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La Dame Blanche

image Marinette marchait d’un bon pas en quittant l’enclos des grands cèdres qui protégeaient « la Cave » de leurs longues branches pentues. Elle était venue comme tous les soirs apporter le produit de la traite du troupeau de son père à la Jeanne, car nulle mieux qu’elle ne savait saler et affiner les fromages de brebis. D’ailleurs, sa ferme avait été construite au-dessus même d’un aven autour duquel descendaient en spirale des galeries de bois garnies de claies jonchées de paille et sur lesquelles mûrissaient les meilleurs pérails du Causse.
La Jeanne était très bavarde, et, parce qu’elle voyait passer chez elle tous les éleveurs de la commune, avait toujours des dizaines de nouvelles à propager, ce qu’elle ne se privait pas de faire non sans un certain talent de conteuse.
Marinette s’était donc attardée plus qu’il n’aurait fallu, et outre le fait qu’elle craignait les remontrances de son père – une fille ne doit jamais être dehors à la nuit - elle redoutait encore plus ces êtres dont étaient peuplées les histoires que lui contait sa grand- mère et qui erraient, disait-elle, sur le Causse, nocturnes et effrayants.

***

Elle n’était certes plus une enfant : à treize ans, on ne croit plus aux sornettes, surtout lorsqu’on s’est vu confier le charroi quotidien du bidon de lait de dix litres, et qu’on le porte fièrement à l’aide de sangles sur son dos !
Cependant, le brouillard qui s’était formé au coucher du soleil rendrait plus difficile le retour ! Aussi pour se donner du courage sur ce chemin qu’elle connaissait parfaitement pour le pratiquer tous les jours, s’était-elle mis à chanter :
« Cinq sou costeron, cinq sou costeron, cinq sou costeron mos esclops…. » ( cinq sous ont coûté mes sabots …)
Elle avait beau essayer, le cœur n’y était pas, d’autant que le soir, dans le brouillard, tous les sons sont étouffés, et que sa voix, au lieu de se disperser lui revenait dans les oreilles comme si une autre elle –même chantait à deux pas dans ce gris laiteux.
La chanson mourut sur ses lèvres.
Pourtant, se disait-elle, elle n’avait aucune raison d’avoir peur : le chemin qui menait de la Cave chez elle était enchâssé dans de grands murs bordés de buis qu’elle n’avait qu’à suivre.
Elle avança donc d’un pas raffermi.

***

Les buis garnis d’ouate blanche comme celle qu’on mettait à Noël autour de la Crèche dans l’église, la confortèrent quelque temps, puis, la brume se fit plus dense et bientôt il lui sembla qu’elle naviguait dans une masse cotonneuse qui dissimulait tout.
Il lui parut à un moment qu’elle prenait sur la gauche, mais rassurée un temps par la roche sous ses doigts, elle continua jusqu’à ce qu’une trouée de brume effilochée lui fasse découvrir avec stupeur qu’elle se trouvait en plein milieu des bois !
C’était l’endroit même qu’elle redoutait : le Cagnas , avec son lacis de sentiers tortueux, ses murets, ses éboulis, ses taillis touffus encombrés de ronces et de salsepareilles ! Lieu maléfique où ses frères aimaient à la perdre l’été et qu’ils nommaient Le LABYRINTHE ! Car une fois qu’on y avait pénétré, les parcelles chichement cultivées et les chemins bordés de noisetiers se ressemblaient tellement qu’il n’y avait guère que le Jeanou pour s’y reconnaître et en trouver facilement la sortie !
De plus on le disait habité de sangliers féroces ainsi que de ces fées perfides qui prennent plaisir à tourmenter les humains.
Elle s’était arrêtée, les sens en alerte, car la nuit, qui peu à peu gagnait et qui, il y avait à peine quelques minutes était semblable à toutes celles qu’un mois de novembre humide et doux embrume, lui paraissait maintenant habitée de présences furtives suffisamment audibles pour sentir croître en elle les doigts griffus de la peur ! Autour d’elle tout n’était que murmure et craquement comme si les buis masqués par une brume complice avaient donné asile à toutes sortes de créatures qui n’attendaient que le moment propice pour se jeter sur elle. Elle croyait deviner dans ce silence ouaté, leurs ricanements silencieux, sentir leurs mains frôler ses vêtements, ses cheveux, tandis que, plus lointains, d’autres encore gémissaient et frémissaient dans leur impatience de la saisir à leur tour. De plus, le brouillard, qui par instant se déchirait en s’accrochant aux arbustes, donnait une apparence de corps, à ces êtres fantomatiques dont elle sentait peser sur elle le regard vide qui la pétrifiait. Paralysée, elle n’osait un geste, un cri, un soupir.

***

Soudain, sur sa droite, un souffle tiède sur sa joue la fit bondir en arrière, puis quelque chose prés d’elle renâcla, chuinta, cracha. Là, en face, deux yeux jaunes et immenses la regardaient ; à six pieds au-dessus du sol, ils oscillaient de gauche à droite, de haut en bas sans cesser de fixer leur proie.
Fuir, il fallait fuir avant que tous les démons de la nuit ne s’éveillent !
Tâtonnant derrière elle le muret contre lequel elle s’appuyait, Marinette se saisit d’une pierre qu’elle lança du plus fort qu’elle put  avant de s’enfuir à toutes jambes en sens inverse, sans se soucier des branches qui agrippaient ses cheveux comme autant de mains crochues. Quand enfin elle s’arrêta à bout de souffle, hormis son cœur battant la chamade, nul autre bruit n’était plus perceptible. Elle était sauvée !

***

Sauvée… mais perdue, comme venait de le lui confirmer le regard jeté autour d’elle. Elle ne reconnaissait rien dans cet univers de brume grisâtre. Découragée, elle se laissa glisser sur le sol.
Elle ne retrouverait plus le chemin, elle allait errer sans fin dans le labyrinthe sans que personne ne songe à l’y aller chercher !
Déjà les larmes lui venaient aux yeux, quand elle crut distinguer comme une lumière, certes pâlotte et tremblotante mais suffisante pour lui redonner espoir.
On venait à son secours. Elle cria : « Ohé ! Je suis là ! »

Mais la lueur lui parut s’éloigner : on ne l’avait pas entendue ; le brouillard sans doute ; ne pas perdre cette lumière des yeux et se mettre en route!
Curieusement la peur l’avait fuie, effacée devant la volonté de rattraper cette lueur providentielle.
Ils étaient là, tout prés, le père, le Jeanou, elle n’avait plus rien à redouter des bêtes féroces, se disait-elle en accourant vers eux ; quelle sotte elle avait été de croire aux démons ! Comme on rirait d’elle si elle en parlait ! Mais elle ne dirait rien : elle s’était égarée à cause du brouillard, voilà tout !
La lumière qu’un halo jaune entourait, s’était arrêtée au milieu d’une petite clairière que la brume se retirant avait dégagée.
image Il n’y avait personne ; seul se faisait entendre le feulement de la flamme prisonnière de la lanterne suspendue dans le grand houx.
« Où êtes-vous ? » Le silence qui lui répondit lui parut étrange, comme s’il laissait pressentir qu’un événement insolite allait se produire.
La lanterne se mit à luire plus brillamment jusqu’en devenir éblouissante, puis peu à peu la lumière s’atténua, et elle crut entrevoir au milieu des branches du grand houx, comme une forme blanche pareille à une silhouette de brouillard ouaté, évanescente et drapée d’une écharpe de mousseline que les feuilles piquantes de l’arbre auraient retenue. Surprise, la fillette se figea, le bras tendu dans son désir de s’emparer de la lanterne, car de la silhouette avait surgi une main diaphane qui d’un geste gracieux tentait de dégager du feuillage ses voiles agrippés. Un bruit de satin qu’on déchire, et le fantôme de brume s’évanouit sans que les branches du houx aient esquissé le moindre frémissement.
A nouveau, Marinette sentit l’horrible peur lui griffer le ventre quoique au plus profond d’elle-même germât le sentiment qu’elle n’avait rien à redouter de cette apparition.

***

Elle allait cependant se remettre à courir quand, derrière elle, s’élevèrent les premières notes du chant d’un pipeau : elle reconnut à l’instant la complainte que jouait toujours son frère. Bien sûr, Jeanou était là qui se cachait ; c’était lui qui avait placé en évidence la lanterne dans le grand houx ; car elle avait bien reconnu l’arbre : il était le seul de son espèce dans les bois, et sa mère et elle venaient chaque année pour Noël en cueillir le feuillage décoratif. La forme dans l’arbre, n’était qu’une illusion, une tromperie du brouillard : maintenant qu’elle savait où elle se trouvait et qu’elle possédait une lanterne pour s’éclairer, elle était sûre de retrouver le chemin, d’autant que son frère dans l’obscurité la guidait du chant moqueur du pipeau.
Bientôt, en effet, elle sentit à l’air plus vif sur sa joue qu’elle était sortie des bois, puis elle reconnut sous son pied les roches du chemin que les charrois d’attelages pesants avaient, au cours des temps, creusées d’ornières ; très vite elle fut au roc Traoucat, la grande lavogne se trouva alors sur sa droite puis vinrent la croix, le chemin bas, la cour bordée de la bergerie où les brebis agitaient leurs clochettes, enfin les escaliers de pierre, la terrasse et la salle commune.

***

 - Où étais-tu donc passée ? S’écria sa mère d’une voix courroucée ; le père et le Jeanou sont allés te chercher à la Cave. - Je me suis perdue dans le brouillard, répondit l’enfant, puis elle ajouta très vite, mais Jeanou n’était pas avec le père, c’est lui qui m’a aidée en me laissant une lanterne et guidée avec son pipeau dans les bois. 
Alors la mère expliqua à Marinette que Jeanou n’était jamais allé dans les bois et qu’il n’y aurait jamais abandonné une lanterne, et d’ailleurs où était-elle cette lanterne ? La fillette répliqua qu’elle l’avait laissée dehors sur le muret de la terrasse.
Mais dehors il n’y avait rien.

-  Je l’avais pourtant posée là sur le rebord ! une lampe tempête et qui éclairait drôlement bien ! » S’exclama Marinette.
 - Tu dis n’importe quoi ma pauvre fille : il n’y a jamais eu qu’une seule lampe tempête à la maison, et ton père l’a prise pour aller te chercher!  Répliqua vertement la mère.
Devant l’air effaré de sa nièce l’oncle Emmanuel, le vieux félibre que tout le monde respectait, attirant la fillette prés de la grande cheminée dit doucement dans cette belle langue qu’il savait si bien servir : - Diga me pichota de que t’es arribat, diga me ço qu’as vist aval dins lo Cagnas, diga me, diga me s’o » ( Dis-moi, petite ce qui t’est arrivé, dis-moi ce que tu as vu là-bas dans le Cagnas, dis-moi, dis le moi )
Alors dans un récit entrecoupé de sanglots Marinette raconta tout : son départ tardif de la Cave, le brouillard qui l’avait égarée dans les bois, l’être effrayant aux yeux jaunes qui avait voulu la dévorer, la silhouette féminine dans le grand houx, le chant du pipeau, la lanterne. …
- Sainte mère de Dieu et maintenant elle dit qu’elle a rencontré La Dame !  S’écria sa mère en se signant et en baissant le ton pour prononcer les derniers mots.
- La Dame ? Quelle Dame ? Interrogea Marinette.

***

L’oncle Emmanuel répondit alors qu’il y avait bien longtemps, sur le Causse, on racontait qu’apparaissait aux voyageurs égarés dans le brouillard, une Dame toute vêtue de blanc et qui, selon que l’on était honnête homme ou méchante personne vous secourait en vous mettant sur le bon chemin ou vous guidait vers les hautes falaises qui surplombent la Vis du haut desquelles vous tombiez et vous fracassiez. Cela n’était bien sûr qu’une légende, car lui-même n’avait jamais connu personne que la Dame Blanche eût secouru. On disait aussi qu’il n’y avait guère que les enfants qui puissent être assez purs pour faire sa rencontre ; les grandes personnes ne la voyaient jamais ou n’étaient plus là pour le dire. Aussi, dès que par malheur il arrivait que quelqu’un s’égare et tombe de la falaise il y avait toujours des méchantes langues pour dire :
 - Aquel valia pas grand causa que la Dama Blanca l’a pas secorrut ! » ( celui-là ne valait pas grand-chose pour que la Dame Blanche ne l’ait pas secouru ! )
Seulement, les enfants, on ne les croyait jamais ! Lorsque le brouillard se déchire, il peut créer pour une imagination fertile tellement de formes à l’apparence humaine !
-  Peut être bien que ce que j’ai vu dans le houx n’était pas la Dame ! expliqua Marinette. Par contre, le monstre aux yeux jaunes était bien là, lui !
  L’oncle Emmanuel se mit à rire :
 - Co qu’as vist mon efan, es pas que la miaula ambe sos uélhs escarcalhats ! Risquava pas d’estre mangeada ! » ( Ce que tu as vu mon enfant n’était que le Grand Duc et ses yeux immenses ! Il ne risquait pas de te manger ! )
 - Et la lanterne et le pipeau?
  L’explication de l’oncle, comme quoi la lanterne avait pu tomber de la terrasse et qu’on verrait bien demain quand il ferait jour, ne satisfit pas la fillette ; pour le pipeau, il assura que ce devait être celui de Jeanou : le son, par temps de brouillard, se perçoit souvent de curieuse façon !
Effectivement quand le père et Jeanou furent revenus, ce dernier confirma qu’il avait bien joué de l’instrument, mais qu’il était resté sur le chemin de la Cave. Le père quant à lui, gronda Marinette de s’être attardée, et la menaça de punition si elle recommençait ; la peur qu’elle avait dû ressentir suffirait pour cette fois. Il ajouta ensuite que sous son toit, il ne voulait pas entendre parler de fées, de Dames et d’esprits qui peuplaient soi-disant les nuits du Causse : ce n’étaient que des contes de bonne femme propres à effrayer les enfants. Il était temps de manger la soupe et le chapitre était clos.
Il s’assit donc au bout de la table, puis ouvrit son couteau avec lequel il coupa pour chacun une large tranche de pain.
Le repas fut silencieux.
Il n’y eut pas de veillée prés de l’âtre : il était tard et demain il fallait s’occuper du bois.

***

Marinette mit du temps à s’endormir : elle avait beau penser que le brouillard l’avait trompée, image elle n’arrivait pas à s’enlever de la tête la vision de la main diaphane et du geste gracieux pour dégager l’écharpe de mousseline.
Et si tout le monde se trompait ? Et si c’était bien la Dame Blanche qui l’avait secourue ? Après tout elle était encore une enfant, et savait au fond d’elle-même que l’apparition ne lui voulait pas de mal. Bercée par ces pensées réconfortantes elle sombra dans le sommeil.

***

Comme cela arrive souvent en automne, le lendemain s’ouvrit sur une journée radieuse que tous s’apprêtèrent à mettre à profit.
Au matin, Jeanou et le père avaient eu une altercation quand on avait retrouvé au bas de l’escalier la lampe tempête brisée : Jeanou affirmant qu’il l’avait mise à sa place dans l’étable, le père l’accusant de l’avoir laissée sur le muret de la terrasse d’où le vent qui s’était levé en fin de nuit l’avait fait tomber.
Et la fillette perplexe s’était demandée où avait pu disparaître la lanterne qui l’avait secourue.
Marinette, outre le transport quotidien du lait, avait en charge la garde du troupeau sur les pâtures tant que le temps le permettait. Ce jour là, comme les jours précédents, elle devait mener les bêtes sur les terres en lisière des bois
Lorsque l’on mène paître les brebis après les récoltes, la tâche est beaucoup plus facile, surtout si l’on a comme auxiliaire une chienne aussi douée que Pastroune qui a l’œil partout et ne permet jamais à une seule bête, fut-elle très maligne, de s’éloigner du troupeau. Aussi la fillette pouvait-elle à loisir réfléchir aux événements nocturnes en repassant dans sa tête les moindres détails. Autant partageait-elle l’opinion de l’oncle Emmanuel à propos du grand duc qui l’aurait effrayée, autant n’était-elle qu’à demi convaincue par les explications données sur la lanterne et le pipeau.
Quant à la Dame Blanche…elle ne savait plus que penser. Pourtant, il fallait qu’elle sache et puisqu’elle se trouvait non loin du grand houx, elle décida de retourner auprès de l’arbre.

***

La nature portait encore ses parures d’automne ce qui rendait les bois touffus et colorés, mais également mystérieux. Quoiqu’ils fussent protégés des grandes bourrasques de vent, ils étaient néanmoins remplis de mille bruits  : le crissement des feuilles mortes sous les pas, le frétillement des ramures des chênes blancs qui, s’entrechoquant, faisaient crépiter leurs feuilles desséchées, le cri aigu et bref d’un oiseau dérangé et parfois même, lui sembla-t-il, le « frrout » du lièvre quittant le gîte. Tout lui était cependant familier et ce fut sans ressentir trop de crainte qu’elle arriva au pied du grand houx. L’arbre dressait ses longs rameaux flexibles et la lumière qui baignait la clairière rendait encore plus luisantes ses feuilles vernissées. Il lui sembla toutefois qu’une de ses branches touchait le sol comme si elle avait eu à supporter un poids qui l’aurait fait se courber. Marinette s’approcha pour se rendre compte, et ce faisant, son regard fut attiré par un reflet soyeux. Là, pris dans une branche plus élevée, elle vit trois fils blancs que le souffle du vent agitait. Ils étaient longs, fins, de couleur nacrée, et voletaient au-dessus d’elle retenus par les dents piquantes d’une feuille. Elle fit un geste pour les saisir, mais son bras était trop court ; elle eut beau se hausser sur la pointe des pieds elle n’obtint pas la taille suffisante pour les atteindre. Elle se mit alors à sauter sur place, effectuant des sauts de plus en plus hauts. Mais à chaque fois qu’elle croyait saisir les fils, un souffle d’air les rejetait hors de portée de ses doigts. S’accroupissant sur ses talons afin d’utiliser toute la détente de ses muscles elle fit une dernière tentative qui fut couronnée de succès mais qui l’envoya rouler dans les buis. Sa déconfiture la fit rire ; or, il lui sembla qu’un rire en écho répondait au sien ; elle se tut, attentive, prête à s’enfuir à la  moindre alerte: seul, le crépitement des chênes continuait son bruissement automnal. Elle avait encore rêvé ; peu importait, car elle tenait dans sa main trois longs fils ténus de la plus fine des soies blanches qu’il lui eût été donné de contempler ! De quelle étoffe pouvaient-ils provenir si ce n’était…Non, cela se ne pouvait pas : l’oncle qui était si instruit l’avait affirmé. Pourtant…
Marinette ne se lassait pas de faire jouer les fils sur ses doigts. Tantôt elle soufflait dessus afin que la lumière révèle leur nuance chatoyante, tantôt elle les enroulait sur son index pour qu’ils bouclent, tantôt elle les frottait sur sa joue et s’amusait de leur douce caresse.
Le temps passait…. Et la lumière à travers le feuillage se faisait moins vive… Soudain la fillette réalisa qu’il pouvait être tard et qu’elle ne voulait pas se retrouver à la nuit dans les bois. Enfermant alors dans sa poche ses précieux fils elle prit appui sur les mains pour se relever. Le soleil couchant qui pénétrait les bois d’une lumière rasante se réfléchit un instant au sommet du grand houx forçant la fillette à lever la tête. Là haut, tout là haut, se tenait une Dame toute de blanc vêtue et drapée de mousseline. Dans sa main gauche elle tenait une lanterne, de la main droite elle esquissa un geste, l’index placé devant ses lèvres qui souriaient : chuttt ! Puis elle disparut, pfuit… laissant l’enfant trop médusée pour réagir tandis que se faisaient entendre les notes allègres d’un pipeau !
L’aboiement rageur de Pastroune la rappela à l’ordre : d’un bond elle fut sur pied, et s’empressa, sans même jeter un regard en arrière, de quitter le couvert des arbres.
Il était temps. Déjà les ombres s’allongeaient, et Pastroune, sentant venir la nuit, rassemblait le troupeau.

***

Tout en suivant les bêtes pressées d’aller boire à la grande lavogne, Marinette qui s’était reprise songeait : devait-elle faire part de ses découvertes ? Qui la croirait ? Devait-elle garder le silence comme le lui intimait la Dame ? Elle se sentait en possession de secrets qui dépassaient sa propre personne et ne voulait pas qu’une fois encore l’explication d’oncle Emmanuel vienne ravir sa part de rêve. De plus, elle redoutait les moqueries de ses frères. Quant à la réaction de son père, elle préférait ne pas l’imaginer !
Ainsi, c’était décidé, elle ne dirait rien.
Elle siffla donc Pastroune et d’un cœur allégé se consacra à la rentrée du troupeau !
Marinette grandit et mourut avec son secret.
Le Causse à l’ère de l’automobile et du tourisme de masse a perdu de son mystère.
D’ailleurs ses habitants des saisons d’été en vantent le caractère plaisant et avenant.
Il n’est plus jamais question de la Dame blanche. De fait, peu de gens en connaissent encore la légende.
Pourtant, s’il vous arrive un soir brumeux d’automne de vous promener sur ces terres aux reliefs ruiniformes ou dans ces bois pour toujours livrés à l’exubérante nature, et qu’un brouillard obscurcisse et limite votre champ de vision jusqu’à vous laisser seul en tête-à-tête avec vous-même, demandez-vous donc, en admettant que la Dame Blanche ait existé, de quel groupe de voyageurs égarés vous auriez fait partie.

Michèle Puel Benoit

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