- Comment ça? Descends par cette branche qui tombe au-delà du grillage.
- Non je te dis, je ne peux pas. C’est interdit.
- Je ne dois pas sortir du bois de pins. Mes parents me l’ont défendu ainsi qu’à mes
sœurs et à mes frères. Dehors il y a Arsène le renard et….
- Ça alors c’est rigolo! Tes parents t’interdisent de sortir du bois, et moi les miens
d’y entrer, et pour la même raison, le renard. Il est partout ce renard! Pourtant moi
je ne l’ai jamais vu, et toi?
- Moi non plus, mais papète Honoré lui s’est fait attraper par la queue et depuis il
lui en manque un bout.
- Oui, oui, il me l’a juré. Mais c’était au dehors: le renard n’entre jamais dans notre
bois de pins.
- Tiens donc! Bon, écoute ce que nous allons faire. Toi là haut dans tes branches tu
vas bien regarder si tu ne le vois pas, puis vite redescendre de ce côté. On se précipitera
sur la quatrième souche de la sixième rangée, elle est pleine de raisins bien mûrs,
je l’ai repérée hier. On picore un p ?
- Bah, un tout petit peu. Tu verras ça en vaut la peine et personne n’en saura rien.
Alors on y va?
- Oui mais on fait vite.
- Non rien ni personne.
- C’est bon on y va.
En moins de deux ils étaient à la souche croulant sous les grappes mûres.
- C’est vrai que c’est bon.
Et nos deux chapardeurs s’attelèrent au pillage systématique de la souche. Et quand
ils furent repus ils s’amusèrent à se barbouiller de bons jus noir et bien poisseux,
oublieux des limites de temps qu’ils s’étaient fixées, ni du danger de la visite
intéressée du renard que leurs cris aurait pu attirer.
De ce dernier cependant il n’avait rien à redouter.
Maître goupil avait d’autres centres d’intérêts.
Délaissant la colline de Roque Haute, il avait jeté son dévolu sur les vignes de la
plaine ou les prés salés qui regorgeaient de lapins bien gras et goûteux. De plus il
savait pouvoir assouvir sa faim de volailles charnues pâturant dans ces mêmes prés.
Il avait même remarqué que les poubelles débordantes des campings de la plaine
regorgeaient bien souvent d’une nourriture, certes inhabituelle, mais alléchante et
propre à satisfaire sa gourmandise. Pour tout vous dire, les perdreaux et les écureuils
du plan de Médeilhan, en cette saison-ci, il n’en avait que faire. Les proies qu’il
rapportait de la plaine suffisait largement à nourrir sa famille. Car famille il avait.
A la fin du printemps sa compagne avait mis bas deux petits renardeaux dans la tanière,
par eux creusée, au bas de la falaise qui dominait les basses terres. Ils étaient maintenant
assez dégourdis pour s’échapper du terrier ou suivre leur mère en promenade.
C’est ainsi que:
- Vous n’auriez pas vu ma maman?
La voix flûtée qui s’ échappait du museau pointu sortant du feuillage de la souche
fit faire à nos deux amis vendangeurs un bond en arrière.

- Je me suis perdu. Vous n’auriez pas vu ma maman?
- Ben non. Mais qui es-tu? Tu nous a flanqué une de ces frousses répondit Titi.
- Oh! Pardon. Je m’appelle Philémon, mais chez moi on me dit Fifi. Je suis perdu.
Vous n’auriez pas vu ma maman?
- C’est qui ta maman? Interrogea Lalie.
- Ma maman c’est Sidonie et mon papa c’est Arsène.
- Arsène? Tu as bien dit Arsène? S’écria Lalie. Comme Arsène le renard?
- Oui c’est ça, c’est mon papa.
- Vite, vite Titi, fichons le camp d’ici. C’est le fils du renard.
- Tu crois? Il n’a pas l’air bien dangereux
.
- Lui, peut être, mais pas son père.
- Il est tout petit, tout juste un peu plus grand que nous.
- S’il lui prenait l’idée de le rechercher.
- Ça ne risque pas il est parti ce matin de bonne heure pour la plaine il ne rentrera
pas avant la nuit, intervint le renardeau.
- Et si c’est sa mère qui le cherche? Elle, elle est grande, et sûrement pleine d’appétit.
- Ça c’est bien vrai ma maman à moi elle est très gourmande. Avec ma sœur elles avaient
décidé de manger toutes les mûres du grand buisson, il y en avait plein. Mais moi ,
j’aime pas les mûres. Alors je suis parti. J’ai pris le chemin qui montait tout droit,
j’ai tourné à gauche, puis à droite puis à gauche je crois... Et maintenant je suis perdu.
Je veux ma maman. Ouin!
- Dis Lalie, on devrait l’aider tu ne crois pas?
- Peut-être, mais comment?
- On pourrait le raccompagner.
- Que j’aille me fourrer jusque dans la gueule du renard? Non merci, très peu pour moi.
- Je ne dis pas jusqu’à sa mère et encore moins jusqu’à sa tanière. Non, mais sur un
petit bout de chemin, jusqu’à ce qu’il se reconnaisse.
- Mais c’est une grande désobéissance ça!
- Bah au point où on en est… Si tu ne veux pas j’irai tout seul.
- Non non je viens avec toi, c’est seulement que…
- Ne t’inquiète pas, si j’ai bien compris nous n’aurons pas à aller très loin: je le
connais ce gros buisson de mûres mon père nous y a déjà conduits. Il n’est qu’à une
grande envolée d’ici, le chemin est bordé d’arbres,tu n’auras aucun mal à te déplacer
dans les airs.
- C’est vrai? Vous allez me raccompagner à ma maman? s’exclama Fifi tout consolé.
- Un petit bout de chemin seulement.
- Tu sais que je ne sais pas voler comme vous.
- Je marcherai avec toi. Allez viens.
- Je voudrais bien, mais quelque chose me retient par la patte, je ne peux pas avancer.
- Ah bon ? Laisse nous voir.
- Oh le pauvre il s’est pris la patte dans cette ficelle bleue. S’écria Lalie.
- Je la reconnais c’est celle avec la quelle Victor attache les jeunes souches au tuteur.
Comment s’est-il débrouillé ? Ajouta Titi.
- Ne bouge pas je vais essayer de te libérer.
Mais Titi eut beau faire de ses pattes et de son bec, ses essais se soldèrent par un échec.
- Ecarte-toi et laisse moi faire.
Alors de ses doigts agiles Lalie tenta de défaire le nœud qui retenait la patte prisonnière.
- Aie ! ne tire pas ! ça fait mal geint notre renardeau.
- Pauvre petit, la ficelle s’est incrustée dans sa chair. Je ne vois qu’une solution: ronger
avec mes dents cette fichue ficelle. Ne bouge surtout pas. Je vais essayer de ronger au
plus près du nœud.
Peu de temps après:
- Et voilà! tu es libre.
- Oh oui! Merci Lalie. Oh! ça fait toujours mal quand je marche.
- Je n’ose pas désincruster la ficelle. Ta maman le fera.
- N’aie crainte je vais t’aider à marcher dit Titi. Appuie-toi sur moi.
Et l’un soutenant l’autre ils s’avancèrent de souche en souche, puis, d’arbre en arbre,
ou de buisson en buisson, afin de se faire remarquer le moins possible. Tandis que Lalie
poursuivait son chemin aérien.
Tout à coup:
- Ça y est, je la vois là bas, c’est ma maman. Ohé maman, je suis là! cria bien fort le
petit renardeau.
Une boule de poils roux qui déboule à toute vitesse et Titi eut juste le temps de se
dissimuler au plus profond d’une matte.
Eulalie notre « écureuille », quand à elle, s’était, comme le font tous ses semblables,
cachée derrière le tronc de l’arbre sur lequel elle se déplaçait.
- Philémon, Philémon, mon tout petit, j’ai eu peur tellement peur, où étais-tu passé?
- Tu sais bien que je n’aime pas les mûres: alors j’ai marché, marché, puis je me suis
perdu. J’ai bien essayé de revenir mais quelque chose me retenait par la jambe et ça
faisait très mal.
- Mais tu es blessé mon pauvre chéri!
- Heureusement j’ai rencontré des amis, ils m’ont délivré et ils m’ont raccompagné.
- Où sont-ils ces amis que je les remercie.
- Eh! où êtes-vous passés? Venez c’est ma maman, elle veut vous remercier. Allez Titi
sort de cette matte.
- Un perdreau fit la renarde en s’approchant.
- Et l’autre il est derrière le tronc de l’arbre tout là-haut.
- Et un écureuil. Eh bien si je m’attendais… Venez, approchez-vous…
- Pour que vous nous croquiez? Pas question. Osa Titi.
- Ah ah ah! Vous ne risquez rien. D’abord je n’ai plus faim: j’ai trop mangé de mûres,
ensuite, quelle ingrate serai-je de m’attaquer à ceux qui ont sauvé mon fils? Approchez
que je vous voie mieux.
- C’est sûr? on ne risque rien?
- Rien de rien je te l’assure.
- Vous le jurez.
- Je te le jure.Vrai de vrai. J’en fait le serment: « Moi , Sidonie mère renarde de la
tanière de la falaise de Roque Haute, épouse d’ Arsène, père renard de la même tanière,
mère de Philémon et Virginie, leurs deux renardeaux, jure pour elle et sa descendance,
que de toute leur vie il ne sera fait, de leur part, aucun mal aux perdreaux et écureuils
de cette colline.» Là, tu me crois maintenant.
- Vous, oui, mais Arsène?
- Arsène? j’en fais mon affaire, il dira comme moi: tu as sauvé son fils tout de même !
S’il avait du passer la nuit dehors qui sait quels dangers il aurait pu affronter!
Le blaireau, la fouine, le chat sauvage, le chien errant, il existe toutes sortes de
prédateurs pour un jeune et naïf renardeau. Et puis, tu veux que je te dise, il trouve
la chair des écureuils bien trop amère, et vous les perdreaux pas assez gras à son goût.
Alors, tu te montres?
- Bon je sors.
- Mais tu es un tout jeune perdreau de la nichée de ce printemps.Tu as le même âge que
Fifi. Au fait comment t’appelles-tu?
- Je m’appelle Maximilien, mais chez moi on me dit Titi.
- Bonjour Maximilien, et merci. Mais n’étiez-vous pas deux?
- Si. Lalie descends. Tu ne risques rien.
Bien qu’hésitante, Lalie osa s’approcher tout en se dissimulant en partie derrière notre
perdreau.
- Elle, c’est Eulalie, mais elle préfère Lalie.
- Et un écureuil maintenant. Jamais je n’aurais cru que perdreaux et écureuils se fréquentaient.
- Nous deux seulement. Nos parents ne sont pas au courant.
- Vous êtes assez extraordinaires tout de même. Il est vrai que voir un perdreau et
un écureuil venir en aide à un renardeau a de quoi étonner. Vous avez été très courageux
de venir au devant de moi.
- Boaf !
- Si, si, je vous assure.
- Dis maman, je pourrais revenir jouer avec eux demain ?
- Ma foi, pourquoi pas, s’ils sont d’accord, maintenant que tu connais le chemin.
- On est d’accord dirent nos deux amis d’une seule voix.
***
Mais, laissons ces nouveaux amis faire plus ample connaissance et revenons à nos genêts
et à notre bois de pins.
Là haut c’était la révolution:
- Ti-ti, Ti-ti, Ti-ti, criait la gent perdreau des genêts.
- Lal-ie, La-lie, La-lie appelait la gent écureuil du bois de pins.
- Nous avons battu tous les genêts.
- Nous avons fouillé tout le bois.
- Il reste introuvable.
- Elle n’est pas là.
- Mon dieu, mon dieu, se lamentait mère perdrix.
- Dieux du ciel gémissait mère écureuil.
- Sapristi de sapristi il va voir de quel bois je me chauffe, tonnait le général père.
- Elle ne perd rien pour attendre fulminait père écureuil.
- Et la nuit qui va bientôt arriver !
- Et le soleil qui se couche !
- Mon dieu protège le du renard !
- Mon dieu garde la d’Arsène !
Et la gent perdreau de piéter et de cacaber.
Et la gent écureuil de courir et de glousser.
L’affolement était général.
Il se trouva que dans leur recherche forcenée, les deux mères se retrouvèrent nez à bec
de chaque côté du grillage et pour la première fois osèrent s’adresser la parole.
- Nous avons perdu notre petit dernier.
- Nous avons égaré notre benjamine.
- Ne l’auriez-vous pas vu (e) par hasard? demandèrent nos deux mères en même temps.
- Hélas non chère madame. Fit mère perdrix.
- Malheureusement pas chère voisine. Ajouta mère écureuil.
- Et je suis très inquiète avec ce jour qui tombe.
- Et ce renard qui rode.
- Mon dieu, mon dieu!
- Et si nous associions nos recherches? Proposa dame écureuil.
- Vous croyez?
- Je ne crois pas, j’en suis certaine. A nous tous, nous multiplierons nos chances de
les retrouver.
- Et comment pourrions nous procéder?
- C’est très simple croyez-moi. Ma famille et moi allons grimper au sommet des plus
grands pins aux quatre coins cardinaux du bois. Nous pourrons ainsi avoir une vue complète
des environs. Tandis que votre famille et vous quadrillerez la grande vigne. D’en haut
il nous est difficile de voir sous les feuillages.
- Je trouve votre idée excellente. Reste à convaincre nos époux respectifs. Je ne sais
pas vous, mais mon général de mari n’aime pas que l’on prenne des décisions à sa place.
- Le mien non plus rassurez-vous. Il suffit toutefois de leur laisser croire que ce sont
eux qui en ont pris l’initiative. N’est ce pas là le rôle et le devoir des épouses ?
Je vous crois assez fine pour savoir pratiquer la chose.
- Si vous le dites.
***
Ainsi fut fait.
Dame perdrix n’eut aucun mal à convaincre son général de mari d’organiser une battue en
règle de la vigne de Victor: elle n’eut qu’à flatter innocemment son sens de l’ordre et
de la discipline. Il prit volontiers les choses en mains d’autant que ses enfants avaient
l’habitude et obéissaient parfaitement. Mais là où revient son grand mérite c’est d’avoir
su, comme le grand stratège qu’il était, déployer en ordre de bataille les diverses compagnies
de perdreaux de la réserve de Roque Haute venues prêter main forte. En effet ces dernières
vivant dans un site protégé faisaient preuve d’un laisser aller brouillon dont il lui revint
la gloire de venir à bout. La vigne fut entièrement ratissée. Nulle souche, nulle brindille,
nulle feuille même n’échappèrent à une inspection rigoureuse . Et pourtant, il fallut se rendre
à l’évidence: les disparus ne s’y trouvaient pas.
Père écureuil, de son côté, n’eut pas besoin des suggestions de sa compagne. D’un naturel
inquiet, il avait dépêché tout de suite ses fils au sommet des quatre plus grands pins
plantés aux quatre angles du bois afin qu’ils examinent les environs.Il imaginait déjà
la benjamine et préférée de ses filles aux prises avec le cruel Arsène. Il en tremblait
de tous ses membres.
Tout à coup la vigie du pin du sud poussa un cri:
- Là bas, là bas, je vois quelque chose sur le chemin juste après le tournant. Cet éclair
roux, c’est elle. Elle n’est pas toute seule un perdreau l’accompagne.
- Tous avec moi et sur deux rangs. Puis: silence! on se tait!. brailla général perdreau.
Nos deux innocents aventuriers revenaient donc en devisant:
- Quelle belle après midi nous avons eue! Disait Titi le jeune perdreau. On s’est bien
remplie la panse avec les raisins de Victor, on a rencontré un mignon petit renardeau avec
lequel nous allons pouvoir nous amuser pendant les heures de sieste de nos parents…
- Et nous avons fait la connaissance de Dame renarde sa maman qui nous assuré qu’on
n’avait plus rien à redouter des renards, renchérissait Lalie la jeune écureuille.
Arrivés à l’angle nord-est de la clôture, Lalie qui marchait devant:
- Oh oh ! Je crois que allons avoir un sérieux problème.
- Penses-tu...eh bien !….
Ils pilèrent net.
Tout le long de la clôture les attendait toute une haie réprobatrice, composée d’une part,
de la famille écureuil, côté bois, et d’autre part, de la compagnie de perdreaux,
côté genêts. Tout au bout, pattes avant ou ailes croisées, les pères respectifs
accompagnés des mères leurs épouses, fermaient le rectangle tandis que derrière eux
se massaient toutes les compagnies de perdreaux que la réserve de Roque Haute comptait.
Le silence était impressionnant.
- Approchez dit père perdreau d’une voix glaciale…
Nos deux jeunes amis serrés l’un contre l’autre osèrent quelques pas.
- Plus près. L’ordre claqua.
Ils durent avancer sous les regards.
- Où donc étiez-vous?
- Ben, là bas au bout du long chemin répondit Titi d’une petite voix.
- Vous ne deviez quitter ni les genêts, ni le bois. Vous avez désobéi. Désobéissance,
et d’un.
- C’est que je voulais faire goûter à Lalie les raisins de la vigne de Victor.
- Chapardage. Et de deux.
- Seulement dans la vigne, on a trouvé un petit renardeau perdu la patte prise dans
une ficelle bleue..
- De mieux en mieux : on fraye avec l’ennemi. Et de trois.
- Il a bien fallu qu’on le délivre et qu’on le raccompagne auprès de sa maman.
- OHHHHHHH !
Un frémissement de peur parcourut l’assistance.
- Attitude totalement irresponsable face au danger. Vous auriez pu être croqués.
Et de quatre.
- Non, non. Sa maman est très gentille : elle nous a remercié et promis qu’elle ne
nous croquerait pas.
- De quoi de quoi ? Et maintenant on pactise avec l’ennemi sans l’aval de sa hiérarchie ?
Et de cinq.
- Et vous l’avez crue ? Renchérit père écureuil. Pauvre naïfs que vous êtes.
- Mais si: d’abord elle a juré, puis elle a fait le serment : « Moi Sidonie mère renarde
de la tanière de la falaise de Roque Haute je jure …. »
- On ne doit jamais se fier à la parole du renard. Que ne l’a-t-on répété dans notre
famille après que papète Honoré ait été la victime d’Arsène. Lui aussi lui avait juré
qu’il ne risquait rien. Et pourtant Honoré y a laissé un peu de sa belle queue.
- Mais…
- Tais-toi ordonna père perdreau. Si je résume bien, vous avez commis six graves délits
dont certains seraient passibles de la cour martiale, en conséquence…
A ce moment là il fut interrompu par un coup donné dans ses côtes par mère perdreau,
tandis que de son côté mère écureuil tirait, elle, la queue de son mari.
- Mais qu’est-ce?,.. Hum, hum! La ...la cour se retire pour délibérer.
Et tous quatre tournèrent le dos.
***
A les voir gesticuler, on aurait pu se dire que la cour n’arrivait pas facilement à
prendre une décision.
En effet:
- Cour martiale, cour martiale, mais vous vous égarez mon ami! Il ne s’agit plus des
membres de votre escadron, mais de votre plus jeune fils, arguait mère perdrix.
- Ce ne sont que des enfants rajoutait mère écureuil.
- Je trouve également que vous y allez un peu fort mon cher collègue avançait de son
côté père écureuil.
- De plus, leur escapade répondait à un sentiment honorable: venir en aide à son prochain.
N’est-ce-pas là une des valeurs que vous et moi nous sommes efforcés de lui transmettre?
Ajoutait dame perdrix.
- Sans doute, sans doute bougonnait général perdreau, mais pas quand il s’agit d’un renard!
- Un tout petit renardeau.
- Renard tout de même et fils de notre pire ennemi!
- Il l’ignorait peut-être, après tout n’est-il pas né de la dernière couvée?
- Notre fille, elle, le savait: elle aurait du le prévenir. Je crains que ce ne soit
elle la coupable dit alors père écureuil.
- Coupable notre Eulalie? Bavarde, évaporée, facétieuse, mais coupable sûrement pas.
L’aventure survenue à grand père Honoré nous a tous traumatisés dans la famille.
Tu te trompes mon mari. Elle n’aurait jamais bravé l’interdit. Non non elle s’est laissé
entraîner voilà tout.
- Vous insinuez donc que mon tout petit à peine éclos aurait….
- Je n’insinue rien du tout: je constate...
- Paix! vous deux! Tonna messire perdreau. Ils sont coupables tous les deux, mais je
veux bien leur accorder comme circonstances atténuantes leur inexpérience, leur naïveté
et leur bon cœur. Mais aller jusqu’à rencontrer dame Sidonie goupil et pactiser avec elle?
Je n’y crois pas. Balivernes que tout cela.
- Je ne suis pas d’accord avec vous, cher voisin: ils avaient l’air sincères.
- Ils n’auraient pu à eux seuls inventer une telle histoire, rajouta sa femme.
- C’est également mon opinion mon ami.
- Bien, bien, puisque tout le monde est contre moi, je veux bien retirer les accusations
de trahison, Ne restent donc plus que celles de désobéissance et chapardage.
- Fautes autrement vénielles, vous en conviendrez mon ami.
- Imputables à leur jeune âge renchérirent d’une seule voix les parents d’Eulalie.
- Mais qui méritent punition foi de perdigal des genêts.
- Mais qui méritent punition foi d’écureuil du bois de pins.
***
- Il m’a semblé entendre prononcé mon nom.
Cette douce voix mélodieuse ainsi que l’être dont elle provenait, sorti subrepticement du
fourré où il s’était tenu caché, provoquèrent une telle débandade de la gent animale réunie,
qu’elle fit se retourner nos quatre parents;
- Mais que?...commença père perdreau. Il n’acheva pas sa phrase.
Là, tout à côté de nos jeunes présumés coupables, pas effrayés pour un sou d’ailleurs,
se tenait Dame renarde Sidonie Goupil.
- On ne m’attendait pas à ce que je vois. Et pourtant me voici. Je me doutais bien que mes
jeunes amis auraient besoin d’un avocat pour leur défense. Alors je les ai suivis.
Face à elle nos quatre parents étaient pétrifiés.
- N’ayez crainte , je ne vais pas vous manger. J’ai fait promesse et la tiendrai. Sur ma vie,
foi de renard. Non je suis ici pour que vous n’accabliez vos enfants de vos doutes. Ils vous
ont dit la vérité. Ils ont sauvé mon renardeau. S’ils ne l’avaient pas délivré et raccompagné ,
qui sait ce qu’il aurait pu lui arriver. Le monde est plein de dangers pour un petit renardeau
tout juste sorti de sa tanière. Vous devriez les féliciter pour leur bon cœur. Et puis,
il leur en a fallu du courage pour venir jusqu’à moi. On ne peut que les admirer.
Quand à moi, ma reconnaissance leur est acquise. C’est pourquoi je les ai assurés par un
serment solennel, serment que je renouvelle devant vous, que ni moi ni ma famille ne
toucherons de notre vie ni une plume de la compagnie de perdreaux des genêts, ni un poil
de la famille écureuil du bois de pins.
- Votre serment est -t-il aussi valable pour Arsène Goupil? osa demander père écureuil.
- Évidemment! D’ailleurs pour vous le prouver je quitte à l’instant cette colline pour
n’y plus revenir de ma vie. Les basses terres regorgent suffisamment de nourriture pour
satisfaire nos appétits.
Puis:
- Messire perdreau, Dame perdrix, Messire écureuil, Dame écureuil, je vous salue pour
la dernière fois. Quand à vous mes chers petits, je vous remercie encore et regrette que
ne puissiez plus être les compagnons de jeu de mon fils. J’aurais tellement aimé qu’il
goûte à cette sage fréquentation. Adieu et que dieu vous garde.
Sur ces mots elle se retourna et fila de son trot gracieux retrouver dans sa tanière ses
renardeaux.
***
Stupéfaits, nos quatre géniteurs restaient sans voix.
Puis :
- Brum, brum! Fit maître perdreau en secouant ses plumes. Force m’est de reconnaître que
vous avez là un bon avocat. Mais il a omis de parler de vos délits de désobéissance et de
chapardage. En conséquence, la cour ici présente, après s’être concertée, vous condamne à
des travaux d’intérêt général: à savoir débarrasser toute une rangée de la vigne de Victor
de ses insectes parasites, et votre tâche terminée, remplir à ras bord la cache de l’arbre
creux de pignes à pignons en prévision de l’hiver. Mère perdrix et mère écureuil veilleront
à ce que vous accomplissiez parfaitement votre punition. J’ai dit.
C’est les yeux baissés et l’air contrit que nos deux accusés reçurent la sentence. Toutefois
comme une amorce de sourire se dessinait sur leurs faces.
- Ne croyez pas pour autant que vous pourrez à loisir vous gaver de raisins ou vous bourrer
de pignons. Elles veilleront à ce que cela n’arrive pas. Sur ce, rompez chenapans. Et qu’on
ne vous y reprenne pas.
De la sentence, les perdreaux de la réserve de Roque Haute n’en entendirent pas
le moindre mot, tant ils s’étaient enfuis se réfugier, dès l’apparition de la
renarde, dans leur tènement bien protégé par la charte de Natura 2000 ainsi que, et surtout,
par une clôture de barbelés de deux mètres.
La punition quand à elle fut scrupuleusement exécutée.
Peu de temps après la vigne de Victor connut une certaine animation quand une équipe
bruyante et joyeuse, que dans nos régions on appelle « colle » s’en vint la vendanger.
Puis le calme revint avant que n’arrive cette période tant redoutée de la gent animale :
celle de la chasse.
Nos nouveaux amis décidèrent d’un commun accord de tous s’installer dans le bois de pins,
si bien clôturé grâce aux bons soins de Maurice et de Germaine que ni le plus rusé des
renards, ni le plus motivé des chasseurs auraient eu du mal à franchir.
***
On raconte, deux précautions valant mieux qu’une, au cas ou une faim dévorante
pourrait être mauvaise conseillère – en effet, en hiver, les campings et leurs «
regorgeantes » poubelles sont fermés, les poules ne courent plus les prés lagunaires
souvent envahis par les eaux, elles demeurent prisonnières de poulaillers bien clos ;
quand aux lapins ils ont été en grande partie décimés par les chasseurs,- on raconte
donc que nos perdreaux ont appris à se percher sur les arbres pour y passer des nuits
en toute tranquillité.
On dit aussi, et ce pour le plus grand bonheur d’Élise, que notre compagnie de perdreaux
a décidé d’éradiquer les fourmis qui avaient envahi le bois de pins et dont elle redoute
tant les cruelles morsures.
- Il est vrai qu’elles s’attaquaient un peu trop aux réserves
dissimulées dans des caches par nos amis écureuils-.
Il se murmurerait également, et seule Solène le sait, que derrière la barrière d’agaves ,
dissimulés par des térébinthes touffus, à l’angle est du bois de pins, deux fois par
semaine, à cette heure qu’on nomme « entre chien et loup », et qui précède les ténèbres,
un perdreau, une écureuille, et un renardeau se retrouvent pour échanger sur les
aventures par eux vécues. Et ce malgré les interdits.
A voir comme ces trois là s’entendent on peut être certain que des générations de
renards passeront avant que les goupils de la falaise de Roque Haute ne deviennent parjures.
On dit également, vu l’harmonie et la félicité qui règnent dans ce terrain boisé,
qu’une famille hérisson composée de pas moins de dix membres, y aurait installé ses

pénates, tandis que toutes sortes de passereaux y construiraient leur nid à la belle saison,
entremêlant leurs chants et leurs trilles.
Bref ...tout porte à croire que cette ancienne vigne de papète Louis, perchée tout en
haut de la colline historique de Roque Haute, où les jeudis de son enfance Maurice aimait
tant à venir, devenue bois de pins par ses soins, ne soit ce lieu privilégié et recherché
par toute un société animale en quête de fraternité.
Puisse-t-il se faire que nous, pauvres humains, ayons la chance d’y être pour toujours,
tolérés sinon accueillis!
Michèle Puel Benoit