble polyphonique !
- Bonjour,jour,jour ,jour
Devant l’air surpris d’Oscar, Rose des Sables ajouta très vite :
- Tu t’habitueras vite à leur façon singulière de parler ; et enfin je suis Rose des sables la préposée aux éclairages. Sois le bienvenu parmi nous au lieu dit la combe du Roc Traoucat !
***
Dès lors la vie autour de la mare devint plus animée et de ce fait plus joyeuse, car personne, mieux qu’Oscar, n’était capable d’exécuter des figures si étonnantes et en même temps si cocasses qu’il n’était pas rare que s’échappent de la combe des éclats de rire dans tous les registres de voix !
Une nuit d’Avril, nos amis virent arriver à la mare, de leur démarche lourdaude et pataude, une armada de crapauds qui y venait pour la reproduction et la ponte. Cette nuit là fut emplie jusqu’à l’aube du « Toout, toout » mélancolique de ces inoffensifs batraciens. On dit même, que jouant sur la couleur de leurs yeux, Rose des sables en profita pour étoiler de topaze la voûte céleste, avec la complicité d’une lune au croissant très avancé.
Un autre jour, ce fut une mésange charbonnière, cet éclair jaune et bleu, qui vint s’y abreuver.
Les cordonniers, quant à eux, animèrent bientôt, du ballet de leurs longues pattes les eaux d’ordinaire paisibles de la mare.
Peu à peu le sotch se repeuplait, à la grande joie des premiers occupants, qui avaient fait, leur, la devise selon laquelle « plus on est de fous, plus l’on rit »- ce dont ils ne se privaient guère – et ma foi, Grand Rocher Gris, quoiqu’il ne voulût pas tout à fait le reconnaître, en était fort heureux !
Il se murmura même bientôt sur le grand causse, qu’il existait, au Roc Traoucat, une lavogne naturelle prés de laquelle vivre était un vrai bonheur. Et faune et flore s’y installèrent à nouveau ; mais les buis s’y firent plus touffus qu’ailleurs afin de préserver des curieux, et des hommes surtout, ce lieu enchanté.
***
Beaucoup plus tard, après que les filles des filles des filles des anémones eussent à chaque printemps repeuplé les berges de la lavogne, il arriva que lors d’une promenade sans but, telle qu’il me plaît d’en faire sur le plateau, mes pas me conduisirent près du Roc Traoucat.
Là, ayant vu se faufiler sous les buis qui entouraient de leur végétation la base du grand rocher, toute une compagnie de perdreaux, et curieuse de voir où elle allait se cacher, je me frayai à travers les arbustes un chemin, et découvris à mon grand étonnement ce lieu protégé.
Certes, je n’irai pas jusqu’à jurer que j’y entendis le chœur des anémones, ni que j’y contemplai la danse de la crevette, encore moins que j’y sentis battre le cœur du grand rocher. Toutefois, mon regard fut attiré par un éclat brillant provenant d’une roche dans la quelle il me sembla reconnaître une rose des sables et dont je ne savais expliquer la présence en ces lieux.
Cependant, la douceur paisible de ce lieu était telle que je passai des heures à rêver, au soleil près de la lavogne, m’amusant à faire miroiter les multiples facettes de la pierre.
***
J’ai longtemps hésité à faire part de ma découverte, craignant qu’un troupeau de touristes ignorants ne saccagent un pareil endroit. Ne pouvant toutefois, garder pour moi seule l’émerveillement et la plénitude ressentis, c’est à toi, sachant que tu sauras garder le secret, que je me confie :Alors viens ici, que je te dise tout bas dans le creux de l’oreille : il existe sur le grand causse, un lieu pareil à aucun autre, le Roc Traoucat qu’il s’appelle, là, un grand rocher gris, une rose des sables, des anémones et une crevette se sont accordés pour que le plaisir de vivre, né d’une tolérante diversité, s’installe dans une région qu’on disait à jamais perdue !Et c’est ainsi que
« Il avait tellement plu sur ce causse aride…… »
Michèle Puel Benoit