Le Gène facétieux qui venait de l'Espace
Ce n’était rien d’autre qu’un malheureux petit gène qui avait survécu à une longue pérégrination à travers l’espace inter sidéral.
Il était rond et vert, tout hérissé de vibrisses mauves et molles qui l’entouraient d’une sorte de halo translucide et suspect. D’ailleurs, il devait d’avoir transité des millions d’années dans le Cosmos à l’aspect peu ragoûtant de sa personne. Nul n’avait jamais voulu l’approcher, aucune planète n’avait jamais voulu l’accueillir.
Aussi était-ce sans espoir aucun qu’il avait pénétré dans cette atmosphère.
Ce qui l’avait tout d’abord surpris, ç’avait été l’aisance avec laquelle il avait pu aborder ce monde : nul contrôle d’identité, nulle pancarte notifiant : « Halte aux gènes indésirables », il se trouvait même, au-dessus d’un des pôles de la planète, un trou assez conséquent qui pouvait paraître comme une invite adressée aux envahisseurs. C’est par-là même qu’il s’était introduit.
Depuis, il errait à quinze mille pieds au-dessus du sol, attendant l’hôte favorable qu’il pourrait bien investir. Cette position stratégique lui permettait ainsi de mieux observer.
A première vue, le constat qu’il avait fait était des moins réjouissants. L’homme, puisque apparemment il était l’espèce dominante de la planète, se conduisait de la plus aberrante des façons.
Tantôt, il discourait dans des meetings ou sur les ondes, sur des sujets hautement philosophiques ou politiques, et s’abrutissait le soir même, gorgé de pop-corn, devant l’émission la plus débilitante que son petit écran pouvait programmer !
Tantôt, il vitupérait à grand renfort de manifestations et de pétitions contre la pollution qui asphyxiait sa planète, tout en refusant de parcourir cent mètres sans être assis au volant du plus malsain des véhicules !
Tantôt enfin, il établissait avec l’aide d’éminents juristes une charte proclamant les droits universels de tel type d’individu d’animal ou de cause, pour ne paraître l’appliquer qu’à certaines régions privilégiées de son monde.
Jamais il n’avait rencontré d’être vivant aussi bourré de contradictions !
Jamais planète n’avait été peuplée de millions d’individus riches, heureux, égoïstes et sots, et de milliards d’autres, pauvres, malheureux, généreux et intelligents.
( La classification peut paraître un peu sommaire, mais pour le minuscule observateur de l’espace qu’il était, c’était ainsi qu’il percevait l’Humanité.)
C’était donc bien elle la planète qu’il avait si longtemps cherchée, et sur laquelle il pourrait prouver le bien fondé de sa programmation !
Car ce gène facétieux qui venait de l’espace n’était pas autre chose que le gène de l’esprit de contradiction, celui de l’empêcheur de tourner en rond, celui qui grippait la machine, qui cherchait midi à quatorze heures, des poux sur la tête, qui coupait les cheveux en quatre… bref le plus authentique gène sans-gêne que la terre eût jamais connu !.
Alors sans davantage tergiverser, il se mit à l’ouvrage.
Il choisit tout d’abord de se glisser à l’intérieur d’un cerveau féminin, mais il réalisa bien vite qu’il n’avait rien à y faire : l’esprit de contradiction ? ELLE maîtrisait parfaitement, et avait, grâce à son entêtement, son aptitude à refuser l’évidence, le don, tout en ayant l’air de n’y rien comprendre, de faire admettre les idées les plus sensées aux cerveaux les plus obtus.
C’est ainsi qu’elle était capable devant une garde robe pleine à craquer de faire croire à son compagnon qu’elle n’avait plus rien à se mettre ; ou bien encore d’inspirer aux hommes politiques des lois essentiellement féministes, comme celles en faveur de la contraception, de l’avortement, tout en les persuadant qu’eux seuls en avaient eu l’idée. De fait elle lui apparut soit plus diaboliquement retorse encore que lui-même, et il s’avouait d’avance vaincu, soit d’une telle intransigeance, doublée d’une telle vertu, que ses défenses lui semblèrent totalement imprenables !
C’est donc chez l’homme qu’il installa ses pénates, et comprit qu’enfin il en avait fini avec son errance, tellement il y avait à faire !
Comment, en effet, ne pas avoir envie de bousculer un être si sûr de lui, estimant qu’IL a toujours raison, même lorsqu’IL est manifestement le seul à le croire !
L’installation se fit en douceur : il ne fallait pas brusquer l’animal, mais les changements furent assez vite perceptibles quoique pas vraiment troublants.
Ainsi, quand Monsieur entra chez lui un beau soir avec un énorme bouquet à la main qu’il accompagna d’un tonitruant « Bon anniversaire ma chérie » sa femme fut bien un peu surprise, d’autant qu’il délaissa pour la soirée l’ordinateur et qu’il voulut même faire la cuisine, mais elle songea qu’il devait être fatigué et que demain il n’y paraîtrait plus ; or, quand l’humeur de son époux de bougonne s’affirma de jour en jour étonnamment angélique elle le crut franchement malade et fit venir le médecin.
De même, les élèves du professeur Duraille ne s’étonnèrent pas outre mesure de ce que toutes les notes du contrôle de physique fussent en dessus de la moyenne : d’abord une bonne note n’est jamais contestable, ensuite il était enfin temps qu’il reconnût leur valeur ; mais quand, la face, d’ordinaire revêche, ornée d’un sourire béat, et sous la forme d’un sonnet classique, il leur présenta la poussée d’Archimède, dans laquelle il était démontré qu’une pierre flottait d’autant mieux qu’elle était plus plate, ils furent consternés, non qu’ils doutassent un seul instant de la véracité de la démonstration - après tout Archimède était bien sorti tout nu de sa baignoire - mais ils ne pouvaient admettre que Duraille sût sourire.
Et c’est surtout lorsque quelques mois après les élections, on s’aperçut que les hommes politiques mettaient en place le programme pour lequel ils avaient été élus, qu’on commença à se poser des questions ! D’autant que dans le même temps, les dossiers de justice qui traînaient depuis des lustres étaient réglés en un clin d’œil, que les lois votées étaient respectées, que les prisons se vidaient faute de contrevenants, et que les guerres s’arrêtaient faute de belligérants.
De fait, les usines d’armement s’étaient reconverties dans la fabrication de feux d’artifices du plus bel effet, les Ayatollahs et le Saint Père s’étant aperçus que le Dieu qu’ils vénéraient était somme toute le même, ne prêchaient plus qu’une identique Paix Sainte, les banques prêtaient aux plus démunis, les Pays Riches annulaient toutes les dettes des Pays Pauvres, enfin les gens retrouvaient avec une joie visible le plaisir du dialogue et de l’échange.
Notre gène farceur n’en croyait pas ses yeux ! Pensant semer la zizanie, il n’avait en fait apporté aux hommes que tolérance, entente et harmonie ! Un nouvel âge d’or s’ouvrait à l’humanité !
***
Alors, en haut lieu, on commença à trouver le phénomène fort inquiétant : on songea même qu’un virus inconnu avait infesté la planète, de sorte que l’on fit appel à la recherche médicale.
Les éminents chercheurs que leur fonction et l’étanchéité de leurs laboratoires avaient immunisés, eurent tôt fait de découvrir le gène responsable de tous ces malheurs, et comme ils n’avaient en aucune façon le sens de l’humour, ils se dépêchèrent de mettre au point le plus efficace des vaccins.
Les vaccinations se firent à l’échelle planétaire, seuls les poètes ainsi que les météorologues furent épargnés ; les premiers, parce que vivant perpétuellement dans les étoiles, ils étaient sans danger pour l’humanité : les seconds parce qu’on ne pouvait décemment pas demander à un météorologue de ne jamais se contredire.
Grandement dépité, notre gène facétieux, se retira dans le fin fond de la galaxie où il avait entendu dire qu’il existerait une planète peuplée uniquement d’humoristes.
Et…. Tout reprit comme avant ! L’Humanité avec ses erreurs, le gène avec ses errances !
Michèle Puel Benoît