A Bouzigues i aviá la secada
( A Bouzigues sévissait une terrible sécheresse )
A Bouzigues donc, se faisait ressentir, depuis quelques mois, une terrible sécheresse, et ce, au grand désespoir de
ses habitants.
Ces derniers, lorsqu'ils étaient travailleurs de la terre, voyaient se flétrir les feuilles des vignes et se dessécher un
raisin pas encore épanoui, tandis que les champs le blé devenaient chaume et la luzerne paillasson.
Pour les travailleurs de l'étang, c'était l'arrivée de la malaiga ( eau corrompue ) qu'ils redoutaient le plus, avec
pour conséquence l'asphyxie du poisson, quand les graus ( communication mer-étang ) étaient ensablés,
et plus grave encore celle des huîtres de leurs parcs, dont la renommée n'est plus à faire.
Les ménagères, quant à elles, passaient des heures à la fontaine pour y remplir un malheureux seau.
La chaleur était écrasante : on était à la fin août et depuis le mois de mai on n'avait pas vu la moindre goutte d'eau.
Ajoutez à cela un vent du nord fou, " a decoetar los ases" à faire tomber la queue des ânes, qui desséchait tout sur
son passage, quand il n'allumait pas d'incendies.
L'eau, la pluie, l'orage, étaient de toutes les conversations, à la fontaine, à la maison, au bistrot - tout juste si l'on osait
y troubler le pastis tant il fallait économiser le précieux et vital liquide ! -
- Malaüros, me lo negas pas, qu'i pas gaire d'aiga al grifol !
( Malheureux ne me le noie pas qu'il n'y a pas beaucoup d'eau à la fontaine! )
Et ce ciel qui était implacablement bleu!
Je ne vous parle pas des séances du conseil municipal, l'opposition rendant responsable l'équipe municipale en place, de tous ces maux.
- Si on avait capté la bonne source...
- Si on avait dragué le grau...
- Si on n'avait pas voté pour des rouges....
- Ah du temps de monsieur le marquis de Bouzigues …
Et gnagnagna, et gnagnagna, et gnagnagna!
Alors devant tant de grogne, ne restait plus qu'une seule ressource : faire appel à la providence, entendez par là, faire appel à la bienveillance divine, tout au moins à celle de ses saints ,ou de leur intermédiaire, à savoir, monsieur le curé.
Aussi, quelle ne fut pas la surprise de ce dernier, lorsqu'il vit arriver un soir, à sa cure, ceint de son écharpe, monsieur le maire, un rouge, dont tout le monde savait qu'il était plus familier du bistrot que de l'église .
- Té, Ernest ! Quel bon vent t'amène ?Je te croyais mort.
- Aristide, tu crois que c'est le moment de plaisanter !
- Oh pardon ! Je voulais dire qu'y a t il pour ton service ?
- Monsieur Le curé, c'est monsieur le maire qui vient vous voir au nom de ses concitoyens.
- Pardonnez-moi monsieur le maire, je n'avais pas vu que vous aviez mis l'écharpe, permettez alors que je mette ma barrette.
- Faites, faites.
- Alors le prêtre joignant les mains : que me veut l'honneur de cette visite mon fils ?
- Et bien voilà : vous n'êtes pas sans savoir que nous sommes dans une grande période de sécheresse.
- Mmm!
- Et que tout le monde en pâtit ; alors..
- Alors ?
- Alors je viens vous demander solennellement, monsieur le curé, et au nom de mes concitoyens, d'intercéder auprès de votre bon Dieu..
- Qui est aussi le tien Ernest, même si tu as tendance à l'oublier..
- Je dis bien auprès de votre bon Dieu ou de ses saints afin qu'il fasse pleuvoir.
- Rien que ça !
- Les femmes du village disent qu'il y a longtemps qu'on n'a pas prié saint Jean qui , assurent-elles , aurait fait venir la pluie tant attendue lors de la fameuse sécheresse du début du siècle, et que...
- Et pour cause mon pauvre, il n'a plus de statue dans sa chapelle à l'église, elle a été brisée lors des bombardements de la dernière guerre, et n'a jamais été remplacée : la cure est bien trop pauvre, et mes ouailles trop regardantes à leur porte monnaie.
- Alors se serait fichu parce qu'on ne pourrait pas prier sans statue ?
- Je n'ai pas dit cela, la prière, bien entendu, n'a pas besoin d'idole.
…
Puis d'un air matois:
- Remarque que...si la municipalité voulait bien offrir à son église une nouvelle statue de Saint Jean, c'est lui notre saint patron, je ne doute pas que la prière serait beaucoup plus efficace.
- Et il la faudrait pour quand cette statue ?
- Dimanche prochain.
- Si tôt ?
- Faut savoir ce que vous voulez!
- Bon ! Et où je peux la trouver cette statue?
- Ça, j'en fait mon affaire, j'expédierai le bedeau à Montpellier la chercher.
- Alors c'est d'accord. Je te donnerai l'argent mais tu inscriras sur son socle : offert par le conseil municipal ...et le maire Ernest...en 19....
- D'accord. Puis , faisant le geste de bénir : allez en paix mon fils.
- N'en fais pas trop tout de même Aristide ! Soi pas vengut perque te fotes de ieu!*
Je ne suis pas venu pour que tu te moques de moi
Le bedeau du village se prénommait Jean lui aussi : c'était un être simple, un doux benêt, qui vivait heureux dans son village de Bouzigues sans en être jamais sorti, même pas pour une promenade sur l'étang, même pas pour une virée à Sète, alors, ne parlons pas de Montpellier !
Monsieur le curé était bien ennuyé de lui confier cette mission, seulement il ne pouvait y aller lui même, se devant de préparer dans les moindres détails la cérémonie et la procession de dimanche. De fait, un embonpoint généreux lui rendait la chaleur si insupportable qu'il ne se voyait pas emprunter un autocar brinquebalant et nauséabond, parcourir la ville sous la fournaise, et revenir les bras chargés d'une statue pesant une bonne vingtaine de livres .
Force lui était de s'en remettre à son bedeau.
S'il comprenait tant soit peu le français, Jean ne parlait que l'occitan, ce qui donna l'échange suivant :
- Jean, c'est une mission de grande responsabilité que je vais te confier.
- Mai granda que de servir la messa sens beure dins las buretas?*
plus grande que de servir la messe sans boire dans les burettes-
-Plus grande, beaucoup plus grande.
- Alora vesi pas de qu'es. alors je ne vois pas ce que c'est
- Tu vas aller à Montpellier chez le marchand d'articles religieux de la rue des Étuves, chercher une nouvelle statue de Saint Jean pour notre église.
- A Montpelher ? Mas n'ai per un molon de jorns! ( A Montpellier? Mais j'en ai pour une flopée de jours! )
- Mais non grand fada, tu prendras l'autocar.

- L'autocar? L'autocar? Me vau montar dins l'autocar tralalère !..Me vau montar...*..
( L'autocar? Je vais monter dans l'autocar tralalère, je vais monter ).
- Arrête de faire l'imbécile et écoute moi bien : quand tu seras à l'arrêt du car, sur l'Esplanade, tu la suivras tout droit en traversant l'œuf jusqu'au théâtre et tu prendras à droite de ce dernier la rue des Étuves, c'est là que se trouve le marchand. Bien poliment tu te présenteras et tu diras que c'est le curé Aristide de Bouzigues qui t'envoie chercher la statue de saint Jean, t'inquiète, il sera prévenu. Je te donnerai 20 francs pour cet achat, on te rendra un peu de monnaie. Surtout ne perds ni cet argent ni la monnaie car c'est un argent municipal. Jean ? Tu m'écoutes ?Tu as bien compris ?
- Ieu ! me vau prene l'autocar! ( Moi je vais prendre l'autocar! ).
- Jean ? Tu as bien compris?
- Ôc, ôc ai plan compres. ( Oui ,oui j'ai bien compris ).
- Alors répète un peu pour voir :
- Prendrai ... prendrai, l'autocar fins a Montpelher, aval, marcharai sul uous fins lo polalher , sens far de cassa
( aquo, es ieu que l' apondi) puei irai m'escurar dins l'ostal del mercant que me donara l' estatua de monsur lo
curat e tornarai portar los 20 frans municipals .
( Je prendrai l'autocar jusqu'à Montpellier, là bas je marcherai sur des œufs jusqu'au poulailler, sans les casser, ça c'est moi qui l'ajoute, puis j'irai me décrasser chez le marchand qui me donnera la statue de monsieur le curé et je ramènerai les 20francs municipaux.
- Ah Jean, Jean ! C'est pas possible d'être aussi bête. Bougre d'âne bâté, tu n'as rien compris ! Je recommence : samedi matin, tu prendras l'autocar pour Montpellier...
- L'autocar fins a Montpelher.( L'autocar jusqu'à Montpellier).
- Tu traverseras la place de l'oeuf...
- Aquo es una plaça ? ( C'est une place? ).
- Oui, tu prendras à droite du théâtre la rue des Étuves, c'est le nom de la rue, tu iras à la boutique du marchand d'articles religieux et tu lui demanderas la statue que je lui ai commandée.
- E perde que avetz fach far una de vos estatua? Seitz pas encara mort?Non?*
( Et pourquoi vous vous êtes fait faire une statue?Vous êtes pas encore mort? ).
- Non pas la mienne, celle de saint Jean. Il va me rendre fou ! Té, Albertine enlève le moi de devant car je ne sais pas ce que je suis capable de lui faire:HOUUUU !
- Si Monsieur le curé le veut bien, je peux accompagner Jean à Montpellier, je connais bien la ville, et il y a longtemps que je n'ai pas vu ma fille.
- C'est vrai Albertine tu ferais ça pour moi ?
- Bien sûr, mais je ne rentrerai que lundi. Jean pourra revenir tout seul, je le mettrai sur le bon chemin. Est-ce que cela vous irait?
- Entendu. C'est donc à toi que je vais confier les 20 francs, tu lui donneras seulement la monnaie de reste pour qu'il la rapporte.
Et c'est ainsi que vêtu de neuf de la tête aux pieds - tout le village s'y était mis pour le rendre présentable- Jean , chaperonné par Albertine, prit, pour Montpellier, l'autocar, le samedi matin à 6h45.
***
Du voyage, je ne dirai rien, si ce n'est que, en plus du grincement et des odeurs, les voyageurs eurent à subir, tout le temps du trajet, les exclamations tonitruantes d'un Jean qui découvrait pour la première fois son pays.
A Montpellier, Albertine dut traîner par la manche ce grand badaïre*,Badaud
- Laissa me un pauc agachar lo mond Albertina! ( laisse moi un peu regarder les gens Albertine ).
pressée qu'elle était de conclure l'affaire et retrouver très vite sa fille.
La boutique venait tout juste d'ouvrir quand ils y arrivèrent.
Une statue de saint Jean grandeur nature les y attendait. Vêtu de sa peau de mouton, un agneau couché à ses pieds, s'appuyant sur son grand bâton, avec ses cheveux bruns et frisésil faisait plus vrai que vrai et donnait de plus, un petit air à notre Jean, à s'y méprendre.
D'ailleurs le marchand :
- Té, comme c'est curieux, on dirait qu'il vous ressemble.
Puis :
- Non, vous n'allez pas l'emporter ainsi ! Attendez, je vais vous le mettre dans un sac de jute. Voilà, je l'attache maintenant aux chevilles, et le tour est joué. Comme cela on n'aura pas besoin de se demander lequel est le vrai. N'est-ce pas ?
- Combien je vous dois? s'enquit Albertine.
- Dix huit francs quatre vingt.
- Tenez
- Vingt centimes et un franc qui font vingt, en vous remerciant.
- Merci et au revoir Monsieur.
- Au revoir que Dieu vous garde, et mon bon souvenir à Aristide.
- Je n'y manquerai pas.
Puis à Jean :
- Allez zou bolèga te : ai pas qu'aquo a far. Allez zou dépêche-toi, je n'ai pas que ça à faire
Le retour jusqu'à l'esplanade ne fut pas une mince affaire, Jean que tout captivait, ne cessait de se retourner, sans se soucier aucunement de la statue qu'il portait sous le bras. Vingt fois il la cogna, vingt fois il faillit la casser.
Il arriva tout de même à bon port.
- Et maintenant, tu t'assois sur ce banc et tu n'en bouge pas jusqu'à l'arrivée du car de Bouzigues.
-Es quora qu'arrib-a l'autocara? (Et quand il arrive l'autocar? )
- Ce soir à cinq heures
- Eh bé ! Aï lo temps ! ( Eh bien j'ai le temps! )
- Tiens voilà ta monnaie, surtout ne la perds pas, tu sais ce qu'a dit monsieur le curé.Donne je vais te la nouer dans ton mouchoir. Adieù pichot et ten te brave !*
Adieu petit et tiens toi tranquille
- Adieù Albertina ! (Adieu Albertine )
Jusqu'à onze heures Jean se tint bien sage sur son banc. Sous les platanes, avec un léger vent du nord, il faisait bon ; les jambes étendues devant lui , il avait même somnolé.
Vers les midi, une petite faim se fit ressentir. Pas de problème, il avait pris un petit en cas, plié dans du papier journal, et dans l'autre poche, celle qui ne contenait pas les sous : du pain, un oignon, et quelques olives.
Mais pour boire....
- Pour boire ? Lui avait dit monsieur le curé, à Montpellier il ne manque pas de fontaines, tu auras toute l'eau qu'il te faut pour te désaltérer.
Je ne sais si vous avez déjà pris un repas composé de pain, d'oignon, et d'olives, mais le moins qu'on puisse dire c'est que cela donne soif, et même très soif.
Ajoutez à cela un soleil qui ardait ses rayons même à travers le feuillage. Il n'était pas une heure après midi que notre ami mourait de soif Ôc, badava de set !*
il mourait de soif la bouche ouverte
Et pas une seule fontaine en vue !
Faire une recherche dans les rues avoisinantes, il n'en était pas question, d'abord il avait promis de ne pas quitter son banc, ensuite il avait trop peur de se perdre.
Une heure, deux heures passèrent ainsi. La soif se faisait de plus en plus intense.
L'esplanade quant à elle était entièrement déserte.
Dans nos villes du midi personne n'est assez fou pour se trouver dehors à l'heure de la sieste en période de canicule !
Les quatre heures sonnantes virent arriver quelques promeneurs courageux.
Jean qui n'en pouvait plus osa demander à l'un deux :
- Digatz me monsur, savetz pas ounte i a un grifol?*
Dites moi monsieur vous ne sauriez pas où il a une fontaine?
Ah ! De fontaine je ne sais pas, je crois même qu'elles sont fermées à cause de la sécheresse, mais en face, vous avez un bistrot, le café de l'esplanade.
- Merce plan monsur! Merci bien monsieur
- A votre service.
Jean demeura quelques minutes de plus sur son banc. Sa soif était atroce.
Le problème était cornélien : soit il quittait son banc et allait faillir à sa promesse, soit il mourait sur place de soif et allait faillir à son devoir : il ne ramènerait pas la statue.
Tans pis il ferait son devoir : il traversa la rue en emportant avec lui la précieuse sculpture.
La salle du bistrot lui parut extraordinairement fraîche et accueillante.
- Et à monsieur qu'est-ce que je lui sers s'empressa le garçon ?
- D'aiga me fara de plaser De l'eau me ferait plaisir
- De l'eau ? de l'eau toute seule ? ça ne calme pas la soif ! tenez je vous y mets une goutte de pastis.
- Se voletz si vous voulez-
Un verre ne suffit pas à étancher sa soif, aussi avala-t-il coup sur coup trois grands verres additionnés de la traîtresse liqueur.
Or, Dieu l'en préserve, Jean n'avait de sa vie, bu une goutte d'alcool ; le bistrot lui était interdit, soit qu'on le moquât, soit qu'il n eût pas d'argent, quand à goûter le vin de messe des burettes, il ne s'y était jamais essayé, monsieur le curé l'ayant défendu.
C'est dire si ces trois pastis, même fort étendus, eurent de l'effet sur lui.
Il se trouva bizarre, la tête lui tournait, ses jambes étaient molles.
- De que m'arriba ? Ai lo cap pres comme un flan!*
Que m'arrive-t-il? J'ai la tête prise comme un flan!
- Cela vous fera 40 centimes fit le garçon qui avait fleuré le benêt et majoré le prix.
Jean, hébété, mit la main à la poche pour sortir son mouchoir : sa main tremblait ; tellement, qu'en dénouant le nœud , les pièces roulèrent à terre.
En se penchant pour les ramasser il perdit l'équilibre entraînant la statue dans sa chute.
« Crac, crac! »
Deux craquements sinistres et voilà la statue brisée en trois morceaux.
Effaré notre ami se rassit:
- Dieu de Dieu de Dieu de Dieu ! De qu'ai fach ? Ebé soi propi ara!*
DDDDQu'est ce que j'ai fait? Eh bien je suis bien avancé maintenant
- Avec de la bonne colle dit le garçon, il n'y paraîtra plus.
- O cresetz vos ?Vous croyez?
Bien sûr. Puis : Votre monnaie monsieur.
Machinalement il remit les pièces dans le mouchoir et le renoua puis prenant le sac de jute à l'envers par les cordons il le secoua en poussant afin que tous les morceaux y entrent bien, sans seulement se douter que cela risquait d’ajouter à la casse.
Chargeant son sac sur l'épaule il retraversa la rue bien décidé à ne plus bouger de son banc jusqu'à l'arrivée de l'autocar de Bouzigues.
Mais qu'allait dire monsieur le curé ? Bah ! On verrait bien ; et puis avec de la colle...
***
Et c'est sur la vision de monsieur le curé chaussé de ses bésicles, un pot de colle à la main, en train de reconstituer la statue, qu'il s'endormit.
A cinq heures il ronflait du sommeil de l'ivrogne. Le car partit sans lui.
Il n'émergea de cette brume qu'à sept heures et.. arrêtant un passant:
- Beleu qu'auriatz vist l'autocara de Bouzigues ?*
Peut être que vous auriez vu l'autocar de Bouzigues
- Lequel ?
- Aquel de cinq oras. Celui de cinq heures
- Mon pauvre, mais il est parti depuis deux heures !
- Alora l'ai mancat? Santa mara de Dieu, mas de que vau far ieu?
Alors je l'ai manqué? Sainte mère de Dieu? Qu'est ce que je vais faire?
- Vous prendrez ce soir celui de 9h.
- Perde que..parce que...
- Oui le dernier est à 9h. Et surtout ne le loupez pas celui là.
Oh ! Il ne risquait pas de le louper: il resta deux heures debout devant l'arrêt, et il fut le premier à y monter.
A Bouzigues, la nuit était tombée et monsieur le curé, bouillant de colère faisait les cent pas en attendant l'arrivée du dernier autocar ainsi que celle souhaitée de son bedeau.
- Ah ! C'est maintenant que tu arrives ?
- Ai mancat l'autocara de cinq oras.
J'ai manqué l'autocar de cinq heures
- Et où elle est cette statue ?
- Aqui, al fons del sac. Là au fond du sac
- .Au fond du … Mais, mais... elle est en mille morceaux !
- Non, pas que tres solament* Non trois seulement
- Bougre d'animal ! Je ne sais ce qui me retient de te frictionner les oreilles ! File à la cure qu'on s'explique.
Et l'homme de Dieu, tout à sa colère, ne put s'empêcher d'accompagner d'un coup depied bien placé notre Jean qui n'en menait pas large.
La colère d’Aristide tomba quand Jean fondit en larmes :
Hihihi ! Ieu o volia pas beure de pastis, volia pas que d’aiga !
- Hihihihi ! Je ne voulais pas boire du pastis, je ne voulais que de l'eau
- On t’a fait boire du pastis ?
- Öc et tot d’un cop, tot se mettet a virar, los souses davaleron pel sol e quand volgueri los acampar, cabusseri e…
Oui et tout d'un coup tout se mit à tourner, les sous roulèrent à terre, quand je voulus les ramasser je tombais la tête la première et..
- Et?
- l’estatua tamben. La statue aussi
- Et c’est là qu’elle s’est cassée
- Oc, alora la fotet dins lo sac en quichan .un pauc per la far dintrar.
OUi alors je l'ai mise dans le sac en poussant un peu fort pour la faire entrer
- Et c’est comme ça que les trois morceaux ont fait des petits.
- Hihihihi ! O savia pas que l’estatua allia far de pichots.
Je ne savais pas que la statue allait faire des petits
- Pauvre fada va !
- Beleu qu’ambe de glu com’a dich l’ome…
Peut être qu'avec un peu de colle comme l'homme l'a dit
- Je crois malheureusement que ce ne sera pas possible, seule la tête parait n’avoir pas trop souffert, quand au reste, même avec de la bonne colle, il me faudrait plus de huit jours pour le reconstituer, et la cérémonie est pour demain. Soupira monsieur le curé tenant entre ses mains la tête du saint.
Puis tout à coup :
- Jean, regarde un peu par ici, veux -tu ? Lève un peu la tête. Oui, comme ça.Ma parole mais on dirait que tu lui ressembles.
- Oc, es ço qu’a dich lo mercant. Oui c'est ce qu'a dit le marchand
- J’ai une idée, et si tu remplaçais la statue dans sa niche ?
- Ieu ? mas o voli pas ! Moi? Mais je ne veux pas
Jean !
- Nani nani, voli pas far san joan. Non non je ne veux pas faire Saint Jean
- Jean, je crois que tu n’as malheureusement pas le choix. C’est bien toi qui as cassé la statue n’est ce pas ?
- ..Oc es ieu ! Oui c'est moi reconnut notre ami bien malgré lui.
- Eh bien c’est à toi de la remplacer , un point c’est tout !
Restait à trouver le costume. Heureusement pour lui, Aristide se souvint de ceux qui étaient enfermés dans une malle à la sacristie ceux de la crèche vivante de Noël dernier. Il ne lui fut pas difficile de retrouver le costume de berger, celui d’ailleurs qu’avait porté notre bedeau avec la peau de mouton, la besace et le grand bâton.
Seul manquait l’agneau. Par bonheur pour eux, le socle de la statue sur le quel un agneau était couché était intact.
- Tu n’auras qu’à te tenir bien droit sur le socle, on n’y verra que du feu. Et surtout il ne faut rien dire à personne. Tout doit rester secret.
- Serai mut coma una tomba. Je serai muet comme une tombe
- Tu as intérêt, mais pour plus de précautions tu dormiras cette nuit à la cure dans le lit d’Albertine. C’est dit ! Et allez maintenant zou, au lit, que demain il faudra se lever de bonne heure afin d’être prêts pour la première messe.
- Oc, que ieu ai sóm , Oui que moi j'ai sommeil! répondit Jean en baillant.
***
Dès potron minet nos deux compères était debout sur le pied de guerre.
En un rien de temps notre bedeau était vêtu et dès la fin de l'angélus
il était en place sur son socle, dans sa niche.
- Mon Dieu Jean, tu es ma-gni-fique on dirait vraiment le saint en personne! Surtout ne bouge pas et tiens toi tranquille!
-!Pódi pas demora aital tot lo jorn !
Je ne peux pas rester ainsi un jour entier!
- Non, bien sûr que non, seulement ce matin pour la première messe , la grand messe, et l'après midi pour vêpres. Je dirai qu'il y a trop de vent et j'annulerai la procession. Tu es beaucoup trop lourd et je craindrais qu'on ne découvre la supercherie.Entre ces moments là, tu pourras te dégourdir les jambes et manger un morceau.
Puis:
- Vite vite, en place que j'entends mes premières paroissiennes qui arrivent. Et rappelle toi, plus un mot, plus un geste!
En fait elles n'étaient que trois à fréquenter la première messe: Angèle, Éloïse et Marthe. Les deux premières étaient des veuves de la grande guerre, la troisième était une vraie jeune fille, comme elle se plaisait à le dire à plus de cinquante ans.
Toutes trois, en vraies grenouilles de bénitier, n'auraient jamais manqué un office, c'était leur seule distraction, avec , il faut bien le reconnaître, un certain penchant pour le commérage:
- Que voulez-vous monsieur le curé, il faut bien que je vous raconte,vous êtes tellement saint homme que vous ne vous apercevez de rien.
- Voyons ma fille, le seigneur n'a-t-il pas dit : « Que celui qui n'a jamais pêché lui jette la première pierre » Vous me direz trois Pater Noster et quatre Je vous salue Marie.
C'est dire si une journée entière de prières était pour elles une aubaine inespérée!
Dès l' « ite missa est »de la première messe elles s'étaient agenouillées dans la chapelle dédiée à Saint Jean, devant la niche où trônait la statue:
- Saint Jean faites pleuvoir! saint Jean faites pleuvoir! saint Jean faites pleuvoir....
Bien décidées à n'en pas partir tant qu 'elles n'auraient pas obtenu satisfaction.
Bientôt l'église entière fut emplie de gens répétant avec ferveur la poignante supplique:
- Saint Jean faites pleuvoir, saint Jean...
Notre Saint Jean , fidèle à sa promesse se tenait immobile et coi dans sa niche.
Après le dernier office tout le monde rentra chez soi pour le repas dominical.
Le ciel était vierge de nuages.
Les prières n'avaient rien donné.
Angèle ainsi qu'Éloïse décidèrent de faire une pose: le repas dominical, pris chez leurs enfants comme à l'accoutumée ,ne pouvait attendre, et surtout, il n'était pas question qu'on les privassent du gâteau du dessert!
Marthe décida de rester , personne ne l'attendait, et puis elle aurait tellement voulu que le village lui fût, à elle seule, redevable de la pluie.
***
- Saint Jean faites pleuvoir, saint Jean faites pleuvoir...
Les mains jointes , un regard extatique fixé sur Jean, elle s'abîmait en prières.
Ce qui n'était pas du tout ce qu'avaient escompté nos deux compères.
Au regard suppliant de Jean, Aristide avait répondu par un froncement de sourcil qui lui intimait l'ordre de tenir la pose, sans bouger , jusqu'à nouvel ordre.
Oui mais voilà, depuis un moment déjà, notre ami ressentait un besoin pressant qu'il aurait bien aimé pouvoir satisfaire.
Or Marthe, les yeux rivés sur lui, priait toujours:
- Saint Jean faites pleuvoir! Saint Jean faites pleuvoir...
Une heure sonna au clocher, puis deux heures sonnèrent à leur tour. Jean était au bord de l'apoplexie.
A deux heures et demie les paroissiens, envahirent à nouveau l'église pour chanter vêpres et supplier à leur tour:
- Saint Jean faites pleuvoir, Saint jean faites pleuvoir, Saint Jean faites pleuvoir...
Alors, notre bedeau n'y tenant plus, et pensant que la ferveur religieuse masquerait le bruit , se laissa aller:
Tac, tac tac tac tac..;
Aux premières gouttes succéda la cataracte.
- Miracle, miracle, pleù! Miracle miracle il pleut! miracle miracle il pleut!
S'écria Marthe les bras au ciel.
- Calha-te, malurosa, qu'es Jean de Bouzigues que pissa !
Tais toi malheureuse parce que c'est Jean de Bouzigues qui pisse!
Lui répondit Saint Jean.
…...Clic clac, mon conte es acavat.
Clic clac mon conte est achevé!
Conte Populaire arrangé par Michèle Puel Benoit