Il décida de faire plus ample connaissance avec la clairière, la parcourut de long en large, scrutant le bas des rochers à la recherche de quelque repaire d’animal dangereux, et ce faisant son oreille fut agréablement flattée du gazouillis d’une source: sous le plus gros des rochers qui se trouvait à l’opposé de celui au pied duquel ils avaient dormi, coulait une gentille source, certes modeste, mais qui pourrait suffire à leur besoins: en suivant le cours du ruisselet il découvrit entre des buis touffus une sorte de trou d’argile où l’eau retenue formait une petite mare. Son exploration le conduisit ensuite en haut de l’éboulis vers cette grotte dont il avait pressenti l’existence.
Il s’agissait d’une grotte pas très grande dont l’entrée se trouvait bien dissimulée et qui pourrait servir de refuge, sinon d’habitat, si le besoin s’en faisait ressentir: dans le fond se trouvait une cheminée permettant d’accéder sur le plateau qui dominait la combe. Vue de l’entrée de la grotte cette dernière lui apparut l’endroit rêvé où installer son clan, d’autant que le soleil, devenu plus chaud au fur et à mesure qu’il s’élevait, la baignait d’une chaude lueur accentuant le caractère protecteur de l’endroit. Alors, la rude face de Nor s’éclaira d’un sourire, et, rejetant en arrière sa longue chevelure, il entonna pour l’astre bienfaiteur un chant qui disait sa joie et sa gratitude.

Les saisons passèrent, le printemps succèda à l’hiver étoilant de blanc les poiriers et les cerisiers sauvages, assurant le clan d’une future cueillette savoureuse, tandis que la forêt de chênes blancs se révélait riche en gibiers de toute sorte. Les pierres de l’éboulis leur servirent à construire aux pieds des grands rochers des abris sûrs, et chaque homme y logea sa famille, si bien que l’été s’écoula dans la joie et l’espoir retrouvés.
***
Trois fois quatre saisons se succédèrent et Nor vit prospérer son clan : la combe connut des naissances sans déplorer aucune mort. Alors, tous surent qu’il fallait en remercier les dieux.
A quelques lieux de leur domaine se dressait une colline sur laquelle le printemps était plus beau qu’ailleurs : son orientation à l’abri des vents glacés de l’hiver, faisait qu’une végétation odoriférante la recouvrait au printemps d’une multitude de fleurs jaunes et bleues, tandis qu’à l’été, quand le soleil était brûlant, il soufflait toujours à son sommet un petit air rafraîchissant. Sa situation élevée qui permettait un grand regard sur la plaine et sur les monts lointains la rendait chère aux yeux de Nor. Car c’était là qu’il aimait à venir méditer et emplir son âme de la beauté du monde.
Nul site ne pouvait mieux convenir à leur offrande. De plus, non loin de là, gisait de grandes dalles de calcaire blanc. Ils en détachèrent un grand bloc qu’ils amenèrent à grands efforts jusqu’au sommet et là l’orientant au sud, ils le dressèrent en témoignage de reconnaissance envers les dieux. Puis ils entamèrent un long chant hululé de gratitude.
L’habitude fut vite prise, dès qu‘un événement heureux survenait au clan,
de venir célébrer par le chant auprès de la pierre leur merci.
***
Les années passèrent : le clan s’étoffa puis se scinda. Les clans nouvellement nés investirent des lieux proches, et à leur tour érigèrent des grandes dalles de calcaire en témoignage de gratitude envers la terre hospitalière qui les avait accueillis.
Et c’est ainsi que, sur les grands Causses, les hommes s’établirent.
Michèle Puel Benoît