L'Enfant qui révait d'être un Nuage
A force de s’entendre toujours dire :
« Cet enfant a la tête dans les nuages », ou bien :
« Il n’a pas du tout les pieds sur terre » ou :
« Il ne fait attention à rien, » ou encore s’entendre demander ce que lui avaient raconté les habitants de la lune, l’enfant ne rêvait plus que d’une seule chose : quitter cette terre inhospitalière et devenir un nuage !
Or l’entreprise s’avérait des plus ardues !
Il avait bien sûr compris que, pour échapper à la pesanteur, il lui fallait effectuer des sauts de plus en plus grands, ce qu’il réussissait sans aucune difficulté ; il savait également avec un évident bonheur, éviter d’être attentif à quelque consigne que ce fût ; davantage encore converser avec les habitants de notre satellite : il en possédait parfaitement le moindre des dialectes. Mais il n’arrivait pas à atteindre la consistance moelleuse, diaphane, évanescente du plus léger des nuages qui ponctuent le ciel estival !
Or, un jour d’été particulièrement torride, où il n’avait cessé de barboter dans la piscine, lui fut octroyé ce qu’il avait si fortement désiré .
Après une baignade particulièrement prolongée, alors qu’il gisait étalé en plein soleil, l’ardeur de ce dernier fut telle, qu’en un rien de temps il fut bu, avalé, digéré et rejeté dans l’azur, sous la forme évanescente, diaphane et moelleuse du plus authentique des Cirrus .
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Ce fut une impression de légèreté extrême qui le fit revenir à lui : il lui semblait qu’il était devenu inconsistant et vaporeux, tel qu’il avait toujours souhaité l’être ; aussi accepta-t-il sans vraiment d’étonnement son nouvel état . Mais, ce que son imagination n’aurait pu seulement lui suggérer, était qu’un aussi fabuleux spectacle s’offrirait à ses yeux !
Il baignait dans une sorte de matière à la fois gazeuse et liquide dont la teinte empruntait aux nuances du mauve, du bleu et du vert. En dessous de lui, évoluait une énorme sphère bleu nuit, par endroits tachée de brun, de roux et de blanc, et qui parfois s’enrubannait de brume.
Comment ? C’était là notre planète ? Ce monde qui hier lui paraissait sans bornes, se réduisait à cette boule, gigantesque certes, mais qu’il pouvait embrasser d’un seul regard. Il était même capable, en se remémorant ses cours de géographie, d’y reconnaître les différents continents flottant sur la masse intensément bleue des océans. Il émanait d’elle une force et une beauté quasi magiques, d’autant que la Terre entrant dans le cône d’ombre, les villes, telles nuées de lucioles, s’illuminèrent peu à peu, ajoutant encore à la féerie du spectacle.
Quand il put enfin en détacher ses yeux, et qu’il les porta vers le haut, il fut saisi de vertige. Le ciel scintillait d’une myriade d’étoiles qui paraissaient suspendues au-dessus d’un gouffre immense. Elles semblaient vibrer d’une musique si éthérée qu’elle rendait presque palpable l’épais silence dans lequel l’espace était plongé .
On remarquait tout d’abord celles qui étaient les plus brillantes, mais si on fixait un point précis, on en distinguait de nouvelles moins lumineuses et plus lointaines, et puis d’autres encore et d’autres et d’autres, cela ne finissait jamais : l’Univers était infini !
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Brusquement, il se leva un vent puissant, une espèce de souffle inter sidéral, qui envoya rouler au milieu des constellations l’enfant nuage.
Ce dernier, évitant de justesse le coup de patte hargneux de la Grande Ourse, fit escale sur un des plateau de la Balance - qui depuis lors est faussée - , s’effilocha aux cornes du Taureau, prit un des Poissons dans ses mailles, arracha au Bélier un peu de sa toison, et, se glissant entre les Gémeaux, atterrit enfin entre les bras secourables de la Vierge.
Sa folle course avait évidemment bouleversé l’ordre bien établi des signes du Zodiaque ; on tenta de réparer comme on put, mais il en resta toujours quelque chose ; et c’est depuis ce jour que les calculs de nos éminents Astrologues ne sont plus tout à fait fiables - l’exactitude de leur Science ne devant pas pour autant être remise en question !
L’enfant nuage serait bien encore resté entre les bras aimants de la Vierge, mais telle n’était pas sa destinée.
Il était dit qu’il rendrait visite à la Lune.
Les habitants de Séléné l’accueillirent avec tous les honneurs. Il fut de toutes les réceptions, de tous les banquets : pensez donc, un messager fait de vapeur sur un astéroïde qui avait perdu jusqu'à la mémoire de l’eau ! Il écouta poliment tous les discours, quelques farfelus qu’ils fussent, goûta à tous les mets même aux plus étranges, et repartit repu et convaincu qu’il existait bien à travers l’Univers des gens avec lesquels il n’était pas difficile de s’entendre !
***
Un vent lunaire le ramena dans notre atmosphère.
Le passage ne s’y fit pas sans mal : il eut tout d’abord l’impression de pénétrer dans une fournaise, ce qui le fit transpirer à grosses gouttes ; suivit alors un refroidissement tel qu’il se sentit environné de mille cristaux de glace ; ces derniers exposés, au fur et à mesure de la progression de sa chute, à l’ardeur des rayons solaires, se vaporisèrent, et notre innocent petit cirrus se transforma en un formidable cumulus grondant d'orages contenus.
La forte pression, jointe à l’électricité statique, fit enfler démesurément le nuage jusqu’à le faire crever en une averse aussi violente qu’espérée qui rafraîchit en un clin d’œil la terre surchauffée.
Et l’enfant se retrouva suffoquant sous la bénéfique ondée.
Nul n’eut jamais vent de son extraordinaire aventure, car il sut parfaitement la taire ; mais son comportement changea. Il devint davantage présent et même plus sûr de lui. Ses parents et ses maîtres l’en félicitèrent : il avait enfin choisi de fréquenter ce monde rationnel et logique ; ils l’imaginait déjà coiffant le tricorne du polytechnicien !
Lui, il en riait bien sous cape : il avait déjà décidé quelle serait sa vie : et la logique n’y entrait pas pour grand chose…….. Il serait poète !
Qu’ils pensent ce qu’ils voudraient:
On ne le forcerait pas,
Personne ne lui en donnerait à croire,
Il n’en ferait qu’à sa guise,
Il serait têtu comme un âne.
Après tout, et ce malgré les apparences, il n’était pas né de la dernière pluie !
Michèle Puel Benoît