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L’Esternudaire

L'Eternueux

image Non loin de ce hameau qu’on nomme Soulagets, et sur la route qui mène à Saint Michel d’Alajou qu’on appelait dans l’ancien temps San Miquel de las sers (Saint Michel des serpents), tant sa situation, bien à l’abri, des vents dominants le rendait douillet et chaud pour qu’y éclosent et prolifèrent ces reptiles que tous redoutaient. Sur cette route donc, au lieu dit le Roc Traoucat troué, juste à l’endroit où le chemin bifurque et passe à travers de gros rochers,on raconte qu’autrefois s’y promenait un revenant des plus redoutables.
Jamais personne ne l’avait jamais vu et pourtant tous ne parlaient que de lui et de ses effrayants, épouvantables, abominables, affreux, effroyables et redoutables éternuements, à tel point qu’ on l’avait appelé le revenant éternueux , ço que se dis, dins nostra lenga, la treva esternudaire (Ce qui se dit dans notre langue le recenant éternueux) . Vous allez dire que je galège( plaisante), ou que j’invente et que je répapie (perds la tête), pas mens es la vertat (pourtant c'est la vérité). Et vous allez vite comprendre.
Imaginez vous une nuit noire de Janvier, où il gèle à pierre fendre, tout seul sur le chemin de Saint michel, au roc traoucat, entre les rochers, et vous entendez pas loin de vous des Aaaaaaaatttchoum sinistres et tonitruants ; et personne ne vous répond quand vous demandez d’une voix de plus en plus chevrotante : - Y a quelqu’un ? qual es tu ? Montra te ( Qui es-tu? Montre toi!) Et vous ne voyez rien, votre lanterne est éteinte, lo ven l’a atudada (le vent l'a éteinte), un nivol (nuage)de postillons pestilentiels. Alors vous feriez, té comme tout le monde pardi, vous prendriez vos jambes à votre coup pour regagner au plus vite votre maison.

Et vous vous retrouveriez le lendemain au lit avec une crève carabinée, un raumas que te disi qu’aquo  (un rhume sans pareil!)Et les autres de rigoler et de dire:
- Tu, as encontra l’esternudaire del roc traocat !(Toi, tu as rencontré l'éternueux du roc troué)
Jusqu’au jour où cette même mésaventure arriverait à quelqu’un d’autre !
Aussi, pour vous dire, dans l’ancien temps , ces nuits glaciales de janvier, on l’évitait cette portion de route et si par malheur on entendait le moindre aaaa.. annonciateur du corriza d’aquel esternudaire (de cet éternueux), le plus hardi rebroussait vite chemin. Il y en avait même qui préféraient faire le grand détour par la Vernède Sablière et la Cave, plutôt que de risquer de rencontrer le terrible revenant
. Pourtant un jour ou plutôt une nuit , Etienne, de Soulagets oublia de faire le détour.
C’est que voyez-vous, Etienne était amoureux. Ce soir là donc, il s’en revenait de faire sa visite dominicale à Julie , sa promise, qui habitait Saint Michel.
Ils avaient passé l’après midi, à parler, à faire des projets d’avenir : des brebis qu’ils auraient pour commencer un troupeau, de la vieille maison qu’ils allaient arranger, du prénom de leur futurs enfants enfin tout ce que peuvent se dire deux amoureux, le tout entrecoupé de mots doux et de bisous volés ou accordés.
Ainsi plein de pensées pour sa Julie, avançait-il gaillardement sur le chemin, son bâton ferré à la main une lanterne allumée dans l’autre.
La nuit était bien tombée, il faisait un froid glacial. Le vent soufflant en rafale était parfois si violent, que juste au moment où il atteignait le défilé de rochers du roc traucat, il éteignit la lanterne. Alors… Alors se firent entendre ces fameux signes annonciateurs :
«  A ,a,a,a,aaaaaaaaaa…Suivis d’un énorme, gigantesque, formidable, effrayant de férocité TTTTTchoummmmm ! » a faire fuir tout un régiment de cosaques.
Déjà on pouvait sentir l’air s’humidifier des postillons infects et contaminateurs…. Quand, perdu dans ses douces pensées et flottant sur son amoureux nuage, Notre Etienne tout en rallumant sa lanterne fit :
«  A tes souhaits ! Et que Dieu te bénisse ! »
- Enfin ! lui fut-il répondu, tandis qu’apparaissait dans la lueur de la caleiha un drôle de personnage.
Il allait en haillons, le teint blême, la barbe hirsute, les yeux hagards et larmoyants, son nez énorme, rouge et qui gouttait enfoui dans un mouchoir infect et plein de trous.
-Enfin ! enfin me voilà délivré , viens ici mon sauveur que je t’embrasse !
- Euh ! euh, fit notre ami en reculant devant le peu ragoûtant personnage, merci non. Mais qui êtes vous donc ?
- Ieu, soi l’Esternudaire, saves lo que fa Aaaaa!(Je suis l'érternueux tu sais celui qui faitAAAAA….). N’aie pas peur je suis guéri maintenant tu m’as délivré, je vais pouvoir grimper là haut avec les autres.
Et il lui raconta son histoire :
Il avait de son vivant été un homme peu fréquentable : buveur, noceur, voleur, égoïste et méchant. Aussi , après sa mort, à cause de la noirceur même de son âme ne put-il pas prendre place avec les autres étoiles dans le firmament. Au lieu de cela il fut condamné à errer les nuits glaciales d’hiver, sur les lieux mêmes où il avait péri après un jour de grande beuverie de cette grippe que ces éternuements intempestifs savaient si bien transmettre aux voyageurs attardés. Jusqu’au jour où, une âme charitable l’absoudrait en prononçant la formule : A tes souhaits et que Dieu te bénisse !
- Et c’est ce que tu as fait toi mon sauveur !
- Mais je ne l’ai pas fait exprès !
Il n’empêche, tu l’as dit ; me voilà délivré, je peux grimper avec les autres dans les étoiles.
Et sur ces mots, l’esternudaire s’estompa, s’évanouit, disparut, pour s’en aller allumer une nouvelle étoile dans le ciel, laissant notre Etienne tout abasourdi.

Bien entendu, personne au village ne voulut croire à son histoire.
- Aquel Estienne cane messorgier (cet Etienne quel menteur!) !
Il fallut pourtant se rendre à l’évidence, le roc traucat n’était plus hanté, tandis que les hommes attrapaient de moins en moins les nuits de janvier cette grippe, cette crève qui les clouait au lit pour plusieurs jours.
Alors, à Soulagets et à Saint Michel on oublia vite l’esternudaire et ses méfaits. D’ailleurs plus personne ne s’en souvient de nos jours.

Et pourtant lui ne nous a pas oublié, et heureusement pour nous, car s’il cessait un jour ses éternuements à faire rouler le tonnerre et faire crever les nuages, et bien nous autres sur terre nous aurions la sécheresse ! et alors ? …..et alors nous serions dans de beaux draps !

Michèle Puel Benoit

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