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Philibert le Lièvre, Seigneur de Claveyroles

image Messire Philibert, Seigneur de Claveyroles, avait préparé plusieurs gîtes tout au fond d’un buisson de mûres, bien abrités par une haie de prunelliers et de poiriers sauvages. Ces simples cuvettes aménagées à même le sol avaient suffi à Dame Cunégonde, sa hase, pour mettre bas , et comme à son accoutumée, un dans chacun, quatre levrauts déjà poilus , et dégourdis dès la naissance.
Laissant à sa fidèle compagne, toujours gagnée de haute lutte lors du bouquinage de décembre, le soin d’élever seule sa progéniture, lui -même, en grand seigneur solitaire qu’il était , avait établi le sien non loin de là , suffisamment distant toutefois pour ne pas être importuné par les vagissements de ses petits.
Sa seigneurie était un beau mâle de sept livres, âgé de sept ans, au pelage roux et brun-noir sur le dos, au ventre couleur de crème, doté d’une longue paires d’oreilles terminées par un triangle noir ; noir était également le dessus de sa queue courte et dressée, par ailleurs d’un beau blanc neigeux. Nul autre dans sa confrérie ne l’égalait à la course augmentée de la détente de ses puissantes pattes arrière. Bref, un spécimen tel que ce tènement protégé du plateau n’en avait connu depuis longtemps.
Dire qu’il en avait fait courir des chiens courants ou d’arrêt à sa poursuite, sans jamais être rattrapé, ne serait que pure vérité. Néanmoins, depuis qu’il n’y avait plus de chasseurs dans le hameau, il vivait une existence paisible dans ce grand champ nommé de Claveyroles parce que jouxtant le puits du même nom, point d’eau si précieux sur nos terres arides.

***

Nous étions au printemps. Ce mois d’avril, quoique venté, n’en finissait pas de faire éclore ses fleurs, bourgeonner ses arbres, et pousser cette succulente salade qu’on nomme « breuda » par chez nous. Notre lièvre qui avait baguenaudé toute la nuit à la recherche de savoureuses plantes à brouter, se reposait au gîte.
- Tiens ! se dit-il en dressant une oreille, de la visite ?
S’ asseyant alors sur ses pattes arrières :
- Ce ne sont que cueilleurs de salades. Rendormons nous.
De ces cueilleurs occasionnels, et peu nombreux, il savait qu’il n’avait rien à redouter : s’il restait tapis dans son gîte, ils pouvaient passer tout prés de lui sans même l’apercevoir. De plus, il les connaissait ces néo-ruraux si peu au fait des mœurs des animaux de nos campagnes et tout disposés à s’extasier dès que le hasard leur permettait d’en rencontrer un.
Toutefois aujourd’hui, ils n’étaient pas seuls : un chien noir les accompagnait.

- Non mais de quel droit ont-ils introduit un chien sur mes terres ? S’interrogea outré sire Philibert ?
Puis :
- Peuh ! Un chien des villes. Il ferait beau voir qu’il me sente seulement. Quand à me lever !… restons tapi.
Le chien, ainsi que le prévoyait notre seigneur de Claveyroles, tantôt parcourait le champ en s’essayant à la course pour jouir du souffle du vent dans ses oreilles, tantôt pilait net et marquait l’arrêt pour un papillon et autre bourdon.
En fait, et notre lièvre l’ignorait, dans son ascendance on était chien de chasse. En effet , sa grand-mère était une Braque de Weimar avec pedigree, chien d’arrêt s’il en est un. Toutefois, sa mère, déjà un peu bâtarde, avait elle même fauté avec un quidam de passage qui n’avait pas laissé sa carte mais duquel il avait hérité sa robe noire. Ce qui fait que,  lorsque ses pérégrinations vagabondes l’amenèrent à tomber en plein sur notre seigneur tapi, quelle ne fut pas sa surprise :
- Eh !qu’est ce que c’est  que c’est  que ça? Fit le chien noir en faisant un bond en arrière.
- Hola ! Oh ! Répondit le lièvre . Ne savez-vous pas jeune malappris qu’il est inconvenant de déranger sa seigneurie au gîte ? Allez, allez, filez mon bon .
Cependant, était-ce que les gênes de chasseur hérités de ces ancêtres tout à coup entraient en action, le chien, faisant fi des ordres donnés, marqua un magnifique arrêt la patte avant repliée, la tête tendue, la queue dressée et rectiligne, arrêt en tout point digne du meilleur champion des Braques.
Devant cette attitude lui rappelant de bien mauvais souvenirs notre Seigneur, plus circonspect, n’en réitéra pas moins son ordre :
- Passez, passez manant, vous dis-je.
C’est alors que, contre toute attente, les pattes en avant, le chien bourra en donnant de la voix.
D’un bond prodigieux de plus de trois mètres notre lièvre échappa à l’attaque et détala à pleine vitesse. S’en suivit une folle course poursuite.
Alertée par les cris du chien, pris pour des pleurs :
- Mon dieu elle s’est blessée !
Notre cueilleuse de salades, se retournant, évita de justesse une boule de poils roux et bruns lancée à pleine vitesse, suivie de près par un chien noir donnant d’une voix qu’elle ne lui connaissait pas.
- Çà alors ! S’écria-t-elle, Joïa qui poursuit le lièvre !
Tandis que les deux partenaires, poursuivi et poursuivant, disparaissaient au loin derrière la haie de buis.
Longtemps on entendit la donne si caractéristique du chien courant après le gibier débusqué.
- Elle va se perdre fit-elle inquiète. Il risque de la mener loin.
Elle se rappelait l’histoire, que lui avait contée son père, de ce chien courant qui, à la poursuite d’un lièvre avait traversé tout un département. On les avait retrouvés assis à dix mètres l’un de l’autre entièrement épuisés.
- T’inquiète lui dit son époux, ça m’étonnerait qu’elle tienne la distance, elle n’a pas l’entraînement.
Bientôt on n’entendit plus rien. Peu après, réapparut Joïa, soufflant comme un phoque, la langue pendante, le museau écumant.
- Il t’a fait courir ma grande, mais tu ne l’as pas rattrapé, pas vrai ? Une autre fois peut être, avec un peu d’entraînement qui sait ? Lui dit-elle.
Après s’être étendue pour souffler un peu, oublieuse de sa traque, notre chien noir s’en retourna à son occupation favorite : à savoir chasser et débusquer papillons et autres insectes.
Plus tard, le panier rempli de salades et le jour déclinant, tous trois prirent le chemin du retour.
Messire Philibert, quant à lui, s’en était tranquillement retourné à son gîte.
- Eh eh ! Se disait-il, j’ai encore de beaux restes et n’ai rien oublié des ruses qui incombent à ma race. Vous avez vu comme je l’ai distancé, puis semé, ce malotru ! Il n’est pas encore né celui qui me ravira ma couronne ! Et fort de ces glorieuses pensées il reprit ses rêves de peuples l’acclamant sous les vivats et chantant ses louanges.
Délaissant pour un temps le champ du puits, nos cueilleurs s’étaient concentrés sur les pentes de la colline du menhir mieux abritée du vent et sur lesquelles les touffes de salades poussaient plus fournies. De plus, la colline toute entière embaumait du parfum entêtant des jonquilles naines l’éclairant par endroits de leurs nappes jaunes dispersées. Ce n’est que huit jours après qu’ils revinrent au royaume de sire Philibert.

***

Ce jour là, à peine le portillon franchi, Joïa, contrairement à son habitude, fila directement sur la haie droite du champ qu’elle entreprit d’explorer le nez au sol, la queue frétillante, à marche zigzagante. Elle en fit plusieurs fois l’aller retour, avant que d’une démarche lente et coulée elle ne marque à nouveau un arrêt splendide.
- Encore vous ! s’écria notre sire tout embrumé de rêves. Ne vous avais-je pas déjà dit de passer votre chemin sans m’importuner d’avantage. Faut-il que la leçon ne vous ait pas servie ! Fi ! Fi ! le vilain rustre !
Or notre chien, soit disant de chasse, n’avait que faire des propos de ce beau parleur, ce qu’elle désirait par dessus tout c’était courir ! courir !courir !
S’accroupissant sur ses pattes avant, le derrière dressé, et la queue frétillante :
- Dis on joue ? On joue ? demandait-elle avec l’insistance des jeunes enfants . Comme la fois dernière, tu t’en vas et je te poursuis. - Vous y tenez vraiment ?
- Oh oui ! Oh oui ! Oh oui !
- Savez-vous bien manant, que vous allez vous rendre ridicule car vous ne m’attraperez pas.
- Faut voir.
- C’est tout vu.
- Allez tu démarres ou je te saute dessus ?
- Bon bon, vous l’aurez voulu «  Et le chien dégénère qui s’épuise en courant au derrière d’un lièvre » Répondit le seigneur, car il connaissait ses classiques .
Frout !!! Un grand bond et le voilà parti .
- Gnaïn, gnaïn, gnaïn ! Et le voilà pourchassé.
Nos cueilleurs de salades furent à nouveau témoins médusés de la belle course poursuite, puis retournèrent à leur cueillette.
Durant tout le printemps chaque fois qu’ils allaient au champ du puits, le même phénomène se reproduisait, à tel point que, blasés, ils n’y prêtaient même plus attention.
C’est que voyez-vous une sorte d’entente, de pacte tacite s’était établi entre les deux protagonistes de l’histoire.

***

Donc un jour, au cours de la course poursuite habituelle, au bout de quatre cents mètres notre seigneur lièvre s’était brusquement arrêté pour faire face.
- Stop ! Avait-il dit, il suffit ! La partie que vous vous plaisez à engager me paraît totalement inégale et dénuée de sens, vu que vous la perdrez toujours . Toutefois je sens en vous une certaine aptitude à la persévérance, qualité ô combien admirable, ainsi que que de réelles capacités sportives. C’est pourquoi , nous, seigneur de Claveyroles, avons décidé de vous octroyer le titre d’entraîneur en chef de leurs altesses royales, au nombre de quatre ce printemps.
- Comment on ne joue plus ?
- Si fait, si fait, toutefois plus avec moi, mais , comme je viens de vous le dire, avec leurs altesses royales. Retournons voulez- vous que je vous les présente.
Et sur ces mots notre sire lièvre détala dans l’autre sens.
Joïa qui n’avait rien compris de ce qui venait de lui être dit, sauf que le jeu reprenait à nouveau, recommença avec joie la poursuite.
Très vite ils furent auprès du buisson de mûres .
- Hola ! Oh ! s’écria messire Philibert en faisant volte face.
Joïa freina des quatre pattes.
- Asseyez -vous donc mon brave que je vous présente .
Puis se tournant vers le buisson :
- Gontran, Gaspard, Aliénor, Héloïse, approchez je vous prie.

Des fourrés apparurent quatre petits levrauts tout juste sevrés : les deux mâles étant la copie conforme de leur père ; les femelles, plus rousses , l’une paraissant toute intimidée mais l’autre,tout à fait délurée, en trois bonds se retrouva sous le nez même du chien qu’elle se mit à renifler de son petit nez mobile.
- Héloïse ! Voyons que faites vous de la dignité qui est l’apanage de votre rang ? De la tenue s’il vous plaît .
Elle fit trois pas en arrière .
- Mes enfants, mes princes, mes princesses, je vous présente votre précepteur - entraîneur…., au fait à qui ai-je l’honneur ?
- Joïa lui fut-il répondu.
- Joïa ? Mais ce n’est pas un nom de mâle.
- Non, de fille.
- Au vu de votre allant j’aurais cru. Mais qu’importe votre préceptrice donc : Joïa. Mais vous lui direz Mademoiselle.
- Mon ami vous n’y pensez pas ! s’exclama Dame Cunégonde en sortant à son tour des fourrés. : Un chien pour éduquer nos enfants ! Assurément vous n’avez pas toute votre tête .
- Madame paix ! Il ferait beau voir que vous me contredisiez.
- Non Sire, là n’était pas mon intention, mais tout de même un chien ? Notre ennemi juré ?
- Un chien oui justement . Un chien n’est dangereux que poussé par ses maîtres. Celui -là je le connais pour l’avoir pratiqué et m’ en porte garant. Vous en seriez d’accord demoiselle Joïa ?
L’interrogée s’était, elle, allongée toute surprise devant ces quatre mignonnes boules de poils . Du discours des parents elle n’avait rien retenu si ce n’était que son jeu préféré allait être multiplié par quatre.
Nos quatre levrauts, en hardis par l’attitude, somme toute peu belliqueuse du chien, osèrent une timide approche. Nez au sol, on renifla, de loin, puis de plus en plus près, jusqu’à même la patte. La chienne, les oreilles dressées, n’osait un mouvement. Mais princesse Héloïse, de tous la plus audacieuse, s’installant confortablement entre ses pattes avant se mit à se lisser les oreilles .
- Héloïse grands dieux ! voulez vous bien sortir de là, s’écria Madame mère toute retournée.
- Peuh! Même pas peur rétorqua l’interpellée. Et pour prouver ses dires, se retournant elle se mit à renifler la truffe de Joïa. Ce que voyant, notre chien de chasse d’opérette fit de même.
- Ma fille, vous vous oubliez, cessez tout de suite ces familiarités . Ordonna sèchement Sire Père . Veuillez présenter vos excuses à Mademoiselle .
L’air contrit reculant de trois pas :
- Je vous présente mes excuses.
- Mademoiselle !
- Mademoiselle. Puis elle tourna le dos.
Alors notre chienne , un brin déçue de la voir s’en aller, rampant sur le sol se mit à renifler sous sa petite queue . Ce qui eut comme résultat de voir détaler notre benjamine après un
- Arrête tu me chatouilles, suivi de, attrape moi si tu peux.
Le signal était donné. Alors commença la poursuite.
Vous tous pensez très certainement que la fugueuse fut vitre rattrapée, et bien détrompez vous, car c’était sans compter sur les ruses propres à la gent lièvre et qu’elle possédait de façon innée.
Après un départ fulgurant en ligne droite, notre jeune levraut fit un crochet sur la droite suivi d’un tel bond que la poursuivante surprise et fonçant tout droit fut obligée de freiner et faire demi tour. Elle l’avait presque rattrapée qu’un crochet sur la gauche la contraint à recommencer sa manœuvre. Alors que notre princesse commençait à donner des signes de fatigue, le chien , qui avait enfin saisi la tactique, était sur le point de gagner, quand prince Gontran prit le relai.
Sans hésiter et ravie de l’aubaine, Joïa changea de partenaire.
Après Gontran ce fut Gaspard puis Aliénor, qui, pas trop rassurée tout de même, ramena tout le monde auprès de ses royaux parents près desquels, à bout de souffle, ils s’effondrèrent tous.
- Pouce ! S’étaient-ils tous écriés.
-Vous voyez belle amie que j’avais raison. Je ne pouvais trouver meilleur entraîneur.
- J’en conviens sire, répondit Dame Cunégonde.
Quand le souffle fut revenu aux participants de cette course folle, Sire Philibert s’adressa à eux en ces termes :
- J’espère que vous avez apprécié comme il se doit cette première leçon. Je dois reconnaître, pour ma part, que chacun de vous y a bien tenu son rôle. Cependant il est de mon devoir de père et de monarque de vous faire , mes chers enfants, quelques remarques constructives. N’oubliez pas que votre rang exige de vous l’excellence. C’est pourquoi Prince Gontran il serait bon que vous veilliez à perfectionner votre bond crocheté gauche. Gaspard prince puîné, vous ne tenez pas assez la distance. Princesse Héloïse vous êtes partie trop vite. Quand à vous Aliénor quand cesserez vous de venir toujours vous réfugier dans les pattes de Madame votre mère ! Damoiselle Joïa, vous répondez certes à mes attentes, mais un seul relai me paraît insuffisant pour des lièvres qui auront à se défendre de prédateurs bien plus aguerris. Il serait bon, dés la prochaine leçon de voir à augmenter la cadence. Je vous délivre pour aujourd’hui de vos engagements et vous donne rendez-vous à une fois prochaine. Allez , Allez ma chère vous pouvez retourner à vos papillons. J’ai dit.
- Ah bon ? C’est fini ? On ne joue plus ? Ben tant pis.:
Et sans trop se poser de questions Joïa s’en revint vers ses maîtres.

***

La cueillette des salades fut durant un mois et demi l’occupation favorite de nos néo-ruraux, et la visite au champ du puits quasi quotidienne : c’est dire si l’entraînement sportif de nos levrauts fut intense. Leurs progrès furent étonnants et notre chien, qu’un grignotage entretenu par son maître quoique réprimandé par sa maîtresse, avait légèrement empâté, y gagna en sveltesse et en résistance. Puis, les visites au champ furent interrompues. Privés de leur instructeur nos jeunes lièvres n’en gardèrent pas moins l’habitude de ces courses relai auxquelles ils avaient pris goût. Si bien qu’au début de l’été, à l’arrivée des agnelles pour l’estive, nos altesses royales étaient devenues des spécimens adultes en tous points remarquables, dont leurs royaux parents étaient très fiers. Il fallait donc songer à les laisser s’assumer tout seuls. C’est ainsi qu’un soir au pied du grand menhir sire Philibert convoqua sa cour, à savoir tous les grands mâles ses sujets. - Seigneurs et fidèles sujets leur dit-il, est arrivé le temps où mes enfants royaux doivent quitter notre cour pour prendre en charge leur nouveau domaine. Nous avons donc décidé d’octroyer à notre aîné Gontran la seigneurie dite du Tchouradou de la Cisternette, tandis qu’à notre puîné Gaspard se verront allouées les terres du Tchouradou du Laquet. Je vous demanderai , vous tous ici présents d’en prendre acte. Quand à vous deux mes fils, veuillez sur le champ rejoindre vos terres respectives. Messieurs, la séance est levée. J’ai dit.
Et nos lièvres de détaler selon leur destinations respectives.

Broutant non loin de là, Marquise l’ancienne meneuse du troupeau devenue depuis peu l’instructrice des jeunes agnelles, s’arrangea pour se trouver sur la route de sire Philibert de retour au gîte . - Oh ! Dame Marquise, lui dit-il avec déférence, je ne croyais pas vous rencontrer si tôt en saison.
(Je me dois d’apporter une petite explication. Dans un troupeau de brebis, il n’y a ni roi, ni reine. Toutefois la meneuse qui s’ en est vu confier maintes fois la direction jouit d’un certain prestige auprès de toute la gent animale du plateau.) - Sire, lui fut-il répondu avec respect, on m’a accordé cette année charge et instruction des jeunes agnelles. Outre l’honneur qu’il m’est échu, j’avoue apprécier. En effet, mon grand âge commençait à me rendre pénibles les longues transhumances.
- Je vous comprends fort bien chère amie. Nous pourrons alors multiplier ces entretiens auxquels nous sommes tous deux très attachés je crois.
- Cela va de soi, quoique ma tâche d’éducatrice me paraisse devoir me prendre beaucoup de temps. Selon les dires du Tchouradou du Laquet, il semblerait que règne chez les agnelles cette année un certain esprit de fronde. Mais dites-moi ces quatre magnifiques levrauts que j’ai vu s’entraîner, sont-ce les vôtres Monseigneur ?
- Si fait , si fait : deux mâles et deux femelles pour perpétuer notre race.
- Portée royale comme il se doit.
- N’est-ce pas ? Mes deux fils viennent à l’instant de rejoindre les tènements que nous leur avons octroyés.
- Et vos deux filles ?
- Nous les marierons en décembre avec deux princes de la seigneurie des Baumes. Les pourparlers sont déjà bien avancés.
- Elles ont donné leur accord alors ?
- Leur accord n’est pas sollicité. Nous ordonnons : elles obéissent.
- Tiens donc !
- Que voulez-vous dire ?
- Que de nos jours ce n’est peut-être pas…
- Pas quoi ?
- Qu’il serait sans doute préférable…
- Suggèreriez-vous par hasard…
- Loin de moi d’oser seulement sire, cependant je les ai vues en grande conversation avec ces écervelées d’agnelles les plus frondeuses. Alors...mais que font elles là-bas près du hamp de luzerne ces satanées désobéissantes. Pardonnez-moi sire mais il faut que je les empêche de franchir la clôture. Nous reprendrons plus tard cette conversation.
Et du plus rapide qu’elle put Marquise s’en fut rejoindre ses agnelles.
Tout en revenant vers son gîte de champ de Claveyroles, Sire Philibert songeait. Qu’avait donc voulu dire Marquise ? Que ses filles n’étaient pas deux princesses dociles et obéissantes ? Qu’il n’aurait pas choisi pour elles les bons époux ? C’était pourtant là le choix le plus judicieux : des voisins, qui touchaient nos terres, avec la perspective d’agrandir le royaume, pas trop éloigné de leur mère qui pourrait ainsi les conseiller et les visiter tous les jours. Non non il ne pouvait y avoir rien de mieux. Et fort de cette certitude se tassant dans son gîte notre monarque s’endormit aussitôt d’un mérité sommeil du juste .

***

Il se passa bien quinze jours avant que les chemins de Marquise et Philibert ne se croisent à nouveau.
Ce ne fut cependant pas le cas pour princesse Héloïse et princesse Aliènor qui suivait sa sœur partout ainsi que son ombre. Toutes deux mirent à profit ce temps libre de toutes urveillance pour rencontrer quotidiennement les trois agnelles frondeuses à savoir : Mimi, Frisounette et Lulu.
NB Dans un précédent conte intitulé le Tchouradou nous avons fait la connaissance de ces agnelles écervelées ainsi que de leur sagace éducatrice Marquise. Elles les avaient remarquées par ce qu’elles étaient bien souvent à l’écart des autres s’essayant à déjouer la surveillance de Marquise . Ensuite elles les avaient trouvées rigolotes à les voir se mirer dans les abreuvoirs en tentant de faire bouffer leurs frisettes . Et puis un jour lors d’une poursuite effrénée elles étaient tombées littéralement sur elles trois bronzant au soleil derrière un buis. C’est ainsi qu’elles avaient fait connaissance. Leur allure délurée, leur nonchalance, et leur effronterie avaient tout de suite séduit Héloïse alors en pleine crise d’adolescence. Les propos rebelles qu’elles tenaient l’avaient tout à fait convaincue. C’est dire qu’elle buvait à la lettre leurs paroles.
- Dans la république des brebis …. Mimi commençait toujours ses phrases ainsi, ce qui lui avait valu la première fois cette question d’Héloïse :
- C’est quoi une république ?
- C’est le contraire du royaume
. - Ah bon ? et quel est le roi qui vous commande .
- Nous n’avons pas de roi.
- Que je suis sotte vous n’êtes que des filles. Une reine alors ?
- Nous n’avons pas de reine.
- Et Marquise alors ?
- Marquise n’est que notre instructrice.
- Comme Joïa était la nôtre.
- Joïa ?
- Oui le chien noir qui nous a entraînés à la course mes frères , ma sœur et moi.
- Un chien pour entraîner des levrauts ?
- Oui oui ! Elle est très gentille tu sais.
Mais alors si vous n’êtes que des femelles où sont les mâles ?
- Partis faire leur jeunesse ailleurs .
- Et vos papas ?
- Oh ceux-là ? Ils ne sont qu’au nombre de trois et on ne les voit qu’en septembre quand ils viennent faire les beaux au milieu des brebis. Le reste du temps ils sont parqués dans un enclos près de la petite bergerie.
- Les pauvres ! Eh bien nous nous avons des papas, et même pour ma sœur et moi un roi papa que nous voyons tout le temps.
- Ben et à quoi sert-il ?
- Il règne.
- Qu’est ce que ça veut dire ?
- Il commande et décide.
- Pour tout le monde ?
- Oui !
- Et même pour vous ?
- Surtout pour nous.
- Je n’aimerais pas ça.
- Je n’aime pas toujours.
- Mais parlons d’autre chose… Tu as vu ? J’ai mis des fleurs de chardons bleus dans mes frisettes, comment tu trouves ?
Et les voilà parties pour une conversation entre filles adolescentes en recherche d’image.
Un autre jour ce fut au tour de Frisounette de s’étonner quand elle proposa aux deux princesses de venir brouter le thym fraîchement éclos à la limite des Gamboules.
- Nous ne le pouvons, répondit la timide Aliènor.
- Pourquoi donc ?
- C’est en dehors du royaume du roi notre père.
- Et où sont -elles les limites de son royaume ?
- Maintenant qu’il a octroyé des terres à ses deux fils elles se situent au pied du grand menhir.
- Si j’ai bien compris vous êtes enfermées à l’intérieur.
- On peut le voir ainsi.
- Moi je ne supporterais pas. Moi je suis libre d’aller où bon me semble, je suis une brebis libre !
- Et ces barrières que nous voyons tout autour, à quoi servent-elles ?
- Çà ? c’ est pour nous protéger, des chiens errants, du loup peut être, mais surtout elles sont là pour rassurer le maître.
- Le maître ? Quel maître ?
- Celui à qui appartient le troupeau.
- Ainsi intervint Héloïse, vous n’avez pas de roi mais un maître.
- C’est cela.
- Et que fait-il ce maître ?
- Il nous garde, nous soigne, nous trait, nous protège…
- Et vous enferme dans des barrières !
- Et nous enferme dans des barrières.
- Je ne vois pas très bien où est la différence. Vous aussi vous êtes prisonnières.
- Oui et non, pas tout à fait dit alors Lulu.
- C’est- à- dire.
- Je peux lui dire Frisounette ?
- Tu peux.
- C’est que tu vois, Frisounette, elle, a été élevée à la ville et sait ouvrir toutes les portes.
- Et alors ?
- Eh bé on peut sortir quand on veut.
- Et vous êtes déjà sorties ?
- Non jamais.
- Pourquoi ?
- Tout d’abord parce que Marquise nous surveille de près, ensuite à cause du chien noir.
- Joïa notre instructrice ?
- Mais non pas elle, tout le monde sait qu’elle ne ferait pas de mal à une mouche. Non l’autre, le grand, le beauceron , le chien du berger. Il se couche devant le portail et quand on s’approche de trop près, il nous poursuit et nous pince les mollets tant qu’on a pas rejoint le reste du troupeau.
- Et ça fait mal ! ajoutèrent Mimi et Frisounette.
- De fait cela ne vous déplaît pas d’être à l’intérieur des barrières.
- C’est à dire qu’on s’y sent en sécurité pour rêver tout à loisir que nous sommes des brebis libres.
- C’est effectivement une façon de voir les choses.
Un autre fois Lulu interrogea Héloïse :
- Tu nous as bien dit que tes frères avaient rejoint les terres que ton père le roi leur avait données.
- Oui, mais on dit octroyées.
- Si tu veux. Et les vôtres, où sont-elles ?
- Voyons, les princesses n’ont pas de terres, elles régneront sur celles de leur époux.
- Ah parce que…
- Nous allons nous marier l’hiver prochain.
- C’est vrai ? Dis- moi, comment est-il ? Où vous êtes-vous rencontrés ? J’adore les histoires d’amour. Frisounette qui a été élevée à la ville nous raconte toutes celles qu’elle a vues à la télévision.
- Mais je ne le connais pas, je ne le rencontrerai que le jour dit. C’est mon père qui a tout arrangé. Je sais seulement qu’il vient du royaume des Baumes.
- Non mais je rêve ! Et tu acceptes ça ?
- C’est la tradition chez les lièvres de nos royaumes.
- Eh bien elle ne me plaît pas cette tradition.
- Elle ne me satisfait pas non plus tout à fait, je préférerais choisir.
- Et tu pourrais ?
- Sans doute : je sais qu’ils sont trois frères.
- J’ai une idée. Je connais une agnelle du troupeau des Baumes. Nous avons le même âge et il nous arrive souvent de bavarder près de clôture du haut sans que Marquise nous voie. Je peux me renseigner auprès d’elle.
- Tu ferais ça pour moi ?

- Bien sûr, et j’y vais tout de suite. On se retrouve demain ici à la même heure dit-elle en s’éloignant au trot.
Confiante en sa nouvelle amie, Héloïse s’en revint à son gîte le cœur plus léger.
Bien sûr se disait-elle il n’est pas question que je désobéisse au roi mon père en choisissant un amoureux hors des domaines par lui choisis : je sais trop combien il est important de préserver nos frontières sinon de les repousser et d’agrandir ainsi notre royaume. Cependant j’aurais aimé faire connaissance de ces trois frères princes des Baumes et de pouvoir choisir parmi eux celui que je me destinerai. De plus un brin de cour dans les formes ne serait pas pour me déplaire. Fasse le ciel que grâce à Lulu mon souhait soit exhaussé.

***

Pendant ce temps notre cueilleuse de salades, délaissant le champ du puits au profit de la colline du menhir, les soirées y étaient plus belles et le vent léger du soir bien agréable après une chaude journée , quand la terre s’étant gorgée de soleil exhalait toute les senteurs que la chaleur y avait emprisonnées, s’adonnait à la contemplation. Assise sur l’une des roches qui maintenait la pierre debout elle ne se lassait pas d’ admirer la lumière arasante du jour déclinant qui savait si bien mettre en valeur courbes et monts.
- Tiens Joïa se serait trouvé un nouveau copain ?
- Où ça lui demanda son époux ?
- Là bas près du portail.
- Tu ne le reconnais pas ? C’est le chien du berger.
- Maintenant que tu le dis ! Ils ont l’air de bien s’amuser tous les deux.
L’entente des deux chiens noirs n’avait pas échappé non plus à notre Lulu et comme elle savait Marquise très occupée avec notre seigneur Philibert à une de ces discussions philosophiques dont ils avaient le secret, elle pensait pouvoir sans crainte rejoindre sa copine des Baumes à la clôture commune.
Arrivée à la barrière :
- Et psitt ! Pomponnette ! Viens voir par ici.
- Qui m’appelle ?
- C’est moi Lulu.
- Lulu ? Où diable te caches-tu ?
- Là derrière le grand buis. Je ne voudrais pas que ton chien Barry nous voie et qu’il donne l’alerte.
- Barry? ça ne risque pas, il est sourd comme un pot et n’y voit plus très bien.
-J’aurais quelque chose à te demander.
- Si je peux ce sera avec grand plaisir.
- Est- ce que tu connais la famille royale des lièvres du domaine des Baumes ?
- Celle du roi Sigismond et de la reine Gwendoline ? Ils ont trois fils.
- C’est cela. Pourrais tu m’en dire un peu plus sur ces trois là ?
- Bon, il y a Balthazar l’aîné, un prétentieux imbu de sa personne. Suit Léopold sournois , délateur et moralisateur et affublé d ‘un défaut de langue qui le fait postillonner sans arrêt. Quand on parle du loup… cache toi il vient par ici.
-Ppponpponnette ?Qu’esche que tu fffais le long de che grillache ? Tu chais que ch’est interdit.
- Moi ? Je cherche de l’herbe, elle est plus fournie près des buis.J’ai bien le droit de manger de l’herbe, non ?
- Pppas ppprès de la clôture et e ffais l de che pas le dire à mon pppére. Fit-il en s’éloignant.
- Qu’est ce que je te disais ? Et pas dégourdi avec ça. Le temps qu’il arrive à retrouver son père nous aurons terminé cette conversation. Et enfin il y a Fantasio, Fanfan  pour les intimes: Fanfan le rêveur, Fanfan le poête. J’avoue que j’ai un petit faible pour lui. Mais au fait pourquoi me demandes-tu cela?Je ne te savais pas intéressée par la gent lièvre.
- C’est que vois-tu je me suis fait copine avec Héloïse la fille du seigneur Philibert de Claveyroles. Son père doit la marier avec un prince des Baumes et elle aurait voulu les connaître un peu. Pourrais-tu arranger cela ?
- La malheureuse! je le vois gros comme une maison, c’est Balthazar que son père a du choisir. C’est mal barré car il me snobe et ne m’adresse pas la parole. Pour ce qui est de cet imbécile de Léopold, je m’y refuse tout net. Par contre je veux bien lui faire rencontrer Fanfan, si j’arrive à le sortir de ses rêves.
- Ce serait parfait. Comment allons nous faire ?
- Demain à l’heure de la sieste je m’arrangerai pour le faire venir ici.
- Et moi j’y emmènerai Héloïse . Nous nous efforcerons de faire en sorte que cette rencontre paraisse fortuite du moins pour Fanfan.
- Ah ça ! Cela ne fait aucun doute. A demain donc, je m’en vais vite avant que sa Majesté Sigismond n’arrive. A demain.
Forte de cette promesse Lulu s’en était revenue tchourer ( faire la sieste pour les brebis) auprès de ses congénères. Ce ne fut que dans la soirée quant le troupeau se rapprocha du puits de Claveyroles pour aller boire qu’elle put rencontrer princesse Héloïse.
- Alors demanda cette dernière ?
- Chut ! Plus bas ! Il y a trop d’oreilles qui traînent. Dans une heure dans les tunnels des buis qui ferment le pré.
- Entendu, j’y serai.
Une heure plus tard :
- Tu es toute seule ?
- J’ai pensé qu’il était préférable de laisser Aliénor auprès de ma mère .
- Et tu as eu raison. Ce que j’ai à te dire est confidentiel. Ma copine Pomponnette des Baumes m’a rapporté ce qu’elles savait des princes de son tènement . Eh beh ! c’est pas triste ! L’aîné s’en croit tellement qu’il est gonflé comme une outre, et le second est un cafardeur de première doublé d’un redoutable postillonneur. Nous les avons éliminés d’office . Reste le troisième que nous nous proposons de te faire rencontrer demain. C’est pourquoi il te faudra à l’heure de la sieste te trouver à la clôture commune en haut vers celle des Gamboules . Tu feras comme si tu te promenais par hasard et Pomponnette y conduira Fanfan, c’est comme ça qu’il s’appelle. Après vous vous débrouillerez pour faire connaissance.
- Oh merci Lulu, tu es une véritable amie.

***

Ce qui fut dit fut fait. A l’heure dite, même un peu avant, princesse Héloise était cachée dans les buis qui bordaient la clôture des trois territoires, toute fière d’avoir pu s’échapper sans qu’Aliènor ne la suive.
Quelque temps après Lulu la rejoignait.
- Pardonne-moi pour mon retard mais j’ai bien cru que Marquise ne s’endormirait jamais. Elle était en grande conversation avec le Tchouradou du Laquet et ça n’en finissait pas.
Pour tout vous dire cher lecteur, il avait d’ailleurs fallu que cet effrontée de Mimi s’écrie «  Taisez-vous on aimerait bien dormir nous ! » Pour que le silence advienne troublé peu de temps après par deux puissants ronflements, garants de l’endormissement des deux conversants.
- Enfin me voilà. Puis - Chut on vient.
- Vous voyez prince Fanfan , c’est près de ces buis là que le thym est si parfumé, de plus la vue sur la plaine du puits est tout à fait remarquable.
Dans les buis :
- Allez ouste, qu’est ce que tu attends ? Vas-y. Grondait Lulu
- J’ose pas..bafouillait Héloïse.
- T’inquiète je vais t’aider : et d’un coup de tête Lulu propulsa notre princesse hors des buis.
-Tiens ! Princesse Héloïse, que faites vous ici ? Vous vous promenez? S’exclama Pomponnette.
-Euh... oui !
- Mais j’y pense vous ne vous connaissez peut être pas ? Princesse Héloïse je vous présente Prince Fantasio dit Fanfan des Baumes, Prince Fantasio des Baumes je vous présente princesse Héloïse de Claveyrolles.
- Bonjour.
- Bonjour.
- Je disais justement à prince Fafan que nous avions d’ici une vue exceptionnelle sur la plaine et le domaine de Claveyroles, n’est-ce pas? reprit Pomponnette.
Reprenant ses esprits notre jeune princesse saisissant la perche qu’on lui avait tendue se mit à détailler les éléments caractéristiques aperçus, le menhir, le puits, le champ de blé, pour demander habilement quels étaient les sites que Fanfan préférait. Il n’en fallait pas d’avantage à notre rêveur poète pour qu’il s’épanche avec verve sur les émotions que cette vue lui provoquait, au grand ravissement de son interlocutrice.
Ils ne s’aperçurent même pas quand notre brebis battit en retraite.
- N’est-ce-pas qu’ils sont mignons s’exclama Lulu !
- Je trouve aussi répondit Pomponnette, mais ne jouons pas les voyeuses, ils n’ont plus besoin de nous. Je vais de ce pas rejoindre mon troupeau.
- Pareil pour moi, à plus !

***

Vous ne dites rien cher lecteur, mais néanmoins je vous entends : vous aimeriez bien que je vous raconte en détail tout ce que ces deux là se sont dit qui les a menés jusqu’au crépuscule ; peut être même que je vous déclame les vers dithyrambiques que ce paysage magique du causse avait inspirés à notre jeune poète . Eh bien non, cela n’appartient qu’à leur histoire que ma discrétion naturelle m’interdit de révéler.
Ce que je peux dire toutefois c’est que ces rencontres se multiplièrent, tout en conservant leur caractère secret, jusqu’au milieu de l’automne.
Puis...Puis Sire Philibert réunit à nouveau sa cour.
Cela eut lieu le huit novembre exactement et il y fut annoncé que le dix huit du mois suivant Sire Sigismond des Baumes et Sire Philibert de Claveyroles uniraient leurs enfants Prince Balthazar et Princesse Héloïse par mariage et que tous étaient conviés à fêter cet événement comme il se devait..
Vous imaginez le choc que provoqua cette nouvelle chez nos deux tourtereaux . Bien que prévenus ils n’ avaient jamais voulu vraiment y croire mais s’y étaient tout de même préparés. Le soir même de cette annonce , ils avaient disparu.

***

On attendit quelques jours pour leur laisser le temps de revenir, puis on les fit rechercher dans toutes les seigneuries des lièvres d’alentour. On questionna également les troupeaux avoisinants. En vain. A croire qu’ils s’étaient volatilisés
( Nos trois agnelles « cabourdettas » auraient bien eu une petite idée, mais on ne la leur demanda pas et de toute façon elles n’auraient rien dit , de plus le lendemain elles descendaient avec le troupeau dans le bas pays, alors...)
.On maudit tout d’abord ces deux qui avaient osé enfreindre la règle, on les pleura un temps, puis les mois passèrent et ils furent oubliés.
L’hiver fut là, le printemps suivit, auquel succéda l’été.
Nos citadins néo-ruraux revinrent à l’estive accompagnés de leur fidèle Joïa et reprirent leurs balades.
Délaissant la plaine trop chaude, ils choisirent les bois des Cagnas, en coupant par la Sauvageonne. Et là, Joïa, après avoir marqué un magnifique arrêt , se mit à donner de la voix en poursuivant...un lièvre roux.
- Tiens je ne savais pas qu’il y avait des lièvres si près du village dit sa maîtresse.
Les cris de poursuite cessèrent brusquement, mais la chienne n’en revint pas pour autant.
Ils firent seuls la balade, à l’aller comme au retour.
- Laissons le portillon ouvert, elle finira bien par rentrer dit le mari à sa femme qui s’inquiétait de ne pas la voir.
Ce qu’ils ne surent pas c’est qu’ au milieu de cette course poursuite le lièvre roux s’était retourné s’écriant :
- Oh là ! Stop !
Arrêt brutal du chien.
Puis :
- Voyons, Demoiselle Joïa vous ne reconnaissez plus votre élève ? C’est moi princesse Héloïse.
- Vous princesse ? Tout le monde vous croit perdue, et même morte.
- Il n’en est rien comme vous pouvez le voir.
L’émotion les avait fait se vouvoyer contrairement à leurs habitudes premières.
Et toutes deux de se renifler le museau, les oreilles, heureuses de se retrouver.
Puis la jeune hase raconta comment dès l’annonce de la fâcheuse nouvelle avec Fanfan ils s’étaient enlevés et enfuis loin, le plus loin possible. Comment ils avaient élu le tchouradou de la Sauvageonne pour s’installer. Comment la proximité des garennes de la grande lavogne vides de leurs occupants leur avaient paru opportunes à abriter et cacher leur famille à venir. Comment la vue qu’ils découvraient de là haut sur le village leur avait semblé aussi pittoresque que celle qui avait charmé leur amour naissant ; comment la proximité même de ce village leur avait garanti qu’on ne les y viendrait pas chercher . Ils ne regrettaient certes pas leur décision, puisqu’ils coulaient là des jours heureux à s’émerveiller de cette portée de quatre levrauts que le printemps leur avait offerts. Et surtout qu’elle ne les trahisse pas.
Joïa avait juré, d’autant qu’elle entrevoyait la perspective de folles courses poursuites bientôt multipliées par cinq ou six, si messire Fanfan voulait bien s’ extraire de ses rêveries poétiques et se mettre à courir.
Pour ce faire, elle apprit à soulever de son nez le loquet du portillon pour s’échapper autant de fois qu’elle le voulait, à savoir, dès qu’elle percevait dans l’air si léger du causse, les phéromones émises par les lièvres l’invitant à la poursuite.
- Tiens ! Entends-la, elle s’est encore échappée pour courir après le lièvre . J’avais pourtant bien fermé le portillon je crois.
Puis... la fermeture du portillon fut changée et….Joïa y gagna quelques kilos supplémentaires.
Mais ceci est une autre histoire.


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Michèle Puel Benoit

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