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Les Aventuriers de la Sauvageonne.

III. Le Dragon du Four à Chaux


III. Le Dragon du Four à Chaux





Prologue

Décidément, se disaient nos aventuriers, la vie était faite de bien de surprises. Mettre la main sur le trésor caché des Templiers, constitué de pièces d'or, trouver un parchemin oublié capable de les mener à la cache de l'anneau du grand roi Salomon, et, de ce fait, pouvoir commander à deux Effrits, dont un en forme de tapis volant. Jamais ils n'auraient cru que cela puisse être possible, mieux encore, seulement imaginable. Et voilà qu'ils se trouvaient maintenant en charge du dernier dragon de tous les temps ! Eux, petits paysans d'un hameau reculé du plateau du Larzac, pour lesquels la vie aurait du tracer un chemin, prévisible, les appelant à continuer celui tracé par leurs parents. Décidément la vie était faite de bien de surprises !

Chapitre 1

image Igor n'avait pas trois mois d'existence, que s'occuper de lui relevait quotidiennement du défi.
Certes il avait grandi et forci, mais pas au point de ne pas tenir dans la musette de Tonin, qu'il avait, dès le début, considérée comme son refuge, ou plutôt, comme il le disait lui-même, son nid.
Ce qui n'allait pas sans problèmes, puisque cette musette jouait, pour son propriétaire, le rôle de fourre tout, mais aussi de cartable, et donc le suivait partout, jusque sur les bancs de l'école.
Bien entendu, Marinette avait confectionné, dans une caisse habillée de tissus douillets, un lit des plus confortables, pour héberger son filleul.
Il y dormait, bien, à ses heures, mais dès qu'il le pouvait, il investissait à nouveau sa musette.

Un jour donc, à l'école, lorsqu'il avait voulu sortir le cahier de devoirs de maison, de la « musette cartable », quelle n'avait pas été la surprise de Tonin d'y découvrir endormi, son protégé.
Sa première réaction avait été de refermer vivement sa musette sans en ressortir le cahier demandé par le Maître.
Devant son air effaré le Maître avait ironisé :
- Bien entendu, monsieur Tonin n'a pas fait ses devoirs. Bien entendu, monsieur Tonin, me jurera le contraire, prétendant, qu'il a oublié son cahier à la maison. Seulement voilà, s'il me prend l'idée de fouiller son bureau, c'est là que je le trouverai, son cahier.
En même temps qu'il disait ses mots, le Maître s'était mis à regarder ce que contenait le bureau de Tonin.
A part quelques quignons de pain rassis, ainsi que deux ou trois trognons de pommes, il n'y avait que cahiers et livres usuels, accompagnés de l'indispensable ardoise. Le cahier de devoirs de maison, lui, n'était pas là.
- Bien, je vais devoir fouiller la musette.
- Non! Lo...Lo quàsern, l'ai cramat !
- Comment ?
- Pardon ! Mais le cahier je l'ai brûlé !
Tonin n'avait trouvé que cette misérable excuse pour empêcher que le Maître ne découvre ce que contenait son sac.
Il n'aurait pas du se faire autant de souci, car, dès qu'il avait compris qu'il y avait quelque chose qui n'allait pas, Janou, touchant l'anneau qu'il gardait en poche, avait convoqué le grand Effrit. Ce dernier avait récupéré le dragonnet échappé à sa surveillance, et s'en était allé.
Tout cela bien entendu en toute invisibilité.
Seul, un déplacement d'air incongru, avait procuré une sensation étrange à ceux qui se trouvaient auprès de Tonin.
La main du Maître était d'ailleurs restée un court instant en suspend,- suffisamment toutefois-, avant de plonger dans la musette.
Comme il s'agissait d'un objet privé, et que le Maître était respectueux ; il se garda d'en faire l'inventaire, se contentant de ressortir le cahier recherché.
A leur grande surprise à tous deux, non seulement le cahier était là, mais il ne portait aucune trace de brûlure, n'était même pas chiffonné. Les devoirs s'y trouvaient au complet, et justes.
Ce qui était tout de même curieux, étaient ces drôles de fioritures, qui, par endroits, ornaient le texte.
En effet, le grand Effrit, puisqu'on lui devait l'exploit d'avoir accompli le travail, avait trouvé bon d'agrémenter son ouvrage de fioritures en lettres persanes du plus bel effet.
- Je ne te connaissais pas ce goût pour la calligraphie, Tonin, avait dit le Maître. C'est bien, c'est même très bien. Dorénavant tu seras prié de ne pas bâcler, comme d'habitude, tes frises de fin de semaine. Bien, passons maintenant au calcul :
- « Maman doit aller au marché avec seulement six francs dans son porte monnaie, elle doit acheter un kilo de pain à trente centimes, deux douzaines d’œufs à ... »
Et voilà que ça recommençait, se disait Tonin, des problèmes totalement ridicules, comme si ma mère allait acheter du pain, qu'on cuisait au four communal, et des œufs qu'elle levait sous ses poules !
- Lo Mestre cambiara pas jamai ! Pasmen ai agut caud. Sabi pas de que s'es passat, mas tanben es plan urós aquò ! Se disait Tonin
- Le Maître ne changera jamais. Toutefois j'ai eu chaud ! Je ne sais pas ce qu'il s'est passé, mais cependant c'est bien heureux !
Le reste de la journée d'école se déroula comme à l'accoutumée, et Tonin eut la présence d'esprit de tout faire pour rester dans la grâce où la bonne tenue de son cahier de devoirs l'avait mis.
Ce n'est que sur le chemin du retour que nos trois écoliers, se gardant des oreilles indiscrètes de la cour, avaient évoqué l'incident du matin.
- Enfin Tonin, quelle idée t'a pris d'avoir emmené avec toi Igor à l'école ! s'était écrié Janou.
- L'ai pas menat, es el qu'es vengut. L'ai trapat que dormissia dins mon sac.
- Je ne l'ai pas emmené, c'est lui qui est venu. Je l'ai trouvé qui dormait dans mon sac
- Heureusement que j'avais l'anneau dans ma poche pour commander au grand Effrit de venir le rechercher. Sans ça...
- Pasmen es el qu'a fach mos devers. Li cal mercejar.
-Et il a fait mes devoirs .Il faut que je le remercie.
- La leçon que nous devons retenir, dit Tistou est que nous devons surveiller Igor de très prés.
Oui mais voilà que devait-on entendre par là ?

Chapitre 2

Ils avaient bien essayé de l'installer, lui et les Effrits dans la Baume Sourcilleuse, mais loin de la mère qu'il s'était choisie, notre dragonnet, refusant de s'alimenter, s'était mis à dépérir. Ils durent donc trouver un autre endroit.
Ne pouvant plus utiliser la grotte sous le rocher de la Sauvageonne, de crainte que ceux de Saint Michel ne viennent encore les espionner, ils s'étaient rapprochés des maisons.
Dans le chemin bas, juste à l'entrée du hameau, et face à la croix, se trouvaient les ruines d'un bâtiment rond, vestige d'une ancienne tour de guet, censée en protéger l'entrée côté sud. Elle était envahie par des ronciers, bien trop enchevêtrés pour qu'on ait envie d'aller farfouiller dedans.
C'était pourtant de là que partait le souterrain qui menait à la combe. Souterrain qu'ils avaient emprunté dans l'autre sens.
En son milieu se trouvait une sorte de niche ou d’alcôve, dans laquelle ils avaient installé dragonnet et sa caisse matelassée, encadrée et réchauffée par les deux Effrits chargés de veiller sur lui.
Ils avaient en effet remarqué qu'Igor n'aimait rien tant que la chaleur, ce qu'un tapis moelleux et un Effrit, qui, vu son embonpoint, ne l'en était pas moins, étaient à même de lui offrir.
De plus, Tonin qui n'habitait pas loin, pouvait rendre des visites fréquentes à son protégé, notamment aux heures des repas, qui, le premier mois, n'étaient espacés que de quatre heures, de jour comme de nuit, et pour lesquels sa présence était requise.
Entre temps, heureusement pour eux, Igor dormait.
Au bout d'un mois, si le dragonnet avait bien profité, Tonin n'était plus que l'ombre de lui-même.
C'est alors qu'Igor décida que dorénavant il se nourrirait tout seul et qu'il fallait lui octroyer plus de liberté pour le faire.
- N'ai pas bezon d' aquellaz nounous que zon totjorn a m'ezpipezar. Ai lo drez de me passezar quand voli e onte voli. Zoi pas un mainatzon, zoi un drac. (Je n'ai pas besoin de ces nounous qui sont toujours à me surveiller. J'ai le droit de me promener quand je veux et où je veux. Je ne suis pas un petit enfant, je suis un dragon).
- E ben sem propes ara !Manquava mai qu'aquò ! (Eh bien nous voilà bien ! Il ne manquait plus que cela) s'écria Tonin.
- Tu ne vas tout de même pas le laisser te commander dit Janou.
- Vesi ben qu'es pas tu que te leves quatre cops per nueit per lo noirir (Je vois bien que ce n'est pas toi qui te lèves quatre fois par nuit pour le nourrir).
- Les gens risquent de l'apercevoir.
- Lo laissarem dins la comba. Digun ven pas jamai per aqui (Nous le laisserons dans la combe. Jamais personne n'y vient).
En fait, cette discussion était vaine, car Igor prit comme habitude de ne se nourrir que la nuit, et donc à l'abri des regards, et de dormir l'entière journée. Il ne s'éveillait qu'au crépuscule pour s'amuser à de folles poursuites avec Pichounet Longues Oreilles. Puis, quand ils avaient épuisé leurs jeux, tous deux se mettaient à dévorer les plantes luxuriantes qui tapissaient l'endroit.
Cela bien sûr ne put durer qu'un temps. Le temps que le fond de la combe se retrouve chauve et nu, et que les ailes du dragonnet se soient affermies.
Après... , il prit son envol.

Chapitre 3

Ce soir là, comme à l'accoutumée, se voyait réuni dans la combe le clan tout entier, s'amusant des cabrioles et courses poursuites des deux benjamins. Quand, brusquement, en plein milieu de son élan, Igor pila. Levant haut la tête, il déplia autour de lui une sorte de capuchon collerette, qu'ils n'avaient, jusqu'à ce jour, jamais remarquée, huma l'air, puis, déployant tout grand ses ailes, prit son envol.
Il brassa d'abord l'air une dizaine de fois, pour se servir ensuite du ressort des ses cuisses musclées, avant de s'élever majestueusement dans les airs.
Et puis, il y eut le cri, sauvage, affreux, horrifiant, plus puissant que celui de la miaula ( le chat huant ). Si horrible qu'ils en eurent les poils et plumes qui se hérissaient.
Ensuite, il disparut à leur vue.
Quand ils furent revenus de leur étonnement, ils se regardèrent :
- Et maintenant, comment le rattraper, avant que tous les chasseurs ne se mettent à la poursuite de la bête qui a poussé cet horrible cri ? demanda Marinette.
- Ce ne sera pas pour tout de suite, il fait nuit , et il sera revenu avant demain matin. Du moins, je l'espère lui répondit Tistou.
- E si tornava pas venir ?
Et s'il ne revenait pas ? Demanda Tonin.
C'est impossible voyons ! Il t' est trop attaché, lui répondit Janou.
Et pourtant !
Igor resta absent deux longs jours et deux interminables nuits.
Au soir de la première journée, ils avaient chargé Momo de parcourir les cieux à sa recherche. Sa vue perçante, ainsi que son terrain de chasse étendu, ne pouvaient qu'être gage de réussite.
Hélas ! sa quête n'avait pas été couronnée de succès.
Au bout de la nuit, il avait bien fallu se rendre à l'évidence: le dragonnet n'était nulle part, le dragonnet était introuvable.
Le lendemain matin, qui était un dimanche, ils avaient décidé de partir, eux tous, le chercher.
Une fois débarrassés de leurs incontournables obligations religieuses, ils avaient, sous prétexte de cueillettes de salade de campagne, écourté le repas dominical, et partagé le tènement en cinq : Pichounet tenant absolument à être de la partie.
- Je m'occuperai de la partie souterraine, garennes, grottes, tunnels et trous. Il est encore assez petit de taille pour arriver à se faufiler partout, avait-il dit.
On lui avait donc abandonné cette part là.
Tonin avait dit qu'il se chargerait des Cagnas, il était le seul à pouvoir se sortir de ces bois si touffus, aux chemins si tortueux, et aux parcelles si semblables, que d'aucuns les disaient enchantés.
Janou explorerait toute la plaine, jusqu'au puits de Claveyrole.
Tistou, les champs au delà de la Paro.
Marinette aurait en charge le village et les deux collines.
Momo, épuisé par sa longue nuit, resterait se reposer dans la combe au cas où notre fugueur reviendrait.
Ils étaient tous rentrés, éreintés, et bredouilles, de leur quête.
- Et s'il s'était fait tuer par un chasseur ou manger par un chien, s'écria Pichounet au bord des larmes.
- Mais non voyons, lui répondit Janou, à quoi il ajouta, il est vrai que sa couleur ne le rend pas particulièrement invisible.
- Et si on demandait aux Effrits d'aller à sa recherche, suggéra Tistou, après tout, ils en ont la garde autant que nous.
- Cresi que son pas de talament bons gardaires qu'aquò. Avetz vist per l'escola ? (Je crois qu'ils ne sont pas tellement bons gardiens que ça. Vous avez vu pour l'école ?)
Sans répondre Janou siffla les Effrits.
Ils ne répondirent pas à l'appel.
Deux fois, trois fois : pas de résultats
Ils durent se faufiler jusque dans leur alcôve pour les y découvrir dégoulinants de chagrin.
- Voyons, leur dit Marinette, il ne faut pas vous mettre dans cet état . Vous n'êtes pas. responsables.
- Bouhouhouh ! Mais ce n'est pas sur Igor que nous pleurons, Maîtresse.
- Ah bon ! Et sur quoi alors ?
- Sur nous.
- Sur vous ? - C'est notre date anniversaire.
- Es lor aniversari e ploron ! Auriai tot vist ! (C'est leur anniversaire et ils pleurent ! J'aurais tout vu !)
- L'anniversaire de notre asservissement. Le jour où le grand Roi Salomon - qu'il règne à jamais dans les cieux comme il a régné sur terre!- nous a fait prisonniers.
- !!!
- On a beau avoir aimé et servi notre Grand Maître, on peut cependant regretter notre liberté. Aussi chaque année, ce jour là ainsi que les dix autres qui vont suivre, nous restons prostrés et nous pleurons. Bouhouhouhouh !
- Si j'ai bien compris on ne peut alors rien vous demander, pendant dix jours, constata Janou.
- Non rien de rien. Nous sommes hors service. Bouhouhouhouh !!!!!
- E ben ! Sem propres ! (Eh bien ! Nous voilà bien avancés !)
Revenus dans la combe, leur moral étant au plus bas , ils énuméraient le peu de chances qu'ils avaient de revoir leur fils adoptif vivant, quand Momo :
- Che crois que ch'aperchois quelque choche qui vole à l'horichon, mais que che n'arrive pas à identifier.
-Tu crois que c'est lui ? interrogea Janou.
- Ch'est allongé, cha a des ailes, mais cha n' a pas la couleur d'Igor. Attendez, cha ch'approche. Cha tourne audechus dans le chiel. Vous devez pouvoir le voir maintenant.
- Ça y est je le vois. Il se rapproche, s'écria Tistou. On dirait bien pourtant un dragon, mais il n'est pas de couleur orange. Ce n'est pas lui. Ce n'est pas Igor.
- Mais alors cela voudrait dire qu'il n'est pas le seul, dit Janou.
Le dragon, car bien entendu dragon il était, fit trois fois dans les airs le tour de la combe, puis piquant dessus, s'en vint se poser sur l'épaule de Tonin, enroula sa queue autour de son cou, frotta son mufle contre sa joue et dit :
- Et alors maman, on ne reconnaît plus son enfant ?
- Ma sios blau ara ! (Mais tu es bleu maintenant !)
Comment ! Tu n'aimes pas ma nouvelle couleur ?

Chapitre 4

Igor, car c'était bien lui, avait troqué ses écailles orange vif, contre d'autres, plus épaisses et plus brillantes d'un beau bleu turquoise. Seuls les bords qui les ourlaient avaient conservé leur couleur orange originelle.
Il était absolument ma-gni-fi-que.
- Vous m'avez l'air surpris vous tous. Il ne faut pas. Cela s'appelle la mue. Chez les dragons, durant les cinq premières années de leur vie, et ce à une fréquence plus ou moins rapide, les écailles tombent puis se renouvellent en changeant de teinte. Cela dure un jour et une nuit, qu'il doit passer seul dans un endroit secret, à l'abri des regards. C'est pour cette raison que je me suis enfui. Mais rassurez vous je vous aime toujours vous tous, autant que vous êtes, dit-il en plissant ses yeux couleur de miel.
Puis il ajouta :
- Au fait, avez-vous remarqué que je ne zozotte plus ? Je parle aussi français, en fait je suis polyglotte. Eh oui ! ma voix mue elle aussi. Puis : vous n 'auriez pas quelque chose à grignoter, je meurs de faim. Les jardins rencontrés n'étaient pas très achalandés, et même en les ratiboisant tous les quatre, je crains que cela ne m'ait pas suffi. Je rêve de dévorer une bonne dizaine de pérails de brebis. Vous auriez ça par hasard ? Au fait, j'ai oublié de vous dire, j'ai aussi changé de sexe : je suis une dragonne maintenant. Ne faites pas cette tête ! Ce changement là est définitif, voyons. Appelez moi donc Zoia, princesse Zoia. Et alors ces pérails ? Ça vient ?
Alors nos amis comprirent que leur enfant avait grandi . Du bébé coquin qu'il était, il était devenu une jeune adolescente, qu'ils devinaient exigeante et peut être bien frondeuse. Leur tâche ne s'avérerait pas facile. De plus il n'avaient aucune idée de ce qu'ils pouvaient permettre ou pas à une future Reine Dragon.
Ce dont ils étaient sûrs cependant c'est qu'elle ne devait en aucun cas se permettre d'être insolente.
- Zoia, del moment que te sona aital ! M'avia plan dich que caldrias te noirir tota sola, e ben, fas o . Soi ta maire pas ta servanta.
Zoia, puisque tu t'appelles comme ça. Tu m'avais bien dit que tu devrais te nourrir toute seule ? Eh bien, fais le. Je suis ta mère pas ta servante.
Tonin qui avait une flopée de petits frères savaient qu'il ne fallait pas trop les materner si on voulait qu'ils grandissent, en apprenant à se débrouiller tout seuls.
- Ça ne fait rien. Je sais où en trouver. Et si ne sont pas des pérails, ce sont tout de même des fromages
- Tu ne comptes pas aller visiter la fromagerie d'Albanie tout de même ! S'exclama Janou.
- Et pourquoi pas ? Il faut bien que je mange non ?
- Cela s'appelle du vol dit Tistou et c'est mal.
- Tiens donc !
- Là, nous avons un gros problème. On ne peut pas la laisser piller où bon lui semble et il faut bien qu'elle se nourrisse .
- Ch'ai une idée. Shi chacun lui gardait un morcheau de cha part de fromache. Cha t'irait Zoia ?
- Faut voir. En attendant, dit Janou, tiens, voilà des breudes que j'ai cueillies ce matin.
- Miam dit-elle en se précipitant dessus.
Heureusement pour eux, le printemps étant déjà bien installé, et les vacances de Pâques arrivant, ils auraient du temps devant eux pour résoudre ce problème de nutrition.
Toutefois, avec l'indépendance que Zoia avait acquise, grâce à ses ailes, qui lui permettaient de s'échapper du moindre enclos, se posait alors celui de l'empêcher de se laisser apercevoir de ceux qui n'auraient pas du, à savoir tout le monde.
De cela, notre princesse dragon n'en voulait nullement convenir, c'était à elle, et à elle seule, de décider, qui aurait le bonheur de l'apercevoir ou pas. Malheureusement, bonheur pour elle, était synonyme de frayeur pour les autres.
La première qui en paya les frais fut Albanie.
En effet les fromages dont raffolait Zoia et que lui rapportaient ses amis furent bientôt insuffisants pour son grand appétit. Elle décida donc d'aller s’approvisionner à la source .
C'est ainsi qu'elle fut découverte par la mère de Tistou, enroulée et repue, dans une des faisselles qu'elle venait de piller. Tout le monde sait la sainte horreur que les femmes ont des serpents, lézards, et toutes autres sortes de reptiles. Albanie poussa donc un cri strident avant de s'évanouir. Le cri réveilla notre gourmande, bien marie de voir la fromagère, mère de Tistou, étendue sur le sol. Elle la crut morte, et par sa faute.
Pauvre Tistou se dit-elle, à quoi elle ajouta : qui me fera des fromages désormais? Je dois réparer. Alors puisant en elle parmi tous les pouvoirs que possédait sa race, elle extirpa celui du retour à la vie, et l’insuffla doucement dans les narines d'Albanie, avant d'échapper à sa vue.
Non seulement Albanie revint à elle, mais elle n'avait aucun souvenir de son éprouvante rencontre.
Elle mit son étourdissement sur le compte de la fatigue, tout en accusant le chat du pillage.
La dragonne en fut toute réjouie, elle ne pouvait sentir Noiraud qui lui crachait toujours au visage.
Le second fut Baptiste, lorsqu'il l'aperçut au milieu des braises dans le four à pain :
- Qu'es aquela bestia ?( quelle est cette bête?) s'écria-t-il tout en essayant de l'avoir de la pelle à enfourner et du racloir à cendres.
Elle n'eut d'autre recours que de vriller ses yeux aux siens pour effacer la scène de sa mémoire. Il s'assit alors tout hébété, sur la pierre, devant le four communal. Sa femme le réveilla une heure plus tard, par une belle engueulade : il avait laissé brûler la fournée.
Et ça, ça la fit plutôt rire. Elle n'aimait pas non plus Baptiste qui houspillait trop les enfants.
Elle prit alors conscience de la frayeur que sa vue provoquait, et combien cela pouvait être amusant, d'autant qu'elle avait le pouvoir, ce que nos aventuriers ignoraient, d'en chasser le souvenir dans les esprits de ses victimes.
Et des victimes il y en eut !
Car Zoia ne pensait pas à mal. Au contraire, elle croyait bien faire.
C'est ainsi, qu'ayant entendu Noémie se plaindre, au mois de mars, qu'elle n'arrivait pas à faire sécher sa lessive, en raison des giboulées nombreuses et soudaines, notre dragonnette crut bien faire que de vouloir l'aider de son souffle brûlant. Non seulement la fermière eut la peur de sa vie en voyant cette drôle de bête, ailes déployées et cou tendu, exhalant par les naseaux une vapeur rouge et brûlante, mais elle fut totalement désespérée de constater, une fois la vision oubliée, que ses beaux draps blancs étaient entièrement roussis, quand ils n'étaient pas brûlés et troués par endroits. Elle eut beau s'interroger, elle n'en devina jamais la cause.
Zoia en fut un peu navrée, mais cependant ravie, car elle pouvait jouer à cache cache avec Pichounet en passant à travers les trous.
Mais c'est en voulant venir en aide à ceux qu'elle aimait le plus, à savoir nos amis de la Sauvageonne qu'elle commit le plus de bévues.
Depuis le début de cette histoire, vous connaissez, chers lecteurs, l'aversion que Tonin manifeste envers les navets.
Voulant rendre service, Zoia qui raffolait de ce tubercule, décida un beau jour de faire main basse sur la réserve de la ferme. En deux jours, elle l'avait entièrement dévalisée. L'ordinaire de son plus que frère allait forcément se trouver enrichi de tout ce qu'il aimait, à savoir : jambon, saucisson, fromage etc... hélas, du jambon ne restait que la couenne, qui servit à parfumer un brouet de pain trempé et d'orties que Tonin dut s'en aller cueillir en dépit de leurs feuilles urticantes, sa mère l'ayant accusé d'avoir donné à la truie qui allaitait les navets restants.
Or chez les paysans, et plus encore chez Tonin, il fallait que soudure soit faite entre les légumes d'hiver et ceux de printemps. Le gaspillage était interdit. D'où la sanction, qui lui fit des mains rougies et pleines de cloques. Et il eut encore plus faim.
Zoia n'osa pas avouer son larcin, mais décida de se rattraper avec le maître d'école qui décidément s'en prenait trop souvent au malheureux garçon.

Chapitre 5

Il faut vous dire que la jeune dragonne, qui, grâce à Tistou connaissait ses lettres, avait pris goût à l'école et suivait dès qu'elle le pouvait les cours du Maître. Cela, bien sûr, tout à fait incognito. Un trou dans le plafond de la classe lui permettait de voir sans être vue. Tout allait bien jusqu'au jour où...
Ce jour là, Tonin était de fort méchante humeur, les reproches de sa mère à propos de la disparition des navets, lui paraissant totalement injustes, il en voulait à la terre entière. Bougon il avait été avec ses amis sur le chemin de l'école, bougon il fut en classe.
- Sortez vos cahiers de maison avait dit le maître, nous allons corriger les devoirs.
Après l'altercation avec sa mère vous pensez bien que Tonin avait complètement oublié ses devoirs. Aussi :
- Manquava mai qu'aquò !
Il ne manquait plus que cela !
Heureusement pour lui le Maître n'avait rien entendu.
- Tonin ton cahier !
- Je l'ai oublié.
- Bien ; passe au tableau, tu vas corriger. D'abord les multiplications à trois chiffres. : 32,7 que multiplie 54,2. Pose la., bien ; maintenant tu la calcules.
Pauvre Tonin ! Il était au supplice : devait-on multiplier le bas par le haut ou le contraire. Il ne savait jamais. Ne parlons pas des retenues. Quand aux tables de multiplications... ce qu'il savait le mieux c'était l'air, mais pour ce qui était des paroles. Alors il jeta un regard désespéré, vers Tistou. Mais son ami était beaucoup trop loin pour l'aider.
- Retourne toi face au tableau s'il te plaît, et le premier qui souffle me fera cent lignes. Il se retourna donc; fichu pour fichu, autant écrire n'importe quoi.
Et là qu'elle ne fut pas sa surprise, lorsque les chiffres qu'il avait posés s'effacèrent pour être remplacés par d'autres.
Le Maître tourné vers la classe ne s'aperçut de rien.
- Voilà ce qui arrive lorsqu'on n'apprend pas ses tables, on n'est même pas capable de faire une multiplication. Et l'année prochaine c'est le certificat. Je vais vous faire travailler moi ! Il n'est pas question que je présente des ânes.
Et il se retourna vers le tableau.
- Fais voir. Tiens donc ! Elle serait juste ? Je n'y crois pas ! Quelqu'un t'aurait aidé à mon insu ? Très bien. Recommence à côté, et je veux t'entendre.
- Aquo marqua mau dit Tonin en aparté.
Ça marque mal !
- Plus fort qu'on t'entende tous.
A la grande stupéfaction de notre ami, une voix qui ressemblait à la sienne à s'y méprendre dit :
- Deux fois sept quatorze et je retiens un, deux fois deux quatre plus un de retenue font cinq, de fois trois six. Quatre fois sept vingt et un et je retiens deux, quatre fois deux...
Le silence dans la classe était impressionnant.
Le Maître lui aussi s'était tu, sidéré. Il avait devant les yeux une multiplication parfaite: tout y était le retrait, les virgules, le nombre de chiffres après la virgule : ad-mi-ra-ble.
Quel bon Maître il était, s'il avait réussi à transmettre les secrets de la multiplication à virgule au plus cancre de la classe ! Il en était certain maintenant , il l'aurait le premier du canton au certificat !
- Bravo Tonin, tu m'impressionnes ! Tu vois, quand tu veux !
Tonin la bouche ouverte n'en croyait pas ses yeux : le Maître venait de le féliciter. Levant les yeux il aperçut dans le trou du plafond deux yeux couleur de miel doré ouverts sur une pupille fendue qui le regardaient affectueusement. Et la voix dans sa tête :
- T'en faguas pas manhac, a toutes dos, i arrivarem plan !
- Ne t'en fais pas, mon ami, à tous les deux on y arrivera bien !

Le reste de la matinée se déroula de la même façon : Zoia, enfin Tonin, avait réponse à tout, au grand ébahissement de tous.
Mais notre jeune dragonne, dont la vie était toujours très nocturne, avait besoin de repos pendant la journée. Ce qui fait qu'à la reprise de l'après midi elle dormait. Tout comme Tonin d'ailleurs, mais lui savait y arriver les yeux grand ouverts, et, comme il n'était jamais interrogé, cela ne portait pas à conséquence.
Cependant le Tonin de ce jour n'était pas, pour le Maître, celui dont il avait l'habitude, et la coupure de midi lui avait permis de réfléchir au point de soupçonner quelque tricherie. Aussi , dès la reprise des cours :
- Tonin, Tonin, je te parle !
- E e de que ?
- Pour parfaire cette si belle journée, durant laquelle Monsieur Tonin nous a impressionné par l'étendue de son savoir, il va réciter pour nous la fable du Corbeau et du Renard. Nous t'écoutons.
Debout à côté de son bureau, le garçon attendait que l'inspiration ou Zoia lui viennent en aide. Hélas ! Il ne pouvait compter sur aucune des deux. La fable, il ne l'avait pas seulement lue, les gors (corbeaux), il les détestait presque autant que les chots ( hiboux), quant à Zoia, elle dormait.
Tistou voulant aider son ami soufflait, muet, en articulant exagérément de crainte d'être entendu. Janou faisait de même, tout en tripotant l'anneau de Salomon qu'il avait toujours en poche.
Mais Tonin ne les regardait pas, ses yeux implorants fixaient obstinément un trou dans le plafond.
Et le miracle survint de ceux qu'on n'attendait plus. L'anneau fit son office et convoqua nos deux Effrits. Leur période de deuil était terminée.
- Vous nous avez mandés mon Maître? Puis Ah ! je vois ! Fables de La Fontaine Livre I fable numéro 2. Bien évidemment notre jeune Maître ne la sait pas. Nous allons, sur le champ, remédier à cette lacune. Regardez par ici , jeune Maître.
Alors sur l'ardoise que l'Effrit avait subtilisée dans le bureau de Tonin, défila, en lettres fluos, la fable demandée, en son entier. Il suffisait de lire. Lecture dont notre ami s’acquitta, en ânonnant toutefois un petit peu, ce qui le rendit plus crédible.
Bien entendu, comme pour sa première intervention , l'Effrit et l'ardoise ne furent visibles que pour nos amis de la Sauvageonne, pour les autres seul un courant d'air insolite...
- Voulez-vous bien fermer cette fenêtre dit l'instituteur, nous ne sommes pas encore en été que je sache !
- Mais elle n'est pas ouverte Monsieur !
Pourtant il y avait bien eu courant d'air, puisqu'il avait réveillé Zoia :
- Atchoum! Fit-elle en ouvrant les yeux.
Ce qu'elle vit, la laissa pantoise, le Maître s'en prenait encore à Tonin, tandis que le Grand Effrit tentait de venir en aide au malheureux.
- Encore, s'exclama-t-elle ! Mais c'est de l'acharnement ! Ah tu veux t'amuser ? Eh bien amusons nous !
- Casimir, fit une voix qui ressemblait à s'y méprendre à celle du Maître, efface le tableau, Denise, ramasse les cahiers, Victor ouvre la fenêtre, Tistou, regarnis le poêle, Janou prends la craie, Antoine,la table de 7, Victorine...
En un clin d’œil la classe était devenue une véritable fourmilière dans laquelle les élèves fourmis couraient dans tous les sens, se bousculaient, se heurtaient, se disputaient . Le Maître avait beau s'égosiller pour réclamer le calme, sa voix seconde était la seule à être entendue. Dans son trou Zoïa jubilait, ravie de la pagaille qu'elle avait déclenchée.
Sur l'estrade, Tonin, s'était tu, éberlué, tandis que le Maître rouge de colère ne cessait de s’époumoner.
A la fenêtre grande ouverte Pichounet, juché sur le tas de bois de chauffage n'en perdait pas une miette. Et comme si cela n'était pas suffisant , Zoïa, profitant de l'ouverture pénétra dans la classe, dont elle fit trois fois le tour, afin qu'on la voie bien, avant d'aller se percher sur les épaules de Tonin.
Et le silence se fit, bientôt coupé par les cris hystériques des filles :« un serpent, un serpent ! »
Le Maître, lui ne vit rien : accablé par des événements qui, pour la première fois, le dépassaient, il s'était laissé tomber sur la chaise de son bureau, la tête entre les mains, désespéré.
C'était fichu ! Il ne l'aurait pas ce premier du canton !
Ce que voyant, les écoliers, cédant à la panique, s'enfuirent en hurlant de la classe.
Après un instant d'hésitation, nos trois aventuriers sortirent eux aussi :
- E ben Zoĩa, n'as fach de polidas ! Sem propres ara !
- Eh bien Zoïa, tu en as fait de belles, nous voilà bien avancés maintenant.
- Mais...
- Nous t'avions pourtant recommandé d'être discrète, dit Janou, et voilà que tous les élèves t'ont vue.
- Peut être, mais le Maître pas. Et puis quelle importance puisque j'ai déjà effacé ce souvenir dans leur tête. La seule chose dont ils se rappelleront c'est qu'on leur a donné congé plus tôt et sans devoirs de maison à faire.
En effet, les enfants s'en retournaient chez eux ravis de cette après midi de liberté supplémentaire, et ce, juste le jour même des vacances de Pâques.
- Tout de même nous préférerions que tu ne te montres pas, on peut vouloir te faire du mal, et nous en serions tous très malheureux ajouta Tistou aux paroles de Janou.
- C'est bon, j'ai compris, je resterai au village avec les Effrits puisque les voilà consolés.

Chapitre 6

Zoĩa tint parole.
En effet, elle passait ses journées enroulée sur un rocher, au cagnard. Pour ce faire, et à leur grand soulagement, elle avait élu comme aire de repos diurne, le sommet du Roc Traucat, sur lequel il la savait à l'abri des regards curieux.
Seulement voilà, cette année là le mois d'avril se fit très pluvieux, la privant de ses nécessaires bains de soleil quotidiens.
Ayant fini par accepter tous les interdits liés au village :
- "- Non pas dans le four de la cuisinière de Noémie lui avait interdit Janou
- Non pas dans le four à pain de Baptiste avait dit Tistou
- Pas non plus au milieu du feu chez Aglaée.
- Pourtant j'avais épousé la forme de la anse de sa marmite.
- Oui mais quand elle a voulu retirer la marmite du feu, elle a poussé un de ses cris à ton contact, qu'elle a ameuté tout le village. Heureusement pour toi qu'elle a la vue basse, avait sermonné Marinette.
- Au chaud avec toi dans les Garennes Pichounet ? avait suggéré la princesse dragon.
- Pas question. Ma mère en ferait une attaque si elle te découvrait dans le nid de ses petits.
- Momo ?
- Che ne dors plus que tout cheul. »
Et le four à chaux étant éteint depuis longtemps, elle n'eut d'autre recours qu'à s'en aller voir ailleurs.
L'ailleurs n'était pas très difficile à trouver, puisque ses ailes, petites, mais puissantes, pouvaient la transporter sur des distances suffisamment grandes pour qu'elle atteigne... Saint Michel.
Et là, se trouvait la forge du grand père de Gustou.
Quoi de mieux qu'une forge me direz vous pour réchauffer un dragon ? Le feu y est entretenu en permanence, le soufflet y produit un courant d'air chaud absolument délicieux, et le frappé régulier du marteau sur l'enclume, a tout du battement de cœur des grands dragons.

Nos amis ne s'étaient pas inquiétés outre mesure, étant donné qu'elle revenait tous les soirs au bercail, et qu'elle leur avait assuré avoir trouvé l'endroit rêvé, bien chaud, et à l'abri de tout regard. Il est vrai qu'elle pensait bien avoir trouvé l'endroit idéal pour n'être remarquée de personne Sous le manteau de la cheminée, dans laquelle le métal était chauffé à blanc, existait une cavité aux proportions parfaites et qui bénéficiait d'une chaleur absolument tropicale, encore augmentée de l'expiration régulière du soufflet. De plus, à chaque exhalaison, elle recevait ; de la part de ce dernier, les cendres indispensables pour masquer sa couleur. Son sommeil, les yeux clos, la rendait, alors,tout à fait invisible. Jusqu'au jour où... ;

Chapitre 7

Ce jour là, elle s'était envolée de la combe bien avant l'aube. Il avait plu toute la nuit, et le souterrain dans lequel se trouvait sa caisse matelassée commençait à prendre l'humidité. Ajoutez à cela que les pleurs qu'avait déversés génie 2534, sur sa liberté perdue, avaient entièrement détrempé le génie-tapis le rendant totalement inconfortable. De plus, elle en avait plus qu'assez de ces deux nounous pleureuses qui finiraient par lui saper le moral.
Elle avait donc profité d'une accalmie pour s'envoler, de la toute la puissance des ses ailes, jusqu'à la forge bénie qui la réchaufferait . Le feu y couvait toujours, elle y avait déniché un passage qui lui permettait d'entrer et sortir à sa guise, et surtout , cet endroit attirait des visiteurs qui racontaient histoires, souvenirs, coutumes se rapportant au plateau, et qu'elle ne se lassait pas d'entendre.
Pendant les vacances scolaires, Firmin, le forgeron, demandait à son petit fils Gustou, de venir lui donner un coup de main. C'était ainsi, pensait-il, qu'il prendrait goût au métier et lui succéderait un jour.
Cependant Firmin n'était pas un patron facile : il avait verbe haut et main leste.
Le feu n'était pas assez alimenté, le soufflet n'avait pas la bonne cadence, les outils ne correspondaient pas à ceux qui avaient été demandés, etc,etc,etc.
Quoiqu'il fasse, le garçon ne recevait, pour tout salaire, que réprimandes et calottes. Alors ? Alors, il bâclait l'ouvrage, assez finement toutefois, pour que son grand père en arrive à penser que sa maladresse était congénitale et qu'il ne tirerait rien de lui. Car il savait, qu'au bout du compte, c'était lui, Gustou, qui serait gagnant. En effet, la journée, pour lui, se terminerait très tôt, lorsque Firmin éclaterait :
- Gaita me aquel abelit ! Tè, tè, tira te d'aqui que savi pas de que te podriai far !
- Regardez moi ce dégourdi, tiens, tiens, tire toi de là, que je ne sais pas ce que je pourrais te faire.
Ainsi était-il libre de rejoindre ses amis du clan de la jasse neuve du chemin creux.
Mais, pour le moment, il en était à s'occuper du feu ; il s'y était pris tellement mal, que ce dernier était en train de s'éteindre.
- De qu'asperas per buffar ?
Qu'est ce que tu attends pour souffler ? avait rugi Firmin.
Gustou, aurait été bien en peine de souffler, puisqu'il avait défait la chaîne qui permettait d'actionner le soufflet.
- Houooooo ! Aquel efant !
Houooooo ! Cet enfant ! avait hurlé le forgeron et il s'était efforcé, non sans mal, de rattacher la chaîne.
Une qui était également mécontente, c'était Zoia.
Et d'un, elle n’aimait pas que le feu s'éteigne, et de deux, elle détestait que l'on s'en prenne à des enfants.
Alors, elle souffla sur les braises, de son souffle de dragon cracheur de feu, et le feu se ralluma comme par miracle.
Firmin, en train de s’escrimer sur le soufflet, et tournant le dos, ne s'était aperçu de rien.
Mais Gustou, qui lui faisait face, avait bien vu ce petit jet de flammes partir de l'alcôve sous le manteau de la cheminée. Intrigué, il s'était approché et s'était trouvé, nez à nez, avec des yeux couleur de miel, le suppliant de ne rien dire.
De saisissement, il en avait lâché le marteau sur..., le pied du forgeron irascible.
- Ouille ! Vai t'en, vait'en ! n'i a pro per hùei.
Va-en, va-t-en ! Il y en a assez pour aujourd'hui.
Il s'était donc enfui, échappant à la calotte qui n'allait pas manquer de suivre, sans avoir pu pousser plus loin son investigation.

Quand il arriva à la jasse neuve du chemin creux, le clan, l'attendait , excepté Juliette, encore en apprentissage chez Madame Léa.
- Arrivas de mai a mai leù,
Tu arrives de plus en plus tôt, constata Gustave.
- C'est que je me débrouille de mieux en mieux pour me faire expédier, répondit l’interpellé. Et ça tombe bien, par ce qu'il m'est arrivé quelque chose d'incroyable.
- Quoi donc ? demanda Noël.
- Il y a, dans la forge de mon grand père, une drôle de bête qui crache le feu , comme les cracheurs de feu de la foire.
- Pas possible ! auras saunejat ?
- Pas possible. Tu auras rêvé ?
- Non je vous assure ; je l'ai vue comme je vous vois, de là, à là. Elle a la taille d'un gros lézard vert, est toute noire, avec des yeux tout jaunes comme ceux du Grand Chot.
- Tu veux dire le Grand Chot de Janou ?
- Non , la couleur des yeux seulement. Jamais je n'en avais vu de comme elle auparavant. En plus, elle n'avait pas l'air très vive, on aurait dit qu'elle se cachait, même que j'ai cru qu'elle me demandait de ne rien dire. Y a pas à dire, il nous faut savoir ce que c'est . Ce soir quand mon Grand-père sera parti, on ira à la forge, je sais où il cache la clé, et on tâchera d'en savoir d'avantage.
- En attendant on joue à quoi ? questionna le petit Noël ?
- On joue, on joue, on fabrique des "fleùs",( frondes) tè, des fois que ceux d'à côté ; ils voudraient reprendre la guerre. Tu as porté le caoutchouc ?
- Oc, l'ai aqui.
- Oui je l'ai ici.

Trouver les branches de coudrier fourchues adéquates, les éplucher, et les tendre de caoutchouc, leur prit tout l'après midi.
C'est donc après le coucher du soleil, que le clan, augmenté de Juliette , guetta le départ de Firmin de la forge.
- Tenez-vous bien derrière moi leur avait recommandé Gustou.
Il n'avait pas à craindre d'être désobéi, ils étaient tous à bien deux mètres derrière lui.
La forge était plongée dans l'obscurité ; seule, la braise du feu, qu'on avait recouverte de cendres pour la maintenir, rougeoyait par endroits.
Bravement, comme le chef courageux qu'il était, Gustou s'avança. L'alcôve n'était rien moins qu'un trou sombre , impossible de dire si elle était habitée. Prenant une branche, du tas posé à côté du foyer, il tenta de l'allumer aux braises les plus vives. La laissant un moment en leur milieu , il était sur le point de l'approcher de son visage, pour souffler dessus, quand, de l'alcôve jaillit une flamme bleue qui enflamma aussitôt la brindille.
- Ohhhhh ! fit-il en reculant. - Hi!hi !
Dans le trou, deux grands yeux couleur de miel, à la curieuse pupille fendue, s'étaient ouverts.

Chapitre 8

Alors, sous les yeux médusés des membres du clan de la jasse neuve du chemin du creux, l'étrange bête, se déroula, s'assit sur son arrière train, déplia ses ailes, fit bouffer sa collerette, s'épousseta pour faire tomber la suie qui la recouvrait, et apparut, dans toute la splendeur de ses écailles turquoise, ourlées d'orange.
- Qu'es aquela bestia ?
Qu'est ce que c'est que cette bête ? s'écria Tatave ?
- Je n'en ai aucune idée, avoua Gustou.
- Moi non plus, dit Noël. Mais qu'est-ce qu'elle est belle !
- Je crois que moi je sais, affirma Juliette : vous la voyez tous les dimanches à l'église.
- ????
- Sous les pieds de la statue de Saint Michel. Rappelez vous ce que nous a dit Monsieur le curé. Saint Michel terrassant le dragon.
- Un drac ?
- Un dragon ?
- Oui, mais un tout petit dragon, conclut Juliette.
- Fatche de !
- Je ne suis pas si petite que cela, voyons. Je suis seulement une jeune dragonne, une jeune princesse dragon, la princesse Zoïa. Et tu as dit vrai Noël, je suis belle, je suis très belle. Ne trouvez-vous pas?
- Tu, tu connais mon nom ? Et aussi tu parles ?
- Je sais tout de vous. Et, aussi, je parle. Mais il n'y a que toi qui comprends mes paroles.
- Ah bon !
- Qu'est-ce qu'il t'arrive Noël, on dirait que tu causes avec la bête ?
- Ben oui.
- C'est ça, oui !
- Mais c'est la vérité.
- Et pourquoi elle ne nous cause pas à nous ?
- Elle dit comme ça qu'il n'y a que moi qui peux la comprendre.
- C'est pourtant moi le chef ! C'est à moi qu'elle devrait s'adresser.
- J'en sais rien moi !
- Pauvre de nous, et nous voilà encore aux prises avec une créature du diable ! soupira Gustou.
- Je ne suis pas du tout diabolique, d'ailleurs vous n'avez qu'à demander à mes amis du village d'à côté.
- Elle dit que ses amis sont ceux d'à côté.
- Le clan de Janou? Fatche de ! J'ai compris: après le géant velu, la roche qui porte malheur, il nous enverraient un dragon ?
- Une princesse dragon rectifia Zoia. Et puis, il ne m'ont pas envoyée, je suis venue toute seule.
- Qu'est-ce qu'il dit ?
- Elle dit qu'elle est venue toute seule, qu'elle est une princesse dragon, et qu'elle s'appelle Zoïa, expliqua Noël.
- Una masca tan plan !
Une sorcière tout aussi bien !
- S'il est vrai que j'ai des pouvoirs, je ne suis pas une sorcière. Pardonnez-moi mais j'ai très faim, je n'ai rien mangé depuis la nuit dernière.
- Elle dit qu'elle a faim
- Benleù que nos manjara ?
Peut être qu'elle va nous manger ?
Et ils reculèrent tous, bouchant par là même la sortie.
- Mais non voyons, : je ne mange pas les enfants, et d'abord je suis végétarienne.
- Elle mange pas les enfants, par contre je n'ai pas compris ce qu'elle a ajouté.
- Si vous voulez bien me laisser le passage, il faut que j'aille me nourrir, et retrouver ma famille.
- Elle veut qu'on la laisse passer pour rejoindre sa famille.
- Fatche de ! Il y aurait donc plusieurs dragons ?
Mais Zoïa, poussée par la faim et le désir de retrouver sa famille, sans répondre à la question de Gustou, qu'elle trouvait par ailleurs totalement absurde, avec la rapidité du lézard vert au mois d'août, se faufilant à travers des jambes supposées l'arrêter, franchit le trou sous la porte pour, en fin de course, s'envoler de son vol puissant de dragon.
Peu lui importait qu'elle ait laissé derrière elle , le clan des ennemis, frustrés , dépités et pantois.
Cela n'était pas son problème.
Certes.
Mais il allait bientôt le devenir, car, Gustou et sa bande n'eurent plus qu'un seul objectif : s'emparer de cet animal maléfique pour, tels leur saint patron de l'église, le détruire.

Chapitre 9

Dans le village d'à côté, le clan du rocher de la sauvageonne, avait lui aussi pris le rythme des vacances, occupées en grande partie par une surveillance accrue de leur protégée.
Ils avaient admis une bonne fois pour toutes qu'ils ne devaient pas trop compter sur les deux Effrits, même sortis de leur état dépressif. En effet ces derniers leur avaient déclaré que le rôle de nounou n'entrait pas dans les attributions d'un génie du quatrième niveau, ainsi qu'il était écrit dans le contrat signé avec le grand roi Salomon , qu'il règne à jamais dans les cieux ! La tâche leur fut toutefois simplifiée, une fois le beau temps revenu. Zoïa passant ses nuits sous la surveillance de Momo, et ses journées à dormir dans la musette de Tonin.
Il est vrai que le jour où, s'étonnant du nombre impressionnant de crapauds s'en allant pondre à la mare du Coustalou, elle s'était écriée : - Fatche de ! Cela avait interloqué Tonin
- De qu'as dich ?
Qu'est ce que tu as dit ?
- Ben , fatche de
- E onte as aprés aquò ?
-Où as-tu appris ça ?
- Ben... Janou venu à la rescousse avait alors questionné :
- Peux-tu nous dire quel est cet endroit bien chaud dans lequel tu passes tes journées, et où il se trouve ?
- Ben c'est la forge, dans le village d'à côté, tu sais, celle du vieux qui se met toujours en colère après le garçon.
- Bondieu ! J'espère qu'on ne t'a pas vue au moins.
- Rassure-toi , on ne m'a pas vue, j'étais bien cachée. Sauf, maintenant que j'y pense, sauf, peut être le garçon, oui, c'est même pour cela qu'il a dit « fatche de » en faisant tomber le marteau sur le pied du vieil homme. Mais je n'ai pas ri ; enfin pas trop, du moins, je crois. Le garçon s'est enfui , et le vieux a rondiné ( ronchonné) toute la journée ; et il a dit plein de gros mots. Tu veux que je te les répète aussi Tonin.
- Non, non va plan aital.
- Non ça va comme ça.
- C'est malin ! Maintenant Gustou l'a vue. Qu'est ce qu'il va bien pouvoir faire ? Il ne faut plus la quitter des yeux de toutes les vacances. Et la nuit on demandera à Momo de prendre le relais.
- Oc
- oui.
- Pourquoi ne la ferais-tu pas suivre dans ta musette Quand tu vas à la cueillette ? Tonin avait proposé Tistou.
- Oc o farai.
- Oui je vais le faire.

C'est ainsi qu'il la faisait suivre partout et ne manquait pas de lui commenter tout ce qu'il rencontrait durant ses longues pérégrinations dans la campagne.
- Veses Zoïa, aquo es l'entrada de l'ostal d'el taisson, .
.. Tu vois Zoia, ça c'est l'entrée du terrier du blaireau, ne t'en approche pas, sous ses airs placides c'est un animal redoutable.
- Pas autant que moi répondait-elle à moitié endormie.
Vous l'avez peut être remarqué mais dés qu'elle avait perdu son zozotement, changé de couleur et de sexe, Zoïa si elle comprenait toujours l'occitan, ne s'exprimait plus que dans le français de l'école de la République, voulant montrer par là même que, le savoir avait quelque importance. Tistou en portait une part de responsabilité, quant à en convaincre Tonin ? Ce n'était pas encore chose faite.
- Aqui sem dins lo loc de las garenas del linhatge de Blantopets, lo linhatge de Pichonet. Aimon pas d'estre trebolats,subretot, ara que los pichons naisson.
Ici nous sommes dans le domaine des garennes du clan des Blantoupets, tu sais la famille de Pichounet. Ils n'aiment pas qu'on les dérangent, surtout maintenant que les petits vont naître.
- Mais moi j'aime bien les petits lapins !
- Sul aqueste talus, traparas de riponchos.Te cal sortir la racina es lo melhor.
Sur ce talus là tu trouveras des riponchos ( prononcer ripounchous : raiponces). N'oublie pas de sortir la racine, c'est le meilleur.
- Per las bredas, te cal anar sul la colina del menhir.La doucetta es al potz de claveirolas que la traparas, es so mesme per los bochibarbas
Pour les breudes ( laitue vivace ) il te faut aller sur la colline du menhir. La doucette c'est au puits de Claveyrolles que tu la trouveras, de même que les bouchibarbes ( salsifis sauvages )
- Mais de la salade j'en ai dans le village, pas besoin d'aller si loin.
De que t'ai dich l'autre jorn ?
- Qu'est- ce que je t'ai dit l'autre jour ?
- Pas la salade du jardin de Clovis,
- E ?
- Et ?
Ni celle de Baptiste.
- E encara ?
Et encore ?
- Je ne dois pas déterrer les pommes de terre que le père vient juste de planter, par contre, dès qu'ils sortent, je peux manger tous les navets.
- Aquò va plan, ma filha, as força plan retengut la leiçon
C'est très bien ma fille tu as très bien retenu la leçon.
Somme toute Tonin était très fier des connaissances rurales, que la jeune dragonne assimilait avec une facilité remarquable.

Parfois, lorsque la cueillette ne l'appelait pas, il s'en allait garder les brebis avec Janou, puis l'aidait à les rentrer, ainsi qu'à les traire.
Traire les brebis n'est pas une mince affaire, d'abord, il y en a beaucoup à passer, ensuite, toutes ne sont pas coopérantes, quand elles ne sont pas tout à fait rebelles, au point de n'avoir qu'une seule idée en tête : bousculer le berger, pour le faire tomber du tabouret à trois pieds, et renverser le seau de traite.
C'était pour ces dernières que l'aide de Tonin était requise. Un qui trayait, pendant que l'autre tenait les pattes de l'animal, et le tour était joué.
Zoïa aussi aimait bien les brebis. Enfin, ce qu'elle aimait surtout, c'était le lait de brebis. Alors, pendant que les deux garçons étaient aux prises avec les bêtes rebelles, elle se soudait aux mamelles de celles qui n'étaient pas encore passées, et elle les tétait, ou plutôt elle tarissait leur pis.
Dans la ferme du Roc Traucat , chez Janou, la traite du soir se pratiquait ainsi : on divisait le troupeau en trois colonnes. Une pour le père, une pour la mère, et l'autre pour Janou. Naturellement Zoia ne choisissait que les brebis de la colonne du père, et les brebis au pis le plus gonflé, qu'elle asséchait complètement. Ce qui avait comme résultat :
- Toi, tu t'es encore amusé, et tu n'as pas surveillé que les bêtes mangent suffisamment. Bon sang ! Combien de fois il faudra te le dire, qu'elles ne donneront rien si elles ne mangent pas ! Seras jamai un bon pastre ( tu ne seras jamais un bon berger).
Et ça, c'était l'injure suprême !

Chapitre 10

Ils avaient tort d'être trop confiants : à Saint Michel, Gustou avait organisé ses troupes.
Tatave, pour ne pas changer, s'était vu confier le rôle d'espion : il devrait tout savoir des habitudes du Drac, ou plutôt de la Draga.
Noël, et son air angélique, devrait l'amadouer par de douces paroles.
Quant à lui, il fallait qu'il trouve le moyen de la faire pénétrer dans la caisse du furet, qu'il avait empruntée à son père.
Juliette, en apprentissage, n'était pas libre de ses journées, et c'était tant mieux, car elle n'approuvait pas qu'on veuille supprimer une aussi belle créature, sans compter que, si elle se souvenait bien de son histoire sainte, cela ne serait pas sans risque, puisque, seul, un archange était parvenu à terrasser un dragon.
Ses arguments n'avaient pas été entendus :
- Pfff ! C'est bien d'une fille ça ! aucun courage ! même quand sa patrie est en danger ! Ce à quoi elle avait rétorqué :
- N'allez pas dire que je ne vous avais pas prévenus !

La mise à exécution du projet, eut lieu le mercredi soir de la deuxième semaine des vacances, juste après le coucher du soleil. En effet, selon les indications de Tatave, ce serait plus facile lorsque Janou et Tonin seraient occupés à la traite, et la dragonne sous la seule garde de Momo.
Tout le monde sait que lorsqu'un grand duc part en chasse pour remplir un estomac affamé, plus rien ne compte que son seul objectif : remplir sa panse.
La dragonne serait donc sans chaperon.
Ayant appris l'attrait irrésistible de Zoïa pour le lait de brebis, ils avaient placé la cage bien en vue dans la plaine. Elle contenait une grande jatte de lait. L’œil perçant du dragon ne manquerait pas d'apercevoir ce que son odorat développé lui avait déjà signalé.
Et c'est effectivement ce qui c'était produit : l'odeur du lait avait attiré la dragonne ; elle s'était jetée dessus goulûment, sans même s'apercevoir que la cage s'était refermée : rassasiée, elle s'était ensuite affalée sur le fond, et endormie aussitôt.
Notre clan de Saint Michel n'en revenait pas de voir combien la capture avait été facile.
- Qui c'est le plus fort avait exulté Gustou ? Vous avez de la chance de m'avoir comme chef.
- Oui chef, bien chef ! avaient approuvé ses équipiers
Ils avaient donc ramené, triomphalement, leur trophée jusque dans leur local, la jasse neuve du chemin creux : avaient cadenassé la seule entrée, et s'en était allés silencieusement se coucher, la nuit étant déjà bien avancée.
Les malheureux !

Chapitre 11

Les malheureux ! Ce qu'ils ignoraient, était que ce soir là serait justement le premier de la mue trimestrielle de Zoia.
Avant le coucher du soleil, au moment même où Tonin et Janou rentraient le troupeau, Zoia, s'extirpant de la musette de Tonin, avait grimpé jusque sur sa tête, et là, les ailles dépliées et la collerette gonflée, elle avait d'abord poussé son cri sauvage, avant de s'envoler, de la puissance de ses ailes, dans la direction de la plaine de Saint Genies.
- Tè ! es lo temps del permudatge, la reverem dins tres jorns
Tiens, c'est l'époque de sa mue, avait dit Tonin, sans y attacher plus d'importance, nous la reverrons dans trois jours.
- Tu as raison : ce n'est pas la peine de s'inquiéter. Toutefois, je me demande quelle couleur elle va choisir cette fois.
- Ieù tanben.
Et ils avaient continué à mener le troupeau vers la bergerie pour la traite.

Ce qui fait qu'après sa capture, Zoia était restée deux jours entiers, affalée dans la cage, sans manger ni boire, si bien que ses ravisseurs la crurent morte, sinon malade.
- Creses pas qu'es morta ?
Tu ne crois pas qu'elle est morte ?
- Non, regarde, elle respire , ses flancs se soulèvent : elle dort, avait répondu Gustou.
Ils avaient tenté de la réveiller en la piquant avec un bâton, elle n'avait eu aucune réaction.
Il n'était pas dans leurs intentions de terrasser un animal sans défense. Ils souhaitaient un combat loyal, sinon cela n'avait pas grand intérêt.
Sans se l'avouer, ils désiraient surtout l'examiner, et savoir pourquoi elle était arrivée entre les mains de l'autre clan . Pourquoi avait-elle choisi les autres et pas eux.
Alors pour la seconde fois, ils l'avaient laissée là, pour la nuit, dans le local bien clos.
On verrait bien demain ; l'essentiel étant qu'elle était désormais en leur pouvoir.

Le lendemain, dès qu'ils l'avaient pu, ils s'étaient précipités vers la jasse et leur prisonnière.
A peine avaient-ils mis les pieds dans le chemin creux, que le vacarme provenant de la Jasse les avaient interpellés.
A l'intérieur cela sifflait , soufflait , griffait, frappait. Apparemment, la dragonne était réveillée et n’appréciait pas son état de prisonnière.
- Allez Noël, entre, c'est à toi de lui parler puisqu'elle t'a à la bonne, ordonna Gustou.
- Que j'entre là dedans? Ça' va pas? Elle va me dévorer tout cru!
-Parle lui au moins.
- Bon. Zoïa, Zoïa. C'est moi Noël.
- Qui a eu l'idée stupide de vouloir me priver de liberté ? Moi, une future Reine Dragon ! rugit-elle.
-C'est pas moi, c'est Gustou.
- Où est-il ce Gustou ? que je l'étripe.
J'en sais rien. Tu, tu es fâchée ?
- Si je suis fâchée ? Ce n'est rien de le dire. Je suis furieuse. Ah ! Il croyait qu'une vulgaire caisse en bois me retiendrait. Tiens voilà ce que j'en fais de sa caisse.
Et on l'entendit qui se fracassait sur le mur.
- Va lui dire que s'il ne vient pas présenter ses excuses je casse tout, j'éventre les murs, je soulève le toit, je défonce la porte et je brûle l'édifice.
- Tu ne ferais pas ça ?
- Je me gênerais tiens !
- Ne bouge pas je vais le chercher.
Et Noël de rejoindre ses deux comparses qui s'étaient mis à l'abri derrière le frêne.
- Alors ? demanda Gustou. - Elle est en colère qu'on l'a enfermée, elle veut que tu ailles t'excuser, sinon elle casse tout dans la baraque, et elle y met le feu.
- M'excuser ? Jamais, avait-il répondu .
Comme si cette réponse avait été entendue, le fracas avait doublé de volume accompagné de jurons et d'imprécations.
- Gustou...
- Non.
- Savi de que me cal far.
Je sais ce que je dois faire, avait dit Tatave.
Et il s'en était allé.

Chapitre 12

Et il s'en était allé, oh pas très loin, jusqu'au pré de la combe Aubert sur le territoire des autres, là où il était certain de rencontrer Janou gardant le troupeau de son père. Sûr que ça lui en coûtait, mais il savait que c'était la seule solution. Il les avait donc rattrapés juste au moment où ils rentraient pour la traite.
- Tè Tatave ! s'était écrié Janou, tu ne te serais pas trompé de chemin par hasard ? Ici, tu es sur notre territoire. - O savi. Solament l'ora es grava.
Je le sais . Seulement l'heure est grave.
- Il serait mort quelqu'un ? Ne me dis pas que ce serait mon grand oncle Gervais. Il n'était pas très bien l'autre jour.
- Non, es pas el. Es mai grave qu'aquò..
Non ce n'est pas lui. C'est plus grave que ça.
- ???
- Es Gustou que fa sa closca de mula.
C'est Gustou qui fait sa tête de mule.
- Ah ça ! Ce n'est pas nouveau, et tu ne t'en aperçois qu'aujourd'hui ?
- O savi, mas es pas per ieù, es per vosautres.
Je le sais : mais ce n'est pas pour moi, c'est pour vous autres.
- Qu'est ce que tu veux que ça nous fasse. ?
-Aquò vos agradara pas. Qu'est ce que c'est qui ne va pas nous plaire ?
- Vos avem raubat la draga.
On vous a volé la dragonne.
- Volé Zoïa ?
- Oc.Laissa me t'o contar.
Laisse moi te raconter.
Et Tatave leur raconta tout :
Par quelle ruse ils avaient pu s'emparer de Zoïa ; comment il l'avait transportée dans la boîte du furet , puis enfermée à double tour dans la Jasse : qu'elle était restée deux jours sans manger ni boire, et même que lui, Tatave, avait cru qu'elle était morte, et que ça ne lui plaisait pas du tout, ni d'ailleurs l'intention de Gustou de la terrasser pour faire comme le Saint Michel de l'église. Mais maintenant, qu'ils se rassurent, elle était réveillée, et même bien réveillée, et elle menaçait de foutre le feu à la baraque si Gustou ne lui présentait pas ses excuses pour l'avoir faite prisonnière.
- Aqui lo, Sas tot.. E aquel cap de miol de Gustou vol pas res sapre. Voilà, tu sais tout . Et cette tête de mule de Gustou qui ne veut rien savoir !
- Vous êtes complètement malades d'avoir voulu enfermer une future reine dragon ! Je ne parle pas, bien sûr, du vol que vous nous avez fait. Comment voulez-vous qu'on arrive à s'entendre après ça ? Vous mériteriez qu'on vous laisse vous débrouiller tout seuls avec un dragon furieux tè ! Seulement je ne voudrais pas que Zoïa, dans sa fureur, en arrive à se blesser. Je ne parle pas du chagrin qu'elle doit ressentir : elle doit croire que ses amis l'ont abandonnée. Elle est encore toute petite tu sais . Et personne à qui parler. - Aquò es pas vrai. Cresi que parla ambe Noël. Ce n'est pas vrai. Je crois qu'elle parle avec Noël
- Avec Noël ?
- Sinon coma auriai sachut per las excusas ?
Sinon comment j'aurais su pour les excuses ?
- Tu as raison. Qu'est- ce tu attends de nous ?
- Cal que vengessetz, e totes, e leù.
Il faut que vous veniez, et tous, et vite.
- Je crois que je peux laisser le troupeau un moment. Quand elles sont dans la combe Aubert, les brebis ne s'échappent pas ; et puis je vais demander à Barri et à Marquise de bien les surveiller. Pichounet cours vite prévenir les autres . Et dis leur que je m'avance, qu'ils viennent à la jasse neuve du chemin creux à Saint Michel, qu'ils fassent vite, il y a urgence. Tu leur expliqueras pourquoi, en chemin. Allez va ! Du lapin qui sommeillait à côté de Janou, on ne vit bientôt plus qu'un toupet blanc.

Quand ils arrivèrent à destination, l’accueil qu'on leur fit ne fut pas des plus chaleureux
-Qu'est -ce que vous venez faire ici? demanda Gustou.
-Il paraîtrait que tu aurais besoin de nous, dit Janou.
- C'est toi, Tatave, qui leur as dit ? Espèce de traître va.
- Remarque que si tu penses t'en sortir tout seul, nous, on s'en retourne. Cependant je te ferai remarquer que c'est la deuxième fois que tu nous voles ce qui nous appartient. Et ça ce n'est pas à ton honneur.
Dans la jasse, le fracas qui, à leur arrivée, était épouvantable, avait brusquement cessé.
- Tonin, Tonin, au secours , ils m'ont enfermée.
Et Tonin de se précipiter.
- Ages pas paur, Zoïa, soi aqui, te vau sortir d'aqueste preson, te vau prene ambe nosautres. Gaita , t'ai portat de formatge. Gustou donna me la clau.
- N'aie pas peur, Zoïa, je suis là, je vais te sortir de cette prison, je vais te prendre avec nous. Regarde je t'ai apporté du fromage. Gustou, donne moi la clef.
Mais Gustou. ne voulait rien savoir, la tête baissée, il grattait le sol de sa galoche tout en faisant le morre ( la tête ).
Alors Tonin : La clau , e leu !
La clef, et vite.
- Viens la chercher si tu la veux, je t'attends.
- Ah non ! Vous n'allez pas encore vous battre ! s'écria Tistou. Je te le déconseille Gustou, parce que tu vois, Zoïa, elle risque de ne pas aimer du tout, et de devenir méchante, et alors...
- Et alors ?
_ Je ne donnerai pas cher de ta peau.
- Pfff ! Je n'ai pas peur d'un lézard.
- Qui ose dire que je suis un lézard ? rugit une voix énorme et terrible.
Et puis il y eut le cri : sauvage, glaçant, effroyable, suivi du souffle : et la porte s'enflamma comme un fagot de bois sec.
Alors, surgissant des flammes, Zoia apparut : princesse dragon dans toute la splendeur de sa grande colère.
Elle avait grandi, au point d'égaler en taille ces varans de l'île de Komodo.
Campée sur ses pattes griffues, ailes déployées, gueule ouverte sur des crocs acérés, la collerette hérissée, la queue, terminée par un dard, dressée, les naseaux soufflant de la vapeur, elle était effrayante à voir, telle ces dragons qui avaient, depuis la nuit des temps, peuplé les mythologies des hommes.
Quand à sa couleur ? éblouissante, rutilante, flamboyante, d'un vert intense, sombre, avec cependant des reflets fluorescents plus clairs, et ce turquoise qui ourlait ses écailles hérissées, elle ressemblait, il est vrai, à celle de son lointain cousin, le lézard ocelot , mais la comparaison s'arrêtait là.
Les deux clans s'étaient regroupés instinctivement, épouvantés devant cette vision terrifique.
- Où te caches-tu misérable ? que je t'étripe, t'éviscère, te démembre, te broie, et brûle tes restes.
Personne ne disait mot, et Gustou moins encore que les autres. Pour la première fois de leur vie, ils se trouvaient en proie à cette terreur ancestrale des hommes devant la fureur d'un animal sauvage.
Toutefois, bravant sa peur, Tonin osa faire quelques pas vers la bête.
- Zoïa, Zoïa, pichota, es ieù Tonin, es ta maire, là, calma, tranquilla te volavia pas de mal, lo Gustou, era solament per far biscar.nosautres.
Zoïa, zoïa, petite, c'est moi, Tonin, c'est ta mère, là, calme, tranquille, il ne te voulait pas de mal le Gustou, c'était seulement pour nous faire enrager.
Et l'inimaginable eut lieu. Zoia, reprit peu à peu un aspect moins terrible ; elle se fit moins hirsute, son éclat devint supportable , sa collerette se détendit, ses ailes se replièrent ; faisant quelques pas, elle vint frotter son mufle contre les genoux de Tonin et se plaindre, ainsi que le jeune dragon qu'elle était encore.
Pas de mal, pas de mal on voit bien que ce n'est pas toi qui as été enfermé dans une minuscule cage, tellement que, lorsque je me suis réveillée, je ne pouvais même plus bouger. Laisse moi passer, il faut que je l'étripe, que je le broie, et que je le réduise en cendres, ajouta-t-elle dans un dernier sursaut de colère.
- Non Zoïa, aquò es pas plan.
- Non Zoia ce n'est pas bien.
- Mais c'est ton ennemi non ? Et il voulait te battre.
- Auria pas ganhat !
Il n'aurait pas gagné.
- Il me faut des excuses, et aussi quelque chose à manger. J'ai faim ! J'ai terriblement faim.
- Gaita ma bella, t'ai portat de formatge.
Tiens ma belle, je t'ai apporté du fromage.
- Miam fit elle en se jetant goulûment dessus. Puis, c'est tout ? J'ai encore faim
-Ma...
Peu à peu les membres du clan du rocher de la Sauvageonne s'étaient rapprochés.
- Ah vous êtes tous là ? s'était écrié la dragonne, ça fait plaisir de retrouver sa famille.
Alors Noël : - C'est vous sa famille ? Il n'y a pas d'autres dragons ?
- Non elle est la dernière, elle est unique, et tellement précieuse, répondit Janou. Et elle a faim. Vous n'auriez pas quelque chose à lui donner, lait, fromage, salade, navets, elle adore les navets.
- Pas de viande ?
- Non, elle est végétarienne , elle n'en mange jamais.
- Je sais où trouver des raves, dit tout à coup Gustou, dans la réserve, derrière la soue à cochon. Maintenant qu'on a sacrifié la bête, on n'en a plus besoin. Je vais en chercher un sac ajouta-t-il avant de filer.
Cinq minutes après il était de retour, chargé d'un gros sac. Zoïa, sans attendre, se précipita dessus, dévorant jusqu'à la toile.
Ensuite les pattes en l'air le ventre rebondi :
- Finalement, Gustou, tu n'es pas un si mauvais bougre, j'attendrai un peu pour te mettre en pièces. Car maintenant, il faut que je dorme dit-elle en baillant.
Et pouf ! Elle s'était endormie.

Chapitre 13

- E ara de que anam far d'ela ? Cresi que dintrara pas mai dins ma saqueta.
Et maintenant qu'allons nous faire d'elle, je crois qu'elle n'entrera plus dans ma musette.
- On a un problème alors dit Janou. On ne peut pas la laisser là en plein milieu, quelqu'un pourrait la voir, alors que personne ne doit savoir qu'elle existe.
- Surtout qu'on a du voir la fumée de loin ajouta Noël.
- On n'a qu'à la prendre chacun par une patte pour la transporter jusque chez nous. En faisant des petites haltes et en surveillant qu'on ne nous voie pas, on devrait y arriver. Han ! c'est qu'elle est lourde maintenant. Tatave ce serait trop te demander que de nous aider pour la quatrième patte.
- Nanni ! Voli plan vos ajudar.
Non je veux bien vous aider
Ils essayèrent donc, Tonin, Janou, Tistou et Tatave. Rien que la soulever fut une épreuve, la dragonne était très lourde, ils ne réussirent qu'à faire quelques pas en titubant.
- Jamais nous n'arriverons au village dit Tistou.
- Ce ne serait pas plus facile avec la petite remorque du père ? proposa Gustou. On la mettrait dedans avec une bâche par dessus, on n'aurait même pas besoin de se cacher.
- Tu serais décidé à nous aider toi aussi? demanda Janou.
- Pourquoi pas à condition que vous répondiez ensuite à des questions. C'est donant, donant.
- Je crois bien qu'on a pas le choix Janou, dit Tistou.
- D'accord, et toi Tonin ?
- Oc se podem pas far autrament. On vous raccompagne jusqu'à la combe Aubert et là on causera.

C'est ce qu'ils firent.
Par chance ils ne rencontrèrent personne en chemin .
Quant à Zoia, elle dormit tout du long dans la remorque. Elle ne s'était même pas rendu compte qu'on l'y avait mise.

Ils s'étaient assis par terre en rond, les deux clans ennemis , afin de débattre, ainsi qu'il en avait été convenu.
- Bien, dit Janou, maintenant tu peux les poser tes questions.
- D'abord, dit Gustou, je voudrais savoir pourquoi vous n’arrêtez pas de nous envoyer des choses qui portent le mauvais œil. Ça a été d'abord la pierre ensorcelée, puis cet oiseau de malheur de grand chot, et maintenant un drac. Je ne parle pas de l'espèce de monstre noir et velu qu'il y avait dans la grotte. Qu'est ce qu'on vous a fait à la fin ? Surtout qu'on avait conclu une trêve après que l'Armand avait été premier du canton au Certificat.
- Pardon, mais la pierre c'est toi qui l'a volée, malgré le génie et Momo, le grand chot qui la gardaient. Quant à Zoïa, elle est venue toute seule. Les dragons ça aiment tellement la chaleur, qu'elle n'a rien trouvé de mieux que votre forge ; nous, on n' était pas au courant.
-C'est vrai , je reconnais qu'on a des torts nous aussi. Mais ce que je ne comprends pas c'est vôtre entêtement à vous entourer d'objets d'animaux ou de personnes que tout le monde fuit comme la peste.
- C'est que vois-tu, nous on n'est pas comme tout le monde. Tu sais bien que on passe pour un peu raboussiers dans notre village. On aime bien ce que tout le monde fuit. Puis ce sont nos copains : on se rend service. En fait certains sont comme qui dirait à notre service.
- C'est bien ce que je pensais : vous êtes devenus des sorciers . Fatche de...
- Il y a de ça.
-Perde que as vist que Zoïa pot calcinar lo vilage Ajouta Tonin qui avait du mal à ne pas se tordre de rire.
Dans la chemise de Janou, Pichounet, bombait le torse à l'idée qu'on puisse le considérer comme un sorcier. Tistou ouvrait des yeux grands comme des soucoupes devant le culot du garçon. Il méritait bien sa place de chef du clan de la Sauvageonne.
- Alors il vaut mieux qu'on soient vos amis ?
- C'est en effet préférable.
- De vous avoir aidé à ramener votre draga, ça peut être considéré comme un geste d'amitié ?
- Ça peut.
- On pourrait aussi vous aider à la nourrir maintenant qu'elle a tant grossi.
- Ce n'est pas de refus. - Ecoute je vais en discuter avec les miens et on se retrouve jeudi prochain, à l'embranchement de la Vernède, pour voir comment faire pour à nouveau s'entendre. D'accord ?
- D'accord mais le soir tard, pour que Momo ait aussi son mot à dire, et que Marinette soit là.
- Aladonc Adisiatz e al dijous que ven .
- Donc au revoir et à jeudi prochain.
- Oc.
- Oui

Chapitre 14

Ce n'est que lorsqu'ils furent assurés que ceux de Saint Michel avaient passé le deuxième tournant de la route qu'ils laissèrent éclater leurs rires.
- Tu alora sios fortiche s'exclama Tonin !
Toi alors tu es fort !
- Jamais je n' aurais cru que tu les roulerais ainsi dans la farine ajouta Tistou.
- Que veux-tu il fallait bien, on a besoin d'eux pour Zoïa.
- Mais leur laisser croire qu'on était des sorciers !
- Si on leur avait dit la vérité ils ne nous auraient pas crus. Maintenant ils nous craignent et nous respectent aussi.
C'est donc tout fiers d'être auréolés d'un nouveau titre de gloire qu'ils s'en retournèrent chez eux.

Cependant ils avaient un énorme problème à résoudre : qu'allaient il advenir de Zoïa maintenant que la taille qu'elle avait acquise ne permettrait plus de la dissimuler dans une musette ?
- Il faudrait lui trouver une grotte non connue des spéléos pour quelle y vive comme sa mère, avança Janou.
- Une grotte ? Tu n'y penses pas, elle qui n'aime rien tant que la chaleur lui rétorqua Marinette.
- Tu as raison il faudrait l'attacher ou l'enfermer, et ça ce serait trop cruel, ajouta Tistou.
- Es pas encara nascut lo que podria l'estacar. O permettriai pas e ela tamben !
Il n'est pas encore né celui qui pourrait l'enfermer. Je ne le permettrai pas et elle non plus gronda Tonin.
- Moi non plus, ajouta Pichounet de sa voix flûtée.
- Alors che crois que nouch allons devoir demander une aide qualifiée. Momo qui se taisait depuis lui semblait-il beaucoup trop longtemps, se décidait à intervenir. Une aide qualifiée ? firent cinq voix. - Une aide que des chorciers nouvellement nommés et peu ou pas ecchpérimentés ne chauraient apporter.
- ?????
- Choia, n'est pas de notre monde, elle ne chaurait y prendre plache. Elle doit retourner là d'où elle est venue ? A chavoir le paché.
- Tu proposes qu'on demande de l'aide pour qu'elle nous quitte ?
- Oui !
- Jamais ! firent ils tous.
- Ch'est trichte ! Maich il le faut.
- Pourquoi ?
- Parce que'ichi elle ne sera chamais pleinement heureuche, et puis auchi parche qu'il vous faut grandir.
- Que veux tu dire par là ?
- Quitter le monde de l'enfanche et de ches chimères, pour gagner chelui de l'homme ou de la femme et de ches rechponchabilités.
- Ieú, o voli pas
- Moi je ne le veux pas.
- Tu le dois Tonin, ch'est ainchi pour tout un chacun.
- Zoïa ne voudra jamais quitter sa famille affirma Janou.
- Il vous faudra le lui demander. Et maintenant ch'est l'heure de ma chache nocturne, che dois vous quitter, fit le grand duc en s'envolant de ses ailes silencieuses.

Chapitre 15

Les deux jours qui suivirent cette conversation, furent très éprouvants pour nos amis. Ils eurent beaucoup de mal à empêcher leur protégée de s'exhiber aux yeux des habitants du village.
Cette dernière, fière de sa nouvelle taille ainsi que de ses rutilantes écailles, ne cherchait rien tant qu'à se faire admirer.
Heureusement pour eux, elle dormait une grande partie de la journée au soleil en haut du roc traoucat, invisible. Mais une faim dévorante et qu'elle devait satisfaire sur le champ, la faisait s'éveiller de plus en plus tôt pour aller dévaster et alléger les potagers qu'on avait remis en culture, les délestant des pommes de terres nouvellement plantées.
Heureusement, ce ne furent que les sangliers que l'on accusa de ces larcins.
Quand aux fromageries qu'elle aurait également pillées, les portes en étaient bien closes pour se garder des mouches, et sa taille plus corpulente, lui en avait pour toujours interdit l'accès par les fenestrons !.
De plus ils découvraient une jeune reine dragon, effrontée, discutant sans cesse les interdits, et bien décidée à n'en faire qu'à sa tête.
N'était ce l'affection qu'elle leur portait et dont il pouvait encore jouer pour la contraindre à obéir, ils n'auraient eu plus aucune emprise sur elle.
Aussi repensèrent-ils aux paroles du sage Momo. en se demandant s'il n'avait pas un peu raison.
D'autant qu'un jour de grande tension Zoïa éclata en ses termes :
- Mais vous m'étouffez à la fin avec toutes vos défenses : ne fais pas ceci, ne fais pas cela, reste ici, ne t'éloigne pas, Quand pourrais-je donc vivre ma vie de reine dragon ? Et où se trouve-t-il donc mon royaume ? Car il me paraît évident qu'il n'est pas ici. Sans vouloir vous vexer, ces terres-ci ne sont pas assez majestueuses, pas assez sauvages et tourmentées pour la reine dragon que je dois devenir. D'ailleurs j'en ai parlé avec les Effrits : ils sont prêts à m'emmener le retrouver mon royaume.
- E vé ! Mancava mai qu'aquò! aqueles bastards !
Eh bien il ne manquait plus que cela ! Ces traîtres !
- Tu nous quitterais ? dit Janou.
- Oui, s'il le faut.
- Et sans état d'âme ? Ajouta Tistou.
- Une future reine Dragon ne peut se permettre d'en avoir !
- Après tout ce qu'on a fait pour toi s'exclama Marinette !
- Je ne suis pas ingrate : vous demeurerez pour toujours dans mon cœur, comme un beau souvenir.
- Mais moi je ne veux pas que tu partes s'écria Pichounet !
- Je le dois, mon très cher camarade de jeux.
- Tu ne le pourras pas, car j'ai en poche l'anneau qui commande aux Effrits. Le ton de Janou était péremptoire.
- Crois-tu ? Il brille bien mieux à ma griffe, dit elle en exhibant sa formidable patte gauche.
Sur la plus longue de ses griffes, l'anneau de Salomon y étincelait.
- Tu l'as volé ? C'est mal ! - Il n'a jamais été forgé pour l'homme, mais pour Ambrosia la toute première des reines de notre espèce, il me revenait donc de droit.
- Quora dis que vas partir ?
Quand dis-tu que tu vas partir ?
- Dijous que ven. Quora que l'assemblada sera fache.Lui répondit Zoïa dans la langue qu"il chérissait.
Jeudi prochain. Dès que l'assemblée sera faite.
- Avec ceux de Saint Michel ? interrogea Tistou.
- Non, avant !
- Il reste à peine deux jours! calcula Marinette.
- Tu as raison, fillette, oui mais deux jours pleins: c'est encore les vacances pour vous trois et mercredi aussi pour toi Marinette : Madame Léa va avoir un empêchement. Mercredi donc, en fin d'après midi, J'aurai une surprise pour vous, et je vous donne rendez-vous dans la combe au milieu des Cagnas. Soyez-y tous à cinq heures. D'ici là laissez moi le champ libre, je vous promets de ne pas faire de bêtises. A mercredi cria-t-elle en s'envolant.

Chapitre 16

Quatre heures n'étaient pas sonnées que notre clan de la sauvageonne, au grand complet; était au rendez-vous de la combe des Cagnas.
Sur le chemin, les langues s'étaient agitées, en questions, bien souvent sans réponses.
- Tu ne crois pas Janou qu'elle nous fait marcher, et, qu'en fait, elle ne partira pas disait Pichounet
- Qui sait ?
- Elle aura découvert un autre Trésor, affirmait Tistou, c'est, dit-on, le propre des dragons.
- Aura trapat un autre baume que los de san Miquel conaitrian pas.
Elle aura trouvé une autre grotte que ceux de Saint Michel ne connaîtraient pas.
- Peut être !
Les questions fusaient de toutes parts, ne recevant que des réponses laconiques de la part de Janou. Comme ses camarades il n'avait aucune idée de la teneur de la surprise, mais en tant que chef, il ne devait laisser paraître son ignorance.
Et l'attente commença ! Longue, trop longue ! Zoïa n'était pas ponctuelle.
Que vaut une demie-heure de notre temps à l'échelle du temps dragon ?
Heureusement pour eux, cette journée de fin avril était douce, le soleil chauffait agréablement dans un ciel dépourvu de nuages, et la combe était abritée des vents.

Brusquement, et contre toute attente, un nuage obscurcit le soleil, plongeant la combe dans une inquiétante pénombre. Puis la lumière revint, tandis que se posait dans le coin opposé de l'endroit où se trouvait le groupe ; un énorme dragon, aux écailles d'un vert presque noir ourlées d'orange vif de rouge sombre et de turquoise. Ses ailes déployées faisaient bien jusqu'à six mètres d'envergure. Sa tête formidable s'élevait quant à elle à trois bons mètres du sol. Sol dans lequel il ficha ses puissantes pattes tandis que ses griffes y traçaient de profonds sillons. Zoïa, car c'était bien elle, venait d'atterrir, en majestueuse reine dragon qu'elle était devenue.
- Fichtre ! s'écria Janou, tandis que ses comparses très impressionnés avaient fait masse derrière lui. Ce.. c'est toi Zoïa ? C'est bien toi ?
- Assurément.
- Pour une surprise elle est de taille!
- Ce n'est pas cela la surprise. Ce n'est qu'une mue. Vers la fin les mues se font plus rapprochées et ma croissance devient plus rapide et de ce fait spectaculaire.
- Spectaculaire , tu l'as dit.
- Je suis belle n'est ce pas ? demanda notre vaniteuse, tandis que sa queue balayait le sol derrière elle y arrachant les buissons d'agrenelles.( prunelles).
Puis allongeant son cou flexible, elle porta à leur hauteur sa tête ornée de redoutables cornes,.et dont l'agencement formait comme une échelle .
- C'est maintenant la surprise. Allez ! Qu'est ce que vous attendez ? Grimpez moi sur le dos ? Aidez vous de mon rostre, de mes cornes, de mes naseaux s'il le faut, mais grimpez ! Je vous invite à me chevaucher, car nous allons voler: ce sera mon cadeau.
Un court instant d'hésitation et ils se précipitèrent tous à l'assaut de la tête et du cou si obligeamment tendus.
- Vous êtes tous bien installés.
- Oui !!!
- Alors c'est parti !
- On ne risque pas de nous apercevoir ? demanda Marinette.
- Mais non voyons, j'ai l'anneau de Salomon, je l'ai placé sur la position....
Le reste de ses paroles se perdit au milieu du piétinement de la course et du fracas du battement des ailes quand Zoïa prit son envol.

Chapitre 17

Si voler sur un tapis magique leur avait paru très excitant, ce n'était rien comparé à s'élever dans les airs sur les ailes d'un puissant et mythique dragon !
Bien calés entre les écailles que Zoïa pour les maintenir sur son dos avait redressées, ils ne mesuraient pas tout à fait l'immensité du cadeau qui leur avait été fait. Voilà qu'ils étaient devenus ces chevaliers dragons dont parlaient les mythologies, et qui hantaient encore la mémoire des hommes : initialement pourfendeurs des méchants, et défenseurs de la justice mais que des rois humains mal intentionnés avaient soumis pour assouvir dans la cruauté leur soif de pouvoir.
Heureusement pour eux, nos jeunes amis, ignorant tout de cette histoire, ne songeAient qu'à s'émerveiller et se laisser griser par le caractère fabuleux de cette aventure.
Zoïa soucieuse du bien être de ses amis, et, certaine de n'être point vue, avait pris un vol régulier et lent à l'altitude qui convenait pour que l'on puisse distinguer les moindres détails du paysage sans risquer de heurter la cime des quelques arbres qui pointaient haut dans le ciel.
Ainsi survolèrent-ils le troupeau agglutiné autour des pierres à sel sans que Barri ni même Marquise ne se doutent que du ciel on les épiait. Car Zoïa, sachant que ce vol qu'elle offrait à ses amis était le premier mais aussi le dernier, se plaisait à leur faire revoir les lieux mêmes qui avaient compté tout au long de leur commune aventure.
Ce furent la Vis et sa vallée sèche, dans laquelle s'ouvrait la baume sourcilleuse, l'aven bramaïre, les Cagnas et le four à chaud . Son humeur baladeuse les entraîna même jusqu'à Saint Michel, après qu'on eut subtilisé sa fleù à Tonin, dès fois que....
Là elle se percha un instant sur les murs en ruines du château pour y pousser son cri sauvage, tel un défi lancé à ceux qui avaient osé glorifier dans leur église l'archange responsable de la mort d'un des siens.
En fait la légende lui était, jusqu'à ce que ne la lui révèle Juliette, totalement inconnue, et l'espèce terrassée peu estimée de sa race, mais c'était pour le principe! Non mais !
Puis se dirigeant vers le chemin creux de la jasse neuve, elle aperçut le clan de Gustou au complet sous le grand chêne ; elle les fixa chacun d'un regard intense avant de reprendre la direction de ses terres natales, et atterrir en peu de temps à l'arrière du roc traucat.
-On est arrivé, tout le monde descend dit-elle.
- Déjà ? fut l'unanime réponse. - Oui , je dois aller chasser avec Momo, il se fait vieux et sa vue n'est pas aussi perçante. Mais retrouvons-nous demain jeudi au grand rocher de la Sauvageonne à quatre heures. A demain fit-elle en s'envolant.

Chapitre 18

Et il fut là ce fameux jeudi.
Laisser le troupeau dans la combe Aubert à la garde de Barri et rejoindre les autres au grand rocher de la Sauvageonne ne prit que quelques minutes à Janou et Pichounet, investissant de plus en plus souvent la chemise de son héros.
Quand Zoïa fit son atterrissage ils furent une fois encore saisis par sa magnificence, d'autant que le soleil couchant jouant sur la brillance de ses écailles ourlées d'orange et de rouge sombre la faisait apparaître comme entourée d'un cercle de feu.
La dragonne s'assit alors puis, puis faisant glisser son long cou flexible entre ses formidables pattes avant ; pour mettre sa tête à leur hauteur, s'exprima en ces termes :
- Je crois bien que c'est ici et maintenant que nos routes vont se séparer. Il le faut bien. Voyez celle que je suis devenue, et ma croissance n'est pas terminée ! Il vous serait difficile à présent de tenir ma présence secrète. En fait votre monde n'est pas prêt à m'accueillir, ni à m'accepter. De plus mon âme aspire à des contrées beaucoup plus sauvages.Toutefois, je sais ce que je vous dois : sans vous, mon œuf n'aurait jamais éclos et j'aurais ainsi passé ma non-vie dans les limbes. Cela n'a pas été. Vous avez accompagné ma petite enfance et reconnaissez que nous nous sommes bien amusés. Enfin, surtout moi peut être. Je ne l'oublierai pas et vous en remercie. Vous êtes à jamais imprimés dans mon cœur.
Toi Tonin, ma presque mère, tu y tiens une place toute particulière et je sais que le grand cœur que tu caches sous un aspect bougon t'ouvrira grand les portes de la vie, comme tu ouvriras plus tard celles de ta ferme aux affamés de tous bords.
Toi Marinette, ta présence féminine me fut d'un grand secours, surtout lorsque je changeai de sexe. D'ailleurs, du temps que je m'appelais Igor je crois bien que je fus un petit peu amoureux de toi.
Toi, Tistou, je ne te remercierai jamais assez de m'avoir appris mes lettres et donné le goût des livres. Qu'aurait-on pensé d'une reine dragon ignorante ?
Toi Janou, c'est grâce à tes qualités de chef ainsi qu'à ton sens de l'à propos que je dois d'être en vie. Sois en mille fois remercié.
Toi Pichounet longues oreilles, on en a fait de belles parties tous les deux, et même des qu'ils ne savent pas les autres ! Mais je ne dirai rien !
Et toi Momo, le plus sage d'entre les sages, Tes paroles sont des oracles. Plut aux Dieux que je ne les oublie jamais !
Voilà ! c'est ainsi, et son regard les scruta longuement l'un après l'autre
Adieu !
Puis : Génies du quatrième niveau Pour vous servir Maîtresse. Emmenez moi avant que je ne fonde en larmes. Un éclair et tous trois avaient disparu.

Chapitre 19

Assis en rond au pied du grand rocher de la Sauvageonne, ils se regardaient un peu surpris.
- Bien, dit Janou je constate que chacun de vous a bien participé à la constitution du trésor. Tes fossiles Tistou feraient pâlir d'envie le musée préhistorique de Lodève. Je me demande, Tonin où tu as bien pu te procurer toute cette mangeaille, qui me paraît cependant bien entamée.
- Aviai talen !
J'avais faim !
- Passons. Pour ma part j'avoue ne pas être mécontent de mes bâtons , j'ai essayé de les faire à l'effigie de votre totem. Là, Nokomis, il y a le croissant de lune et une étoile. Là, Tonin, tu peux voir un œil qui te regarde ; et sur le mien j'ai gravé les deux cornes du taureau.
- Merce plan Janou lo gardarai totjorn.
Merci bien Janou , je le garderai toujours.
- Merci à toi, grand chef tu es un vrai artiste. Mais c'est pas ta sœur Marinette qui arrive ?
- Si. Planquez tout, puis à Marinette : qu'est ce que tu viens faire ici ? Tu nous espionnes ?
- Moi ? Pas du tout, c'est maman qui m'envoie, elle dit que tu es parti tellement vite tout à l'heure que tu as oublié ton goûter. Tiens le voilà !
- Il y a plus que d'habitude !
- En le préparant j'ai un peu prévu pour les deux autres. - Merci firent trois voix.
- Et le père te demande de ramener les brebis à temps pour la traite parce qu'après on y voit plus rien dans la bergerie.
- D'accord ! C'est tout ?
- Ben oui, c'est tout.
- Alors tu peux partir. Ici on est entre hommes.
- Entre hommes ! Vous vous êtes regardés ? Qu'on vous presserait le nez il en sortirait encore du lait.
- Perfiéchament, son affaires de droles et pas de droletas !
- Parfaitement ce sont affaires de garçons et pas de filles !
- Bon j'ai compris, je m'en vais.
Une fois Marinette partie , la séance reprit :
- A l'avenir il nous faudra un repaire plus secret.
- L'idéal serait de découvrir une grotte, d'y déposer notre trésor et de le faire garder par un dragon.
- Un drac ? Mas aquò es una bestia malefica !
Un dragon. Mais c'est une bête maléfique !
- HA ! Ha ! Ha ! Un dragon ! Tu lis trop de livres Tistou ! Les dragons ça n'existe pas et encore moins par chez nous.
- Bon ça va si on ne peut plus rêver !
- Et pourquoi pas des animaux qui parlent et qui feraient partie de notre clan tant que tu y es !
- Té ! Aquel gran chot qu'es aqui a nos espiar sul fraisse ! E aqueste conil que se passèja.
Té ! Ce grand duc qui es là à nous épier sur le frêne ! Et ce lapin qui se promène.
- N'empêche que ce serait bien si on trouvait un vrai trésor ! A la bibliothèque de l'école j'ai lu un livre sur ces moines hospitaliers qui avaient des commanderies sur le Larzac et qui, dit-on, auraient amassé et caché des trésors.
- C'est ça ici, sur notre tènement dit Janou.
- Et pourquoi pas ? on y trouve bien des tuiles et des pièces romaines. Pourquoi pas des pièces du temps des Templiers ?
- Pourquoi pas après tout ? Notre nouvel objectif sera de retrouver le trésor des Templiers ! Huggh Sitting Bull a parlé !
- Huggh !
- Huggh ! Aquò plan ditz !
Ça c'est bien dit !.


EPILOGUE



Vous avez bien entendu compris que lorsque Zoïa avait fixé nos amis dans les yeux de son regard intense, elle avait effacé de leur mémoire tous les souvenirs de leurs rocambolesques aventures.
C'est pourquoi nous les retrouvons assis au pied du grand rocher de la Sauvageonne pour leur seconde séance.
Les animaux amis n'y sont plus admis, non qu'ils aient perdu leur faculté de parler, mais parce qu'ils ne sont plus entendus.
Pichounet en sera un temps très malheureux, et se postera le plus souvent possible sur le passage de Janou, au point que ce dernier croira l'avoir apprivoisé. Puis il trouvera épouse et fondera famille.
Momo le grand chot, avec toute la philosophie due à sa race et à son grand âge se fera une raison.
« Lech'hommes, lech'hommes, connaîchent-ils cheulement la vrai réalité de che qui lech entoure ? »
Marquise aura tellement à faire avec une génération d'agnelles particulièrement délurées, et, voyant que Janou n'entendait plus ses conseils avisés, en viendra à se passer de la compagnie des humains pour ne vivre plus que sa vie de brebis meneuse.
Quand à ceux du clan de la jasse neuve du chemin creux à Saint Michel, ils n'iront jamais au rendez-vous du chemin de la Vernède, oublieux qu'ils étaient devenus de tous les différents qu'ils avaient pu avoir avec ceux du village d'à côté.
Toutefois de leurs diverses aventures nos garnements garderont des réminiscences qui leur feront donner des noms aux grands rochers karstiques qui ponctuent notre tènement : Grand rocher gris , Dragon assis seront d'eux révérés, tandis que les pierres à sel leur paraîtront toujours cacher quelque mystère.
J'ignore s'ils ont fini par trouver le trésor des templiers, leurs descendants non plus ne l'ont jamais su .
Leur seule richesse fut d 'aimer, les âpres terres du causse, et de se suffire des ors de ses soleils couchants.


Remerciements



J'aimerais remercier toutes les personnes qui ont permis que ce livre existe. Tout d'abord mon époux, Claude, pour sa disponibilité, sa patience, son écoute attentive, bien disposée, et cependant critique. Mes enfants, Mathieu et Magali qui m'ont toujours encouragée à écrire. Mes quatre petits enfants: Adélie, Léon, Élise, et Solène, pour lesquels, par jeu, j'avais commencé cette histoire, et qui m'ont forcée à la continuer. Je tiens aussi à remercier mes amis, qui ont bien voulu me lire et me pousser sur les chemins de l'écriture. J'ai une pensée toute particulière pour Jean-Marie qui m'a fait bénéficier en plus d'une lecture avisée, de sa grande expérience des mondes souterrains, et de ses conseils de spéléologue averti, conseils que je crains de n'avoir pas suivis à la lettre. Un très grand merci à l'écrivain Jean Frédéric Brun pour avoir bien voulu revoir et corriger un occitan pas toujours respectueux des règles. Je ne peux avoir qu'une pensée émue quand je pense à mes parents disparus. Je tiens cependant à les remercier ici: ma mère, pour son idée de la persévérance, mon père, poète reconnu, pour m'avoir donné l' amour des mots et le goût de la langue nôtre. Il ne faut pas que j'oublie, non plus, les êtres ou entités qui, s'étant échappés des contes que j'avais précédemment écrits, ont tenu, à mon insu, à imposer leur nécessaire présence dans ce roman. Qu'ils en soient tous remerciés. A vous tous donc, je dis merci, avec ma profonde reconnaissance.

Fin

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