Consciente qu’elle venait de vivre une rencontre assez extraordinaire, notre amie n’eut plus qu’une envie c’est de tout
faire pour se gagner les faveurs de l’animal.
(Que le chevreuil lui parlât et qu’elle le comprît ne lui posait pas trop de problème, habituée qu’elle était de voir
dans les histoires que lui contait sa grand-mère s’exprimer tous les êtres vivants qu’ils soient végétaux minéraux ou
bien animaux. Le merveilleux n’était-il pas lié depuis toujours à ce territoire? Le fabuleux ne pouvait-il donc pas
résider dans le fait qu’elle ait été choisie pour converser avec eux? Alors….)
Voyons, voyons, que lui avait-il dit? Que les quelques tiges de fenouil étaient vraiment peu de chose. Il lui fallait
donc flatter sa gourmandise.
Mais au fait de quoi un chevreuil était-il friand? Elle l’ignorait.
Heureusement il y avait Google.
«Au printemps, il mange des jeunes pousses, des feuilles tendres, des herbes, des fleurs, des bourgeons et des ronces.
Parfois, les jeunes pousses peuvent le saouler, ce qui le rend moins méfiant ; il se laisse alors facilement approcher
et fait plein de bêtises, perdant toute notion de méfiance.»
D’accord, mais en automne?
«A l'automne, le chevreuil mange beaucoup de fruits allant jusqu'à chaparder dans les jardins. Il mange les fruits de
merisiers, des baies
d'aubépines, des noisettes, des faînes, des champignons et des myrtilles…»
Des myrtilles? Il n’y en a pas chez nous mais des mûres je vais lui en cueillir tout un couffin, j’y mettrai aussi
des morceaux de pommes et j’ajouterai quelques grains de raisins.
Ce qui fut dit fut fait, et au matin, au lever du soleil, bien emmitouflée dans une couverture elle l’attendait au
bord de la terrasse.
- Tu m’attendais? J’aime bien ça. Le Prince des Cagnas se fait toujours attendre. Car je suis le prince de ces bois
touffus et reconnu comme tel par toute la confrérie des chevreuils qui hantent ces domaines.
- Vous êtes prince? Tenez Monseigneur j’ai cueilli ce couffin pour vous.
- Voyons, voyons: des mûres? j’adore, des pommes? Miam! Par contre je ne reconnais pas ces baies ovales et blondes
qui crissent sous la dent. Un régal toutefois!
- Ce sont des raisins ils viennent du pays d’en bas.
- Connais pas. Il est vrai que ce territoire me suffit largement: peu de chasseurs, pas de chiens féroces, le loup
s’il y a, y est très discret et semble préférer les moutons; quand aux promeneurs ils sont émerveillés chaque fois
qu’ils m’aperçoivent. Seuls les jardiniers me boudent et me maudissent pour mes chapardages. Mais après tout ils n’ont
qu’à mieux clore leurs jardins. Qu’irais-je faire dans ce pays d’en bas? Ma mère me l’a répété assez souvent:
« Il n’y a pas mieux que les Cagnas et tu en es le prince appelé à devenir roi». Mais toi, tu le connais ce pays d’en bas?
- Bien sûr puisque j’en viens.
- Tu pourrais m’en parler? Anatole le grand Anatole, mon père, racontait qu’il y était né. J’étais alors un tout
jeune faon et j’ai malheureusement très peu de souvenirs de lui. Mais aujourd’hui qu’il a quitté notre harde
victime d’une balle perdue lors d’une battue, j’aimerais tant qu’on m’en parle de ce pays d’en bas. Ma mère mes
tantes et mes sœurs, je suis le seul mâle, ne veulent seulement en parler que comme fournisseur d’assassins.
Il est défendu d’en prononcer le nom, et notre domaine se limite au bois des Cagnas, zone décrétée par elles
protégée, et dont je porterai un jour la couronne. Mais avant cela il faut que mes andouillers poussent,
ils en sont tout juste à leur première ramification. De plus ils vont tomber à l’entrée de l’hiver. Aussi dès
que je peux m’échapper de ce bien trop petit royaume, je file, et cet endroit est celui que je préfère. J’y ai
d’ailleurs établi une couchette.

- Je sais, je l’ai découverte là haut dans les buis, mais n’ayez crainte Monseigneur je n’y dérangerai jamais
votre repos, j’aurais trop peur de perdre un ami.
- Un ami? c’est quoi?
- C’est un être avec lequel on aime parler, partager se confier et se découvrir..
- C’est intéressant. Et tu voudrais bien devenir mon amie?
- Bien sûr mon Prince, je vous raconterai le pays d’en bas et vous me parleriez de votre domaine si touffu et
inextricable que dans ma famille nous l’avons appelé le labyrinthe.
- Entendu. On commence quand?
- Maintenant si vous voulez.
- Non, ma harde va se réveiller, il faut que je file. Demain, même heure, même endroit, fit-il.
Un saut, un éclair blanc, et il avait disparu.
Alors commencèrent pour nos deux nouveaux amis des journées fertiles en évènements: car il leur avait paru
très vite évident que l’action était préférable à la parlote.
Pour notre jeune prince, seul vivre le moment présent avait valeur à ses yeux, de plus il ne savait pas raconter.
Quand à notre jeune demoiselle elle n’avait pas hésité une seconde à accepter la proposition qui lui avait été
faite d’aller voir sur place. Arpenter landes et bois elle n’aimait rien tant, quand à découvrir cette zone
mystérieuse et inexplorée portant le nom de labyrinthe elle en rêvait depuis toujours.
Ils partirent donc dès le soleil levé, après un bref:
-Je prends mon petit déjeuner et vais le manger sur la colline.Tchao!
-Tu es assez couverte lui fut-il demandé?
-Ne rentre pas trop tard.
-Je porte la chemise polaire de Pépé.
-Oui Oui.
Bien entendu il était hors de question de suivre les chemins. Théodore escalada en un rien de temps le chaos de
rochers au dessus de la grande mare, fila comme un éclair à travers la sauvageonne avec un:
- Grouille toi un peu on est à découvert
A celle qui s’époumonait à le suivre, enfin dévala en bonds prodigieux la colline pour s’arrêter juste à l’entrée
des Cagnas.
Là il huma le vent et dit:
- Parfait. Elles sont de l’autre côté du bois. Nous explorerons donc cette partie.
- Attendez laissez moi souffler un peu.
- Petite nature va!
Et là il fonça droit dans un fourré.
- Eh? Qu’est ce que je fais moi avec les ronces?
- Les ronces? Quelles ronces?
- Celles qui se sont agrippées dans mes cheveux elles m’empêchent d’avancer.
- C’est de la salsepareille, c’est pas mauvais tu sais dit-il en commençant à les brouter. Tu veux goûter?
Bon te voilà libérée.

- Merci.
- J’ai compris: tu n’as pas de bois sur la tête pour te faire le chemin. On va prendre par les buis, ça ne pique pas,
et je te ferai la trace. C’est touffu au début et après tu verras il y a des clairières.
Si la traversée du fourré fut un peu rude, la découverte de l’après fut un enchantement.
Imaginez une succession de petites clairières enherbées, ceintes de murets dont un soleil levant, rasant la surface
faisait étinceler les gouttes de rosée. Une atmosphère de paix se dégageait de ces lieux d’autant que le vent
y était absent, arrêté qu’il était par les grands chênes protecteurs qui les entouraient.
- Jamais je n’aurais rêvé plus bel endroit s’exclama notre amie ! C’est ma-gni-fique.
- N’est- ce pas ? Bienvenue dans mon royaume des Cagnas.Tu en es la première invitée.
- Je suis très touchée de ce grand privilège Monseigneur. Merci infiniment.
- Viens, suis moi je vais te faire découvrir mon futur royaume.
Et d’un bond il avait franchi le muret.
Comme il n’était question que d’une succession de clairières et de murets il ne fut pas trop difficile à notre
férue de course et d’escalade de le suivre se fiant à la rosette blanche de son arrière train.

- Tu vois? La capitelle tout là bas et la petite lavogne juste à côté, c’est la limite à ne pas dépasser.
- Pourquoi?
- Parce qu’au de là il y a les chasseurs et leurs armes meurtrières et nous serions trop à découvert.
-Oh! Je me reconnais c’est la plaine de Saint Michel, nous la longeons lors de la promenade que nous appelons
«le grand tour».
- Retournons dans le bois, ces aboiements de chien ne m’inspirent pas confiance.
- A moi non plus.
- De plus, il faut que je te présente à un autre seigneur, un être unique dans ce domaine. Tiens toi bien derrière moi,
à partir d’ici les bois sont si enchevêtrés qu’on les croirait infranchissables, sauf pour moi qui connaît
toutes les coulées.
Les passages ne furent pas toujours aisés à suivre pour notre héroïne en raison de toutes ces plantes épineuses
qui se prenaient dans ses cheveux.
- Baisse la tête, tu es trop grande, c’est plus large en bas. Nous y sommes presque.
La coulée tracée par le chevreuil s’avéra plus facile à suivre une fois qu’elle eut accepté de se plier en deux.
Toutefois elle ne pouvait alors se rendre compte du chemin qu’elle parcourait si ce n’est qu’il comportait un
certain nombre d’obstacles variés à franchir.
Aussi lorsque Théodore lui dit:
- Nous sommes arrivés tu peux te redresser. Permets moi de te présenter à l’autre roi unique et vénérable des
Cagnas sa majesté le grand Houx.
A suivre