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La légende de Maguelone et Pierre

image Pierre de Provence s’en vint un jour avec son père à la cour du roi de Naples. Pierre était un jeune homme de belle prestance aux cheveux bouclés au teint chaud et hâlé par le soleil. Le roi de Naples avait une fille du même âge, Maguelone, princesse au teint de lys, à la bouche couleur de grenade, aux cheveux noirs d’ébène ; noir ébène était aussi la couleur de ses yeux. Dès que les jeunes gens se virent, ils se plurent et n’eurent plus qu’une envie, ne plus se quitter.
Hélas pour eux, leurs pères n’arrivèrent pas à se mettre d’accord sur ce pour quoi ils s’étaient rencontrés, ils en vinrent à se brouiller et interdirent à leurs enfants de se voir et encore plus de s’aimer.
Or les deux ne le pouvaient pas, s’étant juré fidélité l’un à l’autre jusqu’à la mort.
Ils résolurent alors de s’enfuir sur le destrier de Pierre. - Il existe, douce amie, une île, au milieu des étangs, et située à l’ouest du royaume de mon père ; sur cette île se dresse une abbaye, elle couvre à elle seule presque toute la surface de l’île. C’est là que je t’amènerai, c’est là que je t’épouserai devant Dieu, j’en fais le serment, et jamais les hommes ne pourront défaire le lien sacré qui nous aura unis.
- Mon tendre ami, répondit Maguelone, je te suivrai où tu iras, et dans cette île je serai ta femme devant Dieu ; et jamais les hommes ne pourront défaire le lien sacré qui nous aura unis.

Ils partirent donc avec pour seule richesse le noble cheval de Pierre et son épée ; la seule fortune de Maguelone étant le collier d’ambre et d’améthyste qu’elle avait tenu à emporter et dont elle ne se séparait jamais.
Le voyage dura des jours et des nuits ; le jour ils mendiaient leur nourriture dans les fermes et les villages, et la nuit dormaient dans les bois hors des chemins courus craignant des poursuivants.
Toutes les nuits, Pierre étalait sur le sol son manteau et Maguelone s’y couchait pour dormir après s’être défait de son collier d’ambre et d’améthyste qu’elle déposait entre elle et lui. Alors il s’allongeait à ses côtés, plaçait son épée entre leurs deux corps et il la regardait reposer, sans jamais succomber à l’envie qu’il avait d’embrasser sa jolie bouche couleur de grenade.
Au bout d’un mois de leur voyage, ils arrivèrent enfin près des étangs qui ceinturaient la petite île sur la quelle s’élevait l’abbaye.

Ils firent halte pour une dernière nuit dans les bois de pins près des étangs.
La nuit était magnifique, fourmillante d’étoiles, embaumant la lavande, enchantée de grillons. Pierre comme à son accoutumée, avait fait s’allonger sa tendre amie sur son manteau, quand un rayon de la lune qui s’était levée ronde et toute blanche sur les étangs vint à frapper le doux visage de Maguelone, rendant sa peau plus blanche, ses yeux plus noirs et plus brillants, ses lèvres plus rouges. Pierre ne put résister. Pendant qu’ils s’embrassaient, le collier d’ambre et d’améthyste dont Maguelone ne se séparait jamais se défit de lui-même et roula sur le bord extérieur du manteau. Par malheur pour les amoureux, image un corbeau perché sur la branche du pin sous lequel ils étaient allongés, l’aperçut, s’en empara, et croassant sa victoire s’envola en emportant dans les airs le beau collier d’ambre et d’améthyste de la belle Maguelone.
Les amoureux levèrent la tête juste à temps pour apercevoir l’oiseau s’enfuyant avec sa proie.
- Mon collier, mon beau collier s’écria Maguelone, le vilain oiseau emporte mon collier ! » et tout aussitôt elle fondit en larmes.
- Sèche tes larmes, douce amie, j’irai te le quérir, jusqu’au bout du monde s’il le faut, et te le rapporterai : j’en fais ici le serment. 
Hélas ! Pierre ne croyait pas si bien dire !
Et Pierre poursuivit l’oiseau.
image Il courut le long de l’étang ; mais l’oiseau traversa l’étang. Pierre prit alors une barque et à travers l’étang poursuivit le vol de l’oiseau. Mais ce dernier s’envola vers la mer.
Alors Pierre trouva la passe qui faisait communiquer les étangs et la mer et poursuivit sur la mer l’oiseau voleur.
Cependant le Mistral, ce vent puissant qui vient des terres se leva.
La barque de Pierre était bien frêle, le souffle du vent si fort que la voilà bientôt partie au large,
que la voilà partie et disparue au loin ! Que la voilà perdue !
Sur la plage ne reste plus que Maguelone seule et éplorée.
En vain appelle-t-elle de toutes ses forces :
«  Pierre, Pierre, mon tendre aimé, reviens, ne me laisse pas seule ! Sans toi auprès de moi je ne saurais plus vivre ! Pierre ô mon Pierre !
  Seul lui répond le grondement sinistre de la vague, et le mugissement du vent.
Pendant huit jours et huit nuits. Maguelone arpentera la grève appelant Pierre jusqu’à s’en casser la voix, sans manger, sans boire, sans dormir.
Au bout de ce temps c’est une Maguelone à bout de forces, exsangue et toute desséchée d’avoir tant versé de larmes, murée dans le silence, abrutie de chagrin que recueilleront les gens de l’abbaye.
Ils la soigneront longtemps avant qu’elle ne sorte enfin de son hébétude. Les années passeront ; elle apprendra à s’exprimer avec des signes, car jamais elle ne recouvrera sa voix. Elle apprendra aussi de ses hôtes l’art de soigner avec des plantes, car les gens de cette abbaye possédaient cette science dont ils faisaient profiter les malades qui venaient les consulter ainsi que les pèlerins cheminant sur le « camin roumieu » vers Saint Jacques de Compostelle.
Les années passeront sans que s’efface dans son cœur son amour pour Pierre.
Et Pierre me demanderez-vous ?
Le vent avait poussé sa frêle barque vers le large où il avait dérivé pendant quatre jours et quatre longues nuits, jusqu’à ce que sa route croise celle d’un navire.
Hélas pour lui c’était un navire barbaresque qui croisait et faisait des razzias dans les ports du golfe du lion. Ils s’emparèrent du jeune homme pour le vendre avec la cargaison d’esclaves qui emplissait la cale de leur bateau.

Sur le marché aux esclaves de Tunis, un prince Maure vit tout de suite à ses vêtements, à son maintien, que Pierre était de haute naissance, il I'acheta donc et en fit son secrétaire.
Pierre allait ainsi travailler pendant plus de vingt ans à la cour du Maure. Et puis un jour, au vu des services rendus, le prince le libéra.
Il reprit alors la mer à bord d'un navire marchand pour retourner auprès de Maguelone qu'il n'avait pas oubliée. Hélas, sur le bateau il tomba gravement malade. Et c'est un Pierre à bout de forces qu'on déposa sur le rivage.
Quand on l'amena à l'abbaye, il était maigre, le visage émacié, épuisé au point de ne plus être capable de proférer une parole. Ses beaux cheveux blonds étaient ternis et poissés par la fièvre, ses yeux avaient perdu leur belle couleur, et n’étaient plus que d'un gris terne. Il était revêtu d'un costume mauresque.
Maguelone avertie qu'il y avait un malade venu des terres sarrasines, se précipita dans 1'espoir qu'il pourrait peut être lui apprendre quelques nouvelles de Pierre. Maguelone avait changé elle aussi : son visage portait au coin des yeux ces rides d'avoir tant pleuré, ses beaux cheveux d'ébène étaient parsemés de fils blancs ; ses yeux noirs étaient mélancoliques et sa bouche n'avait plus sa couleur de grenade.
Et pourtant, ces deux là, dès que leurs regards se croisèrent, ils se reconnurent et leurs yeux ne purent se déprendre, comme au tout premier jour.
Alors, Pierre porta sa main décharnée à son pourpoint, sous la chemise là où battait son cæur el il en ressortit, enveloppé dans un mouchoir de soie, le collier d'ambre et d’améthyste que, pour I'amour de sa mie, il était allé si loin et si longtemps chercher.
Puis de sa main, avec le langage des signes, il lui dit combien elle lui avait manqué, combien il l’aimait, et qu’il était revenu pour l’épouser.

L’histoire ne dit pas avec quelles plantes Maguelone réussit à soigner Pierre, on pense cependant que I'ingrédient essentiel était I'amour. Pierre guérit, et comme il le lui avait promis jadis, épousa Maguelone en cette abbaye cathédrale qui depuis porte le nom de celle qui l'avait tant attendu.
Pierre et Maguelone vécurent encore longtemps et puis un jour s'endormirent, comme c'est la destinée de tout le monde, pour toujours.
Si vous allez un jour dans cette île singulière visiter I'abbaye de Maguelone, vous y verrez la tombe de ses deux amoureux qui attendirent si longtemps avant de pouvoir être réunis et finir enfin leurs jours, heureux.

Conte Populaire arrangé par Michèle Puel Benoit

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