Comme la plupart de ses congénères l'oncle faisait « venir »(cultivait) la vigne et de ce fait passait
ses journées dehors emportant « sacquette »( besace) et fusil , vigneron, mais aussi chasseur.
Un jour d'hiver, de taille, de grand vent et de froid vif, il était parti de bon matin à la vigne....mais
laissons le donc raconter lui-même :
L’Aviador
«Un cop que m'eri en anat podar la vigna al Libron, saves aquella vigna que se trapa just al costat de «sarra barra tanca».
Te buffava un terral que fasia escampilhar los nibouls dins lo cel come si lo diable corcejava aprèp eles: un ven a
descoatar l'ase de Pigasson. Un ven a te gelar los detz. M'eri arrestat per escopir dessuse e beure a la plata…...»
(Je n’ai pu résister à vous donner un aperçu du conte en occitan, d’autant qu’en l’écrivant c’est la voix de mon
père que j’entends raconter)
L'Aviateur

Un jour que j'étais parti tailler la vigne , tu sais celle à côté de « Sarra barra tanqua »* près du Libron .
Il te soufflait un vent du nord qui faisait filer dans le ciel les nuages comme si le diable était à leur trousse ;
un vent à t'arracher la queue de l'âne de Pigassou ; un vent froid à te geler le bout des doigts.
Je m'étais arrêté pour me réchauffer les mains en leur soufflant dessus, et le gosier
en buvant au gargalet à la flasque, lorsque je fus intrigué par un ronronnement au-dessus de moi.
Je lève la tête et
là je vois un avion.
C'était lui qui pétaradait en allant tantôt à droite tantôt à gauche.
Il tournait, il virait,
il faisait tours et tours.
Il paraissait perdu.
Soudain le voilà -t-il pas qu’il s'arrête juste au dessus de moi, à faible hauteur.
Un homme avec le casque et les lunettes d'aviateur se penche à la portière et me dit :
- Pardon Monsieur, pourriez-vous m'indiquer la route de Sète s'il vous plaît ?
- Vous allez jusqu'au Pioch d'Agde que vous voyez là-bas , vous le passez, et après c'est toujours tout droit.
- Merci beaucoup Monsieur, vous êtes bien aimable
.
- Dites lui dis-je alors en tendant la flasque, vous boirez bien un coup avec moi ?
- Je vous remercie bien, mais voyez vous je suis un peu pressé. Une autre fois peut être. Au revoir Monsieur.
- Alreveire Monsur ! (Au revoir Monsieur) Que j' y ai répondu.
Et puis ….j'ai bu tout seul : un coup pour lui, un coup pour moi.
* les trois termes accolés signifient chacun fermé à double tour, curieux pour une grangette ( maisonnette en pierres,
abri du vigneron et de ses outils souvent agrémentée d’une treille) ouverte à tout le monde.

Comme tous les hommes en âge de porter un fusil, l’oncle était chasseur, et bon chasseur paraît-il. Il fallait bien
alors que certaines de ses aventures se passent lors de temps consacrés à la pratique de cet art.
Vous n’êtes pas sans savoir, si vous courrez un peu la campagne que, lors des journées fraîches et ventées d’automne
ou d’hiver on aperçoit danser dans le ciel des vols de centaines d’étourneaux.
Il était donc tout à fait normal que ce volatile prisé des gourmets sous forme de
brochettes, soit le sujet de quelques unes de ses histoires.
Alors...en voici deux:
Los estornéls e lo fial electric
Les étourneaux et le fil électrique
« Un cop que m’entornava prep à l’ostal… »
Un jour que je m’en revenais à la maison après une journée de taille de la vigne « te fasio un terral que te disi
qu’aquo , » avec un vent du nord épouvantable. Ma sacquette était bien plate : « de porres » quelques poireaux, «
d’ensaladetas » de la salade de campagne , « mas pas cap de carnifalha » mais pas du tout de viande. » « cap de
lebre, cap de perdigal , cap de lapin » pas de lièvre , pas de perdreau, pas de lapin. Pauvre de moi le souper serait
bien maigre ce soir !

Et voilà-t-il pas qu’en levant la tête j’aperçois perché sur le fil électrique tout un vol d’étourneaux :
« n’avia
de molon » il y en avait des centaines.
Par chance mon fusil était chargé de petit plomb. Voilà qui fera mon affaire
que je me suis pensé. Une belle brochette bien lardée, cuite au feu de cheminée, sur des croûtons aillés tartinés de
leurs foies, j’en salivais d’avance.
Je vise, je tire, « poum ! »
« Vai te querre los estornels : s’eran totes envolats » va-t-en chercher les étourneaux
ils s’étaient tous envolés.
Mais le fil lui s’était cassé et je reçus sur la tête« tot un molon de telegrammas
que venian de pertot » une avalanche de télégrammes qui venaient « ben leù » peut être bien des quatre coins
du monde.
« Eri plan marrit aladonc i begut un cop »
J’étais fou de rage, alors… pour me consoler tè j’ai bu un coup.
Mais c’était un homme tenace sinon rancunier et il voulait sa revanche: il n’allait pas perdre la face pour de vulgaires
étourneaux. Ils ne savaient pas ces insolents volatiles à qui ils avaient affaire, ils ne perdaient rien pour attendre.
Aussi décida t-il de les traquer, surtout le soir quand ils se posaient pour la nuit. Et c’est ainsi qu’un soir :….
***
Los estornels e l’olivièr de Boèma
Les étourneaux et l’olivier de Bohème
Nebot seta te... Assieds-toi donc neveu parce que celle- là tu voudras pas la croire, quand même,
tu me connais, c’est la vérité vraie que je te dis, pourtant même moi j’ai eu du mal à en croire
mes yeux.
J’avais remarqué quand je revenais de la « causse » (nom d’un tènement)
que ces coquins d’étourneaux se perchaient chaque soir sur les branches de l’olivier de Bohème planté sur le talus
de ma vigne.

Tè, je la tenais ma revanche, ils ne m’échapperaient pas cette fois !
J’allais chez le « pegot » (le cordonnier) chercher de la poix et j’empéguais (j’engluais ) toutes les branches
que je pus. Au soleil couchant « eri aqui »( j’étais là), certain de faire une belle cueillette sans bousiller
une seule cartouche.
Oui mais voilà : cet imbécile de Cheminot, tu sais mon chien, « a levat la lebre » il a levé le lièvre et
s’est mis à donner de la voix.
Et les étourneaux de s’échapper.
Enfin d’essayer de se « désempéguer »
(se décoller) de l’arbre. « De badas » en vain.
Seulement cette fois je crois bien qu’ils étaient des milliers,
et à force de battre des ailes tous en même temps ils y sont arrivés !
Mais... là tu vas pas me croire: « pas
mens es la vertat »(pourtant c’est la vérité) c’est l’arbre tout entier, étourneaux , branches, racines qui s’est
envolé me laissant tout « embaboquit, espanté, » (abasourdi).
Un coup de vent du terral ( nord) les a emportés là bas vers la montagne d’Agde et puis je les ai plus vus.
Aussi bien ils sont allés vers le pays de cet olivier, la Bohème, en me laissant « tot cuf »bredouille.
Et ma saquette qui était vide!
Je sais pas , que je me suis pensé, si ce soir j’aurai pas droit à la « sopa de mor » soupe à la grimace ou
« ben leu » ou peut être bien au caillou.
En attendant buvons un coup.
« santat »
***
Il vous sera sans doute difficile aujourd’hui dans une époque où la protection des espèces et le respect de
l’environnement s’accorde mal de cet acharnement de chasseur, d’avaliser de tels comportements.
Mais dans cette période de la première moité du XX ième siècle la chasse était vivrière et permettait souvent
d’apporter sur la table ce complément protidique qu’on aurait été bien en peine d’acheter.
Et puis, vous l’avez constaté, ce grand chasseur qu’il se disait, rentrait le plus souvent bredouille !
De plus, ces histoires qu’il contait ne se rapportaient pas toutes à la chasse.
***
En voici une autre qui me revient en mémoire
et qui illustre bien mon propos.
Ce village ne se situait pas très loin de la ville tout au bout de la ligne droite. Et de fait c’est vers elle
qu’on allait au marché ou bien faire des emplettes de ce que le bourg n’offrait pas.
Agde, puisqu’il faut la nommer, Agde la noire, avec sa cathédrale de basalte, Agde l’ accueillante , Ἀγαθῇ τύχῃ,
la bonne fortune des grecs lorsqu’ils découvrirent l’embouchure de son fleuve, Agde et l’attrait incomparable de ce
fleuve Hérault navigable : départ pour la pêche au large, ou encore celle de moules que l’on plongeait à son embouchure.
Fleuve qui ne finit pas de nos jours de nous révéler ses trésors enfouis.
C’est donc en Agde et plus précisément sur le pont qui enjambe l’Hérault
que se passe l’histoire de
***
L’home que se negava pas
L’homme qui ne se noyait pas

Un jour que je m’en étais allé en Agde, sûrement pour le marché du jeudi,
je t’ai vu sur le pont de l’Hérault « tot un molon de mond qu’agachavan enbàs »
tout un tas de monde qui regardaient en bas.
Je m’approche, j’en écarte
un qui m’empêchait de voir:
« buta te un pauc » pousse toi un peu que je m’y mette.
Je regarde en bas : « vesi pas res » et je vois rien. Je demande ce qui se passe :
- C’est quelqu’un qui se noie, qu’on me répond.
Un homme allait « cabusser »(plonger), je l’arrête :
« Non pas tu, ieù ! »
j’enlève mon chapeau, mon veston , mes souliers, puis« cabussi » (je plonge)
et je vois au fond de la rivière « un ome tot espandit » ( un homme étendu).
Mais en fait il ne se noyait pas du tout, il avait le nez pris dans la vase et ne pouvait se désempéguer( s’en sortir).
j’y tape sur l’épaule :
« Aspera l’amic vau cercar de secor »
(attends l’ami je vais chercher de l’aide)
je remonte, j’en avise qui me semblent « balès » costauds, je les appelle:
- Venez m’aider vous autres !
On plonge tous, on arrive auprès de lui et là tire que tu tireras. A la « perfin » on finit par le dégager
de la vase où il était empégué.
« Mas aquel abelit » ( mais cet imbécile) il se met pas à respirer un grand coup.
Vite vite on le remonte à la surface et on l’espend (étend ) sur le quai .
Pecaïre il était pas beau à voir:
« Era conflat come un pofre » il était gonflé comme un poulpe tellement qu’il avait bu.
Pour sûr il était noyé.
Les gens ne savaient pas que faire.
« Ieù o savia »
Moi je savais.
J’envoyais deux balès (costauds) chercher un demi muid ( barrique de 280 litres) et on le lui a passé trois fois
sur le ventre.
Au premier coup il a vomi la vase : « un plen ferrat » un plein seau.
Au second :" d'aiga", de l’eau, de l’eau : « una plena semal »une pleine comporte.
Mais au troisième coup il cracha seulement « dos muscles » moules, « e tres peices » et trois poissons.
Puis « s’esparpalhet », il ouvrit les yeux, me vit, et me dit :
- Vous m’avez sauvé la vie. Je vous en remercie. Tenez, venez à la maison boire un coup avec moi.
Peuchère il avait pas beaucoup soif, alors j’ai bu pour nous deux.
***
L’oncle Marquier n’est plus.
Il est allé rejoindre dans les étoiles la grande confrérie des hâbleurs, des enjoliveurs, des brodeurs, bref...
des conteurs, des poètes.
Certes d’autres après lui ont bien tenté de lui ravir sa couronne. En vain.
Les anciens vous diront qu’il fut même institué une tradition dans ce café de la place du « griffol » pour
entraver ces malheureuses tentatives.
Lorsqu’un bien piètre bonimenteur se mettait à raconter une histoire très exagérée et dont il avait été, soit
disant témoin, un silence de mort s’installait dans la salle tandis que tous les hommes retournaient leurs couvre chefs.
"Comme pour signifier: "tu peux dire ce que tu veux ça ne remplira que ma casquette".
Et le menteur de se taire aussi sec.
Tandis qu’il y avait toujours un ancien pour ajouter: « Tu, jamai vaudras Marquier ! »
- Toi, tu ne vaudras jamais Marquier.
E clic e clac per huei los contes son acavats
Et clic et clac pour aujourd’hui les contes sont terminés
Michèle Puel Benoit