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Los Perdigals

Les perdreaux et les écureuils de RoqueHaute

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Los perdigals e los esquirols de Roca nauta


Tout au sommet de la colline séculaire qui a pour non Roque Haute, là haut sur le plan de Médeilhan, dans ces vignes devenues friches par plus d’un siècle d’abandon, au milieu des genêts envahissants et touffus, dame perdrix et messire perdreau avaient engendré cette année là une compagnie qui ne comptait pas moins de douze petits «perdigaux» aux pattes rouges.
Il y avait: Louis l’aîné, au nom de roi comme il est de tradition chez les perdreaux, Charles, Antoine et Hadrien, suivis d’une flopée de filles: Céleste, Angeline, Flavie, Léontine et Victoria et de trois benjamins facétieux et braillards Norbert, dit Nono, Lucien, dit Lulu et enfin Maximilien qu’on ne sait trop pourquoi on avait affublé du diminutif de Titi.
Leur tènement jouxtait une belle pinède de pins parasols que Maurice et Germaine avaient plantés quelques cinquante ans en arrière, y mêlant agaves, eucalyptus et mimosas, et dans laquelle chaque printemps voyait refleurir les iris violets qui bordaient sa clôture.
Tout en haut de la frondaison généreuse que fournissaient ces géants tutélaires, toute une famille d’écureuils avait élu domicile. Cette dernière était composée de huit membres qui vivaient ensemble dans une cavité creusée par leurs ascendants, après qu’un vent du nord tempétueux ait fait céder une branche de la cépée d’un grand pin, offrant à leurs dents grignoteuses le bois tendre de sa cassure.
Vivaient donc dans ce foyer: papète Honoré et mamète Alphonsine, leur fils Tonin et leur bru Joséphine avec leurs deux galapiats José et Zéphirin, sans oublier l’angélique et naïve Prospérine et encore moins leur espiègle pipelette d’Eulalie la bien nommée.
Vous alliez me dire, j’en suis certaine, que la gent perdreau et la gent écureuil d’ordinaire ne se fréquentent guère, et je vous aurais donné raison. Pourtant sur cette colline riche de son historique passé il en fut tout autrement, comme va vous le démontrer ce conte transporté jusqu’à mes oreilles par le chant assourdissant des cigales, ou chuchoté par la brise marine dans le frémissement des grands pins.

***

Ce jour là une chaleur accablante faisait se terrer sous les genêts touffus toute la compagnie de perdreaux à la recherche d’une relative fraîcheur. Seul Titi Maximilien échappant à la torpeur générale avait osé franchir la zone aride et nue, courant le risque de la méchante insolation ou pis encore de la rencontre avec un vilain prédateur que la faim aurait tenu éveillé.
Cela faisait quelque temps déjà qu’il regardait ce bois de pins avec envie, et le fait qu’il soit ceint d’une clôture augmentait encore plus son désir de la franchir. Pourtant, mère perdrix et père perdreau, en parents soucieux, n’avaient pas lésiné sur les interdits, réduisant son terrain d’aventures diurnes au seul espace planté de genêts. Une véritable peau de chagrin qui diminuait de jour en jour lorsque les mères perdrix cacabaient en réunion des mésaventures survenues à leurs progénitures.
C’est pourquoi notre Titi, conscient et pas peu fier de braver l’interdit, se trouvait à faire les cent pas le long d’un grillage qui, il en était sûr, vu sa vétusté, lui révélerait bientôt un passage. Certes il aurait pu franchir la clôture en volant mais son vol assez bruyant aurait alerté de son escapade sa mère qui ne dormait jamais que d’un œil. Quoique masqué par un chêne kermès buissonneux, un trou dans le grillage attira son regard. Sitôt aperçu, sitôt franchi, et le voilà de l’autre côté.

Ce qui le frappa en premier ce fut l’odeur puissante des résineux exaltée par la touffeur qui régnait sous les arbres au point que même les cigales s’étaient tues.
Il osa quelques pas ... un petit trot...
- Poc!
Une écaille de pomme de pin le frôla dans sa chute.
-Poc, poc, poc!
Une, puis deux, puis trois lui succédèrent, suivies d’un véritable mitraillage qui le fit s’abriter dans une touffe de pistachier térébinthe. Levant la tête il entrevit un éclair roux disparaître dans la frondaison d’un grand pin.
- Eh! Oh! ça va pas la tête!
- Hihihi!
- Et en plus ça rigole! Montre toi un peu pour voir.
- Cherche moi fit une voix qui semblait provenir de derrière lui… Je suis là!
Il tourna sur lui-même.
- Ici. Et puis là! Et là! Et là aussi!
- Ma parole qui donc es-tu pour être partout à la fois ? Arrête, tu me donnes le tournis!
- Hi hi hi! Eh oui! Je suis partout à la fois.
- Assez! Montre toi une bonne fois pour toutes si tu veux qu’on discute, sinon je m’en vais.
- Non ne pars pas! Je veux bien discuter. D’un bond, Eulalie se retrouva à un mètre cinquante de lui sur la branche inclinée du pin.
- Et alors tu me vois maintenant?
- Ben oui! Mais je ne sais toujours pas qui tu es.
- Eh bien je suis Eulalie la petite dernière de la famille d’écureuils qui habite ce bois. Mais tout le monde m’appelle Lalie. Et toi?
- Moi je suis Maximilien le dernier de la compagnie de perdreaux des Genêts, mais tout le monde me dit Titi.
- Ah c’est toi Titi?
- Comment? Tu me connais?
- Bien sûr, je vous observe du haut de mes pins toi et les tiens. J’ai souvent entendu:«Titi reviens...Titi arrête...Titi sors de là...» Mais je ne savais pas que c’était toi. Tu es très célèbre dis-moi.
- N’est-ce-pas ? Répondit ce dernier en bombant le torse, on ne peut se passer de moi.
Pareil pour moi, à peine ai-je passé quelques minutes à raconter ma journée qu’invariablement mon auditoire s’écrie :  « Ma pauvre Lalie va si tu n’existais pas il faudrait t’inventer ! » et il me plante là. J’en arrive même à me demander si je ne suis pas incomprise.
- Je me pose aussi la même question.
- Alors nous sommes faits pour nous entendre, déclara Eulalie du ton même de l’évidence. Puis, viens, nous allons ramasser des pignons, le vent de l’autre jour a fait tomber les pignes.
- Les pignons ?
- Tu n’as jamais mangé de pignons ?
- Non jamais.
- Suis-moi, tu vas te régaler.
Et la voilà partie vers la pointe nord du terrain là où les pins parasols étaient les plus majestueux. Titi, pourtant trottant du mieux qu’il pouvait sur ses courtes pattes eut quelque mal à suivre l’envolée de branche en branche de sa nouvelle amie.
- Tu les vois ?
- Quoi ?
- Les pignes.
- Où ça ?
- Ben à tes pieds ! Pardi !
- Dis, c’est quoi une pigne ?
- Attention la tête !
A peine prononcés ces mots furent suivis par la chute d’une grosse boule qui, le manquant de peu, lui fit faire un bond en arrière.
- Ehhhhh !
- C’est ça une pigne gros bêta ! Fit notre écureuil en se posant sur le sol.
Tous deux s’examinèrent un moment un peu intimidés de se voir d’aussi près. Ils avaient à peu prés la même taille. Ce constat les rassurant ils s’en retournèrent à leur préoccupation première, à savoir assouvir leur gourmandise : - Et tu dis que ça se mange ?
- Non, seulement les pignons qui sont entre les écailles.
- Ah bon ? Et comment tu fais pour les attraper ?
- C’est bien simple je ronge tout autour avec mes dents.
- Mais je n’ai pas de dents.
- Alors tu dois pouvoir les retirer de leur cavité avec ton bec. Essaye pour voir.
- Humpf ! C’est dur ! les écailles sont si serrées…
- Attends je vais t’aider.
Et de ses doigts habiles Lalie écarta plusieurs écailles.
- Maintenant tu dois être capable d’attraper les pignons.
- Merci. Puis, gloops !c’est un peu dur à avaler non ?
- Voyez-moi ce dégourdi ! Il ne faut pas manger la coque, seulement la graine à l’intérieur !
- Comment je fais ?
- Tu tapes dessus avec ton bec.
Poc, poc, poc, fsiou ! Le pignon fusa dans les fourrés, bientôt suivi par un deuxième puis un troisième qui évita de peu notre « écureuille »
- Eh oh ! Tu as bien failli m’éborgner !
- Oh pardon ! Puis c’est trop dur je n’y arriverai jamais !
- Mais si, mais si avec de la patien…
- Titi ! Titi ! Titi ! Mais où est donc passé ce garnement ?
- Zut ! Mes parents, il faut que je rentre. Mais comment je vais faire sans qu’ils me voient ?
- Attends passe par ici tu arriveras ainsi à l’arrière des genêts.
- Merci et au revoir.
- Au revoir et à demain même heure et même endroit .
- Entendu.

***

Les conseils de Lalie furent suivis à la lettre et s’avérèrent payants. Maman perdrix ne douta pas un seul instant des propos de son fils rapportés d’un air tout ensommeillé, comme quoi voulant échapper à la chaleur il s’était enfoncé au plus profond des genêts et s’y était endormi.
- Mon pauvre chéri, et je t’ai réveillé ? Pardonne-moi, pour une fois que tu dors à la sieste...Tu sais bien pourtant que ton père a décidé que nous irions ce soir picorer les raisins de la vigne de Victor. Il semblerait qu’ils soient prêts…
- Compagnie par ici !
Le cri puissant du perdreau mâle interrompit les propos de maman perdrix.
- Compagnie, devant moi sur un rang !
- Pousse-toi, c’est ma place. - J’étais là avant toi.
- Compagnie, je ne veux voir qu’une seule tête, et là j’en vois deux.
- C’est Angeline…
- C’est Victoria…
et d’une seule voix :
- Elle m’a pris ma place !
- J’ai dit par rang d’âge .
D’une seule voix :
- Mais on est jumelles, on a éclos en même temps !
- Par ordre alphabétique alors !
- Tu vas derrière, Victoria, et toc ! Triompha en chantonnant Angeline.
- C’est pas juste, tous les jours c’est pareil…
Victoria n’avait pas tort, ce petit manège se répétait tous les jours et engendrait invariablement la même conclusion : une sorte de jeu...ou de rituel, si vous voulez.
- Silence dans les rangs tonitrua Maître perdreau. Puis :
- Compagnie à mon commandement : en avant, marche !

***

Et la colonne parfaitement alignée s’ébranla derrière un général père bombant un torse portant cravate rouge et bien rectiligne. Mère perdrix tout aussi fière fermait la marche.
Depuis que ces deux là s’étaient appareillés et avait fondé famille, à chaque année renouvelée, ils faisaient l’admiration des autres compagnies de perdreaux. Aucune d’entre elles ne pouvaient se glorifier d’exhiber un tel ordre et une telle discipline.
Toutefois cette année ils devaient faire face à un sérieux problème : l’insubordination de Titi. Tant que l’on marchait sur une ligne s’incurvant pour éviter les obstacles, mère perdrix de ses ailes ouvertes arrivait à l’empêcher de s’écarter du rang, mais, lorsqu’on arrivait dans la vigne…
- Compagnie halte ! Aujourd’hui nous attaquerons la rangée numéro quatre. Une souche pour chacun et à chacun sa souche, et on ne déborde pas. Votre prélèvement sera de vingt grains pas un de plus pas un de moins.Vous avez dix minutes. A mon commandement... picorez.
- Et voilà c’est reparti se lamentait Titi… comme il était le petit dernier maman perdrix le laissait devant la dernière souche de la rangée avant d’aller rejoindre tout à fait en tête son général de mari. C’était le seul moment d’intimité que leur laissait leur nombreuse famille et ils y tenaient beaucoup. Or voilà, la dernière souche était toujours celle qui bordait le chemin et invariablement celle qui était bien souvent vendangée par les promeneurs. Ne restaient donc bien souvent sur elle que les raisins verts bien trop acides à son goût. Force lui était donc de désobéir à la consigne et d’aller picorer un peu partout dans la vigne les souches porteuses de fruits mûrs à point et dégoulinants de jus sucré. Il avait beau tenter d’être le plus invisible possible, et bien calculer, croyait-il, son chemin, son errance gourmande et vagabonde le ramenait à chaque fois à côté de la souche derrière laquelle devisaient et se courtisaient ses parents.
- Titi! Mais qu’est ce que tu fais là? S’étonnait sa mère.
- Je... je me suis perdu.
- Sapristi de sapristi tonnait son père, tu ne dois pas quitter ta souche tant que je n’ai pas donné le signal. De plus tu sais très bien qu’il faut ensuite la débarrasser de tous les insectes et parasites qui pourraient lui nuire et terminer en grattant le sol à ses pieds pour dénicher les œufs de ces mêmes insectes et autres escargots. L’heure n’est pas à la récréation vagabonde.
- Mais…
- Il n’y a pas de mais qui tienne, file à ta souche et vite.

***

Il faut vous dire que depuis quelques années déjà Victor avait conclu un marché tacite avec Père perdreau. N’étant pas chasseur, il aimait bien quand il travaillait sa vigne entendre les perdreaux cacaber dans les genêts et se réjouissait à chaque fois de voir toute la compagnie trottiner en file indienne, selon une ligne sinueuse, en quête de leur nourriture. Et, quand il pouvait assister au spectacle de l’envol froufroutant de toute la compagnie dans les ors et les cramoisis du soleil couchant, son âme simple d’homme de la terre s’en émerveillait à chaque fois. Cependant, me direz-vous, le vigneron n’aime pas voir vendanger sa vigne avant lui. Certes, certes. Et Victor n’échappait pas à la règle. Alors il avait mené une surveillance rigoureuse. Mais lorsqu’il s’était aperçu du prélèvement raisonnable que père perdreau opérait sur sa récolte, il avait haussé les épaules : «  Cal plan que se noiriscan aqueles perdigals ! » (- Ils faut bien qu’ils se nourrissent ces perdreaux. ) De plus, lorsqu’il s’était rendu compte que ces volatiles débarrassaient les souches des insectes nocifs et autres parasites tout en aérant le sol par leur grattage, il s’était dit qu’il avait là des alliés providentiels et qu’il serait bien sot de s’en priver. Il avait donc fermé les yeux et sourit. Il avait même, cette année-ci accepté de bon cœur, le grappillage aléatoire du petit dernier, tant il avait un faible pour ce petit chenapan qui, pourtant, en faisait voir de toutes les couleurs à ses parents.

***

Titi donc vexé par les remarques de son père, s’en était retourné vers sa souche en maugréant :
- Çà ne fait rien je trouverai bien un autre moyen…
Car une idée avait germé dans sa tête. Idée qu’il pensait mettre en pratique dès le lendemain lors de son rendez-vous avec Lalie la petite dernière des écureuils du bois de pins.
Comme la veille il n’eut aucune peine à s’échapper sans qu’on le voie durant la sieste, d’autant qu’il lui suffisait d’emprunter le chemin discret indiqué par son amie.
- Tu es en retard dis-moi. J’ai eu le temps de grignoter quatre pignes en t’attendant.
- Pourtant j’ai fait du plus vite que j’ai pu.
- Ce n’est pas grave il reste encore des pignes et donc des pignons.
- Euh …Très peu pour moi. Mais j’ai autre chose à te proposer.
- Ah oui? C’est quoi ?
- Suis-moi et tu verras.
Et du trottinement de ses courtes pattes Titi se dirigea vers le trou de la clôture qu’il avait emprunté la première fois. Une fois la clôture franchie il s’apprêtait à la longer quand il s’aperçut que Lalie ne suivait pas.
- Lalie? Où donc es-tu?
- Là haut dans l’arbre.
- Là haut?Pourquoi?
- Je préfère te suivre dans les airs.
- Comme tu voudras. On se retrouve au bout de la clôture alors?
- Si tu veux.
- On fait la course au premier arrivé?
- D’accord.
Et les voilà partis. Titi, qui pourtant gagnait tous ses frères à la course, ignorait qu‘il n’avait aucune chance à rivaliser avec un écureuil se déplaçant avec aisance de branche en branches.
Il fut à son arrivée accueilli par une pluie d’écailles de pins.
- Hi!hi!hi! J’ai gagné.
- Bon ça va, mais tu verras la prochaine fois quand je pourrai voler.
Puis:
- Et voilà, là devant c’est la vigne de Victor, descends je vais te faire goûter à son raisin.
- Je ne peux pas.

- Comment ça? Descends par cette branche qui tombe au-delà du grillage.
- Non je te dis, je ne peux pas. C’est interdit.
- Interdit?
- Je ne dois pas sortir du bois de pins. Mes parents me l’ont défendu ainsi qu’à mes sœurs et à mes frères. Dehors il y a Arsène le renard et….
- Ça alors c’est rigolo! Tes parents t’interdisent de sortir du bois, et moi les miens d’y entrer, et pour la même raison, le renard. Il est partout ce renard! Pourtant moi je ne l’ai jamais vu, et toi?
- Moi non plus, mais papète Honoré lui s’est fait attraper par la queue et depuis il lui en manque un bout.
- Ah bon? Il l’a vu? C’était bien le renard?
- Oui, oui, il me l’a juré. Mais c’était au dehors: le renard n’entre jamais dans notre bois de pins.
- Tiens donc! Bon, écoute ce que nous allons faire. Toi là haut dans tes branches tu vas bien regarder si tu ne le vois pas, puis vite redescendre de ce côté. On se précipitera sur la quatrième souche de la sixième rangée, elle est pleine de raisins bien mûrs, je l’ai repérée hier. On picore un p ?
- Bah, un tout petit peu. Tu verras ça en vaut la peine et personne n’en saura rien.
Alors on y va? - Oui mais on fait vite.
- Entendu.Tu vois quelque chose?
- Non rien ni personne.
- C’est bon on y va.
En moins de deux ils étaient à la souche croulant sous les grappes mûres.
- Tiens croque ce gros grain noir, quel jus!quel délice!
- C’est vrai que c’est bon.
Et nos deux chapardeurs s’attelèrent au pillage systématique de la souche. Et quand ils furent repus ils s’amusèrent à se barbouiller de bons jus noir et bien poisseux, oublieux des limites de temps qu’ils s’étaient fixées, ni du danger de la visite intéressée du renard que leurs cris aurait pu attirer.

***

De ce dernier cependant il n’avait rien à redouter.
Maître goupil avait d’autres centres d’intérêts.
Délaissant la colline de Roque Haute, il avait jeté son dévolu sur les vignes de la plaine ou les prés salés qui regorgeaient de lapins bien gras et goûteux. De plus il savait pouvoir assouvir sa faim de volailles charnues pâturant dans ces mêmes prés. Il avait même remarqué que les poubelles débordantes des campings de la plaine regorgeaient bien souvent d’une nourriture, certes inhabituelle, mais alléchante et propre à satisfaire sa gourmandise. Pour tout vous dire, les perdreaux et les écureuils du plan de Médeilhan, en cette saison-ci, il n’en avait que faire. Les proies qu’il rapportait de la plaine suffisait largement à nourrir sa famille. Car famille il avait. A la fin du printemps sa compagne avait mis bas deux petits renardeaux dans la tanière, par eux creusée, au bas de la falaise qui dominait les basses terres. Ils étaient maintenant assez dégourdis pour s’échapper du terrier ou suivre leur mère en promenade.
C’est ainsi que:
- Vous n’auriez pas vu ma maman?
La voix flûtée qui s’ échappait du museau pointu sortant du feuillage de la souche fit faire à nos deux amis vendangeurs un bond en arrière.

- Je me suis perdu. Vous n’auriez pas vu ma maman?
- Ben non. Mais qui es-tu? Tu nous a flanqué une de ces frousses répondit Titi.
- Oh! Pardon. Je m’appelle Philémon, mais chez moi on me dit Fifi. Je suis perdu. Vous n’auriez pas vu ma maman?
- C’est qui ta maman? Interrogea Lalie.
- Ma maman c’est Sidonie et mon papa c’est Arsène.
- Arsène? Tu as bien dit Arsène? S’écria Lalie. Comme Arsène le renard?
- Oui c’est ça, c’est mon papa.
- Vite, vite Titi, fichons le camp d’ici. C’est le fils du renard.
- Tu crois? Il n’a pas l’air bien dangereux
. - Lui, peut être, mais pas son père.
- Il est tout petit, tout juste un peu plus grand que nous.
- S’il lui prenait l’idée de le rechercher.
- Ça ne risque pas il est parti ce matin de bonne heure pour la plaine il ne rentrera pas avant la nuit, intervint le renardeau.
- Et si c’est sa mère qui le cherche? Elle, elle est grande, et sûrement pleine d’appétit. - Ça c’est bien vrai ma maman à moi elle est très gourmande. Avec ma sœur elles avaient décidé de manger toutes les mûres du grand buisson, il y en avait plein. Mais moi , j’aime pas les mûres. Alors je suis parti. J’ai pris le chemin qui montait tout droit, j’ai tourné à gauche, puis à droite puis à gauche je crois... Et maintenant je suis perdu. Je veux ma maman. Ouin!
- Dis Lalie, on devrait l’aider tu ne crois pas?
- Peut-être, mais comment?
- On pourrait le raccompagner.
- Que j’aille me fourrer jusque dans la gueule du renard? Non merci, très peu pour moi.
- Je ne dis pas jusqu’à sa mère et encore moins jusqu’à sa tanière. Non, mais sur un petit bout de chemin, jusqu’à ce qu’il se reconnaisse.
- Mais c’est une grande désobéissance ça!
- Bah au point où on en est… Si tu ne veux pas j’irai tout seul.
- Non non je viens avec toi, c’est seulement que…
- Ne t’inquiète pas, si j’ai bien compris nous n’aurons pas à aller très loin: je le connais ce gros buisson de mûres mon père nous y a déjà conduits. Il n’est qu’à une grande envolée d’ici, le chemin est bordé d’arbres,tu n’auras aucun mal à te déplacer dans les airs.
- C’est vrai? Vous allez me raccompagner à ma maman? s’exclama Fifi tout consolé.
- Un petit bout de chemin seulement.
- Tu sais que je ne sais pas voler comme vous.
- Je marcherai avec toi. Allez viens.
- Je voudrais bien, mais quelque chose me retient par la patte, je ne peux pas avancer.
- Ah bon ? Laisse nous voir.
- Oh le pauvre il s’est pris la patte dans cette ficelle bleue. S’écria Lalie.
- Je la reconnais c’est celle avec la quelle Victor attache les jeunes souches au tuteur. Comment s’est-il débrouillé ? Ajouta Titi.
- Ne bouge pas je vais essayer de te libérer.
Mais Titi eut beau faire de ses pattes et de son bec, ses essais se soldèrent par un échec. - Ecarte-toi et laisse moi faire.
Alors de ses doigts agiles Lalie tenta de défaire le nœud qui retenait la patte prisonnière.
- Aie ! ne tire pas ! ça fait mal geint notre renardeau.
- Pauvre petit, la ficelle s’est incrustée dans sa chair. Je ne vois qu’une solution: ronger avec mes dents cette fichue ficelle. Ne bouge surtout pas. Je vais essayer de ronger au plus près du nœud.
Peu de temps après:
- Et voilà! tu es libre.
- Oh oui! Merci Lalie. Oh! ça fait toujours mal quand je marche.
- Je n’ose pas désincruster la ficelle. Ta maman le fera.
- N’aie crainte je vais t’aider à marcher dit Titi. Appuie-toi sur moi.
Et l’un soutenant l’autre ils s’avancèrent de souche en souche, puis, d’arbre en arbre, ou de buisson en buisson, afin de se faire remarquer le moins possible. Tandis que Lalie poursuivait son chemin aérien.
Tout à coup:
- Ça y est, je la vois là bas, c’est ma maman. Ohé maman, je suis là! cria bien fort le petit renardeau.
Une boule de poils roux qui déboule à toute vitesse et Titi eut juste le temps de se dissimuler au plus profond d’une matte.
Eulalie notre « écureuille », quand à elle, s’était, comme le font tous ses semblables, cachée derrière le tronc de l’arbre sur lequel elle se déplaçait.
- Philémon, Philémon, mon tout petit, j’ai eu peur tellement peur, où étais-tu passé?
- Tu sais bien que je n’aime pas les mûres: alors j’ai marché, marché, puis je me suis perdu. J’ai bien essayé de revenir mais quelque chose me retenait par la jambe et ça faisait très mal.
- Mais tu es blessé mon pauvre chéri!
- Heureusement j’ai rencontré des amis, ils m’ont délivré et ils m’ont raccompagné.
- Où sont-ils ces amis que je les remercie.
- Eh! où êtes-vous passés? Venez c’est ma maman, elle veut vous remercier. Allez Titi sort de cette matte.
- Un perdreau fit la renarde en s’approchant.
- Et l’autre il est derrière le tronc de l’arbre tout là-haut.
- Et un écureuil. Eh bien si je m’attendais… Venez, approchez-vous…
- Pour que vous nous croquiez? Pas question. Osa Titi.
- Ah ah ah! Vous ne risquez rien. D’abord je n’ai plus faim: j’ai trop mangé de mûres, ensuite, quelle ingrate serai-je de m’attaquer à ceux qui ont sauvé mon fils? Approchez que je vous voie mieux.
- C’est sûr? on ne risque rien?
- Rien de rien je te l’assure.
- Vous le jurez.
- Je te le jure.Vrai de vrai. J’en fait le serment: « Moi , Sidonie mère renarde de la tanière de la falaise de Roque Haute, épouse d’ Arsène, père renard de la même tanière, mère de Philémon et Virginie, leurs deux renardeaux, jure pour elle et sa descendance, que de toute leur vie il ne sera fait, de leur part, aucun mal aux perdreaux et écureuils de cette colline.» Là, tu me crois maintenant.
- Vous, oui, mais Arsène?
- Arsène? j’en fais mon affaire, il dira comme moi: tu as sauvé son fils tout de même ! S’il avait du passer la nuit dehors qui sait quels dangers il aurait pu affronter! Le blaireau, la fouine, le chat sauvage, le chien errant, il existe toutes sortes de prédateurs pour un jeune et naïf renardeau. Et puis, tu veux que je te dise, il trouve la chair des écureuils bien trop amère, et vous les perdreaux pas assez gras à son goût. Alors, tu te montres?
- Bon je sors.
- Mais tu es un tout jeune perdreau de la nichée de ce printemps.Tu as le même âge que Fifi. Au fait comment t’appelles-tu?
- Je m’appelle Maximilien, mais chez moi on me dit Titi.
- Bonjour Maximilien, et merci. Mais n’étiez-vous pas deux? - Si. Lalie descends. Tu ne risques rien.
Bien qu’hésitante, Lalie osa s’approcher tout en se dissimulant en partie derrière notre perdreau.
- Elle, c’est Eulalie, mais elle préfère Lalie.
- Et un écureuil maintenant. Jamais je n’aurais cru que perdreaux et écureuils se fréquentaient.
- Nous deux seulement. Nos parents ne sont pas au courant.
- Vous êtes assez extraordinaires tout de même. Il est vrai que voir un perdreau et un écureuil venir en aide à un renardeau a de quoi étonner. Vous avez été très courageux de venir au devant de moi.
- Boaf !
- Si, si, je vous assure.
- Dis maman, je pourrais revenir jouer avec eux demain ?
- Ma foi, pourquoi pas, s’ils sont d’accord, maintenant que tu connais le chemin.
- On est d’accord dirent nos deux amis d’une seule voix.

***

Mais, laissons ces nouveaux amis faire plus ample connaissance et revenons à nos genêts et à notre bois de pins.
Là haut c’était la révolution:
- Ti-ti, Ti-ti, Ti-ti, criait la gent perdreau des genêts.
- Lal-ie, La-lie, La-lie appelait la gent écureuil du bois de pins.
- Nous avons battu tous les genêts.
- Nous avons fouillé tout le bois.
- Il reste introuvable.
- Elle n’est pas là.
- Mon dieu, mon dieu, se lamentait mère perdrix.
- Dieux du ciel gémissait mère écureuil.
- Sapristi de sapristi il va voir de quel bois je me chauffe, tonnait le général père.
- Elle ne perd rien pour attendre fulminait père écureuil.
- Et la nuit qui va bientôt arriver !
- Et le soleil qui se couche !
- Mon dieu protège le du renard !
- Mon dieu garde la d’Arsène !
Et la gent perdreau de piéter et de cacaber.
Et la gent écureuil de courir et de glousser.
L’affolement était général.
Il se trouva que dans leur recherche forcenée, les deux mères se retrouvèrent nez à bec de chaque côté du grillage et pour la première fois osèrent s’adresser la parole.
- Nous avons perdu notre petit dernier.
- Nous avons égaré notre benjamine.
- Ne l’auriez-vous pas vu (e) par hasard? demandèrent nos deux mères en même temps.
- Hélas non chère madame. Fit mère perdrix.
- Malheureusement pas chère voisine. Ajouta mère écureuil.
- Et je suis très inquiète avec ce jour qui tombe.
- Et ce renard qui rode.
- Mon dieu, mon dieu!
- Et si nous associions nos recherches? Proposa dame écureuil.
- Vous croyez?
- Je ne crois pas, j’en suis certaine. A nous tous, nous multiplierons nos chances de les retrouver.
- Et comment pourrions nous procéder?
- C’est très simple croyez-moi. Ma famille et moi allons grimper au sommet des plus grands pins aux quatre coins cardinaux du bois. Nous pourrons ainsi avoir une vue complète des environs. Tandis que votre famille et vous quadrillerez la grande vigne. D’en haut il nous est difficile de voir sous les feuillages.
- Je trouve votre idée excellente. Reste à convaincre nos époux respectifs. Je ne sais pas vous, mais mon général de mari n’aime pas que l’on prenne des décisions à sa place.
- Le mien non plus rassurez-vous. Il suffit toutefois de leur laisser croire que ce sont eux qui en ont pris l’initiative. N’est ce pas là le rôle et le devoir des épouses ? Je vous crois assez fine pour savoir pratiquer la chose.
- Si vous le dites.

***

Ainsi fut fait.
Dame perdrix n’eut aucun mal à convaincre son général de mari d’organiser une battue en règle de la vigne de Victor: elle n’eut qu’à flatter innocemment son sens de l’ordre et de la discipline. Il prit volontiers les choses en mains d’autant que ses enfants avaient l’habitude et obéissaient parfaitement. Mais là où revient son grand mérite c’est d’avoir su, comme le grand stratège qu’il était, déployer en ordre de bataille les diverses compagnies de perdreaux de la réserve de Roque Haute venues prêter main forte. En effet ces dernières vivant dans un site protégé faisaient preuve d’un laisser aller brouillon dont il lui revint la gloire de venir à bout. La vigne fut entièrement ratissée. Nulle souche, nulle brindille, nulle feuille même n’échappèrent à une inspection rigoureuse . Et pourtant, il fallut se rendre à l’évidence: les disparus ne s’y trouvaient pas.
Père écureuil, de son côté, n’eut pas besoin des suggestions de sa compagne. D’un naturel inquiet, il avait dépêché tout de suite ses fils au sommet des quatre plus grands pins plantés aux quatre angles du bois afin qu’ils examinent les environs.Il imaginait déjà la benjamine et préférée de ses filles aux prises avec le cruel Arsène. Il en tremblait de tous ses membres.
Tout à coup la vigie du pin du sud poussa un cri:
- Là bas, là bas, je vois quelque chose sur le chemin juste après le tournant. Cet éclair roux, c’est elle. Elle n’est pas toute seule un perdreau l’accompagne.
- Tous avec moi et sur deux rangs. Puis: silence! on se tait!. brailla général perdreau.
Nos deux innocents aventuriers revenaient donc en devisant:
- Quelle belle après midi nous avons eue! Disait Titi le jeune perdreau. On s’est bien remplie la panse avec les raisins de Victor, on a rencontré un mignon petit renardeau avec lequel nous allons pouvoir nous amuser pendant les heures de sieste de nos parents…
- Et nous avons fait la connaissance de Dame renarde sa maman qui nous assuré qu’on n’avait plus rien à redouter des renards, renchérissait Lalie la jeune écureuille.
Arrivés à l’angle nord-est de la clôture, Lalie qui marchait devant:
- Oh oh ! Je crois que allons avoir un sérieux problème.
- Penses-tu...eh bien !….
Ils pilèrent net.
Tout le long de la clôture les attendait toute une haie réprobatrice, composée d’une part, de la famille écureuil, côté bois, et d’autre part, de la compagnie de perdreaux, côté genêts. Tout au bout, pattes avant ou ailes croisées, les pères respectifs accompagnés des mères leurs épouses, fermaient le rectangle tandis que derrière eux se massaient toutes les compagnies de perdreaux que la réserve de Roque Haute comptait.
Le silence était impressionnant.
- Approchez dit père perdreau d’une voix glaciale…
Nos deux jeunes amis serrés l’un contre l’autre osèrent quelques pas.
- Plus près. L’ordre claqua.
Ils durent avancer sous les regards.
- Où donc étiez-vous?
- Ben, là bas au bout du long chemin répondit Titi d’une petite voix.
- Vous ne deviez quitter ni les genêts, ni le bois. Vous avez désobéi. Désobéissance, et d’un.
- C’est que je voulais faire goûter à Lalie les raisins de la vigne de Victor.
- Chapardage. Et de deux.
- Seulement dans la vigne, on a trouvé un petit renardeau perdu la patte prise dans une ficelle bleue..
- De mieux en mieux : on fraye avec l’ennemi. Et de trois.
- Il a bien fallu qu’on le délivre et qu’on le raccompagne auprès de sa maman.
- OHHHHHHH !
Un frémissement de peur parcourut l’assistance.
- Attitude totalement irresponsable face au danger. Vous auriez pu être croqués. Et de quatre.
- Non, non. Sa maman est très gentille : elle nous a remercié et promis qu’elle ne nous croquerait pas.
- De quoi de quoi ? Et maintenant on pactise avec l’ennemi sans l’aval de sa hiérarchie ? Et de cinq.
- Et vous l’avez crue ? Renchérit père écureuil. Pauvre naïfs que vous êtes.
- Mais si: d’abord elle a juré, puis elle a fait le serment :  «  Moi Sidonie mère renarde de la tanière de la falaise de Roque Haute je jure …. »
- On ne doit jamais se fier à la parole du renard. Que ne l’a-t-on répété dans notre famille après que papète Honoré ait été la victime d’Arsène. Lui aussi lui avait juré qu’il ne risquait rien. Et pourtant Honoré y a laissé un peu de sa belle queue.
- Mais…
- Tais-toi ordonna père perdreau. Si je résume bien, vous avez commis six graves délits dont certains seraient passibles de la cour martiale, en conséquence…
A ce moment là il fut interrompu par un coup donné dans ses côtes par mère perdreau, tandis que de son côté mère écureuil tirait, elle, la queue de son mari.
- Mais qu’est-ce?,.. Hum, hum! La ...la cour se retire pour délibérer.
Et tous quatre tournèrent le dos.

***

A les voir gesticuler, on aurait pu se dire que la cour n’arrivait pas facilement à prendre une décision.
En effet:
- Cour martiale, cour martiale, mais vous vous égarez mon ami! Il ne s’agit plus des membres de votre escadron, mais de votre plus jeune fils, arguait mère perdrix.
- Ce ne sont que des enfants rajoutait mère écureuil.
- Je trouve également que vous y allez un peu fort mon cher collègue avançait de son côté père écureuil.
- De plus, leur escapade répondait à un sentiment honorable: venir en aide à son prochain. N’est-ce-pas là une des valeurs que vous et moi nous sommes efforcés de lui transmettre? Ajoutait dame perdrix.
- Sans doute, sans doute bougonnait général perdreau, mais pas quand il s’agit d’un renard!
- Un tout petit renardeau.
- Renard tout de même et fils de notre pire ennemi!
- Il l’ignorait peut-être, après tout n’est-il pas né de la dernière couvée?
- Notre fille, elle, le savait: elle aurait du le prévenir. Je crains que ce ne soit elle la coupable dit alors père écureuil.
- Coupable notre Eulalie? Bavarde, évaporée, facétieuse, mais coupable sûrement pas. L’aventure survenue à grand père Honoré nous a tous traumatisés dans la famille. Tu te trompes mon mari. Elle n’aurait jamais bravé l’interdit. Non non elle s’est laissé entraîner voilà tout.
- Vous insinuez donc que mon tout petit à peine éclos aurait….
- Je n’insinue rien du tout: je constate...
- Paix! vous deux! Tonna messire perdreau. Ils sont coupables tous les deux, mais je veux bien leur accorder comme circonstances atténuantes leur inexpérience, leur naïveté et leur bon cœur. Mais aller jusqu’à rencontrer dame Sidonie goupil et pactiser avec elle? Je n’y crois pas. Balivernes que tout cela.
- Je ne suis pas d’accord avec vous, cher voisin: ils avaient l’air sincères.
- Ils n’auraient pu à eux seuls inventer une telle histoire, rajouta sa femme.
- C’est également mon opinion mon ami.
- Bien, bien, puisque tout le monde est contre moi, je veux bien retirer les accusations de trahison, Ne restent donc plus que celles de désobéissance et chapardage.
- Fautes autrement vénielles, vous en conviendrez mon ami.
- Imputables à leur jeune âge renchérirent d’une seule voix les parents d’Eulalie.
- Mais qui méritent punition foi de perdigal des genêts.
- Mais qui méritent punition foi d’écureuil du bois de pins.

***

- Il m’a semblé entendre prononcé mon nom.
Cette douce voix mélodieuse ainsi que l’être dont elle provenait, sorti subrepticement du fourré où il s’était tenu caché, provoquèrent une telle débandade de la gent animale réunie, qu’elle fit se retourner nos quatre parents;
- Mais que?...commença père perdreau. Il n’acheva pas sa phrase.
Là, tout à côté de nos jeunes présumés coupables, pas effrayés pour un sou d’ailleurs, se tenait Dame renarde Sidonie Goupil.
- On ne m’attendait pas à ce que je vois. Et pourtant me voici. Je me doutais bien que mes jeunes amis auraient besoin d’un avocat pour leur défense. Alors je les ai suivis.
Face à elle nos quatre parents étaient pétrifiés.
- N’ayez crainte , je ne vais pas vous manger. J’ai fait promesse et la tiendrai. Sur ma vie, foi de renard. Non je suis ici pour que vous n’accabliez vos enfants de vos doutes. Ils vous ont dit la vérité. Ils ont sauvé mon renardeau. S’ils ne l’avaient pas délivré et raccompagné , qui sait ce qu’il aurait pu lui arriver. Le monde est plein de dangers pour un petit renardeau tout juste sorti de sa tanière. Vous devriez les féliciter pour leur bon cœur. Et puis, il leur en a fallu du courage pour venir jusqu’à moi. On ne peut que les admirer. Quand à moi, ma reconnaissance leur est acquise. C’est pourquoi je les ai assurés par un serment solennel, serment que je renouvelle devant vous, que ni moi ni ma famille ne toucherons de notre vie ni une plume de la compagnie de perdreaux des genêts, ni un poil de la famille écureuil du bois de pins.
- Votre serment est -t-il aussi valable pour Arsène Goupil? osa demander père écureuil.
- Évidemment! D’ailleurs pour vous le prouver je quitte à l’instant cette colline pour n’y plus revenir de ma vie. Les basses terres regorgent suffisamment de nourriture pour satisfaire nos appétits.
Puis:
- Messire perdreau, Dame perdrix, Messire écureuil, Dame écureuil, je vous salue pour la dernière fois. Quand à vous mes chers petits, je vous remercie encore et regrette que ne puissiez plus être les compagnons de jeu de mon fils. J’aurais tellement aimé qu’il goûte à cette sage fréquentation. Adieu et que dieu vous garde.
Sur ces mots elle se retourna et fila de son trot gracieux retrouver dans sa tanière ses renardeaux.

***

Stupéfaits, nos quatre géniteurs restaient sans voix.
Puis :
- Brum, brum! Fit maître perdreau en secouant ses plumes. Force m’est de reconnaître que vous avez là un bon avocat. Mais il a omis de parler de vos délits de désobéissance et de chapardage. En conséquence, la cour ici présente, après s’être concertée, vous condamne à des travaux d’intérêt général: à savoir débarrasser toute une rangée de la vigne de Victor de ses insectes parasites, et votre tâche terminée, remplir à ras bord la cache de l’arbre creux de pignes à pignons en prévision de l’hiver. Mère perdrix et mère écureuil veilleront à ce que vous accomplissiez parfaitement votre punition. J’ai dit.
C’est les yeux baissés et l’air contrit que nos deux accusés reçurent la sentence. Toutefois comme une amorce de sourire se dessinait sur leurs faces.
- Ne croyez pas pour autant que vous pourrez à loisir vous gaver de raisins ou vous bourrer de pignons. Elles veilleront à ce que cela n’arrive pas. Sur ce, rompez chenapans. Et qu’on ne vous y reprenne pas.
De la sentence, les perdreaux de la réserve de Roque Haute n’en entendirent pas le moindre mot, tant ils s’étaient enfuis se réfugier, dès l’apparition de la renarde, dans leur tènement bien protégé par la charte de Natura 2000 ainsi que, et surtout, par une clôture de barbelés de deux mètres.
La punition quand à elle fut scrupuleusement exécutée.
Peu de temps après la vigne de Victor connut une certaine animation quand une équipe bruyante et joyeuse, que dans nos régions on appelle « colle » s’en vint la vendanger.
Puis le calme revint avant que n’arrive cette période tant redoutée de la gent animale : celle de la chasse.
Nos nouveaux amis décidèrent d’un commun accord de tous s’installer dans le bois de pins, si bien clôturé grâce aux bons soins de Maurice et de Germaine que ni le plus rusé des renards, ni le plus motivé des chasseurs auraient eu du mal à franchir.

***

On raconte, deux précautions valant mieux qu’une, au cas ou une faim dévorante pourrait être mauvaise conseillère – en effet, en hiver, les campings et leurs «  regorgeantes » poubelles sont fermés, les poules ne courent plus les prés lagunaires souvent envahis par les eaux, elles demeurent prisonnières de poulaillers bien clos ; quand aux lapins ils ont été en grande partie décimés par les chasseurs,- on raconte donc que nos perdreaux ont appris à se percher sur les arbres pour y passer des nuits en toute tranquillité.
On dit aussi, et ce pour le plus grand bonheur d’Élise, que notre compagnie de perdreaux a décidé d’éradiquer les fourmis qui avaient envahi le bois de pins et dont elle redoute tant les cruelles morsures. - Il est vrai qu’elles s’attaquaient un peu trop aux réserves dissimulées dans des caches par nos amis écureuils-.
Il se murmurerait également, et seule Solène le sait, que derrière la barrière d’agaves , dissimulés par des térébinthes touffus, à l’angle est du bois de pins, deux fois par semaine, à cette heure qu’on nomme « entre chien et loup », et qui précède les ténèbres, un perdreau, une écureuille, et un renardeau se retrouvent pour échanger sur les aventures par eux vécues. Et ce malgré les interdits. A voir comme ces trois là s’entendent on peut être certain que des générations de renards passeront avant que les goupils de la falaise de Roque Haute ne deviennent parjures.
On dit également, vu l’harmonie et la félicité qui règnent dans ce terrain boisé, qu’une famille hérisson composée de pas moins de dix membres, y aurait installé ses

pénates, tandis que toutes sortes de passereaux y construiraient leur nid à la belle saison, entremêlant leurs chants et leurs trilles.
Bref ...tout porte à croire que cette ancienne vigne de papète Louis, perchée tout en haut de la colline historique de Roque Haute, où les jeudis de son enfance Maurice aimait tant à venir, devenue bois de pins par ses soins, ne soit ce lieu privilégié et recherché par toute un société animale en quête de fraternité.
Puisse-t-il se faire que nous, pauvres humains, ayons la chance d’y être pour toujours, tolérés sinon accueillis!


Michèle Puel Benoit

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