Entre temps, les nouvelles se propageant vite, surtout celles qui font état de projets farfelus, tout le hameau était au courant de la tâche à laquelle ils s’étaient attelés. Et les avis d’aller bon train :
- Vous n’y arriverez pas disaient les défaitistes.
- Pourquoi donc vouloir redresser cette pierre ? Disaient les conservateurs.
- Pourquoi n’essayerez-vous pas le Cric qui sert dans les caves à redresser les foudres ? Dit une voix avisée. Si vous voulez, j’en ai un dans la remise, je vous le prête.
Bien sûr la sagacité vient de l’expérience et la voix en question savait de quoi elle parlait, car elle appartenait à quelqu’un qui avait, sa vie durant, transporté dans son camion des charrois pesant parfois fort lourd. Ils se rallièrent bien vite à cette proposition. Et l’équipe regonflée d’enthousiasme s’en repartit.
La pierre fut à nouveau sanglée, les véhicules reprirent leur rôle de bêtes de trait, et le menhir commença à se redresser.

On glissa alors sous son énorme masse le cric, et, au son de la musique grinçante de la crémaillère le monolithe se mit à revenir à la vie.
Poussé, tiré, soulevé,
il se dressa enfin glorieux et phallique, nouvel emblème d’une colline qui, désormais, jouirait de l’appellation incontestable de « colline du menhir."
On plaça de chaque côté de la base les deux morceaux qui s’étaient fragmentés lors de la manœuvre, et qui servirent à le maintenir dresssé, et tous, quelque peu surpris et émerveillés de leur réussite, entamèrent concert de louanges et série de questions :
- Qu’il est beau ! Qu’il est grand ! Qu’il est majestueux ! Quel dommage qu’il se soit brisé à la base ! Et puis : qu’a-t-il connu de la vie des premiers hommes ? Que venaient-ils faire à ses pieds ? Aimaient-ils aussi le paysage que l’on découvre ?
L’Amie, toujours friande de mystères, proposa qu’on enfouisse à sa base un témoignage de leur action afin de satisfaire les éventuelles recherches des archéologues futurs. Ce fut une bouteille de coca cola qui devint la gardienne du message ainsi libellé :
« Nous, ci-dessous signataires, avons de nos mains et de nos efforts conjugués, redressé, afin qu’il renaisse, ce témoin de l’existence d’une vie antérieure sur cette colline. Ce jour de Pâques de l’an…. »
Déjà le vent fraîchissait, le soleil à son déclin, dora un instant de ses derniers rayons la pierre avant d’aller se blottir derrière une autre épaule de l’Escandorgue.
L’heure fut au retour.

Il y a de cela quelques années déjà.
Depuis, la forêt a poussé au pied de la colline.
Le menhir glorieux et dressé est devenu un point de repère et un but de promenade pour les randonneurs à pied comme à cheval.
Les jonquilles, les iris nains, et les asphodèles se sont multipliés au point que la colline paraît être devenue leur lieu de prédilection.
Et quand il lui arrive, assise au pied du grand menhir de se laisser aller à la rêverie, elle se dit que Nor, Gustou, Marcel, Réglisse, Emmanuel, Marinette et tant d’autres avant elle, ont tellement aimé ce Causse, qu’elle ne peut que souhaiter à de nouveaux découvreurs, d’éprouver, à leur tour, le sentiment de plénitude qui l’emplit.
Michèle Puel Benoit